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Le type d’habitat caractérisé par les characées est classé d’après le code européen Corine dans « Eaux dormantes. Eaux oligo-mésotrophes calcaires avec végétation benthique à Chara spp.»(Lambert 2002). Toute une série de déclinaisons en habitats élémentaires est décrite selon le degré de minéralisation et la trophie des eaux.

La plupart des characées requièrent des eaux fortement alcalines (Kufel & Kufel, 2002). Les espèces calcicoles appartiennent surtout aux genres Chara, Tolypella et Nitellopsis, alors que le genre Nitella regroupe essentiellement des espèces calcifuges (Corillion 1975; Blaženčić et al. 2006a; Lambert-Servien et al. 2006). La principale source de carbone inorganique pour les characées est le bicarbonate HCO3- dont les

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teneurs sont naturellement associées à celle du calcium dans les régions calcaires.

Durant les périodes de forte activité photosynthétique des tapis de characées, l’assimilation du bicarbonate se visualise grâce aux incrustations de calcite sur le thalle de ces algues (Kufel & Kufel 2002). Les milieux eutrophes semblent être défavorables aux characées (Alvarez-Cobelas et al. 2001; Bornette & Arens 2002; Lambert-Servien et al. 2006; Baastrup-Spohr et al. 2013). Elles semblent très sensibles à la pollution nutritive et à la turbidité des eaux et sont donc considérées comme de bonnes indicatrices de milieux faiblement productifs.

Les characées sont souvent considérées comme un groupe d’espèces pionnières, colonisant rapidement les nouveaux milieux et les milieux temporaires (Corillion 1986;

Wade 1990; Havens et al. 2004; Van Geest et al. 2005a) Dans ces derniers, les characées profitent notamment d’une diminution de la compétition grâce à l’élimination d’espèces vasculaires eutrophes sensibles aux assèchements.

Elles constituent en outre les dernières zones de végétation en profondeur dans les lacs oligotrophes du fait de leur capacité d’adaptation aux faibles radiations (Blindow 1992b; Middleboe & Markager 1997; Schwarz & Hawes 1997; Schwarz et al. 2000;

Schwarz, de Winton & Hawes 2002; Istvánovics et al. 2008; Sanderson et al. 2008). Selon le type de milieu, elles forment des prairies sous lacustres plus ou moins denses, monospécifiques ou polyspécifiques (et dans ce cas plutôt paucispécifiques).

Au même titre que n’importe quelle plante vasculaire, la germination et l’installation de characées dans des conditions environnementales particulières est susceptible d’être reliées à leur cycle de vie, donc à leur longévité (annuelles ou pérennes), leur système et mode de reproduction (monoïsme vs dioïsme, sexuée vs végétative), le timing et le type de signaux requis pour leur germination, leur taux de croissance et leurs capacités d’adaptation morphologiques et phénologiques aux changements environnementaux (« plasticité ») (Casanova 1994; Casanova & Brock 1999a). Notamment, la synergie des conditions de température, de lumière et de perturbation liée aux variations de niveau détermine la distribution des espèces le long du gradient de profondeur selon leur capacité à adapter leur morphologie et leur mode de reproduction (Willèn 1960; Bonis, Lepart & Laloe 1996; Casanova & Brock 1999b; Soulié-Märsche & Vautier 2004; Asaeda,

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Rajapakse & Sanderson 2007). Ainsi la répartition des espèces dans divers type d’habitats pourrait être le résultat de (1) la nécessité de signaux environnementaux particuliers pour la germination des propagules et (2) de la capacité des jeunes pousses à s’accommoder des conditions environnementales locales pour continuer leur croissance et terminer leur cycle de vie.

Pour assurer leur survie et leur dispersion les characées se reproduisent de manière sexuée (oospores) et/ou de manière végétative (bulbilles). Récemment Bociąg &

Rekowska (2012) ont mis en évidence l’utilisation de stratégie de reproduction clonale chez quelques espèces de Chara vivant dans des conditions profondes et permanentes.

