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Economie de l’information et asymétrie d’information

Le problème des interactions stratégiques se compliquent encore lorsque les agents sont confrontés à des asymétries d’informations, c’est-à-dire lorsque certains d’entre eux possèdent des informations que les autres ne possèdent pas. L’origine de ces questions date d’un article d’Akerlof de 1970, qui analysa le fonctionnement du marché des voitures d’occasion. L’acheteur est en situation d’asymétrie d’informations par rapport au vendeur car il ne peut observer la qualité des biens vendus. Le vendeur a alors intérêt à surestimer le prix du bien vendu. L’acheteur ne peut donc se fier ni aux déclarations du vendeur, ni au prix qui n’indiquera pas forcément la qualité du bien. Ce phénomène se retournera alors contre les vendeurs de biens de bonne qualité, qui se trouveront dans l’impossibilité de vendre leurs biens au véritable prix, ce phénomène étant connu sous le terme d’antisélection. Poussé à l’extrême, cela peut aller jusqu’à l’absence d’échanges. Dans ce cas, une réglementation précise ou la possibilité de recours contre les mauvais vendeurs permettront d’améliorer le fonctionnement des marchés.

Un autre phénomène lié à l’asymétrie d’information est le risque moral : un agent non informé ne peut apprécier l’action de son partenaire, ce dernier étant alors tenté de se comporter dans son propre intérêt et non dans celui de son partenaire ; un autre cas est celui de l’agent qui peut observer l’action, mais ne peut la vérifier, car il ne dispose pas des informations lui permettant de la comprendre. Le risque moral est donc différent du problème de l’antisélection, où il s’agissait de trouver le bon partenaire. Ici, la relation existe entre deux partenaires, qualifiés de principal et d’agent, le principal ou mandant ayant confié une tâche à l’agent ou mandaté, qu’il ne peut vérifier car l’action lui est cachée ou qui ne dispose pas des informations pour vérifier que l’action entreprise est bien

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celle qui sert ses intérêts. Le principal doit trouver une procédure incitative pour amener l’agent à agir selon ses intérêts.

Nous verrons plus loin que ces deux phénomènes identifiés en économie sont d’un apport essentiel pour les organisations, dont les acteurs sont confrontés en permanence à des problèmes d’asymétrie d’informations, notamment lorsqu’il s’agit des partenaires internes versus externes, comme dans le cas des dirigeants face aux actionnaires. Si l’information est complète et parfaite, le problème se résume à anticiper les choix stratégiques des autres agents. Si l’information est incomplète et imparfaite, les agents seront confrontés à des problèmes d’acquisition d’information, de vérification et de contrôle de cette information, d’incitation à agir dans le sens souhaité même en l’absence d’information.

L’économie a ainsi fourni au gestionnaire les premiers outils nécessaires pour faire face à l’asymétrie d’informations : la nécessité de mettre en place des règles pour obliger à informer et des mécanismes d’incitation à agir dans le sens des intérêts du principal.

Nous reviendrons sur ces aspects dans le chapitre 3, lorsque nous traiterons des forces en présence dans la diffusion d’informations du dirigeant vers l’actionnaire. Qu’en est-il des résultats fournis par la sémiotique et l’économie dans le champ des sciences de gestion, et en particulier au sein des organisations, acteur économique particulier ? Quel sens prend alors l’information ?

11..11..33.. ULL’’iinnffoorrmmaattiioonn ccoommmmee uunn sasavvooiirr popouurr popouuvvooiirr dédécciiddeerr etet prpréévvooiirr :: l’l’aappppoorrtt ddeess sscciieenncceess ddee ggeessttiioonn

Pour reprendre un parallèle effectué par Lorino (1989), une organisation est aux sciences de gestion ce que le marché est à la microéconomie : un ensemble d’acteurs qui interagissent. L’organisation se distingue cependant du marché dans la mesure où elle

« apparaît comme une entité repérable, disposant de ressources obtenues auprès d’un univers extérieur, dotée d’une finalité et de buts à poursuivre, et fonctionnant sur un principe d’échange.» (Desreumaux, 1998). A ce titre, les échanges entre acteurs ont lieu en interne, de l’interne vers l’externe, de l’externe vers l’interne. Par ailleurs, elle fonctionne sur un principe de hiérarchie, qui désigne des liens de subordinations entre acteurs, ce qui la distingue là encore du marché.

