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Dans un premier temps, il importe de souligner la nature étroite des liens qui relient les migrations à la production de la diversité culturelle qui découle de la position privilégiée de Macau comme plateforme commerciale en Asie131. Ici, je rejoins l’appel de Jan Nederveen Pieterse sur la

nécessité d’appréhender les phénomènes d’« hybridité » sur la longue durée132. D’une part, le

peuplement de la péninsule, à l’origine, a résulté de l’installation de Portugais et de Chinois, mais aussi de populations originaires d’autres possessions portugaises en Orient, de Malacca, de Goa, de Nagasaki133. De l’autre, la ville a, pendant des siècles, servi et reçu des commerçants qui venaient de

différentes parties de l’Asie du Sud et du Sud-est, voire de l’Europe, alors que d’autres commerçants, Hollandais et Anglais, commençaient à s’établir dans la région134. En l’occurrence,

130 C’est-à-dire au sens redistributif, conformément à la terminologie employée par Niels Steensgaard, en opposition au caractère entrepreneurial, d’accumulation et de production, des Compagnies hollandaises et anglaises : « Estado da India was a dynamic system, but the innovations were kept within the pattern of redistribution and the profit was

consumed in a seigneurial way of life or reinvested in redistributive enterprises, not in productive or productive- increasing enterprises ». Steensgaard, Niels. The Asian trade revolution of the seventeenth century: the East India companies and the decline of the caravan trade. Chicago, London: University of Chicago Press, 1974, p. 86. Voir aussi

Wallerstein, Immanuel. The Politics of the World-Economy. Cambridge, London, New York, Melbourne: Cambridge University Press ; Paris : Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1984, p. 150-151.

131 Et ainsi comme plateforme d’échanges culturels, à travers les sciences, la religion et les arts. Porter, Jonathan.

Macau: The Imaginary City, op. cit., p. 3. À propos de l’entreprise jésuite, l’auteur écrit : « As Macau thrived on the trade, the missionary entreprise prospered in turn ; commerce and religion were ultimately linked in the life and culture of the city ». Ibid., p. 109.

132 Pieterse, Neverdeen Jan. « Hybridity, So What ?... », op. cit., p. 224, 230-231.

133 « Apart from Wangxia village near the base of the peninsula and some scattered farm settlements nearby, Aomen

was only very thinly populated in the sixteenth century ». Porter, Jonathan. Macau: The Imaginary City, op. cit., p. 40.

Consulter aussi Amaro, Ana Maria. Das cabanas de palha às torres de betão – assim cresceu Macau. Lisboa: Livros do Oriente, 1998, p. 24 ; Barreto, Luís Filipe. « 1555: A certidão de nascimento de Macau », op. cit., p. 18.

134 Sena, Tereza. « Macau e o Comércio Internacional: de Metrópole do Equilíbrio à Diáspora », in Pereira, Fernando António Baptista (ed.), Os Fundamentos da Amizade. Cinco Séculos de Relações Culturais e Artísticas Luso-Chinesas. Lisboa: Centro Científico e Cultural de Macau, 1999, p. 126-137 ; p. 127-128, 133.

c’est plutôt pendant les périodes d’expansion que de contraction et de déclin de l’activité économique que l’on a assisté à l’augmentation de la présence d’« étrangers », qui se sont installés temporairement ou définitivement dans la ville. Dans le cas contraire, on a assisté à des mouvements diasporiques, d’abandon de la ville.

Deuxièmement, il nous faut aborder la question des effets engendrés par ces dynamiques migratoires en tant qu’elles participent de la production de spécificités à Macau. Il s’agit, d’une part, des pratiques de mariage interethnique (intermariage) liées à la formation d’une population métisse, dont l’importance sociale va cependant varier jusqu’à l’avènement de l’administration coloniale portugaise, au XIXème siècle. De fait, notons que les autorités portugaises ont, très tôt, encouragé l’emploi de main d’œuvre « locale » et les mariages interethniques135. Ainsi, d’après

Charles Boxer : « Although a majority of the vezinhos (Portuguese married men) were probably European-born Portuguese, this certainly did not apply to their wives and children, virtually all of whom had a greater or lesser mixture of Asian blood »136. En l’attente de surmonter les difficultés

induites par la faible présence des Portugais en Asie, et de satisfaire aux exigences requises par la position intermédiaire de ceux-ci dans le commerce régional, argumente Roderich Ptak, « many Portuguese settlements in Asian became ‘melting pots’ with Portuguese men taking Asian wives… and with Asian men being employed as skilled workers… »137.

