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L’effet de la fluence sur la recollection : un effet dépendant des caractéristiques de la situation de récupération

Chapitre 2. La mémoire épisodique comme attribution basée sur une fluence des processus

E. Evaluation expérimentale des processus d’attribution pour la familiarité et la recollection

E.2. L’effet de la fluence sur la recollection : un effet dépendant des caractéristiques de la situation de récupération

A l’inverse de ce qui est habituellement observé, quelques études utilisant une procédure RK binaire ont obtenu des résultats montrant une augmentation sélective des réponses R, suite à des manipulations dites de fluence conceptuelle.

Une série d’expérience de Whittlesea (2002) teste l’effet d’une fluence conceptuelle sur la reconnaissance en demandant aux participants d’indiquer si leurs réponses se basent sur un ressenti de familiarité ou sur le rappel d’informations (la réponse R est ici assimilée

uniquement à la présence d’informations rappelées : « vrai rappel », indépendamment d’états de conscience différents). Les items à reconnaître sont précédés de phrases permettant de prédire ou non le sens de l’item, manipulant ainsi la fluence conceptuelle dans le traitement des items (Whittlesea & Williams, 2001b). Une pause peut ou non être insérée entre la phrase et l’item à reconnaître. De plus, la phrase accompagnant le mot a pu déjà être vue lors de l’apprentissage du même mot, cette manipulation étant réalisée en intra et en inter-sujet. Des expériences ont d’abord été réalisées pour tester l’effet de ces facteurs sur la reconnaissance. Lorsque les phrases sont présentées uniquement en phase test, la présence d’une fluence conceptuelle augmente le nombre de reconnaissances seulement quand une pause est insérée entre la phrase et le mot à reconnaître (expérience 1). Quand les phrases sont présentées à l’apprentissage et en test, la fluence conceptuelle a un effet uniquement sur les items nouveaux, qu’une pause soit présente ou non (expérience 2). Ces deux configurations de résultats sont observés que la présentation de la phrase en phase test et/ou durant l’apprentissage soit manipulée en inter ou en intra-sujets (expérience 3).

Cette configuration complexe de résultats correspond de fait aux prédictions du modèle SCAPE quant à l’évaluation de perceptions primitives différentes, tel que cela a été présenté dans le paragraphe D.3. de ce chapitre. Dans le cas où les phrases ne sont pas présentées lors de l’apprentissage (expérience 1), l'effet obtenu renvoie à une perception de surprise, interprétée comme de la familiarité. Il est en effet nécessaire qu'une pause soit introduite pour que l'effet ait lieu (à la fois sur les items anciens et nouveaux) afin que des attentes puissent se mettre en place et que les participants puissent ainsi ressentir un effet de surprise. Dans l'expérience 2 où les phrases sont également présentes durant l’apprentissage, l'effet serait dû à une perception de cohérence, interprétée comme du rappel. La fluence conceptuelle engendrant le sentiment que le mot est cohérent dans la phrase où il se trouve, ce sentiment de type recollection correspondrait alors à une impression de vrai rappel d’une phrase vue auparavant. Il n'y a donc pas d'effet de la pause et la fluence conceptuelle augmente les reconnaissances uniquement sur les items nouveaux.

Dans les expériences suivantes, l’ajout du questionnement sur les états de conscience associés permet d’évaluer si la perception de différentes primitives conduit à un ressenti mnésique différent. Cette manipulation expérimentale conduit, dans un premier temps, à des indications apparemment non congruentes avec les attentes du modèle. En effet, lorsque les facteurs Présentation de la phrase en apprentissage et Présence d’une pause en test sont manipulés dans des expérimentations différentes, la perception d’une « cohérence » augmente bien les réponses jugées « vrai rappel » (expérience 6B), mais, contrairement aux attentes du

modèle, la perception de « surprise » augmente aussi les « vrais rappels » (expérience 6A). Cependant, lorsque les deux facteurs sont manipulés dans une même expérience (expérience 6C), alors la configuration de résultats des réponses subjectives des participants correspond totalement aux prédictions, la « surprise » entraînant des attributions de familiarité et la « cohérence » entraînant des attributions « de vrai rappel ». Par conséquent, les participants discriminent bien entre ces deux primitives quand elles sont présentes dans le même contexte expérimental. Cela indique que l'attribution de rappel dépend des autres essais (effet du contexte) et que les catégories « familiarité » et « vrai rappel » ne sont pas stables et objectives, leurs attributions dépendant du contexte dans lequel la sensation primitive est perçue. Les résultats complexes obtenus par Whittlesea ne renvoient cependant pas à une simple difficulté à définir pragmatiquement les indices de familiarité et de recollection (cf. section D.2. de ce chapitre) puisqu’à partir du modèle, l’auteur arrive à prédire et obtenir une configuration précise de résultats. En revanche, et en accord avec la nature attributionnelle du modèle, ces études révèlent que l’attribution de l’effet d’une fluence conceptuelle sur la recollection est extrêmement dépendant de la situation dans laquelle l’attribution s’effectue.