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L’organisation a donc besoin pour fonctionner de « collecter, traiter et produire de l’information, à la fois sur elle-même, et sur le contexte dans lequel elle s’insère. […]

L’organisation ne peut fonctionner sans informations relatives aux attentes et comportements des acteurs extérieurs dont elle dépend, sans envois de signaux sur ses projets et ses résultats, sans connaissance de l’état des relations entre les participants internes ». (Desreumaux, 1998). Comme les acteurs du marché, les acteurs de l’organisation et ceux en liaison avec des membres de l’organisation seront confrontés à des problèmes d’acquisition d’informations, vérification et contrôle des informations, existence d’asymétrie d’informations, mécanismes d’incitations. A la différence du marché, des types et des niveaux d’informations différents existent de fait en raison de la diversité des acteurs et des échanges.

Plus précisément, à quoi servent les informations détenues ou diffusées par une organisation ? Compte tenu des différents types d’échanges identifiés précédemment, les informations auront tout d’abord un but externe, faire connaître aux partenaires extérieurs (créanciers, actionnaires, fournisseurs et clients, consommateurs), la situation de l’organisation. Traditionnellement, ce rôle dévolu à l’information était détenu par la comptabilité financière (financial accounting). Par ailleurs, les responsables de l’organisation doivent décider, ils le font entre autre à partir d’informations, ce rôle relève traditionnellement de la comptabilité de gestion. (management accounting). L’ensemble des informations de l’organisation est géré par le système d’informations du contrôle de gestion (management control system). Nous arrivons ici au cœur de notre sujet, nous étudierons l’information de l’organisation plus avant dans les deux paragraphes suivants (1.2 et 1.3).

Quoi qu’il en soit, les sciences de gestion nous apprennent que l’information doit être utile, c'est-à-dire qu’elle est susceptible de modifier ou d’accroître la connaissance du récepteur, de réduire son incertitude, et de l’aider à prendre des décisions (Hopwood, 1983).

11..11..44.. USSyynntthhèèssee ddeess aappppoorrttss ddee llaa sséémmiioottiiqquuee,, ddee ll’’ééccoonnoommiiee eett ddeess sscciieenncceess d

dee gegessttiioonn :: lala ququaalliittéé dede l’l’iinnffoorrmmaattiioonn dadannss lele pprroocceessssuuss ddee cocommmmuunniiccaattiioonn

Au terme de cette première sous-section, nous pouvons identifier les critères qui permettront de qualifier le processus de communication d’une information.

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Le premier problème posé en terme de qualité du processus de communication est la faculté de représentation de la réalité par le signe. Shannon et Weaver (1975) posaient ainsi le problème : « Avec quelle exactitude les symboles de la communication peuvent-ils être décrits, avec quelle précision les symboles transmis véhiculent-ils la signification désirée ? » Cette faculté de représentation dépend ainsi d’abord du signe lui-même : le code choisi doit être capable de représenter la réalité le mieux possible, il ne doit pas être trop réducteur, ou au contraire trop détaillé. La qualité de représentativité de la réalité dépend aussi de la propre perception de l’émetteur. L’émetteur tente par le signe de reproduire sa pensée. Nous supposons qu’il essaie de le faire du mieux possible, sans biais volontaire d’émissions. Le problème qui se pose est le suivant : organisons-nous la réalité de ce que nous percevons sur la base du découpage de la langue en signes discrets, ou est-ce notre manière de perest-cevoir la réalité qui forest-ce la langue à s’organiser de telle manière plutôt que de telle autre ? Autrement dit, sommes-nous capables de représenter la réalité perçue par les signes à notre disposition ? Peirce (1931-1935) affirme que nous avons un mode acceptable de description de notre pensée, mais qu’il ne s’agit en aucun cas de la seule manière de penser possible. Cela suppose inévitablement une certaine subjectivité de la représentation de la réalité, deux émetteurs différents n’émettront pas forcément la même information face à une même réalité. Nous pouvons énoncer la proposition suivante :

Une information est de qualité si elle est représentative, fiable et sincère.

