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L'ACDI et l'alignement de l'aide étrangère canadienne : le cas de l'aide alimentaire

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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L’ACDI et l’alignement de l’aide étrangère canadienne :

le cas de l’aide alimentaire

Mémoire

Pierre-Alexandre Laberge

Maîtrise en études internationales

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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L’ACDI et l’alignement de l’aide étrangère canadienne :

le cas de l’aide alimentaire

Mémoire

Pierre-Alexandre Laberge

Sous la direction de :

Érick Duchesne, directeur de recherche

Bruno Larue, codirecteur de recherche

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iii

RÉSUMÉ

Les critiques ont été nombreuses suite à la fusion de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) en mars 2013. Selon plusieurs, la perte d’autonomie de l’ACDI allait transformer l’aide canadienne d’une aide altruiste vers une aide teintée par les intérêts nationaux. La présente recherche se penche sur la première partie de cette affirmation. C’est-à-dire qu’elle vérifie dans quelle mesure l’aide canadienne était altruiste sous la tutelle de l’ACDI lorsque celle-ci était semi-indépendante. Pour ce faire, la recherche étudie l’influence de différents facteurs sur l’allocation de l’aide alimentaire canadienne de 1988 à 2012. En plus de tester les indicateurs habituellement avancés dans la littérature, nous analysons l’influence de nouvelles variables omises par celle-ci, ainsi que certaines variables uniques au cas canadien. À l’aide d’un modèle binomial-négatif à effet aléatoire, nous trouvons que l’allocation de l’aide alimentaire canadienne répond à un calcul stratégique tenant compte à la fois des besoins humanitaires et de la gouvernance des pays récipiendaires ainsi que des intérêts économiques et politiques du Canada. En fait, nous remarquons qu’en situation d’urgence, le Canada est moins regardant de la situation politique et économique des pays récipiendaires, se concentrant plutôt sur les besoins de ceux-ci. Par contre, lorsqu’il utilise son aide plus lente et prévue à l’avance, les intérêts nationaux sont davantage pris en compte.

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iv

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... iv

LISTE DES TABLEAUX ... vi

LISTE DES FIGURES ... viii

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... x

REMERCIEMENTS ... xi

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE ... 9

2.1 Définitions ... 10

2.1.1 Aide alimentaire ... 10

2.1.2 Modes de distribution de l’aide alimentaire ... 12

2.1.3 Types d’aide alimentaire ... 14

2.1.4 Programme d’aide alimentaire canadien ... 15

2.2 Hypothèses de recherche ... 17

2.2.1 Hypothèse principale ... 17

2.2.2 Hypothèses secondaires ... 18

Modèle gravitationnel ... 18

Besoins des pays récipiendaires ... 20

Intérêts économiques du Canada ... 22

Intérêts politiques du Canada ... 26

Gouvernance dans le pays récipiendaire ... 29

CHAPITRE 3 : CADRE OPÉRATOIRE ET STRATÉGIE VÉRIFICATION ... 31

3.1 Spécification des variables et de leurs indicateurs ... 31

3.1.1 Variable dépendante ... 31

3.1.2 Variables de contrôle ... 32

Modèle gravitationnel ... 32

Besoins des pays récipiendaires ... 32

Intérêts économiques du Canada ... 33

Intérêts politiques du Canada ... 34

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v

3.2 Stratégie de vérification... 36

3.2.1 Difficultés liées à la modélisation de l’aide alimentaire ... 36

Distribution à nombre élevé de zéros ... 37

Hétéroscédasticité ... 38

3.2.2 Modèle empirique ... 39

Modèle binomial-négatif à effet aléatoire ... 39

3.2.3 La sélection des cas à l’étude ... 39

CHAPITRE 4 : RÉSULTATS ET INTERPRÉTATION ... 42

4.1 Analyse principale : Influence des différents facteurs sur l’aide alimentaire canadienne et ses modes de distributions ... 43

4.1.2 Interprétation ... 44

Modèle gravitationnel ... 44

Besoins des pays récipiendaires ... 47

Intérêts économiques du Canada ... 51

Intérêts politiques du Canada ... 57

Gouvernance dans le pays récipiendaire ... 68

4.2 Analyses secondaires ... 72

4.2.1 L’influence des déterminants sur les types d’aide alimentaire ... 72

Modèle gravitationnel ... 73

Besoins des pays récipiendaires ... 74

Intérêts économiques du Canada ... 75

Intérêts politiques du Canada ... 76

Gouvernance du pays récipiendaire ... 77

4.2.2 Un effet Harper? ... 77 CHAPITRE 5 : CONCLUSION ... 83 5.1 Implications ... 85 BIBLIOGRAPHIE ... 89 ANNEXE I ... 98 ANNEXE II... 106

(6)

vi

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 4.1

Résultats par rapport à l’influence des différents facteurs sur l’aide alimentaire canadienne et ses modes de distribution (1988-2012)

43

Tableau 4.2

L’influence de différents facteurs sur l’aide alimentaire canadienne 1988-2012 (Modèle simplifié pour Production Canadienne)

53

Tableau 4.3

Test de corrélation directe entre la variable (Production canadienne) et les divers modes de distribution

54

Tableau 4.4

L’influence de différents facteurs sur l’aide alimentaire canadienne 1988-2012 (Modèle simplifié pour Commonwealth)

59

Tableau 4.5

Test de corrélation directe entre la variable (Commonwealth) et les divers modes de distribution

60

Tableau 4.6

Calcul du rapport des probabilités entre (PrésenceaideCAN) et (PrésenceaideUSA) 63

Tableau 4.7

Rapport des probabilités des 10 plus grands pays donateurs selon si le pays récipiendaire reçoit ou ne reçoit pas d’aide américaine

(7)

vii

Tableau 4.8

L’influence de différents facteurs sur l’aide alimentaire canadienne 1988-2012 (Modèle simplifié pour Religion)

66

Tableau 4.9

Test de corrélation directe entre la variable (Religion) et les divers modes de distribution 67

Tableau 4.10

Résultats par rapport à l’influence des différents facteurs sur les types d’aide (1988-2012) 72

Tableau 4.11

Ajout de la variable (Harper au pouvoir) au modèle original (1988-2012) 78

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LISTE DES FIGURES

Graphique 2.1

Principaux récipiendaires de l’aide alimentaire canadienne 1988-2012 11

Graphique 2.2

Aide alimentaire canadienne selon le mode de distribution (1998-2012) 13

Graphique 2.3

Aide alimentaire canadienne selon le type d’aide (1998-2012) 15

Graphique 2.4

Distribution de l’aide alimentaire canadienne et américaine (2012) 28

Graphique 3.1

Distribution des cas pour l’aide alimentaire canadienne (2012) 37

Graphique 3.2

Exemple d’hétéroscédasticité 38

Graphique 4.1

Indice FAO des prix des produits alimentaires, en terme nominaux et réels 55

Graphique 4.2

Rapport des probabilités des 10 plus grands pays donateurs selon si le pays récipiendaire reçoit ou ne reçoit pas d’aide américaine

(9)

ix

Graphique 4.3

Rapport des probabilités des 10 plus grands pays donateurs selon si le pays récipiendaire reçoit ou ne reçoit pas d’aide canadienne

65

Graphique 4.4

Comparaison de l’évolution dans la distribution de l’aide alimentaire (1988-2012) 82

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

ACDI Agence canadienne de développement international

CIDA Canadian international development agency

FAIS Food Aid Information System

FAO Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture

FMI Fonds monétaire international

MAECD Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement MAECI Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international

OCDE Organisation de coopération et de développement économiques

OIF Organisation internationale de la Francophonie

ONU Organisation des Nations unies

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xi

REMERCIEMENTS

Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à mon directeur de mémoire, Monsieur Érick Duchesne, qui m’a épaulé tout au long de ce travail de recherche et dont les conseils judicieux et les encouragements m’ont permis de réaliser mon plein potentiel. Je le remercie tout particulièrement de m’avoir offert l’opportunité d’aller présenter mes résultats de recherche dans l’Ouest américain. Cette expérience fut sans aucun doute l’une des plus enrichissantes de mon parcours universitaire.