La clonalité serait en effet inutile dans des habitats temporaires où la durée de vie des fragments de thalles est limitée par l’assèchement. La construction d’une banque dense de propagules très résistantes est l’un des principaux mécanismes employée par les plantes aquatiques submergées pour persister durant une phase sèche et se régénérer lorsque les conditions sont redevenues favorables. Les oospores stockés dans le sédiment sont adaptées pour survivre à plus ou moins long terme dans un état de dormance contrairement aux bulbilles qui assurent probablement la persistance des espèces sur le court terme (Van den Berg, Coops & Simons 2001). Quelques études ont prouvé que certaines espèces pourraient germer à partir de banques d’oospores vieilles de plus de 60 ans (Simons et al. 1994; Rodrigo, Alonso-Guillén & Soulié-Märsche 2010).

La compréhension de la distribution des characées dans les milieux aquatiques passe donc aussi par celle des facteurs rompant la dormance des oospores. Les différentes espèces semblent avoir des exigences distinctes pour la germination de leurs oospores, répondant notamment à différentes combinaisons de températures et d’humidité (Casanova & Brock 1996). Par exemple, le conditionnement en milieu humide, dans le noir à 4 °C pendant 60 jours afin d’imiter la saison hivernale (« stratification ») mais également l’assèchement de la banque de graines comme prétraitements semblent améliorer la germination de certaines espèces de characées. Cependant, l’interprétation d’études in vitro de la germination des oospores reste délicate tant les facteurs abiotiques et biotiques gouvernant celle-ci sont nombreux et en interaction complexe dans l’environnement. Les taux de germination et leurs modalités montrent de grandes

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variations inter et intra espèces (Bonis & Grillas 2002). La température (choc au froid), la lumière, le changement du potentiel redox (passage de l’eau oxygénée donc oxydante au sédiment anoxique donc réducteur) et la déshydratation du substrat restent des facteurs potentiels de la germination (Kalin & Smith 2007). En outre, les conditions physiques et chimiques dans lesquelles ont poussé la population parentale, et notamment la pollution en métaux lourds ou de grande concentration de soufre dans les sédiments, influenceraient négativement la viabilité des oospores (Sederias & Colman 2009). D’après Sederias & Colman (2007) les oospores de Chara vulgaris entrent dans une phase de dormance primaire dès qu’ils tombent de la plante parentale en fin de saison de croissance (fin de l’été-automne). Cette première phase de dormance est rompue par les basses températures subies au cours de l’hiver. Les oospores sortis de cette dormance primaire entrent dans une phase de dormance secondaire, qui elle est rompue par une période stratification (60 jours à 4°C et dans le noir) suivie d’une exposition à la lumière. Toujours d’après des expériences en laboratoire, d’autres chercheurs n’ont pas observé d’effet, ou alors négatif, de l’exposition à la lumière pour la germination des oospores (Van den Berg et al. 2001; de Winton, Casanova & Clayton 2004). L’extrême sensibilité à la lumière du processus de germination, ou le fait que la lumière ne soit pas un facteur nécessaire, pourrait ne pas être causé par un biais expérimental puisque les couches de sédiment recouvrant les oospores dans leur environnement naturel réduit énormément l’accès à la lumière. Cette faible performance in vitro pourrait être liée à une valeur de potentiel redox trop élevée dans les couches superficielles du sédiment, liée à une forte production d’oxygène par les algues benthiques photosynthétiques. Une étude expérimentale a été menée récemment pour déterminer l’effet du potentiel redox sur la germination des propagules de Potamogeton pusillus, Zanichellia palustris et Chara cf contraria (van Zuidam et al. 2013). L’hypothèse étant que des valeurs redox faibles peuvent réduire la viabilité des oospores car elles entrainent la production de composés toxiques (Sederias & Colman 2009).

Contrairement aux deux autres espèces, la germination de C. cf contraria a été affectée uniquement par des concentrations en oxgène forte et donc des valeurs de potentiel redox élevées en accord avec l’hypothèse de Sederias & Colman (2007).