Le deuxième problème posé en terme de qualité du processus de communication concerne la transmission de l’information entre l’émetteur et le récepteur. L’émetteur peut faire des choix en matière de représentation, il peut volontairement choisir tel mode de représentation plutôt que tel autre. Il peut également choisir de diffuser une information tronquée ou de ne pas la diffuser. On rejoint ici la théorie économique et les informations incomplètes ou imparfaites. Il y a donc pour l’émetteur des choix de représentation, des choix de diffusion ou de non diffusion, donc un calcul avantages - inconvénients entre le coût d’émission d’une information et le gain à diffuser ou à ne pas diffuser. Du côté du récepteur, un calcul identique devra être fait, entre le coût d’acquisition, de contrôle et de vérification de l’information et les gains apportés par l’obtention de cette information (Colasse, 1993). Nous pouvons énoncer la proposition suivante :

Une information est de qualité si elle est disponible, accessible et exhaustive.

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Le troisième problème est posé par l’interprétant, ou récepteur du message. Celui qui reçoit le signe le comprend d’une certaine manière. Mais comment être sûr que ce que l’interprétant a compris était bien ce que voulait signifier l’émetteur ? Il y a ici à la fois un problème de code (le signe utilisé doit être connu par les deux parties) et de formation de sens : l’émetteur doit en principe s’assurer que ce qu’il voulait signifier est bien ce qu’a compris le récepteur. Le récepteur de son côté doit se donner les moyens de comprendre ce qui lui est diffusé. D’autre part, l’information n’a de sens que si elle est utile au récepteur : l’information reçue par le récepteur va modifier l’incertitude face à une situation future, et lui faciliter la prise de décision. (Hopwood, 1983). Nous effleurons ici le fait que la qualité d’une information est dépendante directement de celui qui la reçoit. Comme dans le cas de l’émetteur, deux récepteurs face à une même image ne verront pas forcément la même réalité. Nous pouvons énoncer la proposition suivante :

Une information est de qualité si elle est compréhensible et appropriée (au sens de utile), autrement dit pertinente.

Nous allons maintenant pouvoir transposer ces résultats dans le cadre de la communication d’informations du dirigeant vers l’actionnaire.

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1..22 LLAA NONOTTIIOONN DDEE QUQUAALLIITTEE DDAANNSS LELE PRPROOCCEESSSSUUSS DDEE COCOMMMMUUNNIICCAATTIIOONNDDIIRRIIGGEEAANNTT –– ACACTTIIOONNNNAAIIRREE :: LELESS APAPPPOORRTTSS DDEE LALA RREEGGLLEEMMEENNTTAATTIIOONN CCOOMMPPTTAABBLLEE EETT DDEESS TTRRAAVVAAUUXX AANNTTEERRIIEEUURRSS

Poursuivant la théorie de la communication, nous analysons au cours de cette sous-section la transmission d’informations d’un émetteur particulier, le dirigeant de l’entreprise, vers un récepteur particulier, l’actionnaire.

Rappelons que notre propos dans cette sous-section est de déterminer les critères de qualité de l’information transmise à l’actionnaire. L’outil traditionnel qu’utilisent les dirigeants pour communiquer l’information financière liée à leur firme est la comptabilité financière.

Instrument de mesure adapté pour saisir et appréhender les informations sur les transactions de l’organisation en son sein et avec l’extérieur, la comptabilité financière s’est fort logiquement imposée comme système permettant d’assurer la mesure de création de valeur actionnariale, associée à la possibilité de vérification de la préservation de l’intérêt des parties prenantes, et notamment des actionnaires et des dirigeants. Il est donc

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normal de retrouver de nombreuses recherches dans la littérature financière sur les contributions possibles de la comptabilité financière en matière de qualité de communication vers l’actionnaire, et ses éventuelles limites. Mais c’est tout d’abord dans la réglementation comptable que la notion de qualité a été définie et appréciée. Puisque nous nous intéressons en priorité à la diffusion d’informations vers l’actionnaire, nous allons nous intéresser dans cette section à la qualité de l’information comptable dans le processus de communication vers l’actionnaire. Nous nous inscrivons ici dans le prolongement des travaux de Michaïlesco (1998) qui a proposé une mesure de la qualité de l’information comptable. Mais son étude valait pour la France des années 1990, nous devons réactualiser ses critères et leur mesure dans le contexte international et pour les années 2005-2010.