Mes remerciements vont aussi à mon codirecteur, Monsieur Bruno Larue, pour sa disponibilité, sa patience et le partage de son expertise des modèles économétriques. J’aimerais aussi remercier ma famille et ma copine pour leur support, et particulièrement mon père pour son aide en ce qui a trait aux éléments statistiques du mémoire.

Enfin, je remercie l’Institut québécois des hautes études internationales, ainsi que le Centre d’études pluridisciplinaires en commerce et investissement internationaux pour le soutien apporté à ma recherche.

(12)

1

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION

De prime abord, l’aide étrangère apparaît comme étant un sujet relativement simple dans le domaine des relations internationales au sens où il met en scène l’acteur traditionnel, l’État, dans une relation classique entre pays développés et pays en développement.Selon cette vision simplifiée, le rôle des pays développés, du moins de ceux qui peuvent se le permettre, devrait être d’aider les pays qui en ont besoin. Cependant, cette vision découle d’un point de vue d’économie politique internationale que John Hobson (2013) qualifie de paternaliste. Selon celui-ci, l’Occident est implicitement comparé à un père qui a le devoir d’élever son enfant (les pays en développement). Il va sans dire que la réalité entourant la relation entre ces pays est hautement plus complexe et le concept de l’aide étrangère en est un bon exemple. En effet, on peut comprendre toute la complexité de ce concept lorsque l’on fait une recension de la littérature sur le sujet.

D’abord, il est important de noter que plusieurs auteurs ont historiquement douté de l’efficacité de l’aide étrangère (Friedman, 1958; Bauer, 1971). Ce scepticisme pourrait provenir du fait que les programmes d’aide ont vu le jour de manière prématurée. Comme le mentionne Boone (1996), « foreign aid programs were launched long before there was compelling theory, or compelling evidence that proved they could work » (289). Malgré tout, cette aide étrangère persiste et fait toujours l’objet d’une abondante littérature. Dans cette optique, une question est particulièrement intéressante à étudier : quels facteurs expliquent le mieux l’allocation de cette aide étrangère? Un article est tout à fait incontournable pour bien comprendre l’enjeu que l’allocation de l’aide représente. En effet, l’important article de McKinlay et Little (1977), qui est toujours d’actualité, décrit précisément les différents courants de pensée qui se sont développés dans la littérature sur l’aide étrangère depuis son avènement à la suite de la Seconde Guerre mondiale.

Two views, founded on divergent rationales, have been used to explain the allocation of official bilateral aid. One view explains the allocation of aid in terms of humanitarian needs of the recipient, the other explains it in terms of foreign policy interests of the donor.

Comme le mentionnent les auteurs, on retrouve deux visions principales de l’aide étrangère. D’un côté se dresse un point de vue humanitaire qui met l’accent sur l’utilité de

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l’assistance économique dans le développement des pays à faible revenu, et de l’autre, un point de vue qui suggère que l’aide est un outil de politique étrangère pour promouvoir les intérêts des pays donateurs. Selon eux, deux modèles1 clairs découlent de ces visions. Les

variables dans le modèle humanitaire identifient les besoins économiques des pays récipiendaires et la quantité d’aide fournie à chaque récipiendaire. L’hypothèse du modèle, quant à elle, stipule que la quantité d’aide reçue par chacun des pays à faible revenu est proportionnelle à ses besoins économiques et à ses besoins en matière de bien-être (McKinlay et Little, 1977 : 59). La logique de cette relation se base principalement sur le modèle du Big Push qui suppose qu’une augmentation de l’investissement est le catalyseur nécessaire à la croissance. La littérature entourant ce modèle, exemplifié par Rosentein-Rodan (1943, 1961) et Murphy et al. (1989), explique que les économies en développement ont besoin de ce catalyseur pour que les entrepreneurs aient intérêt à engager les coûts fixes de l’industrialisation (Sachs et Warner, 1999). Le manque de capital pour outrepasser ces coûts fixes est considéré par de nombreux économistes du développement comme étant le principal obstacle au développement des pays à faible revenu (McKinlay et Little, 1977 : 59). Cette vision plus idéaliste donc, est partagée par plusieurs auteurs (Halloran Lumsdaine, 1993; Cingranelli, 1993).

Cependant, le deuxième modèle décrit par McKinlay et Little (1977), celui de politique étrangère - qui suit les grandes lignes d’un point de vue réaliste conventionnel – est davantage reconnu universellement (Morgenthau, 1962; Black, 1968; McKinlay et Little 1977; Eberstadt, 1988; Schraeder, Hook et Taylor, 1998; Rose, 1998; Lobell, 2009). Les éléments clés de ce modèle correspondent à l’ensemble des intérêts qu’un donneur peut avoir par rapport aux potentiels pays récipiendaires. À partir de ceux-ci découle une hypothèse générale selon laquelle le niveau d’engagement et de dépendance établi à travers l’aide sont fonction du degré d’intérêt que le pays donateur a pour le pays récipiendaire. Ainsi, la logique entourant cette hypothèse se base sur l’observation à tendance très réaliste que tous les États ont des intérêts externes et qu’ils vont utiliser tout ce qui est en leur pouvoir pour les promouvoir et les protéger (McKinlay et Little 1977 : 64). Si ce résumé des deux idéologies proéminentes de l’aide étrangère est intéressant, le principal apport des

1 Selon eux, les « modèles » comportent trois éléments : un ensemble de variables, une hypothèse reliant

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auteurs est sans aucun doute la typologie des déterminants qu’ils développent. Selon celle-ci, il est possible de classer les déterminants en quatre catégories : les intérêts politiques des pays donateurs, les intérêts économiques des pays donateurs, les besoins des pays récipiendaires ainsi que la bonne gouvernance. Nous reviendrons sur ces catégories ultérieurement.

Pour l’instant, il est important de garder en tête les deux points de vue de l’aide étrangère dont il a été fait part précédemment. Si ceux-ci semblent à première vue très théoriques, il est possible de les mettre en lien avec un évènement concret qui a récemment eu lieu ici, au Canada. En effet, la double vision de l’aide étrangère semble plus que jamais d’actualité suite à la fusion de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) pour former le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MAECD). À la suite de cette décision du gouvernement Harper, plusieurs ont questionné l’indépendance qu’allait maintenant avoir le programme d’aide humanitaire internationale canadien. Les fonctionnaires de l’ACDI doivent maintenant agir sous la tutelle du ministère, qui lui s’est donné pour but de mettre la diplomatie, le commerce et le développement sur un même pied d’égalité (Brown. 2013). Cette situation a mené différents médias et chercheurs à critiquer la décision, mentionnant que de l’aide canadienne allait dorénavant s’aligner avec les intérêts politiques et économiques du pays. Comme le mentionne Stephen Brown (2013), professeur de science politique à l’Université d’Ottawa et spécialiste de l’aide étrangère :

The need for greater policy integration was cited as the main reason for CIDA’s abolition, allegedly placing development on an equal footing with diplomacy and trade within a single ministry. Critics, myself included, do not believe that the footing will be equal, but rather that development activities will be subjected even more to Canadian short-term self-interest than they were under semiautonomous CIDA

Il est bien évidemment trop tôt pour étudier les répercussions de cette fusion, ou même du Plan d’action sur l’efficacité de l’aide de 2007 du gouvernement Harper, sur les déterminants qui influencent la distribution de l’aide étrangère canadienne. Toutefois, certains évènements récents laissent sous-entendre que ces critiques ne sont pas sans fondement. En effet, certains pourraient croire, par exemple, que le partenariat entre l’ACDI (avant la fusion) et les compagnies minières canadiennes (Affaires étrangères,

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Commerce et Développement Canada, 2011) démontre une certaine tendance vers l’inclusion des intérêts économiques canadiens dans les plans d’aide au développement. Plus probant encore est un document de 2013 de l’ACDI intitulé Reviewing CIDA’s

Bilateral Engagement2. Celui-ci, divulgué au public en vertu de la Loi sur l’accès à

l’information, énumère les pour et les contre du maintien de l’aide canadienne dans chacun des pays de « focus ». Si l’exercice semble légitime, il est toutefois possible de se poser des questions sur la pondération allouée à ces différents points positifs et négatifs. En effet, même si l’on ne peut effectuer un réel test de nécessité et de suffisance (trop de données sont cachées dans le document), on peut facilement dénoter une priorisation des intérêts économiques, politiques et sécuritaires du Canada sur les besoins des pays récipiendaires. Pour presque tous les pays, lorsque vient le temps de conclure à savoir si l’aide devrait être maintenue ou non, le paragraphe débute par : Given Canadian commercial interests (ACDI, 2013). Très rarement il est fait mention des besoins des pays dans ces conclusions, et si c’est le cas, c’est parce qu’il y a tremendous need.

