• Aucun résultat trouvé

LE MAITRE

Je suis celui qui écrit.

LE DISCIPLE

Je suis celui qui lit.

Il ne me suffit pas de lire que les sables des plages sont doux ; je veux que mes pieds nus le sentent… Toute connaissance que n’a pas précédée une sensation m’est inutile.

LE MAITRE

Voici trois livres que leurs auteurs et mentors ont tout spécialement écrits pour vous, disciple ! Prenez-les bien en main et prenez-en grand soin ; qu’ils traversent un temps votre existence passagère de jeune homme, mais qu’ils habitent durablement votre conscience de lecteur et d’homme cultivé que demain (grâce à eux !) vous serez.

LE DISCIPLE

Tout un programme pédagogique en somme…

LE MAITRE

Plus exactement, une mise en contact avec trois écritures littéraires qui revendiquent une mission d’éducation du lecteur. Trois livres à message didactique, médités pour une lecture d’inculcation et organisés dans un dessein de formation.

LE DISCIPLE

Beaucoup de sérieux dans tout cela… Je ne sais pas si je vais aimer.

LE MAITRE

Lisez premièrement Le Disciple, avec confiance et abandon (ainsi le veut son auteur), dans un esprit de créance et de fidèle adhésion. Paul Bourget prêche à la jeunesse de 1889 une morale que des valeurs traditionnelles et passéistes inspirent et qui entend donner forme et sens à la vie d’un individu socialisé (conformé aux normes de la collectivité nationale) par une formation de l’intelligence et une culture du cœur alternatives, à une doxa contemporaine, à ses yeux inepte, impropre et novice à la génération montante.

LE DISCIPLE

Un roman anti-moderne donc.

LE MAITRE

Lisez deuxièmement L’Ennemi des lois, livre court et plutôt confus, superficiellement disparate (par le heurt des personnalités, la cohabitation des paroles, la cohue des lieux et la bousculade évènementielle qui en résulte) mais – rassurez-vous – très cohérent quant à l’intention qui le dirige. Goûtez, par exemple, le double langage de ce magistère parodique situé entre le chant et le contre-chant d’une conviction et d’une dérision, dans l’entre-deux d’une ouverture sur la société et la circulation des idées

autour de 1893, et l’exigence d’une intériorisation et d’un repli théorisés par le culte du moi.

LE DISCIPLE

Un roman égotiste et ironique.

LE MAITRE

Lisez enfin Les Nourritures terrestres, « manuel d’évasion et de délivrance », comme Gide le dira plus tard. Faites-vous Nathanaël (le je magistral vous y invite instamment et dès les premières lignes). Faites-vous Ménalque (le mentor qui fut son disciple vous le suggère à mot couvert). Faites-vous enfin ce je qui semble gouverner la marche du magistère dans la trouble identité d’un disciple émancipé et d’un maître émancipateur… Puis, rompez tout de go le sortilège miroitant des identifications magistro-discipulaires. Ne soyez alors ni Nathanaël, ni Menalque, ni le maître des Nourritures : devenez… vous-même !

LE DISCIPLE

Je ne sais trop à quelle catégorie rapporter ce dernier livre, tant son « didactisme » me paraît inclassable auprès des deux autres, et même inouï en matière de socialisation…

LE MAITRE

En cela, il constituera le point d’arrivée, ou plutôt le possible dépassement de la dialectique de maîtrise , l’horizon définitivement ouvert du sujet de cette thèse.

LE DISCIPLE

A chaque livre donc son magistère, et pour chacun, des figures spécifiques de maître et de disciple engagées dans trois leçons particulières à la fois, mais distinctes et interdépendantes par leur succesivité même.

LE MAITRE

Et au rang des convergences cette fois, trois dialectiques (trois relations de maître à disciple) où se jouent, dans une correspondance allusive et spéculaire, d’un côté un récit de maîtrise incarnée par des protagonistes et conduite sous la houlette d’une instance narratoriale, de l’autre, un discours de maîtrise passé entre l’écrivain et son public et initié par une autorité auctoriale magistrale en vue d’un bénéficiaire discipulaire.

LE DISCIPLE

De la diversité dans l’unité en quelque sorte… sans parler de l’articulation entre une maîtrise imaginaire soumise au romanesque et une autre donnée pour vraie, relevant de la pragmatique et du pacte de lecture.

LE MAITRE

En effet, mais pas seulement. L’ensemble du corpus lui-même est à prendre comme une unité dialectisée. Il est le cheminement chronologie d’une courte décennie (1889-1897) que nous interprétons (doublement) comme le dialogue entre trois littérateurs contemporains et pairs, et l’infléchissement d’un imaginaire magistral aux contenus et contours labiles ; par ailleurs, il est symptomatique de la permanence du livre (son écriture et sa lecture sont instrumentalisées pour servir une cause didactique), entendu comme vecteur de magistralité : à la fois consignation d’une narration (incluse en diégèse) et moment effectif d’une passation (réalisée dans un paratexte extradiégétique), il cumule les plans narratif et discursif d’un magistère énoncé dans une mise en abyme réfractée et romanesque et par une interpellation au lecteur directe et immédiate. C’est cette énonciation dupliquée qui nous fait parler de maîtrise dialectique.

LE DISCIPLE

Trois livres qui dialoguent (se répondent, se contestent, se mimétisent)… Trois magistères que leur contemporanéité et leur proximité rassemblent et distinguent dans une famille d’appartenance et une originalité individualisée… Deux personnages magistro-discipulaires par roman… L’écrivain et son public identifiés dans un rapport de maîtrise surplombant (et premier), où chacun joue le rôle du super-maître et du super-disciple… Effectivement, les relations (les interférences aussi, je suppose) ne manquent pas ! Mais, au juste, combien de dialectiques de maîtrise assignez-vous au matériau littéraire sur lequel vous travaillez ?

LE MAITRE

Trois plus une. Celle qui articule maître et disciple en tant que protagonistes ; celle qui associe maître et disciple en tant qu’auteurs et lecteurs ; et celle qui conjugue les deux plans susdits de la diégèse et de

l’extradiégèse en un « fondu magistral ». A ce mécanisme interne et externe de représentation de la magistralité, s’ajoute l’inscription contextuelle du corpus parce qu’il s’organise lui-même en une dialectique des livres qui le composent... C’est dans cette perspective que lla présente étape rappelle le climat des années 1890, signaler ensuite les éléments narratologiques de la maîtrise diégétique puis ceux de la maîtrise paratextuelle, afin de préluder à l’analyse de productivité de leurs interactions… On peut commencer ?

LE DISCIPLE