En nous appuyant, d’une part sur la réglementation française et internationale (1.2.1), qui a sa vision de la qualité de l’information comptable, d’autre part sur les travaux antérieurs des chercheurs pour apprécier la qualité de l’information comptable (1.2.2), et grâce aux résultats de la sous-section 1.1, en matière de qualité d’informations dans un processus de communication, nous définirons nos propres critères de la qualité de l’information pour l’actionnaire dans le cadre de ce travail (1.2.3).

11..22..11.. UNNoottiioonn ddee qquuaalliittéé aauu ttrraavveerrss ddee llaa rréégglleemmeennttaattiioonn ccoommppttaabbllee 1.2.1.1. Brève histoire de la comptabilité : comptabilité financière ou

image fidèle

Définie par le Plan Comptable Général comme « un système d’organisation de l’information financière permettant : de saisir, classer, enregistrer des données de base chiffrées ; de fournir, après traitement approprié, un ensemble d’informations conformes aux besoins », la comptabilité est une technique qui remonte à la plus haute Antiquité. Elle s’est développée au moment de la renaissance (un des premiers ouvrages de comptabilité est celui de Luca Pacioli en 1494).

Dès le XIXème siècle est apparue, avec la création des premières associations d’auditeurs, la nécessité d’élaborer une déontologie et de traiter des techniques comptables. C’est véritablement dans la première moitié du XXème siècle que la comptabilité à commencer à se normaliser. Aux Etats-Unis, l’ancêtre de l’AICPA (American Institute of Certified Accountants) fonda en 1906 à Chicago le futur cabinet Ernst and Young, chargé de définir

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les termes utilisés en comptabilité et en audit. Les premiers plans comptables apparaissent dans les années vingt en Allemagne. La France s’en servira de modèle pour établir son propre plan comptable en 1947. En Grande Bretagne en 1942, l’ICAEW (Institute of Chartered Accountants in England and Wales) présenta un ensemble de projets de normes.

Ainsi se développèrent deux modèles comptables distincts : un modèle anglo-saxon, s’appuyant sur un ensemble de normes édictés par les professionnels, (Etats-Unis et Grande-Bretagne) et un modèle continental s’appuyant sur des plans comptables édictés par les pouvoirs publics. Aujourd’hui encore, selon les pays, les procédures de normalisation, si elles existent, sont différentes : la France par exemple voient ses normes comptables fixées par le Code de Commerce et par des règlements du CRC (Comité de réglementation Comptable), les pays anglo-saxons continuent d’être gérés par des normes ponctuelles élaborées par des professionnels de la comptabilité.

Nous effleurons ici le problème du code : sans langage commun, c’est-à-dire sans signifiant compréhensible par tous, le message ne peut être véhiculé de manière satisfaisante. Nous reviendrons sur ce thème ultérieurement, puisque l’adoption des normes internationales depuis janvier 2005 doit régler en partie le problème du langage.

Quoi qu’il en soit, en dehors de ce problème du code, encadrée par le droit comptable, la doctrine professionnelle est devenue la base de la comptabilité financière : elle a permis la formalisation d’un certain nombre de principes fondamentaux, formant ainsi un véritable cadre de la comptabilité. Ce cadre comprend en France tous les aspects organisationnels de la comptabilité : les livres obligatoires, les rapports avec les systèmes d’informations, automatisés ou non, ainsi que le contrôle de la fiabilité des données comptables. Pour y parvenir, la comptabilité s’est dotée d’un certain nombre de postulats et conventions, que l’on retrouve dans toutes les comptabilités du monde ou dans les normes internationales, dans une hiérarchisation qui peut être différente selon les pays.

1.2.1.2. La réglementation française : l’information image fidèle