Pour exemplifier davantage cette priorisation, il suffit de regarder les explications pour Cuba et le Soudan. En ce qui concerne Cuba, on note comme point positif que le pays est le principal importateur de produits canadiens de la région, qu’il est une destination grandissante pour les investissements canadiens et qu’il est en transition vers une économie de marché. Du côté des points négatifs, on mentionne qu’il y a une pauvreté minimale et que l’indice de développement est élevé. Pourtant, la conclusion laisse sous-entendre qu’étant donnés les intérêts commerciaux canadiens et le choix de Cuba de se tourner vers une économie de marché, l’aide canadienne vers le pays devrait continuer. Pour ce qui est du Soudan, on dénote, dans les points « pour », qu’il y a des besoins significatifs et que le développement humain est très bas. Pourtant, on en arrive à la conclusion suivante: « Sudan is not of strategic importance to Canada. It is recommended that Canada consider downgrading its development program, or its existing [sic] entirely » (ACDI, 2013).

Ainsi, bien qu’il soit impossible de trouver une déclaration exacte du gouvernement Harper mentionnant que l’aide étrangère devrait suivre les intérêts économiques et politiques canadiens et qu’il soit relativement tôt pour vérifier empiriquement si cette

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critique est bien réelle, il semble bel et bien exister une tendance soutenant ces affirmations. En supposant que les médias et chercheurs aient vu juste et qu’il y aura en effet un lien entre les intérêts et les programmes d’aide suite à la perte d’indépendance de l’ACDI, une question, qui sera la question générale de cette recherche, s’impose : dans quelle mesure un alignement de l’aide étrangère canadienne vers des intérêts économiques et politiques constituerait-il un changement dans la façon dont cette aide est allouée? C’est une question intéressante puisque les critiques, à la suite de cette fusion de l’ACDI, ont été si nombreuses et cinglantes, que l’on pourrait croire que l’aide utilisée comme outil de politique étrangère était une invention du gouvernement Harper. Or, comme il a été mentionné précédemment, le courant réaliste – qui est le courant le plus répandu en ce qui concerne l’aide étrangère – a toujours expliqué cette aide comme étant un outil de politique étrangère dans le but de promouvoir et protéger des intérêts nationaux. Dans cette optique, plus d’ouverture du gouvernement par rapport à l’importance des intérêts dans l’adoption des programmes d’aide pourrait ne signifier que plus de transparence.

Afin de vérifier si l’alignement de l’aide étrangère vers les intérêts économiques et politiques constituerait un changement de ce qui a été fait auparavant, la présente recherche se basera sur le sujet plus précis que constitue l’aide alimentaire. Bien que ce type d’aide n’occupe plus une aussi grande part de l’aide totale qu’autrefois (Barrett et Maxwell, 2005), il reste extrêmement pertinent puisque, comme nous le verrons, il présente les mêmes approches théoriques réaliste et idéaliste que pour l’aide en général. De plus, et peut-être plus important encore, les banques de données du Programme Alimentaire Mondial (PAM) sont complètes, à jour et fiables, ce qui est primordial dans le cadre d’une recherche quantitative. Avoir une banque de données fiable est la base d’une bonne recherche quantitative et est d’autant plus important lorsque l’on traite d’un sujet comme l’aide étrangère puisque, comme le mentionnent Nunnenkamp et Thiele (2006), il est déjà laborieux de contrôler pour tous les déterminants de l’aide. Plutôt que de se perdre à travers tous les types d’aide et des données qui sont difficiles à colliger, cette recherche se fonde donc sur les bases solides de l’aide alimentaire.

Comme mentionné précédemment, les courants théoriques habituellement abordés dans la littérature de l’aide alimentaire sont semblables à ceux de l’aide étrangère en

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général. Il existe un fort consensus sur la notion que les besoins humanitaires ainsi que les intérêts des pays donateurs importent dans l’élaboration des modèles de distribution d’aide alimentaire (Ball et Johnson, 1996; Neumayer, 2005; Shapouri et Missiaen, 1990; Zahariadis et al, 2000; Fariss, 2007). Les premières études sur les déterminants de cette aide alimentaire se sont concentrées sur les intérêts des donateurs (Clapp, 2012). Les auteurs réalistes voyaient l’aide alimentaire comme un exemple classique des États qui veillaient à la promotion de leurs intérêts économiques et politiques. Par exemple, ils y voyaient la possibilité d’écouler leurs surplus agricoles pour maintenir les prix élevés sur leur marché, une possibilité de développer des marchés étrangers (Meernik, Krueger and Poe, 1998) et une opportunité d’utiliser cette nourriture dans le but stratégique de gagner de l’influence durant la guerre froide (Wallensteen, 1980). Cependant, Clapp (2012) avance qu’une approche se basant sur l’institutionnalisme libéral s’est développée suite à la crise alimentaire des années 1970s. Plusieurs auteurs, dont Uvin (1992), mentionnaient qu’avec la création du Programme Alimentaire Mondial (un organisme de l’ONU), le domaine de l’aide alimentaire était de plus en plus institutionnalisé, ce qui rendait l’étude des intérêts nationaux de moins en moins pertinente. Ce développement de la littérature institutionnaliste, et plus tard constructiviste, a été tellement important, que durant les années 1990, l’aide alimentaire était largement considérée par les auteurs comme étant quasi-indépendante des intérêts politiques et économiques (Clapp, 2012 : 5). Par contre, loin d’être aussi dépolitisée que décrite, l’aide alimentaire serait redevenue très politique durant les années 2000 (Clapp 2012 :5). Le courant réaliste semble ainsi toujours grandement de circonstance.

Force est donc de reconnaître que l’aide alimentaire, comme l’aide étrangère en général, a principalement été étudiée sous des points de vue réaliste et idéaliste. Cependant, comme il a été mentionné plus tôt, les auteurs semblent maintenant s’entendre sur le fait que plusieurs types de déterminants, autant humanitaires que d’intérêts nationaux, entrent en jeu lorsque vient le temps d’allouer l’aide alimentaire (Ball et Johnson, 1996; Neumayer, 2005; Shapouri et Missiaen, 1990; Zahariadis et al, 2000; Fariss, 2007). Dans le cadre de la présente recherche, une question plus précise s’impose donc dans le but de répondre au problème plus général du potentiel changement d’allocation de l’aide à la suite de la fusion de l’ACDI; quels ont été, historiquement, les déterminants influençant l’allocation de l’aide

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alimentaire canadienne? En répondant à cette question plus précise et plus facilement observable, il sera possible de déterminer si les intérêts politiques et économiques ont toujours influencé l’élaboration des programmes d’aide canadiens, ou du moins le programme d’aide canadien3 ou alors si cela deviendrait une spécificité de la gouvernance

Harper et de son ministère fusionné.