Une expérience récente de Taylor et Henson (2012, voir aussi Taylor, Buratto, & Henson, 2013) va également dans le sens d’une implication du contexte sur la sensibilité de l’attribution de recollection à la fluence conceptuelle. Dans cette expérience, les auteurs manipulaient simultanément une fluence conceptuelle et une fluence perceptive. En phase test, les items à reconnaître étaient précédés d’amorces subliminales pouvant être similaires (condition de fluence perceptive), reliées sémantiquement (condition de fluence conceptuelle) ou non reliées (condition non fluente). Les participants devaient indiquer s’ils reconnaissaient ou non les mots présentés, une procédure RK étant utilisée pour les mots reconnus. Les résultats montrent que la fluence perceptive augmente les reconnaissances associées à des réponses K sur les items appris et nouveaux, et n’a pas d’effet sur les réponses R, ce qui réplique les résultats classiques présentés auparavant (Kinoshita, 1997; Rajaram, 1993). En revanche, la fluence conceptuelle augmente sélectivement les reconnaissances associées à des réponses R et cela uniquement sur les items appris. La fluence conceptuelle n’a aucun effet ni sur les items nouveaux, ni sur la familiarité. Ces auteurs ont tenté de répliquer l’effet de la fluence conceptuelle lorsque seule celle-ci est manipulée en phase test (sans la condition de fluence perceptive). Dans cette dernière situation, les auteurs ne trouvent aucun effet de la fluence conceptuelle, que ce soit sur le nombre de reconnaissances ou sur les réponses R. Ces résultats indiquent à nouveau que la recollection pourrait dans certains cas être influencée par

une manipulation de fluence conceptuelle mais que cet effet dépendrait des caractéristiques spécifiques de la situation expérimentale.

L’influence des caractéristiques de la situation expérimentale sur les attributions RK, et plus particulièrement l’instabilité de ces réponses lors d’un changement de situation, a également été étudiée dans des situations ne manipulant pas la fluence. Par exemple, l’effet de la consigne donnée dans la procédure RK (Rotello, Macmillan, Reeder, & Wong, 2005) ou les attentes sur les listes de mots à reconnaître (Bodner & Lindsay, 2003; McCabe & Balota, 2007) modulent également les attributions de réponses R. Le fait que des changements de situation soient à même de modifier des attributions de réponses RK, et particulièrement les réponses R, constitue également un argument en faveur des bases inférentielles de la recollection, en mettant en lumière une influence des caractéristiques de la situation présente sur celle-ci.

Les études sur la fluence présentées ci-dessus montrent qu’une fluence conceptuelle peut, dans certains contextes, avoir un effet sur les attributions de recollection. Une étude utilisant comme mesure de recollection une tâche de reconnaissance du contexte d’apprentissage va également dans ce sens (Leboe & Whittlesea, 2002 – expérience 1). Les résultats indiquent que la présence d’un item-contexte relié sémantiquement lors du test augmente la tendance à décider que ce même contexte était présent lors de l’apprentissage par rapport à un item-contexte non relié sémantiquement. En termes de processus, cela peut signifier que faciliter l’accès à la sémantique d’un item peut donner lieu à une recollection, et donc que des processus conceptuels pourraient être en jeu dans celle-ci. Taylor et Henson (2012) proposent d’ailleurs que la présence d’amorces reliées sémantiquement aient facilité l’accès aux mots ayant été générés spontanément lors de l’apprentissage, permettant ainsi un accès facilité à l’épisode initial dans son ensemble. Ce postulat est intéressant puisqu’il permet de supposer qu’une fluence impliquant un processus spécifique à la recollection pourrait donner lieu à des attributions de recollection. Les résultats qui montrent un effet de fluence perceptive restreint à la familiarité, pourraient donc simplement être dus au fait que le processus de simple perception d’un item n’est pas (ou dans une moindre mesure) impliqué dans la recollection alors qu’il l’est dans la familiarité.

La manipulation de la fluence conceptuelle dans les expériences précédentes doit amener à considérer avec précaution leurs implications théoriques. Dans ces études en effet, les auteurs interprètent l’effet de la manipulation expérimentale de fluence conceptuelle comme permettant simplement d’évoquer mieux et plus d’éléments de contenu, éléments qui sont

ensuite soumis à une évaluation de type cohérence/surprise ou du type règles d’évaluation postulées par le SMF. Or, le caractère fluent du processus lui-même pourrait servir de base au sentiment de recollection comme ce serait le cas pour les processus perceptifs où une fluence perceptive serait à la base de la familiarité. On peut ainsi supposer qu’une fluence spécifique, donnant la sensation d’une facilitation du processus même de génération/reconstruction de l’épisode vécu initial, pourrait être interprétée de manière spécifique comme de la recollection et non de la familiarité. Cette hypothèse n’est pas nouvelle puisqu’elle avait également été proposée initialement par Jacoby et collaborateurs (Jacoby, Kelley, & Dywan, 1989; Kelley & Jacoby, 1998) dans leurs modélisations de l’émergence du sentiment de mémoire, où celui-ci est considéré comme étant basé sur l’interprétation d’une fluence.

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