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CHAPITRE 4 : RÉSULTATS ET INTERPRÉTATION

4.2 Analyses secondaires

4.2.2 Un effet Harper?

La question principale de la recherche porte sur l’allocation de l’aide alimentaire avant la fusion de l’ACDI au MAECD. Comme il a été mentionné en introduction, étant donné que l’échantillon se termine en 2012, il est impossible de faire une étude de la variance de l’influence des déterminants avant et après la fusion. Toutefois, il est possible de jeter un coup d’œil sur les différences avant et après l’arrivée du gouvernement responsable de ces changements. Cela pourrait nous donner une idée des orientations qu’a prises le programme d’aide alimentaire après la fusion. Commençons par regarder l’effet

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du gouvernement Harper sur l’aide totale et les modes de distributions utilisés. Pour y arriver, on ajoute une variable binaire (Harper au pouvoir) au modèle qui prend la valeur 1 pour les années de Harper et 0 pour les autres. Les nouveaux résultats apparaissent au tableau 4.11.

Tableau 4.11 Ajout de la variable (Harper au pouvoir) au modèle original (1988-2012)

Achats locaux Achats

triangulaires Transferts directs Aide totale Modèle gravitationnel Distance -0.1128 0.0478 -0.4965*** -0.4865*** (0.2540) (0.2485) (0.1153) (0.1144) Population 0.3360*** -0.1575 -0.1120* -0.0595 (0.0984) (0.1001) (0.0536) (0.0489) Besoins récipiendaire Calories -0.6282 -2.1370*** -1.8664*** -1.8683*** (0.7000) (0.6343) (0.3693) (0.3373) PIB récipiendaire -0.4347*** -0.4004** -0.4885*** -0.4960*** (0.1243) (0.1252) (0.0762) (0.0684) Réfugiés 0.0406** 0.0414** 0.0011 0.0062 (0.0148) (0.0143) (0.0076) (0.0071) Catastrophes naturelles 0.0586*** 0.0406** -0.0010 0.0069 (0.0150) (0.0131) (0.0071) (0.0064) Intérêts économiques Flux commerciaux -0.0797 0.0417 0.2754*** 0.1909*** (0.0648) (0.0594) (0.0374) (0.0323) Production canadienne 0.7790 0.9001 0.3868 0.5443* (0.7112) (0.6855) (0.2982) (0.2725) Ouverture récipiendaire 0.3846* 0.1069 -0.6233*** -0.4160*** (0.1815) (0.1814) (0.0923) (0.0864) Intérêts politiques

79 Affinités politiques -1.4621* -2.1474*** 0.5936 -0.5118 (0.5937) (0.5680) (0.4255) (0.3446) Commonwealth 0.1360 0.1963 -0.0933 -0.0528 (0.1710) (0.1710) (0.0972) (0.0914) OIF -0.2976 0.0590 -0.2686** -0.2330** (0.1745) (0.1603) (0.0966) (0.0898) Alignement É-U 0.1292*** 0.2258*** 0.1287*** 0.1491*** (0.0212) (0.0264) (0.0103) (0.0096) Religion -0.0776 -0.3025 0.3947 0.3463 (0.5435) (0.5153) (0.2942) (0.2781) Gouvernance Droits civils et politiques -0.1929 *** 0.0980 0.0916** 0.0805** (0.0497) (0.0510) (0.0302) (0.0266) Variable binaire Harper au pouvoir 2.3610*** 1.4407*** -2.6260*** -1.0264*** (0.4858) (0.4361) (0.2914) (0.2428) _cons -16.4894 -1.4631 25.1165*** 10.8072 (14.3083) (13.5526) (6.1894) (5.6616) ln_r _cons 2.0741 3.7419 -0.0513 (1.2109) (5.5274) (0.1914) ln_s _cons 11.3506*** 13.8714* 9.1606*** (1.4006) (5.7060) (0.3545) lndelta _cons 11.1902*** (0.0971) N 2855 2855 2855 2855 ll -2758.6857 -3097.8248 -9240.0625 -1.142e+04

Erreur-type entre parenthèses

* p < 0.05, ** p < 0.01, *** p < 0.001

Comme on peut le remarquer, les années Harper sont caractérisées par une diminution d’environ 50% de l’aide alimentaire totale, mais celle-ci est strictement due à une grande diminution dans l’utilisation des transferts directs qui ont pratiquement disparu sous sa gouvernance. En effet, les modes de distribution locaux et régionaux ont, eux,