En plus d’être un sujet d’actualité, c’est aussi un sujet grandement important dans l’optique où les études sur l’aide alimentaire canadienne sont relativement rares. En effet, malgré le fait que le Canada soit un pays donateur important en ce qui concerne l’aide alimentaire (le plus grand donneur per capita historiquement et cinquième plus grand donneur durant la dernière décennie) (Charlton, 1992; Barrett et Maxwell, 2005; Maxwell et al 2013), bon nombre des études sur le sujet se basent principalement sur l’aide américaine, l’aide multilatérale et parfois l’aide des communautés européennes. Mis à part les ouvrages importants de Cohn (1979) et Charlton (1992), les facteurs qui influencent le déploiement de l’aide alimentaire canadienne ne sont que rapidement touchés à travers des études multilatérales (Shapouri et Missiaen 1990; Barrett et Maxwell, 2005; Maxwell et al 2013). Il y a donc place à une actualisation des résultats de recherche touchant cette aide alimentaire canadienne. En outre, bien que son poids relatif (environ 6% de l’aide totale) soit plutôt petit comparé à celui de son voisin américain (environ 56%) (Maxwell et al 2013), il est intéressant de présenter des résultats qui permettront potentiellement, dans une autre recherche, de vérifier si les déterminants maintes fois testés sur une grande puissance comme les États-Unis influenceront de la même façon une puissance moyenne comme le Canada.

D’ailleurs, le concept de puissance moyenne souvent attribué au Canada dans la littérature (Gordon, 1966; Holbraad, 1984; Cooper et al, 1993) est particulièrement intéressant dans le cadre de la présente recherche. En effet, comme le mentionnent Nossal et al (2007), « l’un des principaux traits du comportement des puissances moyennes réside dans leur propension à adopter des politiques qui visent à renforcer la stabilité du système international, considérée comme essentielle à leur prospérité et à leur sécurité (116). » De

3 Il sera impossible de généraliser les résultats de la présente étude à l’ensemble de l’aide étrangère

puisque celle-ci ne se penche que sur l’aide alimentaire. Par contre, cela nous donnera une bonne indication des déterminants qui pourraient être pris en compte par les autres programmes.

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cette façon, « la notion de puissance moyenne finit par désigner le style de politique étrangère que l’on appelle parfois l’internationalisme (115). » Sans entrer dans tous les détails de cet internationalisme, on peut noter qu’il se base, en grande partie, sur des politiques visant le multilatéralisme, l’appartenance aux institutions internationales et un certain engagement moral (Nossal et al, 2007 : 255). Dans cette optique, avec son historique de puissance moyenne et d’internationalisme, le Canada peut être considéré comme étant un least likely case de l’alignement de l’aide alimentaire aux intérêts économiques et politiques. Comme le mentionnent Bennett et Elman (2007):« [l]east-likely cases follow a Bayesian logic: The more surprising an outcome is relative to existing theories, the more we increase our confidence in the theory or theories that are consistent with that outcome (173). » La priorisation d’intérêts nationaux serait effectivement surprenante pour une puissance moyenne prônant historiquement le multilatéralisme et l’engagement moral. Ainsi, étudier ce potentiel alignement de l’aide a donc un intérêt général.

La suite du mémoire se présente comme suit. Le chapitre 2 définit les concepts clés de la recherche en plus de présenter le contexte théorique des différentes catégories de déterminants et des hypothèses qui s’y rattachent. Le chapitre 3 introduit les variables, leurs indicateurs et la stratégie de vérification permettant de tester ces hypothèses. Le chapitre 4 présente les résultats et l’interprétation de ceux-ci. On y retrouve non seulement une explication de l’influence des différentes variables sur l’aide alimentaire canadienne, mais aussi sur les modes de distributions utilisés et le type d’aide alimentaire choisi. En outre, un mot est glissé sur l’effet du gouvernement Harper sur l’allocation de l’aide. Finalement, le chapitre 5 conclut en faisant un retour sur les résultats et leur implication, en plus de pointer vers des pistes de recherches futures.

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CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL ET

THÉORIQUE

Ce chapitre présente le cadre conceptuel et théorique de la recherche. Puisque celle-ci est une étude quantitative, elle engendre un grand nombre d’hypothèses secondaires. Dans cette optique, il semble préférable, dans un souci de clarté, d’expliquer les fondements théoriques sous-tendant ces hypothèses au fur et à mesure qu’elles sont présentées.

La présente sectionreprend les différentes catégories de déterminants développées par McKinlay et Little (1977) et mises de l’avant dans le cadre de l’aide alimentaire par Langlois (2011) en les adaptant au cas canadien. Ainsi, les potentiels facteurs influençant les flux d’aide sont classés selon s’ils représentent les intérêts politiques du Canada, les intérêts économiques du Canada, les besoins des pays récipiendaires, la promotion de la bonne gouvernance ou encore s’ils répondent aux spécifications du modèle gravitationnel. Il est impossible de mener une étude complète sur le programme d’aide alimentaire canadien sans vérifier l’influence des déterminants testés pour les autres pays donateurs. La présente recherche réutilise donc la plupart des hypothèses de l’étude de Langlois (2011)4, mais en les vérifiant pour le least likely case que constitue le Canada. Deux raisons

expliquent ce choix. Premièrement, les hypothèses de cette étude utilisent les indicateurs qui sont généralement reconnus comme étant les plus pertinents lorsqu’on étudie les intérêts économiques et politiques, ainsi que les besoins humanitaires dans le cadre de l’aide alimentaire. Il serait donc difficile de répondre aux questions de recherche sans tester ceux-ci. Deuxièmement, il est tout à fait envisageable qu’un déterminant soit significativement influent lorsqu’on étudie l’ensemble des donneurs et qu’il ne le soit pas en ce qui concerne le Canada. Il est important de rappeler que les États-Unis représentent plus de 55% de l’aide alimentaire mondiale (Maxwell et al, 2013). Leurs intérêts pourraient donc fortement jouer sur les résultats de l’analyse multilatérale. La vérification de l’influence des déterminants économiques et politiques sur l’allocation de l’aide d’une puissance moyenne avec un important historique de multilatéralisme enrichit sans aucun

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doute l’analyse de Langlois (2011). Il faut donc voir les deux études comme étant complémentaires. Dans le but de bien faire le pont entre celles-ci, chaque hypothèse reprise de Langlois (2011) est accompagnée d’une explication qui justifie sa pertinence dans le contexte canadien.

Évidemment, la présente recherche ne se limite pas à la vérification de facteurs testés antérieurement. Plusieurs variables uniques au cas canadien, dans chaque catégorie, sont mises de l’avant. D’ailleurs, le chapitre 4, portant sur l’analyse et l’interprétation des résultats de la recherche, accorde une attention particulière à ces nouvelles variables. Avant d’entamer l’exploration des différentes hypothèses dont il a été fait part, passons d’abord à la définition du concept d’aide alimentaire et à ses différentes facettes dans le cadre du programme canadien.

2.1 Définitions

2.1.1 Aide alimentaire

L’aide alimentaire est définie par la FAO (2015) comme étant « le transfert de produits alimentaires d’un pays donateur à un pays bénéficiaire à titre de don pur et simple ou à des conditions de faveur exceptionnelles. » De leur côté, Barrett et Maxwell (2005) discernent trois caractéristiques de l’aide alimentaire : elle provient d’une source internationale, sous la forme de nourriture ou d’une compensation monétaire, qui est donnée ou vendue à des conditions favorables pour le bénéfice du pays récipiendaire (p.5, 2005).

La « Charte de l’Aide alimentaire5 » de l’OCDE avance quant à elle que

[l]'objectif général de l'aide alimentaire est de contribuer à assurer la sécurité alimentaire en répondant en temps voulu et de manière appropriée aux situations de pénurie ou de déficit alimentaires, qu'elles soient le fait d'insuffisances structurelles ou de situations de crise nécessitant l'organisation d'opérations d'urgence exceptionnelles. L'objectif à long terme est de prévenir

5 Cette charte a été révisée et rebaptisée « Charte pour la prévention et la gestion des crises

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les crises et de corriger les insuffisances structurelles par le soutien au développement et par des actions bien ciblées en faveur des groupes vulnérables. Dans ce contexte, l'aide alimentaire joue un rôle positif, qu'elle soit fournie sous forme de denrées alimentaires, ou à travers l'utilisation de fonds de contrepartie provenant de la vente locale de ces denrées. (OCDE, 1990)

En résumant ces versions des spécialistes, on peut définir l’aide alimentaire canadienne, dans le cadre de cette recherche, comme étant un don ou une vente favorable de nourriture, ou un don monétaire dans le but d’acheter de la nourriture, fait par le Canada vers un pays bénéficiaire. Quels sont les pays qui bénéficient habituellement du programme d’aide alimentaire canadien? Le graphique 2.1 donne un aperçu des dix plus grands récipiendaires de l’aide alimentaire canadienne entre 1988 et 2012. Voyons maintenant de quelle façon le Canada peut distribuer cette aide alimentaire.

