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Chapitre 2 - La r´ eaction des ordres juridiques nationaux

A. Le syst` eme de r` eglement des diff´ erends dans les ac-

3. La r´ eaction de la CJUE, l’arrˆ et Achmea

Cependant, la CJUE consid`ere dans l’arrˆet Achmea407 que le droit de l’Union europ´eenne s’oppose `a une disposition contenue dans un accord international conclu entre les ´Etats

membres, aux termes de laquelle un investisseur de l’un de ces ´Etats membres peut, en

cas de litige concernant des investissements dans l’autre ´Etat membre, introduire une

proc´edure contre ce dernier ´Etat membre devant un tribunal arbitral. La particularit´e de cette d´ecision est de concerner un m´ecanisme intraeurop´een. La Cour consid`ere que le  m´ecanisme de r´esolution des diff´erends (..) n’est pas apte `a assurer que les litiges (...) seront tranch´es par une juridiction relevant du syst`eme juridictionnel de l’Union, ´etant entendu que seule une telle juridiction est `a mˆeme de garantir la plein efficacit´e du droit de l’Union. Par cons´equent,la Cour conclut que la clause d’arbitrage contenue dans le TBI porte atteinte `a l’autonomie du droit de l’Union. Selon la Cour de justice de l’Union Europ´eenne, la clause d’arbitrage contenue dans le TBI entre les Pays Bas et la Slovaquie

n’est ainsi pas compatible avec le droit de l’Union. L’article 344 du TFUE pr´evoit que

 les ´Etats membres s’engagent `a ne pas soumettre un diff´erend relatif `a l’interpr´etation ou `a l’application des trait´es [europ´eens] `a un mode de r`eglement autre que ceux pr´evus par ceux-ci. 

L’article 267 du TFUE pr´evoit, quant `a lui, quela Cour de justice de l’Union europ´eenne

406. La signature sera suivie des proc´edures de ratification dans l’Union europ´eenne et au Japon. La CE estime que l’accord devrait entrer en vigueur en d´ebut d’ann´ee 2019.

407. CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, AJDA, 2018. 1026, chron. Bonneville P., Broussy E., Cassagnab`ere H. et G¨anser C.

est comp´etente pour statuer, `a titre pr´ejudiciel : a) sur l’interpr´etation des trait´es, b) sur la validit´e et l’interpr´etation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union. Lorsqu’une telle question est soulev´ee devant une juridiction d’un des ´Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une d´ecision sur ce point est n´ecessaire

pour rendre son jugement, demander `a la Cour de statuer sur cette question. Lorsqu’une

telle question est soulev´ee dans une affaire pendante devant une juridiction nationale

dont les d´ecisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. Si une telle question est soulev´ee dans une

affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne d´etenue, la

Cour statue dans les plus brefs d´elais. 

Il d´ecoule ´egalement de l’arrˆet Achmea que les sentences arbitrales rendues sur la base de TBI intra-UE doivent ˆetre consid´er´ees comme incompatibles avec le droit de l’UE.

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A ce titre, les tribunaux des ´Etats membres de l’UE, qui eux sont li´es par le droit de l’UE et donc par l’arrˆet Achmea, doivent annuler la sentence fond´ee sur un TBI intra-UE lorsqu’ils sont saisis d’un recours contre une telle sentence. Par ailleurs, les tribunaux des

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Etats-membres doivent, en cons´equence, ´egalement refuser de reconnaˆıtre et d’ex´ecuter ces sentences arbitrales intra-UE.

Malgr´e tout, la France, `a l’instar de l’Allemagne, des Pays Bas, de l’Autriche et de la Finlande, avait d´efendu la validit´e du m´ecanisme de r`eglement des diff´erends entre inves-tisseurs et ´Etats.

La port´ee de la d´ecision rendue par la CJUE pourrait mettre fin `a l’arbitrage d’investis-sement en Europe tel qu’il existe aujourd’hui. Ainsi, cela pourrait signifier la fin des 196 trait´es bilat´eraux d’investissement intra europ´eens, dot´es de clauses similaires. Les ´Etats membres devraient, de ce fait, sans attendre mettre fin `a tous leurs trait´es d’investisse-ments contenant des clauses d’arbitrage.

Si la d´ecision venait `a ˆetre g´en´eralis´ee, la responsabilit´e internationale de l’Union eu-rop´eenne pourrait ˆetre engag´ee sur le fondement des trait´es de protection des investisse-ments, auxquels l’Union europ´eenne elle-mˆeme est partie, tel que par exemple le trait´e sur la Charte de l’´energie, auquel est partie `a la fois l’Union europ´eenne elle-mˆeme, mais ´

egalement ses ´Etats membres. Si l’Union europ´eenne, par l’interm´ediaire de ses

juridic-tions, tentait d’an´eantir la clause d’arbitrage figurant dans le TCE pour interdire un

arbitrage interne `a l’Union, cela reviendrait `a la situation classique o`u une partie `a un trait´e se pr´evaut de son propre droit pour ´echapper `a ses obligations internationales ou

plus pr´ecis´ement pour faire ´echapper l’un de ses membres `a ses obligations internationales.