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considérablement augmenté. Cela pourrait en surprendre plusieurs étant donné que ces modes sont habituellement considérés comme étant plus altruistes. Comme le mentionnent Barrett et Maxwell (2005) grâce à l’utilisation de ces modes, l’aide arrive plus rapidement et les marchés agricoles locaux ne sont pas inondés. Encore mieux, l’aide distribuée de cette façon stimule la demande sur ces marchés. De plus, en achetant la nourriture localement, on répond beaucoup mieux aux goûts et aux habitudes alimentaires des populations dans le besoin. Finalement, puisque l’aide est allouée sous la forme de montants d’argent, il n’y a pas d’intérêts cachés en lien avec l’écoulement de la production nationale. Il serait donc possible que, contre toute attente, le programme d’aide alimentaire canadien ait pris un tournant altruiste sous la gouvernance Harper. La question qu’il faut maintenant se poser est : cette évolution résulte-t-elle d’une initiative du gouvernement conservateur?

Lorsque l’on étudie l’historique de l’aide alimentaire en général, il est possible de discerner une évolution semblable pour la plupart des pays donateurs importants. En fait, le changement d’idéologie par rapport à l’aide alimentaire a débuté en Europe à la fin des années 1970s, début des années 1980s. Durant cette période, plusieurs chercheurs ont mis en évidence de sérieux problèmes associés à l’aide alimentaire en provenance de l’Europe (Clapp, 2012). Ces critiques envers les programmes d’aide alimentaire européens ont entraîné une restructuration de ceux-ci et, par le fait même, marqué le début du processus de déliement de l’aide. En 1984, un règlement proposé par le Conseil des ministres, regroupant les chefs d’État de tous les membres de la Communauté européenne, a donné la permission de substituer l’aide directe pour une partie ou l’entièreté de l’aide alimentaire envoyée à un pays lorsqu’il était jugé que celle-ci pouvait perturber les marchés locaux. Ce règlement permettait, pour une première fois, l’utilisation des achats triangulaires pour remplir les engagements d’aide européens. Avec un nombre croissant de situations d'urgence dans le monde entier, y compris une augmentation générale de l'insécurité alimentaire en Afrique en particulier avec la famine en Éthiopie de 1984-85, la Commission européenne a commencé à voir l'aide alimentaire comme étant un outil d'intervention d'urgence humanitaire plutôt qu’un instrument de développement (Clapp, 2012). Ces changements idéologiques par rapport au rôle de l’aide alimentaire ont ensuite été transmis aux organisations internationales. Par exemple, les Européens ont poussé pour

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que les achats locaux et triangulaires soient reconnus auprès de la Convention de l’aide alimentaire lorsque celle-ci a été renégociée en 1986. En outre, l’implantation de l’Acte unique européen de 1986 combiné au fait que la gestion de l’aide alimentaire passait aux mains de la Commission européenne, rendaient la promotion d’intérêts commerciaux pratiquement impossible pour les membres de la Communauté européenne. Finalement, à la suite d’une évaluation externe de l’aide européenne par programme, le Conseil des ministres a engendré une nouvelle réforme de l’aide alimentaire en 1996. Celle-ci mettait l’accent sur les pays les plus démunis et l’importance de réduire la dépendance des bénéficiaires de l’aide alimentaire. À cette fin, les nouvelles normes encourageaient encore davantage l’utilisation des achats locaux et régionaux.

Bref, sur une période de 30 ans, l’aide alimentaire européenne (autant le programme collectif que les programmes nationaux) s’est éloignée de l’aide à long terme et de l’aide liée, se tournant plutôt vers l’utilisation de l’aide financière par achats locaux et triangulaires. Comme on peut le voir au graphique 4.4, l’ensemble de ces changements s’est vraiment fait sentir au début des années 2000.

La tendance vers une aide plus altruiste distribuée par achats locaux et triangulaires n’a donc certainement pas été inventée par le gouvernement Harper. Les Européens ont entamé ce processus plusieurs années avant lui. Cependant, il faut rendre à César ce qui appartient à César. Si les Européens ont pris ces décisions il y a un certain temps, les gouvernements canadiens précédant celui de Monsieur Harper auraient pu en faire de même. C’est sous ce gouvernement que le Canada a enfin fait la transition vers cette aide alimentaire plus altruiste. C’est ce gouvernement qui a enfin complètement délié l’aide en 2008 (Affaires étrangères, commerce et développement Canada, 2008). De plus, si ce changement vers l’aide alimentaire plus altruiste peut sembler inévitable puisque la plupart des pays donateurs l’ont suivi, il est important de noter que ce n’est pas le cas des États- Unis. En effet, bien qu’une proposition de réforme ait été déposée par le gouvernement Obama en 2014, puis reconduite en 2016, aucune action n’a encore été prise (USAID, 2016). Comme on peut le voir grâce aux graphiques 4.4, l’aide alimentaire des États-Unis, le leader dans le domaine, est toujours pratiquement toute distribuée par transfert direct. Puisque le programme d’aide alimentaire canadien a été créé dans des circonstances et pour

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des raisons semblables, qu’il est un grand producteur agricole, et que le pays aligne souvent ses décisions de politique étrangère avec celles des États-Unis (Paquin et Beauregard, 2013), il n’aurait pas été surprenant que le Canada continue d’utiliser les transferts directs comme mode de distribution de prédilection.