Graphique 2.1 Principaux récipiendaires de l’aide alimentaire canadienne 1988-2012 (en tonne de grains)

0 500000 1000000 1500000 2000000 2500000

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2.1.2 Modes de distribution de l’aide alimentaire

D’abord, il faut mentionner qu’il est primordial de séparer l’aide alimentaire par mode de distribution lorsque l’on veut étudier l’impact des différents déterminants6.

L’étude de Langlois (2011) a montré que sans cette distinction, il est probable que l’on arrive à des résultats et des conclusions erronés. Il existe trois modes à la disposition du Canada pour distribuer son aide alimentaire. Le mode qui a historiquement été le plus utilisé, par le Canada mais aussi par l’ensemble des pays donateurs, est le transfert direct. Ce mode, comme l’indique son nom, englobe les transactions par lesquelles l’aide alimentaire est envoyée, en grain, directement du donneur vers le pays récipiendaire. C’est pourquoi on l’associe souvent à de l’aide liée. Alors que l’aide par transfert direct comptait pour plus de 90% des flux d’aide alimentaire mondiaux en 1988, ce nombre a graduellement diminué pour atteindre 63% en 2012 (PAM, 2015). La raison pour laquelle il est toujours aussi élevé est que, contrairement aux autres donneurs, les Américains ont continué à le privilégier. Pendant longtemps, le Canada était légalement obligé, comme les États-Unis, d’utiliser sa production pour une grande partie de son aide alimentaire. En fait, comme nous allons le voir dans la sous-section suivante, les origines du programme d’aide alimentaire canadien étaient grandement influencées par les surplus de ses producteurs agricoles. Néanmoins, comme on peut le remarquer à l’aide du graphique 2.2, les transferts directs ne sont pratiquement plus utilisés par le Canada depuis 2010, un changement drastique par rapport aux années 1980s et 1990s qui coïncide avec l’annonce de la fin de l’aide liée faite par la ministre de la coopération internationale Beverley Oda en 2008 (Affaires étrangères. Commerce et développement Canada, 2008).

Le deuxième mode de distribution possible est l’achat local. Il correspond aux transactions par lesquelles l’aide alimentaire est achetée et distribuée directement dans le pays récipiendaire. Parallèlement, le troisième mode, l’achat triangulaire, englobe quant à

6 Contrairement à l’étude de Langlois (2011), la présente recherche ne se penche pas sur les différents

types de programme de l’aide alimentaire. L’évolution de l’aide alimentaire depuis le début des années 2000 fait en sorte qu’il n’est plus aussi pertinent de s’y attarder. À cause de ses effets potentiellement néfastes sur le développement du secteur agricole dans les pays récipiendaires, les pays donateurs n’utilisent presque plus l’aide de type « programme ». Pour sa part, le Canada n’envoie plus d’aide par « programme » depuis 2002.

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lui les transactions où un pays donateur fournit de la nourriture achetée dans un pays tiers pour un pays récipiendaire final. Il est souvent utilisé lorsque la production locale du pays récipiendaire n’est pas en mesure de répondre au déficit alimentaire. Cela peut être le cas lors d’une sécheresse, par exemple. Ces deux modes de distribution sont habituellement considérés comme étant plus altruistes étant donné qu’ils ne répondent pas à des intérêts d’écoulement de surplus agricoles des pays donateurs, et qu’ils encouragent le développement des secteurs agricoles des pays récipiendaires (Barrett et Maxwell, 2005). Les flux mondiaux d’aide alimentaire distribués par achats locaux et triangulaires gagnent en importance, passant respectivement de 1% et 7% en 1988 à 19% et 17% en 2012 (PAM, 2015). Pour ce qui est du Canada, tel qu’illustré par le graphique 2.2, ils représentent maintenant l’entièreté de l’aide alimentaire distribuée. Cette évolution signifie-t-elle une aide alimentaire canadienne de plus en plus altruiste? Nous reviendrons à cette question lors de l’analyse et de l’interprétation des résultats.

Graphique 2.2 Aide alimentaire canadienne selon le mode de distribution (1998-2012)

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2.1.3 Types d’aide alimentaire

Bien qu’ils ne représentent pas le point central de la recherche7, il est nécessaire de

glisser un mot sur les types d’aide alimentaire qui peuvent être choisis par le Canada dans le but de venir en aide aux pays dans le besoin. Comme pour les modes de distributions, il en existe trois.

L’aide par programme correspond à de l’aide fournie de gouvernement à gouvernement qui ne vise pas des groupes de bénéficiaires spécifiques dans le pays récipiendaire. Elle est vendue sur le marché libre et peut être distribuée sous forme de subvention ou de prêt (PAM, 2015).

L’aide par projet est de l’aide distribuée dans le but d’appuyer divers types de projets d’agriculture, de nutrition et de développement. Elle est habituellement distribuée gratuitement à des groupes de bénéficiaires ciblés. Cependant, elle peut aussi être vendue sur le marché libre. (PAM, 2015)

Finalement, l’aide d’urgence est fournie aux victimes de catastrophes naturelles ou d’origine humaine sur une base de court terme. Elle est distribuée gratuitement à des groupes de bénéficiaires ciblés et est habituellement fournie par subvention. (PAM, 2015). Au cours des dernières années, l’aide d’urgence a tranquillement pris le dessus sur les autres types d’aide qui sont beaucoup moins utilisés qu’auparavant. C’est le cas autant au Canada que pour la plupart des autres pays donateurs importants. Le graphique 2.3 illustre la distribution de l’aide canadienne selon le type d’aide.

7 La littérature récente étudie beaucoup plus les modes de distributions de l’aide alimentaire que le type

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Graphique 2.3 Aide alimentaire canadienne selon le type d’aide (1998-2012)

2.1.4 Programme d’aide alimentaire canadien

Dans le but de bien comprendre les différents facteurs qui influencent l’allocation de l’aide alimentaire canadienne, il est nécessaire d’avoir un aperçu de l’historique du programme et des priorités politiques qui l’ont façonné. Selon Charlton (1992), ces priorités ont résulté du double rôle que l’aide alimentaire jouait pour le Canada durant ses premières années. Le programme était à la fois une extension des politiques agricoles nationales en plus d’être un instrument de politique étrangère (16). Durant les années 1950s et 1960s, le Canada et les États-Unis représentaient environ 60% à 70% des exportations mondiales de blé (McLin, 1979). Malgré cette position prédominante, les deux pays rencontraient tout de même plusieurs problèmes agricoles, le plus important étant l’accumulation de surplus. Cette situation a mené les deux gouvernements à entreprendre diverses mesures pour aider leur économie agricole en difficulté. Alors que le

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gouvernement américain a agi rapidement en lançant un vaste éventail de politiques, y compris un programme d’aide alimentaire important pour engendrer une plus grande demande internationale pour le grain américain, la réponse canadienne fut plus modeste. N’ayant pas les moyens de créer un système de contrôle de production ou de subventionner les exportations, le gouvernement canadien a plutôt tenté d’aider ses producteurs en procurant de l’assistance pour le marketing, l’entreposage et le transport du grain (Charlton, 1992 : 17).

Étant donné cette réponse plutôt faible et puisque le Canada était le plus petit des deux grands exportateurs, il s’est vite retrouvé dans une position vulnérable. Comme le mentionne Charlton (1992), malgré le fait que les stocks de blé canadiens étaient comparables à ceux américains, ils plaçaient un poids considérablement plus élevé sur l’économie canadienne (17-18). En effet, la capacité d’absorption du marché canadien était beaucoup plus petite que celle de son voisin du sud. De plus, le marché du grain jouait un rôle crucial dans la balance des paiements du pays. Toute politique américaine qui pouvait influer sur la quantité de nourriture disponible sur le marché international, et donc qui pouvait entraîner indirectement une augmentation des surplus canadiens, était perçue comme une menace.