La rupture de la dormance des oospores de characées semble ainsi se faire sous des conditions spécifiques, liées à la fois à l’espèce et au secteur géographique de celle-ci. Au

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niveau des latitudes nord, les oospores de characées entament leur processus de dormance afin de passer l’hiver et ont donc besoin d’être exposés à de basses températures pour germer (Sederias & Colman 2007). L’anoxie et la déshydratation du substrat semble également être efficace pour rompre l’état de dormance des oospores dans les régions tempérées et tropicales (Casanova & Brock 1990, 1996; de Winton et al.

2004; van Zuidam et al. 2013). La complexité des signaux nécessaires à la sortie de la dormance des oospores permet d’éviter l’épuisement du stock de graines suite à des germinations dans des conditions non propices au développement ultérieur de la plante.

En effet pour assurer la dispersion, le maintien et la survie de la population, les conditions environnementales locales doivent correspondre aux spectres de tolérance inhérents à l’espèce.

Dans les années 60, l’augmentation des concentrations en phosphore (>20 µg/l) était considérée comme la principale responsable de la dégénérescence des characées en milieu enrichi qui semblaient l’accumuler sans moyen de contrôle (Forsberg 1964). La relation pourrait être finalement indirecte selon d’autres études plus récentes. Dans les lacs peu profonds (sans stratification) des zones tempérées, les scientifiques parlent d’une dynamique d’équilibre entre un état turbide dominé par le phytoplancton et un état clair dominé par la végétation submergée, et en particulier les characées (Van Nes et al. 2002; Van Nes, Rip & Scheffer 2007; Ibelings et al. 2007). Des observations du changement brusque de ce type de milieu sont à l’origine de cette « théorie des états alternatifs stables ». Un premier modèle simple fut alors élaboré pour expliquer les mécanismes d’un tel phénomène. Celui-ci assume que : la turbidité augmente avec le niveau trophique et la croissance du phytoplancton ; la végétation réduit la turbidité, la végétation disparaît lorsqu’un niveau critique de turbidité est atteint (Scheffer et Van Nes, 2007). Cependant, l’observation de characées dans des lacs peu profonds riches en nutriments est à l’origine de la récente remise en cause de cette théorie des états alternatifs stables. Cet état non-turbide atteint par l’écosystème dans des conditions pourtant eutrophes n’est pas l’état stable. Le retour vers l’état stable peut prendre plusieurs années, selon la récente théorie de « l’équilibre fantôme » (Van Geest et al.

2007). Selon plusieurs auteurs, ces milieux suivent en fait une dynamique de transition, et non pas d’équilibre, et d’autres facteurs, autres que l’apport en nutriment dans le

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milieu, doivent être pris en compte. Van Geest et al (2007) ont suivi de plus près l’évolution des macrophytes dans 70 lacs de la plaine alluviale du bas Rhin de 1999 à 2004. D’après cette étude, l’assèchement des lacs en 1998 et 2003 est bien la cause principale de l’explosion des macrophytes submergés et notamment des characées en 1999 et 2004, ce malgré des niveaux trophiques tous élevés. La disponibilité accrue de la lumière au fond du lac grâce à la diminution de la hauteur d’eau, le déclenchement de la germination de la banque de graines du sédiment et la régression des populations piscicoles qui remettent habituellement le sédiment en suspension et déracinent les plantes (Taumoepeau, Clayton & De Winton 2002; Lammens et al. 2004) grâce aux assèchements sont les mécanismes probables permettant le passage d’un état turbide dominé par le phytoplancton à un état clair dominé par les macrophytes submergés.

Seules quelques recherches observationnelles ont été conduites sur la relation entre le régime hydrologique et la distribution des characées au niveau de l’espèce. Pour l’hémisphère Nord, l’étude de la distribution des espèces le long d’un gradient de perturbations liées aux assèchements (mares temporaires méditerranéennes, Grillas 1990) ou aux crues (annexes fluviales, Bornette & Arens 2002) a montré des différences de réponses interspécifiques. Notamment, ces deux études associent Chara globularis à des conditions de perturbations nulles à faibles et Tolypella glomerata et Nitella confervacea à des niveaux de perturbations très élevés. Ainsi, la stabilisation artificielle du niveau d’eau des écosystèmes aquatiques constituerait un facteur aggravant de la perte en diversité en des characées, déjà enclenchée par leur eutrophisation.