Graphiques 4.4 Comparaison de l’évolution dans la distribution de l’aide alimentaire (1988-2012)

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CHAPITRE 5 : CONCLUSION

L’aide étrangère est un aspect à la fois très important, mais aussi hautement complexe des relations Nord-Sud. Pour certains, l’aide internationale est distribuée en fonction des besoins des pays récipiendaires et des valeurs altruistes des pays donateurs. Pour d’autres, elle est plutôt un autre outil de politique étrangère qui sert à promouvoir divers intérêts nationaux sur la scène internationale. Ce débat a fait surface ici, au Canada, à la suite de la fusion de l’ACDI qui s’est joint au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement en 2012. Plusieurs critiques ont mentionné que cette perte d’autonomie de l’Agence allait transformer l’aide canadienne d’une aide altruiste vers une aide alignée aux intérêts nationaux. Cependant, ces critiques, en avançant que l’aide distribuée par l’ACDI était vraiment altruiste, sautaient rapidement aux conclusions. Avant de soumettre l’idée d’un potentiel changement de priorités dans le processus de décision de l’allocation de l’aide, il est indispensable de vérifier ce qui était fait avant cette fusion.

Dans cette optique, la présente recherche s’est penchée sur les facteurs qui ont influencé l’allocation de l’aide envoyée par le programme d’aide alimentaire canadien pour les 25 années qui ont précédé le rattachement de l’ACDI au MAECD (1988-2012). Nous nous sommes concentrés sur l’aide alimentaire principalement pour deux raisons. D’abord, les bases de données du Programme Alimentaire Mondial sont fiables et à jour, ce qui est très important lorsqu’on fait une analyse quantitative. Ensuite, les études sur le programme d’aide alimentaire canadien sont très rares, alors que le dernier ouvrage important, celui de Charlton, remonte à 1992. Ainsi, cette recherche comble un réel vide dans la littérature. Dans le but de vérifier quels groupes de déterminants ont influencé le programme et lesquels ne l’ont pas, nous avons utilisé, comme Langlois (2011), les catégories présentées par McKinlay et Little dans leur important article de 1977 soit les besoins humanitaires, les intérêts politiques, les intérêts économiques et la bonne gouvernance. Pour rehausser la saveur multidisciplinaire de la recherche, nous avons aussi testé les spécifications du modèle gravitationnel, un modèle économique très réussi qui est habituellement utilisé pour expliquer les flux commerciaux internationaux. Nous avons donc élaboré quatorze hypothèses secondaires, découlant de ces cinq catégories, dans le but de répondre à la question : quels ont été, historiquement, les déterminants influençant l’allocation de l’aide

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alimentaire canadienne? En répondant à cette question précise, il allait ensuite être plus facile de répondre à la question générale qui est de savoir si l’alignement de l’aide vers les intérêts nationaux, plutôt que des intérêts humanitaires, signifierait un changement dans le processus d’attribution de l’aide canadienne, ou du moins de son aide alimentaire. Contrairement aux critiques, nous avons fait l’hypothèse qu’historiquement, les intérêts politiques et économiques ont joué un rôle important dans l’attribution de l’aide du programme d’aide alimentaire canadien.

Pour répondre à ces questions et, plus précisément, pour tester les hypothèses secondaires, nous avons monté le modèle économétrique de la recherche en utilisant un modèle négatif binomial à effets aléatoires. Celui-ci a été proposé par Cameron et Trivedi (2009) et utilisé par Langlois (2011) pour outrepasser les problèmes liés à la modélisation de l’aide alimentaire, soit une distribution à nombre élevé de zéros et de l’hétéroscédasticité.