D’autre part, il nous faut souligner la nature « pacifique » des échanges et de la cohabitation interethnique. Bien que des tensions aient émergé à des moments ou à d’autres de l’histoire de Macau138, le conflit et la violence, en tant que modes possibles de résolution des désaccords et

différences, ont été plus systématiquement écartés de l’histoire de la ville139. D’autres aspects

évocateurs du caractère « modéré » qu’a revêtu et que continue de revêtir la cohabitation interethnique seront révélés tout au long de cette thèse, aussi suffit-il de dire à présent que l’on interprète sa manifestation à la lumière de deux éléments fondamentaux. D’abord, celui de

135 L’initiative est d’Afonso de Albuquerque, un des premiers envoyés officiels de la Couronne en Asie. Montalto de Jesus, C. A. Historic Macao…, op. cit., p. 50-51 ; Boxer, C. R. « Macao as a Religious and Commercial Entrepôt in the 16th and 17th Centuries », Acta Asiatica: Bulletin of the Institute of Eastern Culture. Tokyo: The Toho Gakkai, 1974, n°26, p. 64-90 ; voir p. 66-67 ; Ptak, Roderich. « China and Portugal at Sea... », op. cit., p. 30 ; Barreto, Luís Filipe. « 1555: A certidão de nascimento de Macau… », op. cit., p. 33.

136 L’extrait se poursuit ainsi : « The very first settlers of Macao probably consorted mainly with Malayan, Indonesian

and Japanese women ; but with the growth of a Chinese population…there must have been an increasing rate of intermarriage… with Chinese women ». Boxer, C. R. « Macao as a Religious and Commercial Entrepôt… », op. cit., p.

66.

137Ptak, Roderich. « China and Portugal at Sea… », op. cit., p. 30. Consulter aussi Pinheiro, Cláudio C. « No governo dos mundos: escravidão, contextos coloniais e administração de populações », Estudos Afro-Asiáticos. Rio de Janeiro: Editora Universidade Cândido Mendes, Ano 24, n°3, 2002, p. 425-457 (voir, par exemple, pages 438-439).

138 Comme dans la notion d’« incidents ». Pina-Cabral, João de e Lourenço, Nelson. Em terra de tufões..., op. cit., p. 25- 26 ; Pina-Cabral, João de. Between China and Europe…, op. cit., p. 9. Pour plus de détails, se reporter, par exemple, au Chapitre 3, I. La rétrocession en transition, et en particulier à 2. « The East is Red, so be Macau ».

139 « Apesar das abismais diferenças nos campos linguístico e cultural, numa pequena urbe que apenas media uns

poucos quilómetros quadrados, sempre existiu uma convivência pacífica, intercâmbios e assimilações mútuas. Conflitos de relevância, de que há memória escrita, foram muito raros ao longo da sua história ». Wu Zhiliang. Segredos de Sobrevivência…, op. cit., p. 110.

l’entente, et de l’équilibre des forces qui en dépend, entre Portugais et Chinois, concernant la fondation et l’édification de Macau, tel qu’on le verra dans ce qui suit. Il s’agit, ensuite, d’un aspect que l’on peut envisager dans le rapport qu’il entretient au mariage interethnique.

Mon hypothèse est que, à Macau, l’émergence et la continuité des pratiques d’intermariage140 participe de l’affaiblissement des potentialités de tensions conflictuelles, en ce

qu’elles engendrent aussi bien des rapports de « proximité », sociale et de parenté, entre les différentes populations, que l’avènement de sphères « tampons » qui constituent autant de réponses prévenant leur apparition. Il se forme donc un « habitus partagé » non à l’intérieur même de l’« affiliation ethnique »141, mais à l’interconnexion d’affiliations, qui se matérialise notamment

dans la réalité des Macanais. Compte tenu, par ailleurs, de l’investissement militaire et de l’absence de pratiques systématiques d’intermariage qui caractérisaient alors l’établissement d’autres européens, Hollandais et Anglais, en Asie142, c’est là un aspect qui ouvre la voie à la formulation

d’hypothèses de travail sur la nature de la présence portugaise dans l’Outre-mer oriental, qui ne sont pas sans devoir exercer des conséquences sur l’identité de Macau. Passons à présent à l’analyse des conditions qui ont autorisé l’établissement de cette présence portugaise en Chine.

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