La lumière est un facteur clef pour la présence des characées. Beaucoup d’espèces de characées constituent effectivement les dernières zones de végétation dans les profondeurs des lacs oligrotrophes très transparents (Schwarz & Hawes 1997; Schwarz et al. 2000; Istvánovics et al. 2008; Sanderson et al. 2008) où elles s’accommodent ainsi d’un minimum de lumière pour assurer leur croissance (Blindow 1992b; Middleboe &

Markager 1997; Schwarz et al. 2002). Cependant leur absence dans des conditions de très faible luminosité dans les lacs eutrophes turbides souligne l’importance complémentaire des facteurs corrélés à un niveau trophique élevé notamment les interactions biotiques (compétitions, bactéries, etc…). La turbidité et/ou la transparence des eaux (e.g. au disque de Secchi) n’est en outre pas toujours corrélée de manière

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positive avec la concentration en phosphore. La remise en suspension des sédiments, notamment par les poissons, explique parfois la faible transparence des eaux et le déracinement des characées et donc leur absence (Taumoepeau et al. 2002; Lammens et al. 2004). Bien que la lumière soit un facteur essentiel pour la survie de ces organismes photosynthétiques, il ne faut pas forcément les rechercher dans des milieux très exposés. Elles sont capables de s’adapter à une très faible luminosité mais également de se protéger des trop fortes radiations. Plusieurs études sur les characées ont montré l’existence de différences interspécifiques dans les mécanismes physiologiques et morphologiques utilisés pour ajuster la photosynthèse à faible luminosité mais aussi pour se protéger de trop fortes radiations dans les eaux peu profondes (Küster et al.

2000a; Schagerl & Pichler 2000; Rae, Hanelt & Hawes 2001; Schneider, Ziegler & Melzer 2006). Plusieurs études démontrent également la capacité de certaines espèces à adapter leur cycle de vie aux conditions de lumière et de température caractérisant les habitats qu’elles colonisent : elles forment des populations pérennes et stériles dans les profondeurs des lacs transparents, alors que dans les eaux peu profondes elles produisent rapidement des organes sexuels avant de disparaitre (Casanova & Brock 1999c; Asaeda et al. 2007). De plus, bien que les characées soient réputées pour assurer elle-même la transparence des eaux, il n’est pas rare de trouver des populations à faible profondeur (ex. Nitella tenuissima) recouvertes de sédiment et/ou à l’ombre de macrophytes émergents ou flottants (ex. Phragmites australis, Nuphar lutea), où elles profitent en outre du faible courant (observations personnelles). Si bien qu’il est parfois difficile d’imaginer comment elles peuvent assurer leur photosynthèse.

Ainsi les limites de profondeur supérieures et inférieures de colonisation des espèces de characées pourraient être reliées à des capacités distinctes de : (1) tolérer des fortes radiations UV en utilisant des processus photo-protecteurs physiologiques, morphologiques et « comportementaux » (production de caroténoïdes, forme de croissance contractée, colonisation de micro-habitats ombragés, mode de reproduction) ; (2) augmenter leur production de pigment chlorophylle a pour optimiser l’activité photosynthétiques dans des conditions de faible luminosité ; (3) rétablir des populations après une perturbation majeure grâce au recrutement à partir de la banque de propagules (résilience).

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Malgré leur sensibilité aux changements environnementaux, les connaissances fondamentales sur l’écologie des espèces de characées ont encore besoin d’être approfondies. La multitude de paramètres environnementaux potentiellement impliqués pour expliquer la distribution des espèces rend difficile la compréhension de leur rôle respectif. La première approche de ce travail de thèse consiste donc à confronter l’occurrence des espèces à un jeu de facteurs abiotiques régionaux afin d’identifier les macro-habitats actuels des espèces et prédire de l’évolution potentielle de leur aire d’occupation en Suisse dans un contexte de changement climatique.

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CHAPITRE 3.

Echelle régionale : Quel macro-habitat pour quelle espèce de

characées ?

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3 Echelle régionale : Quel macro-habitat pour quelle

espèce de characées ?