Plusieurs aspects importants sont ressortis des résultats de l’analyse statistique. En premier lieu, nous avons constaté que le modèle gravitationnel est respecté en ce qui concerne les flux d’aide alimentaire canadiens. En effet, plus un pays récipiendaire est populeux, et plus il est géographiquement proche du Canada, plus il va recevoir de l’aide alimentaire canadienne. Sans surprise, ce sont principalement les transferts directs qui sont affectés par la distance, ce qui laisse sous-entendre que les coûts de transaction importent dans l’attribution de l’aide, comme c’est le cas pour les produits commerciaux. Pour continuer, nous avons vu que les résultats par rapport aux principaux indicateurs des besoins des pays récipiendaires sont sans équivoque. Peu importe le mode de distribution, le type d’aide ou la manière dont on tourne le modèle, ceux-ci sont toujours négatifs. Les pays récipiendaires qui ont un PIB par habitant plus faible et moins de calories disponibles à la consommation reçoivent donc davantage d’aide alimentaire canadienne. Il est aussi possible de remarquer que le Canada est sensible aux situations de crise dans l’optique où il envoie significativement plus d’aide d’urgence aux pays frappés par une catastrophe naturelle ou qui accueillent une grande population de réfugiés. Non seulement envoie-t-il plus d’aide, mais il le fait à travers les modes de distribution les plus rapides et les plus efficaces, soit les achats locaux et triangulaires (Lentz et al, 2013).

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Les résultats concernant les intérêts économiques sont plus nuancés. D’un côté on observe que les partenaires commerciaux du Canada sont plus susceptibles de recevoir de l’aide du programme canadien. De l’autre, contre toute attente, on remarque que le volume de la production canadienne n’influence pas la quantité d’aide envoyée. L’écoulement des surplus était pourtant la préoccupation principale des décideurs canadiens lorsqu’ils ont créé le programme au début des années 1950s. Pour ce qui est du développement de nouveaux marchés, il est possible de noter que les pays ayant une économie plus fermée reçoivent davantage d’aide canadienne, et ce, principalement puisqu’ils reçoivent plus de transferts directs. On semble donc retrouver la tendance des années 1970s à habituer de nouvelles populations au grain canadien. En ce qui concerne les intérêts politiques, nous avons constaté que bien qu’ils ne reçoivent pas plus d’aide au total, les pays partageant des affinités politiques et les pays membres du Commonwealth reçoivent significativement plus d’aide par programme que les autres pays. En fait, nous avons vu que le Canada cible davantage ses partenaires idéologiques avec son aide planifiée à l’avance, mais qu’il n’est pas trop regardant des valeurs lorsqu’un pays est en situation d’urgence. La tendance est la même lorsqu’on se penche sur l’impact de la gouvernance des pays récipiendaires. Les pays démontrant une bonne gouvernance reçoivent davantage d’aide par programme, alors que les mauvais gouvernements reçoivent plus d’aide d’urgence.

Plus généralement, nous avons vu que les différents modes de distribution semblent souvent être utilisés comme substituts les uns aux autres et que les motivations varient selon le mode et le type d’aide. C’est pourquoi nous joignons notre voix à celle de Langlois (2011) en prônant l’importance de séparer les résultats selon ces modes et types d’aide lorsqu’on étudie les déterminants de l’aide alimentaire.

5.1 Implications

À la lumière de ces résultats, quelles conclusions peut-on tirer par rapport à la question et l’hypothèse générale de la recherche? L’aide alimentaire distribuée par l’ACDI durant ses 25 dernières années était-elle blanche comme neige, c’est-à-dire complètement altruiste comme les critiques de la fusion de l’ACDI le laissaient sous-entendre? Ou alors

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était-elle davantage influencée par les intérêts nationaux comme l’hypothèse de cette recherche le proposait? Comme c’est souvent le cas dans le cadre des relations internationales, tout n’est pas noir ou blanc. Nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, les résultats concernant les besoins des pays récipiendaires sont sans équivoque. En fait, cette catégorie de déterminants est fort probablement la plus convaincante de la recherche. Sur ce point, les critiques de la fusion avaient, en partie, raison. Il semblerait en effet que l’ACDI, lorsqu’elle était semi-autonome, portait une attention particulière aux besoins des récipiendaires. En plus de cibler les pays ayant un PIB par habitant plus faible et moins de calories disponibles à la consommation, le programme alimentaire, sous l’ACDI, était aussi sensible aux situations d’urgence.

Cependant, il est impossible d’avancer que l’aide alimentaire, durant ces 25 années, ne répondait pas aussi à la promotion d’intérêts nationaux. Il est clair que les partenaires commerciaux actuels et potentiels sont favorisés lorsque vient le temps d’allouer l’aide. De plus, il est possible de remarquer que les types d’aide prévus à l’avance sont très positivement corrélés aux variables politiques. Par exemple, les pays qui partagent des affinités politiques, ainsi que les membres du Commonwealth, reçoivent beaucoup plus d’aide par programme. Globalement, donc, il semblerait que plus l’aide est prévue à l’avance, plus les intérêts nationaux importent dans l’allocation et plus l’aide est urgente, plus les besoins sont pris en compte.

