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Chapitre III- L’aménagement du territoire ou la fabrique de l’équité socio-spatiale

1. La durabilité à l’épreuve de la justice socio-spatiale : influences rawlsiennes

L’analyse de la hiérarchisation voulue au Maroc entre des espaces de croissance et des espaces bénéficiant des retombées, croisée avec une volonté de réparation des inégalités sociales héritées, fait émerger une interprétation rawlsienne de ce scénario marocain. On peut d’ailleurs faire une analogie entre, d’une part, la juxtaposition que John Rawls fait du principe de différenciation et du principe d’égalité et, d’autre part, la synergie différentielle

faisant formule à la DAT marocaine1

. Certes ce théoricien ne mobilise en aucune façon la

1Pour rappel : De chaque territoire selon ses potentialités, à chaque territoire selon ses besoins. (Cf. infra chapitre III). On peut aussi, anecdotiquement ou pas, relever l’analogie avec le texte de Bob Gallois et John Bradbury expliquant l’utilité sociale de la géographie

dimension spatiale de la justice pour étayer ses propositions – et ce d’autant plus qu’il conceptualise dans le champ de la philosophie politique du contrat. Elles ont toutefois été infléchies sur le terrain de l’empirie par une géographie sociale, utilisant cette assise théorique pour construire une réflexion croisée sur la spatialisation des processus sociaux et les injustices révélées ou produites. Un premier développement propose d’abord de souligner cette transférabilité théorique avec laquelle la notion de justice imprègne le questionnement contemporain sur la complexité des formes territorialisées, et donc forcément discriminantes, de l’organisation des sociétés. Puis un second développement servira à montrer plus spécifiquement ce qui, chez J.Rawls et évidemment au-delà du titre explicite de son ouvrage référentiel, apporte un fondamental à mobiliser pour mieux cultiver encore ce que la notion d’équité apporte à la résolution territoriale de la durabilité.

1.1. Contributions épistémologiques à la transférabilité

de la justice en géographie

Le recours à la notion de justice explicitement identifiée en tant que support théorique dans les approches géographiques se circonscrit à peu près aisément, car il est d’une part relativement récent dans une discipline qui remonte à l’invention du monde (RETAILLE, 1997) et d’autre part globalement phagocyté par les objectifs de l’aménagement (LEVY, 2003). Cependant s’y affilient également, au moins dans la géographie francophone et à partir d’entrées différentes, ceux qui se préoccupent aussi bien de géographie politique et intégrant les inégalités (CLAVAL 1978 ; RAFFESTIN 1980; LEVY 1991,2004 ; ROSIERE 2003, 2007, 2008 ; ANTHEAUME&GIRAUT 2002, 2005 ; BUSSI 2007) que des manifestations identitaires liées à la reconnaissance et également articulées autour de la question post coloniale (DI MEO 1991, 2005 ; CHIVALLON 2008 ; RIPOLL 2006 ; HANCOCK 2001). Avant de cibler plus précisément une approche francophone de la question, nous faisons un détour nécessaire sur les origines de cette transférabilité et ses apports.

La paternité de cette approche relative à la justice en géographie revient à une vague de géographie radicale émanant de la production scientifique nord-américaine dès les années 70 qui, dans un contexte spécifique d’effervescence sociale2

et particulièrement à partir du

radicale dans un plaidoyer pour l’Union des Géographes Socialistes, paru en 1978 dans les Cahiers de Géographie du Québec en ces termes : « A travers l’analyse des problèmes contemporains, le but de lUGS est d’assurer un renouveau théorique [… et de] travailler pour une construction « radicale » de la société en accord avec les principes de justice sociale. (…) A cette fin nous appliquons le principe suivant : de chacun selon ses capacités, à d’autres selon leurs besoins.» In CGQ vol.22 n°56, pp. 301-302.