À cause de cette position d’exportation précaire, les dirigeants canadiens étaient réceptifs à l’idée d’utiliser l’aide alimentaire dans le but de disposer des surplus agricoles. Une telle opportunité s’est présentée à travers l’instauration, en 1951, du Plan Colombo, une organisation intergouvernementale régionale qui avait comme objectif de soutenir le développement économique et social de l’Asie et du Pacifique. C’est sous ce plan que la première cargaison d’aide alimentaire canadienne a été envoyée, une allocation de blé d’une valeur de 10 millions de dollars vers l’Inde. En plus de présenter un mécanisme efficace pour disposer des surplus, le Plan Colombo offrait aussi la possibilité de répondre à des objectifs de politique étrangère. La promotion du développement économique des pays du Commonwealth nouvellement indépendants était vue comme une façon de prévenir la prolifération du Communisme en Asie. C’est dans ce contexte que Lester Pearson a expliqué la participation canadienne au Plan en mentionnant : « if Southeast Asia and South Asia are not to be conquered by Communism, we of the free democratic world

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must demonstrate that it is we and not the Russians who stand for national liberation and economic and social progress (Spicer, 1966). » Le chef de l’opposition officielle, John Diefenbaker, ajoutait quant à lui: « fifty million dollars a year… would be a cheap insurance for Canada to halt communism in Asia (Charlton, 1992: 23). » Il est donc difficile d’ignorer qu’à ses débuts, du moins, le programme d’aide alimentaire canadien répondait à des objectifs politiques nationaux et internationaux clairs et précis. C’est pourquoi il est intéressant et essentiel de vérifier si le programme d’aide alimentaire canadien a continué d’être influencé par de telles motivations sous la tutelle de l’ACDI.

2.2 Hypothèses de recherche

2.2.1 Hypothèse principale

Avant d’entrer dans les détails du cadre opératoire, il est important de se pencher sur l’hypothèse de la recherche. À ce titre, il faut mentionner que celle-ci est une hypothèse générale qui découle de la question générale. Comme il a été mentionné plus tôt, puisque cette recherche est quantitative, elle teste plusieurs hypothèses secondaires se rapportant aux différents déterminants de l’aide alimentaire proposés dans la littérature. Sans plus tarder, l’hypothèse générale de la recherche est la suivante : les intérêts économiques et politiques du pays ont joué un rôle important dans l’allocation de l’aide alimentaire canadienne et ce, même lorsque l’ACDI était semi-indépendante. C’est en accord avec la vision plus réaliste décrite précédemment que la recherche anticipe des résultats significatifs par rapport aux variables étudiées dans ces catégories économique et politique. Dans cette optique, les changements apportés par le gouvernement Harper seraient plutôt esthétiques que fondamentaux. Afin de bien vérifier l’importance de chaque catégorie, l’accent sera donc mis sur l’évaluation de chaque facteur et de son effet à la marge sur l’aide alimentaire canadienne.

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2.2.2 Hypothèses secondaires

Modèle gravitationnel

Le modèle gravitationnel est un modèle économique qui a été développé par Tinbergen en 1962 et qui se base sur la loi de la gravitation de Newton. Longtemps considéré comme étant un orphelin des théories économiques (Anderson, 2011), le modèle est maintenant grandement utilisé pour expliquer les flux commerciaux internationaux (McCallum, 1995; Feenstra, Markusen et Rose, 2001; Anderson et van Wincoop, 2003; Helpman, Melitz et Rubinstein, 2008). Il stipule que le volume des flux commerciaux entre deux pays est positivement corrélé à leur taille et inversement corrélé à la distance qui les sépare. Bien que l’aide alimentaire ne soit pas un flux commercial, certains pays, dont les États-Unis, la France et l’Allemagne ont admis qu’ils utilisaient celle-ci pour promouvoir leurs exportations agricoles respectives (Cathie, 1997). De plus, comme on peut le voir dans la loi américaine 480 Food for Peace, les industries de transport et de logistique bénéficient des contrats liés à l’aide alimentaire. Dans cette optique, il est donc possible de faire l’argument que les déterminants qui influenceraient l’exportation agricole seraient aussi pertinents dans le cas de l’aide alimentaire. Finalement, comme le mentionne Sorgho (2013), le modèle gravitationnel « est aussi employé dans l’étude des déterminants d’autres phénomènes tels que l’immigration (Beine et al., 2011 ; Grogger et Henson, 2011), les investissements directs étrangers (Kleinert et Toubal, 2010; Keller et Yeaple, 2009), ou encore les investissements internationaux de portefeuille (Portes et Rey, 2005 ; Martin et Rey, 2004). » Il ne semble donc pas déplacé d’utiliser le modèle pour un sujet légèrement différent comme l’aide alimentaire. En outre, il est important de mentionner que les variables avancées par le modèle (distance et population) peuvent aussi être considérées comme des variables d’intérêts canadiens. En effet, dans l’optique où l’aide peut être utilisée de manière à établir de nouveaux liens commerciaux ou renforcer des liens existants, un pays lointain est moins intéressant pour les exportateurs canadiens, ceteris

paribus, qu’un pays moins éloigné. Pour ce qui est de la population, un pays plus populeux

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Distance

Si l’on se fie au modèle, une grande distance entre le pays donateur et le pays récipiendaire devrait affecter négativement la quantité d’aide alimentaire distribuée. À ce titre, Huang (2007) mentionne que lorsque les pays sont plus proches les uns des autres, il est plus probable qu’ils partagent des valeurs et des institutions et donc que l’aide fournie soit plus grande. Un exemple concret de cette situation pourrait être la réponse canadienne au séisme de 2010 à Haïti. L’importante diaspora haïtienne au Canada et la proximité entre les deux pays ont sans doute joué un rôle dans l’effort considérable des Canadiens qui ont donné plus de 220 millions de dollars au fonds « Tremblement de terre en Haïti » de la Croix-Rouge canadienne (CBC, 2015).

En plus de partager des valeurs et des institutions, des pays géographiquement plus proches génèrent de plus petits coûts de transaction puisque ceux-ci augmentent avec la distance (Obstfeld and Rogoff, 2000). Cet argument est seulement valide pour les flux d’aide distribués par transferts directs puisque ce sont les seuls qui sont sujets à des coûts de transaction. Lorsque la distance augmente, pour éviter ces coûts, on devrait voir apparaître plus d’achats locaux et triangulaires. La première hypothèse secondaire est donc :

H1 : Le Canada procure plus d’aide alimentaire par transfert direct (et moins d’achats locaux et triangulaires) aux pays qui sont géographiquement plus proches.

Population

Comme mentionné précédemment, le modèle gravitationnel ne se base pas seulement sur la distance entre les deux pays, mais aussi leur masse. En outre, d’un point de vue politique, allouer de l’aide alimentaire à des pays ayant une grande population pourrait être plus visible aux décideurs et aux citoyens canadiens.

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20 Besoins des pays récipiendaires

Calories et PIB des pays récipiendaires

Les besoins des pays récipiendaires constituent une catégorie très importante dans la présente recherche. Les critiques de la fusion de l’ACDI ont mentionné que la perte d’indépendance de l’Agence allait jouer sur sa possibilité de bien mettre l’accent sur les pays dans le besoin, plutôt que sur des pays qui engendrent des intérêts nationaux. En suivant cette logique, on devrait s’attendre à ce qu’avant cette fusion, les pays avec des besoins considérables aient été soigneusement ciblés. Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, les besoins généraux sont représentés, dans cette recherche, par les calories disponibles à la consommation et le PIB par habitant.

H3 : Le Canada procure plus d’aide alimentaire aux pays avec des plus grands besoins.