Dans son important ouvrage de 1992, Charlton arrivait à la conclusion que le programme d’aide alimentaire canadien, à cause de ses objectifs multiples, finissait par répondre à trois types de déterminants : les objectifs commerciaux et agricoles, les objectifs de politique étrangère et les objectifs humanitaires (55-62). En fait, il a décrit la politique d’aide alimentaire canadienne comme étant un continuel compromis entre une intention de répondre aux besoins des pays récipiendaires et diverses tentatives d’engendrer des bénéfices économiques et politiques (67). En ce sens, la présente recherche arrive à des résultats et à une conclusion plutôt semblables. L’allocation de l’aide alimentaire par le programme canadien, au cours des 25 dernières années de l’ACDI, paraît être le résultat

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d’un calcul stratégique26 prenant en compte un mélange d’objectifs économiques,

politiques et humanitaires. Cependant, en séparant les modes de distribution et les types d’aide, nous avons pu remarquer que le compromis semble s’effectuer à travers une division de l’aide. D’un côté on retrouve une aide d’urgence beaucoup plus humanitaire et de l’autre, une aide développementale plus lente et davantage teintée d’intérêts nationaux. En outre, bien que l’on retrouve plusieurs ressemblances entre les motivations discernées dans l’ouvrage de Charlton (1992) et celles soulevées par la présente recherche, notamment le développement de nouveaux marchés, les affinités politiques et les besoins des récipiendaires, on remarque aussi quelques différences frappantes. La plus importante est sans aucun doute l’influence des surplus agricoles. L’écoulement de ceux-ci était définitivement la préoccupation principale du programme durant la période observée par Charlton (1992). Cela n’est certainement pas le cas pour notre échantillon. Pour continuer, malgré le fait qu’il a qualifié la politique d’aide alimentaire canadienne de compromis entre plusieurs objectifs, il avance que les intérêts économiques étaient les plus importants dans le calcul (178). Force est de reconnaître que dans la présente recherche, les résultats par rapport aux besoins des pays récipiendaires sont plus convaincants. L’aide alimentaire canadienne aurait donc potentiellement évolué en une aide plus altruiste au cours des dernières décennies.

Certains croiront que la fusion de l’ACDI au MAECD signifie la fin de cette évolution altruiste. Par contre, il est important de se rappeler que cette tendance ne s’est pas renversée sous la gouvernance Harper. Au contraire, elle s’est plutôt concrétisée. En effet, les années Harper ont été caractérisées par la fin de l’aide par programme et l’aide envoyée par transferts directs. Il ne reste que l’aide non liée, distribuée par des modes efficaces qui répondent rapidement aux besoins humanitaires (Lentz et al., 2013). Dans cette optique, il serait de mauvaise foi de critiquer les changements institutionnels de ce gouvernement avant que le nouveau ministère n’ait eu le temps de faire ses preuves. Dans

26 L’hypothèse du calcul stratégique pour l’allocation de l’aide semble être confirmée par le document de

l’ACDI qui se retrouve à l’Annexe I. Dans celui-ci, on retrouve noir sur blanc les critères qui sont pris en compte pour maintenir (ou non) l’allocation de l’aide dans chaque pays ciblé. Ceux-ci sont l’alignement des intérêts commerciaux, sécuritaires et idéologiques, l’efficacité par rapport à la gouvernance du pays récipiendaire et les besoins du pays récipiendaire.

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le cadre de l’aide alimentaire, il faudra attendre les prochaines données du Programme Alimentaire Mondial pour étudier l’impact de la fusion.

Finalement, il est aussi important de mentionner que les résultats et les conclusions de la présente recherche ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble de l’aide étrangère canadienne. Ceux-ci ne sont valides que pour l’aide alimentaire. La tendance observée dans cette recherche que l’aide est le résultat d’un calcul stratégique incluant plusieurs catégories de déterminants semble toutefois être en partie confirmée par le document de l’ACDI27 qui se retrouve en Annexe. Il serait toutefois intéressant de confirmer cette

hypothèse du calcul stratégique pour l’ensemble de l’aide étrangère canadienne dans une étude quantitative semblable à celle-ci. En attendant, nous espérons que la présente recherche saura combler le vide dans la littérature sur l’aide alimentaire canadienne.

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