C’est ainsi qu’a ´et´e pos´e la question de la validit´e du syst`eme de r`eglement des diff´erends

contenu dans l’Accord ´economique et commercial global entre le Canada, d’une part, et

l’Union europ´eenne et ses ´Etats membres, d’autre part, sign´e `a Bruxelles le 30 octobre 2016408.

L’avis rendu par la Cour de justice le 30 avril 2019409, suite `a une demande introduite par le Royaume de Belgique, soul`eve la question de savoir si son chapitre huit ( Inves-tissements ), section F ( R`eglement des diff´erends relatifs aux investissements entre investisseurs et ´Etats ) est compatible avec les trait´es pr´evoyant la mise en place d’un m´ecanisme de r´esolution du litige qui s’´eloigne fortement de l’arbitrage traditionnellement utilis´e. La principale diff´erence entre l’arbitrage et ce m´ecanismealternatifest son ca-ract`ere institutionnalis´e et permanent. L’un des principaux enjeux est de d´eterminer si ce m´ecanisme de r`eglement des litiges pr´eserve suffisamment l’autonomie du droit europ´een. En effet, pour garantir la pr´eservation de ces caract´eristiques sp´ecifiques et de l’autono-mie de l’ordre juridique ainsi cr´e´e, les trait´es ont institu´e un syst`eme juridictionnel destin´e `

a assurer la coh´erence et l’unit´e dans l’interpr´etation du droit de l’Union. Conform´ement `

a l’article 19 du Trait´e sur l’Union europ´eenne, c’est aux juridictions nationales et `a la Cour qu’il appartient de garantir la pleine application de ce droit dans l’ensemble des

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Etats membres ainsi que la protection juridictionnelle effective, la Cour d´etenant une

comp´etence exclusive pour fournir l’interpr´etation d´efinitive dudit droit. `A cette fin, ce syst`eme comporte, en particulier, la proc´edure du renvoi pr´ejudiciel pr´evue `a l’article 267 du Trait´e sur le fonctionnement de l’Union europ´eenne 410. Par cons´equent, il n’est pas envisageable, aux yeux de la CJUE, que l’interpr´etation d´efinitive du droit de l’Union rel`eve d’une juridiction concurrente. En revanche, il est possible qu’une autre juridiction se voie reconnaˆıtre une comp´etence pour connaˆıtre de l’interpr´etation de l’AECG411. En-fin, ces tribunaux ´etant ext´erieurs au syst`eme juridictionnel de l’Union, ils ne sauraient ˆ

etre habilit´es `a interpr´eter ou `a appliquer des dispositions du droit de l’Union autres que celles de l’AECG ou `a rendre des sentences qui puissent avoir pour effet d’empˆecher les

408. JO 2017, L 11, p. 23.

409. CJUE 30 avr. 2019, avis 1/17. 410. § 111, CJUE 30 avr. 2019, avis 1/17.

411. Il r´esulte de ces ´el´ements que le droit de l’Union ne s’oppose ni `a ce que le chapitre huit, section F, de l’AECG pr´evoie la cr´eation d’un tribunal, d’un tribunal d’appel et, ult´erieurement, d’un tribunal multilat´eral des investissements ni `a ce qu’il leur conf`ere la comp´etence pour interpr´eter et appliquer les dispositions de l’Accord `a l’aune des r`egles et des principes de droit international applicables entre les parties,§ 118, CJUE 30 avr. 2019, avis 1/17.

institutions de l’Union de fonctionner conform´ement au cadre constitutionnel de celle-ci 412.

Ces crit`eres ´etant pos´es, le m´ecanisme de r`eglement des litiges pr´evu par l’AECG r´epond-il positivement `a ces conditions ? Pour ´etayer son raisonnement, la Cour de justice distingue la situation de l’AECG avec celle qui lui ´etait pr´esent´ee dans l’arrˆet Achmea.

Deux arguments attirent l’attention. Le premier, difficilement contestable, tient dans une diff´erence entre un trait´e intra-europ´een et un trait´e conclu avec un ´Etat tiers. En effet, il existe entre les ´Etats membres unprincipe de confiance mutuelleque l’on ne retrouve pas `a l’´egard d’un ´Etat tiers413. Par cons´equent, ce principe qui a en partie justifi´e la solution dans l’arrˆet Achmea ne trouve pas `a s’appliquer `a l’AECG.