Réfugiés

Pour continuer, plusieurs auteurs se sont penchés sur l’importance de l’aide alimentaire dans les pays accueillant des réfugiés (Ngwa, 1992; Wilson 1992; Pottier, 1996). Étant donné que ces réfugiés ne sont pas toujours pleinement intégrés dans les sociétés où ils sont accueillis, la tâche, pour eux, de se procurer de la nourriture peut être particulièrement complexe. Ainsi, l’aide internationale s’avère indispensable pour répondre aux besoins de ces populations.

Le Canada a historiquement été sensible à la condition des réfugiés dans le monde. En effet, durant les dernières décennies le pays a accueilli un nombre important de personnes persécutées et apatrides. Par exemple, plus de 37 000 Hongrois ont été admis en une année à la suite de la révolution hongroise de 1956, 60 000 Vietnamiens ont été accueillis à la fin des années 1970s, des milliers d’Ougandais et de Kosovars ont rejoint le pays et ce, dans un court délai (McCallum, 2015). Cette situation est tout à fait d’actualité puisque, tout récemment, cette tradition s’est continuée avec l’accueil de 25 000 réfugiés

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syriens. Ce qui rend l’engagement canadien impressionnant n’est pas nécessairement le nombre de personnes admises, mais plutôt la qualité de cet engagement. En effet, le pays fait partie d’une courte liste de pays qui n’offrent pas seulement une protection temporaire, mais aussi l’option d’obtenir la résidence permanente (DeVoretz, Pivenko et Beiser, 2004). De plus, comme le mentionnent les auteurs, le Canada admet ces réfugiés sur la base de la compassion et non selon des critères économiques (DeVoretz, Pivenko et Beiser, 2004). Il ne fait donc aucun doute que le pays porte habituellement attention à la condition des réfugiés. Il est donc intéressant de tester s’il en est de même lorsque vient le temps d’allouer son aide alimentaire.

H4 : Le Canada procure plus d’aide alimentaire aux pays accueillant une grande population de réfugiés.

Catastrophes naturelles

Un autre élément à prendre en compte lorsqu’on étudie les besoins humanitaires d’un pays est la présence de catastrophes naturelles. Il ne fait aucun doute que celles-ci, de par leur caractère brutal et soudain, peuvent engendrer des dégâts importants et, par le fait même, de grands besoins alimentaires. Par exemple, à la suite du tsunami de 2004 dans l’océan Indien, de l’aide alimentaire a été distribuée à plus de 2,2 millions de personnes à travers six pays. Ce chiffre s’élevait à 2,3 millions lors du tremblement de terre de 2005 au Pakistan (Fisher, 2012). Cependant, comme le rappelle Fisher (2012), il n’y a pas que les catastrophes soudaines qui peuvent engendrer ces besoins. Souvent, les catastrophes plus lentes, comme les sécheresses, sont les plus préoccupantes puisqu’elles ruinent complètement la production locale. Dans tous les cas, il ne fait aucun doute que les catastrophes naturelles jouent un rôle sur les besoins alimentaires des potentiels pays récipiendaires.

La réponse canadienne au séisme de 2010 à Haïti montre une certaine sensibilité du pays par rapport à ces catastrophes naturelles. Non seulement cette réponse a-t-elle été rapide, mais plusieurs l’ont qualifié d’exemplaire. En effet, s’adressant au Forum

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économique mondial de Davos, l’ex-président américain Bill Clinton a salué publiquement l’effort canadien en Haïti en le qualifiant « d’incroyable » (Akin, 2010). La clé du succès de l’intervention canadienne, selon Mamuji (2014), a été la coordination entre les différents départements fédéraux8. D’ailleurs, cette équipe interdépartementale a reçu le prix

d’excellence de la fonction publique en 2010. Si l’effort en Haïti a été le plus important durant les dernières décennies, il n’est pas le seul exemple de la contribution canadienne envers un pays touché par un tel désastre. Bien que la réponse ait été plus lente, le Canada avait aussi été très présent à la suite du Tsunami dévastateur de 2004 dans l’océan indien (Lentz et al., 2013). De plus, il a récemment participé à l’effort international suite au tremblement de terre au Népal de mai 2015. Bref, tout comme pour les crises de réfugiés, le Canada a historiquement été sensible à la situation des pays touchés par des catastrophes naturelles.

H5 : Le Canada procure davantage d’aide alimentaire aux pays ayant subi une catastrophe naturelle.

Intérêts économiques du Canada

L’impact des intérêts économiques sur l’allocation de l’aide alimentaire a fait l’objet d’un grand nombre de recherches, et a engendré des résultats mitigés (Zahariadis et al, 2000; Neumayer, 2005). Plusieurs de ces études montrent que les intérêts économiques sont moins importants que les intérêts politiques et militaires dans l’explication des modèles de distribution (Zahariadis et al, 2000; Eggleston, 1987; Ball et Johnson, 1996). Bien que les résultats aient historiquement été plutôt mitigés en ce qui concerne ces intérêts économiques, ils apparaissent considérablement importants dans le cadre de cette recherche sur le Canada étant donné le rapport de l’ACDI dont il a été fait part précédemment. En effet, selon celui-ci, on dénotait une très forte incidence des intérêts économiques et commerciaux dans la décision de maintenir ou de cesser l’existence des programmes d’aide dans les pays de « focus ». On peut donc croire que ces intérêts

8 Certains mentionneront que cette coordination sera toujours présente dans le nouveau ministère

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économiques soient davantage importants pour le Canada que pour la moyenne des pays donateurs, d’autant plus qu’il est l’un des plus dépendants du commerce international pour son bien-être économique.

Interdépendance économique

Le premier intérêt économique testé se base sur l’idée d’interdépendance complexe de Keohane et Nye (1977). À travers une description de cette théorie, les auteurs expliquent que le niveau d’interdépendance varie dans le temps et l’espace. Ainsi, plus des dyades engendrent un grand nombre de transactions, plus ils seront interdépendants. Dans cette optique, un pays donateur devrait être plus enclin à envoyer de l’aide à un pays récipiendaire avec lequel il effectue plus d’échanges commerciaux. (Duchesne et al, 2015).

H6 : Le Canada procure plus d’aide alimentaire aux pays en développement avec lesquels il partage une interdépendance commerciale plus élevée.

Surplus des producteurs agricoles

Un autre intérêt économique des pays donateurs concerne la production agricole nationale. La loi américaine PL-480 mentionne que les programmes d’aide alimentaire pourraient servir à encourager le développement de nouveaux marchés (Duchesne et al, 2015). La France et l’Allemagne ont, eux aussi, avoué que leur programme était en partie utilisé pour promouvoir le commerce de leurs produits agricoles (Cathie, 1997). Non seulement la distribution de l’aide alimentaire pourrait engendrer un développement de nouveaux marchés, mais elle pourrait aussi permettre d’écouler les surplus de la production locale ce qui maintiendrait des prix plus élevés. Plusieurs auteurs mentionnent que les lobbies agricoles nationaux sont assez puissants pour avoir de l’influence sur la politique étrangère de leur pays (Barrett, 1998; Diven 2006; Fariss, 2007). Un maintien des prix élevés est sans aucun doute un intérêt assez considérable aux yeux de ces lobbies pour que ceux-ci poussent les gouvernements à tenter d’écouler leurs surplus à travers des

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programmes d’aide. Ce lien entre surplus et allocation de l’aide alimentaire semble d’autant plus fort lorsqu’on observe que la plupart des pays qui ont un programme d’aide alimentaire sont des exportateurs nets de produits agricoles (États-Unis, Canada, France, Allemagne, Australie) (Duchesne et al, 2015).