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Revendications civiques liées en particulier aux minorités noires (pour une accroche de la question spatiale sur ce point, voir LUSSAULT 2007, pp.16-18 et 30-33) et à l’opposition à la guerre du Viêtnam.

cadre urbain, a pris à bras le corps les logiques sous-jacentes des inégalités d’accès, d’équipement, de mobilité entre les citoyens (David HARVEY : Social justice and the city, 1973 ; Richard PEET,1977 : Radical geography : alternative viewpoints on contemporary social

issues3

). Cette géographie radicale défend une conception scientifique et éclairée de l’analyse spatiale pour que celle-ci serve l’opinion publique et non les structures dominantes. Elle s’est dès 1968 exprimée dans des tribunes éditoriales telle que la revue anglo-saxonne Antipode

ou, quelques années plus tard en France et dans une disposition se revendiquant moins de la géographie radicale que des enjeux politisés des territoires, la revue Hérodote fondée par Yves Lacoste en 1976.

De la même façon que la théorisation de Rawls ne peut se résumer de façon simpliste à une justification des inégalités au nom de l’efficience économique, il ne faut pas se focaliser sur l’obédience marxiste à laquelle ces géographies engagées souscrivent à partir des années 70. Certes elle justifie en son temps - et pour certains c’est toujours très prégnant dans leur démarche intellectuelle (COX 2006) - un besoin de contrer idéologiquement les altérations du tissu socio-économique par le libéralisme de marché et le capitalisme dans sa version dominant-dominé. Toutefois la réflexion théorique s’est petit à petit renouvelée dans des formes élargies de post-structuralisme et de critique humaniste qui poursuivent la réflexion contestataire sur les lois de l’espace - en particulier dans le contexte de mondialisation accélérée. Se développe ainsi une vision plus citoyenne et avertie qu’usagère et opprimée, ce qui ne va pas à l’encontre des formulations rawlsiennes de l’équité, bien au contraire.

Il convient de préciser que cette conception rawlsienne de l’équité appartient à une mouvance de philosophie morale et libérale4 qui s’est développée au cours de la seconde moitié du XXème siècle dans la lignée du pragmatisme anglo-saxon. Elle s’intéresse prioritairement aux conditions de l’action permettant d’intégrer les valeurs et les croyances des individus pour que la société soit « juste ». Cette posture se distingue de la dénonciation idéologique des inégalités comme un mal à combattre, pour faire de celles-ci la base réaliste d’une réflexion à mener sur la valeur de la norme édictée : la question centrale n’est pas tant de décider si elle est bonne ou mauvaise, mais plutôt de déterminer si elle est adaptée à la

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Recueil compilant des contributions à la revue Antipode de géographes anglo-saxons tels que notamment William BUNGE (The first years of the Detroit Geographical Expedition, 1969) David SLATER (The poverty of modern geographical enquiry, 1975), David HARVEY (The geography of capitalistic accumulation : a reconstruction of the marxian theory, 1975), et parmi les contributions francophones : Elisée Reclus, Yves Lacoste (1973), Henri Lefebvre (1969), ainsi que le québécois Bob Galois (1976), auxquelles s’ajoute enfin un texte de Piotr Kropotkine de 1898.

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C’est-à-dire conciliant la réalité de la société de marché avec la volonté de défendre les intérêts ou les droits des plus démunis. A opposer à la pensée néo-libérale qui fait de la société de marché l’ultime moyen d’obtenir des satisfactions individuelles.

société, si elle est utile en somme. La théorie de John RAWLS réfute l’égalitarisme en tant qu’illusion révolutionnaire, car elle n’aurait pour résultat que l’effacement des différences entre les hommes et remet donc en cause leur liberté. Pour autant, il conteste également l’utilitarisme qui privilégierait trop la quête du bien-être individuel au détriment du partage des agréments5

. Cela le conduit à préciser ce qu’il entend être l’équité, comme la capacité à prendre en compte les différences de situation pour les mettre au service du bien commun :

« Des inégalités socio-économiques, prenons par exemple des inégalités de richesse et d’autorité, sont justes si et seulement si elles produisent en compensation des avantages pour chacun et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société (…) Les épreuves endurées par certains peuvent être contrebalancées par un plus grand bien, au total. Il n’y a pas d’injustice dans le fait qu’un petit nombre obtienne des avantages supérieurs à la moyenne, à condition que soit par là même améliorée la situation des moins favorisés »6

Certaines orientations ont approfondi une vision moins surplombante et rationalisante des enjeux de société, notamment à la suite des développements critiques de Iris Marion YOUNG (Justice and the Politics of Difference,1990) dans lesquels elle désavoue en effet l’universalisme de la conception rawlsienne de la justice sociale. Elle lui préfère une lecture plus différentialiste, ou du moins articulée sur une reconnaissance positive de la différence qui, loin de se résumer à l’enfermement identitaire ou à la fragmentation sociale, débouche sur une conception enrichie de l’altérité dans la gestion efficace du conflit social (sur ce point, voir l’article de Diane LAMOUREUX, 2007).