Le second concerne les pouvoirs du tribunal arbitral. Pour la Cour de justice de l’Union europ´eenne,  le chapitre huit, section F, de l’AECG se distingue ´egalement de l’accord d’investissement en cause dans l’affaire ayant conduit `a l’arrˆet du 6 mars 2018, Achmea, d`es lors que, ainsi que la Cour l’a relev´e aux points 42, 55 et 56 de cet arrˆet, cet accord instituait un tribunal amen´e `a r´esoudre des litiges pouvant concerner l’interpr´etation ou l’application du droit de l’Union 414. Autrement dit, la disposition d´ecisive dans l’arrˆet Achmea ´etait celle donnant au tribunal arbitral le pouvoir de tenir compte  du

droit en vigueur de la partie contractante concern´ee . Or, une telle formulation est

absente dans l’AECG. Pour la Cour de justice, la diff´erence fondamentale r´eside donc

dans le comportement du tribunal. L’appr´eciation d’une r`egle interne ou europ´eenne par un tribunal constitu´e sur le fondement de l’AECG  ne saurait ˆetre assimil´e[e] `a une interpr´etation, par le Tribunal de l’AECG, de ce droit interne, mais consiste, au contraire, en une prise en compte de ce droit en tant que question de fait, ce tribunal ´etant, `a cet ´

egard, tenu de suivre l’interpr´etation dominante dudit droit donn´ee par les juridictions et les autorit´es de ladite partie et ces juridictions ainsi que ces autorit´es n’´etant, au demeurant, pas li´ees par le sens qui serait donn´e `a leur droit interne par ledit tribunal 415. En r´esum´e, le tribunal arbitral ´evinc´e par l’arrˆet Achmea avait vocation `a interpr´eter des r`egles de droit, ce qui est incompatible avec le droit de l’Union, contrairement au Tribunal de l’AECG, qui prend en compte ce droit comme une question de fait, ce qui est compatible avec le droit de l’Union.

L’arrˆet Achmea n’a finalement pas sign´e la fin des arbitrages d’investissement intra-UE.

412. Ibid.

413. § 128, CJUE 30 avr. 2019, avis 1/17. 414. Ibid. § 126.

Les tribunaux arbitraux statuant sur la base des nombreux TBI intra-UE sign´e dans les

ann´ees 1980-1990 entre les pays d’Europe de l’Est et les Etats de la Communaut´e

eu-rop´eenne, ont, en effet syst´ematiquement rejet´e toute exception d’incomp´etence soulev´ee sur le fondement de l’arrˆet Achmea. Les recours en annulation contre des sentences arbi-trales intra-UE devant les juridictions des Etats membres ont subi, dans l’ensemble, les mˆemes refus.

D`es f´evrier 2019, les Etats membres s’´etaient ainsi engag´es `a d´enoncer leurs TBI intra-UE afin d’´ecarter l’application des clauses de r`eglement des diff´erends incompatibles avec le droit europ´een.

Cependant, les principales interrogations soulev´ees par l’arrˆet Achmea ont ´et´e ´ecart´ees par la signature, le 5 mai 2020, entre 23 Etats membres de l’UE dont la France d’un accord plurilat´eral portant extinction des trait´es bilat´eraux d’investissement intra-europ´een (TBI intra-UE). Lorsqu’il entrera en vigueur, il mettra d´efinitivement fin `a 130 TBI intra-UE et `a l’arbitrage investisseur-Etat qu’ils pr´evoient.

En outre, concernant le m´ecanisme de r`eglement des diff´erends entre investisseurs et ´Etats (ICS) introduit dans le C.E.T.A. la Cour de justice de l’Union europ´eenne a confirm´e la compatibilit´e avec les trait´es du m´ecanisme de r`eglement des diff´erends entre investisseurs et ´Etats (m´ecanisme RDIE) pr´evu dans l’accord ´economique et commercial global entre le Canada et l’Union europ´eenne (AECG). L’avis 1/17416 dissipe ainsi les doutes sur la compatibilit´e du m´ecanisme de r`eglement des diff´erends de l’AECG.

Le projet de cr´eation de ce tribunal d’investissement semblait ainsi tendre vers l’abandon du cadre de l’arbitrage traditionnel, qui est souvent mis en cause, au profit d’un syst`eme juridictionnel ind´ependant. Le Parlement europ´een s’est, en effet, prononc´e le 15 janvier 2017 en faveur du trait´e. Mais en excluant certains volets tels que le syst`eme charg´e de r´egler les diff´erends entre les ´Etats et les investisseurs.

Cependant, un avis rendu par la Cour de justice de l’UE en mai 2017417 (au sujet de

l’accord avec Singapour) a confirm´e que l’UE n’avait pas la comp´etence exclusive dans le domaine des investissements ´etrangers de portefeuilles et dans le r´egime des r`eglements de diff´erends entre les investisseurs et les Etats. Ainsi, depuis le 21 septembre 2017, seule la partie du CETA qui d´epend de la comp´etence exclusive de l’UE (soit 90 % de l’accord) est

416. Avis CJUE du 30 avril 2019, http ://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf ?text= &docid=213502&pageIndex=0 &doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=711397

donc entr´ee en vigueur. L’application totale de l’accord ne sera possible qu’apr`es sa ratifi-cation - en cours - par les parlements nationaux et r´egionaux des 27 ´Etats membres. Alors que les deux assembl´ees du Canada l’ont d´ej`a valid´e d`es 2017, seuls 14 pays europ´eens sur 27 ont pour l’instant.