Comme nous l’avons vu plus tôt, les débuts du programme d’aide alimentaire canadien ont grandement été influencés par la question des surplus des agriculteurs locaux. Cette influence a sans aucun doute continué durant la première décennie du programme et, plus spécialement, sous la gouvernance de Diefenbaker. Celui-ci a été voté au pouvoir en 1957 succédant ainsi à un gouvernement libéral qui, aux yeux des populations de l’Ouest, avait grandement laissé de côté les intérêts des producteurs agricoles (Charlton, 1992). C’est dans cette optique que Diefenbaker a mentionné, lors de son premier Discours du Trône, que : « every possible effort is now being made and will continue to be made to seek new markets for agricultural products as well as to regain those that have been lost » (Parlement du Canada, 1957, dans Charlton, 1992: 20). Le programme d’aide alimentaire canadien était vu comme étant une façon de remplir cette promesse faite par le gouvernement. En deux ans, donc, l’aide alimentaire est passée d’un maigre 1,9% de l’aide étrangère canadienne à un impressionnant 46,6% (Charlton, 1992 : 20). Force est donc de reconnaître que le Canada a bel et bien, historiquement, utilisé l’aide alimentaire dans le but d’écouler des surplus agricoles.

H7 : La quantité d’aide alimentaire distribuée par le Canada est plus grande lorsque ses producteurs engendrent des surplus agricoles.

Développement de nouveaux marchés

L’aide alimentaire pourrait donc potentiellement combler des intérêts canadiens en aidant les pays en développement avec qui il fait du commerce et en aidant à écouler ses surplus agricoles. Un autre intérêt économique qu’elle pourrait remplir est celui du développement de nouveaux marchés pour l’exportation (Ball and Johnson, 1996; Barrett 2001; Barrett and Heisey, 2002; Diven, 2001; Diven, 2006) dont nous avons discuté dans

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les paragraphes précédents. L’exemple classique de cette situation est celui du programme américain et des Philippines. Au début des années 1990, les Philippines étaient incapables de soutenir des importations de soya à cause d’un problème de balance de paiement. Pour remédier à ce problème, la PL-480 a été utilisée pour financer l’achat des exportations américaines. Dix ans plus tard, les Philippines étaient le principal marché pour l’exportation de fèves de soya américaines, alors que les producteurs américains représentaient 90% des importations du pays. (Watkins, 2004).

Selon Charlton (1992), le Canada a lui aussi utilisé l’aide alimentaire de façon semblable. En effet, il est possible d’observer que plusieurs des premiers récipiendaires des expéditions de blé canadien, notamment l’Algérie, l’Indonésie, la Tunisie, et le Maroc, ont rapidement gradué de « récipiendaires d’aide » à « importateurs payant le plein prix » (56). Cependant, l’illustration la plus claire du programme canadien utilisant l’aide alimentaire comme outil de développement de marché a été l’octroi de la réduction des conditions de crédit à l’Algérie, au Brésil, à l’Égypte, au Pakistan, au Pérou, aux Philippines et à la Syrie durant les années 1970s. À la suite de celui-ci, Otto Lang, le ministre responsable de la Commission canadienne du blé, a mentionné que cette initiative du programme d’aide alimentaire a mené à des ventes substantielles dans des marchés où aucune vente n’avait été enregistrée dans les années précédentes (57).

Dans un même ordre d’idée, si l’on revient sur le document de l’ACDI, certaines conclusions mentionnent que l’aide devrait continuer dans le pays puisqu’il constitue a

promising commercial partner (ACDI, 2013). Le développement de nouveaux marchés

semble donc effectivement être une préoccupation canadienne lorsque vient le temps d’allouer l’aide.

Dans le but d’explorer des nouveaux marchés, on peut supposer que le Canada devra se pencher vers des pays avec des économies plus fermées. En effet, si un pays est très ouvert économiquement, les chances que les échanges avec le Canada soient déjà présents sont plus grandes. Comme le mentionnent Meernik, Krueger et Poe (1998), l’ouverture économique devrait avoir une influence significative sur la distribution de l’aide alimentaire. Dans le but d’ouvrir la porte à de futurs échanges, on va d’abord habituer

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les populations et les gouvernements traditionnellement « fermés » à nos produits nationaux en les envoyant gratuitement sous la forme d’aide alimentaire. Ainsi :

H8 : Le Canada procure une plus grande quantité d’aide alimentaire aux pays avec des économies moins ouvertes.

Intérêts politiques du Canada

Affinités politiques

Les intérêts politiques sont souvent discutés, principalement par les auteurs réalistes, comme étant les principaux déterminants de l’aide alimentaire. Plusieurs études se sont penchées sur l’impact de ces intérêts politiques durant la période de la guerre froide (Eggleston, 1987; Ball and Johnson, 1996; Zahariadis et al, 2000). Depuis la fin de celle-ci, on étudie plutôt l’impact des affinités politiques entre pays donateurs et récipiendaires (Neumayer, 2005). À cet effet, l’hypothèse suivante est proposée :

H9 : Le Canada procure plus d’aide alimentaire aux pays avec lesquels il partage des affinités politiques.

Il est possible d’enrichir cette idée d’influence des affinités politiques (et potentiellement culturelles) pour le cas canadien en étudiant l’appartenance des pays récipiendaires à certaines organisations chères aux yeux du Canada. Deux organisations en particulier reflètent bien ces affinités politiques et culturelles et permettent d’observer une potentielle variance (puisqu’il y a des cas positifs et négatifs) : le Commonwealth et l’Organisation internationale de la francophonie. Selon Charlton (1992), la première cargaison d’aide alimentaire en Zambie représentait clairement un geste de bonne volonté en réponse à la participation du pays à la conférence du Commonwealth à Lusaka en 1979.

H10 : Le Canada procure davantage d’aide alimentaire aux pays membres du Commonwealth.

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H11 : Le Canada procure davantage d’aide alimentaire aux pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie.

Continentalisme

Une variable politique particulièrement intéressante à tester pour le Canada est celle de l’alignement de l’aide alimentaire canadienne à celle des États-Unis. Cette proposition prend source dans le cadre théorique du continentalisme souvent cité dans les ouvrages et articles de politique étrangère canadienne (Balthazar, 1983; Smith, 1994; Nossal et al, 2007; Paquin et Beauregard, 2013). À la base, le continentalisme était plutôt une idée développée par des économistes. Elle découle du constat de l’intégration croissante des économies canadienne et américaine durant les années 1980. Selon cette vision, il valait mieux accepter cette situation qui semblait inévitable et essayer d’en tirer profit « plutôt que de résister sans obtenir d’autres résultats que de froisser le partenaire américain (Nossal et al, 2007 : 274). » C’est dans cette optique que ce serait négocié l’Accord de libre-échange entre les deux pays. Par contre, le continentalisme ne correspond pas seulement à l’idée de l’intégration économique. « Par extension, le terme peut avoir une application beaucoup plus large. Ainsi, il peut servir à désigner l’ensemble des politiques visant à encourager et à gérer l’intégration avec les États-Unis (Nossal, 2007 : 274). » Selon les continentalistes, la relation avec les Américains étant de loin la plus importante pour le Canada, il est crucial de maintenir les liens les plus étroits possible, et ce, dans le plus de domaines possible. De cette façon, « le continentalisme va plus loin, en fondant son évaluation des rapports canado-américains sur les autres types de liens qui unissent les deux sociétés, notamment leur proximité culturelle, idéologique et linguistique (Nossal et al, 2007 : 274). » Dans cette optique, plusieurs auteurs vont mentionner que cette proximité ainsi que l’interdépendance économique sont rendues tellement importantes que le Canada n’a d’autres choix que d’aligner sa politique étrangère à celle des États-Unis (Gotlieb 2005; Granatstein, 2007;

Hart, 2008). En effet, dans les mots de Hart : les liens avec les États-Unis sont l’« indispensable foundation of Canadian foreign policy in all its dimensions (Hart, 2002–

2003: 39). » Granatstein (2007) ajoute que les intérêts du Canada ne peuvent être dissociés de ceux des États-Unis. Selon lui, n’importe quelle opposition du Canada aux positions

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Graphique 2.1 Principaux récipiendaires de l’aide alimentaire canadienne  1988-2012  (en tonne de grains)
Graphique 2.2 Aide alimentaire canadienne selon le mode de distribution           (1998-2012)
Graphique 2.3 Aide alimentaire canadienne selon le type d’aide (1998-2012)
Graphique 3.1 Distribution des cas pour l’aide alimentaire canadienne (2012)
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