Du reste IM Young n’est pas la seule à avoir été influencée par la théorie rawlsienne sans y adhérer toutefois pleinement, mais il semblerait que ne soient pas exploités (en géographie du moins) les contrepoints critiques émanant d’auteurs tels que Ronald DWORKIN (Prendre

les droits au sérieux, 1977 : réflexion sur l’imprescriptibilité des valeurs fondamentales et, en

filigrane, sur la désobéissance civile qui permet au citoyen de se protéger des abus que les lois étatiques peuvent instituer malgré elles) ou Michael WALZER7

(Sphères de Justice, 1983 :

défend l’idée d’une justice atomisée qui rend inapproprié le raisonnement universalisant, risquant d’atrophier certains aspects de la justice au profit d’autres). C’est d’ailleurs à partir

des 5 visages de l’oppression, placés par la philosophe et politologue de Chicago au centre de

5

La doctrine utilitariste anglo-saxonne, dont les références initiales sont Bentham et Stuart Mill, conditionne le principe fondamental de la morale à l’aspiration au bonheur dont chaque individu est animé. La rationalité de la chose consiste à dire que si l’individu devient libre de ses choix et se rend responsable individuellement de son bonheur, alors la société fonctionnera collectivement puisque chacun sera satisfait.

6

RAWLS 1987, p.41 7

Si ce n’est qu’il est cité dans le petit encart d’ouverture bibliographique, avec Rawls et Reynaud, dans l’item « justice spatiale » du dictionnaire de la géographie de Levy et Lussault., p.534

sa réflexion sur l’injustice en écho à celle de Rawls, que David Harvey ancre ses travaux dans une géographie de l’oppression et de la domination (1992, 2008).

Dans son texte de 1992 portant sur la reconnaissance de l’inscription des luttes sociales dans l’espace, assortie d’une réflexion sur les différentes approches de la justice qui pourrait s’y accorder, Harvey entend en effet dépasser la critique manichéenne du capitalisme comme la source de tout mal, pour analyser plutôt en quoi il comporte un processus dynamique « qui transforme, interrompt, déconstruit et reconstruit (…) les caractères des relations entre les êtres humains et entre les êtres humains et la nature »8

. De ses analyses des différentes conceptions de la justice et de la rationalité, il retient l’idée qu’il est délicat d’en établir une vision méta-théorique, parce que leur puissance mobilisatrice dépend du sens que les gens leur donnent en fonction des lieux et des époques. Toutefois cette réalité doit alors être saisie comme ce qui permet de guider les politiques aménagistes vers une plus grande justice, dans la mesure où selon lui « la question n’est jamais de savoir s’il y aura ou non des changements, mais quelles sortes de changements nous pouvons anticiper, prévoir et activement préparer dans les années à venir ».

C’est pourquoi, après avoir décliné dans le prolongement de Young cinq entrées à partir desquelles concevoir « un aménagement juste et une juste politique […afin de] trouver les moyens de créer des villes vivables et des milieux naturels viables pour le XXIème siècle », il leur adjoint une sixième catégorie faisant état des « inévitables conséquences écologiques [qui affectent] les générations futures comme les habitants des autres continents ». Nous avons choisi de considérer cette catégorie supplémentaire plutôt dans une version transversale, puisqu’il écrit lui-même que les différents visages de l’oppression doivent à la fois se lire dans la vie quotidienne et à plus long terme :

« Si je n’adhère pas à l’idée que « la nature a des droits » ou que la nature peut être « opprimée », la justice que nous devons aux générations futures et aux autres habitants de la planète exige que l’on examine scrupuleusement les implications écologiques de tout projet social. Les êtres humains s’approprient et transforment nécessairement le monde autour d’eux pour écrire leur propre histoire, mais ils n’ont pas à le faire avec une désinvolture telle qu’ils mettent en danger le destin de peuples séparés de nous dans l’espace ou dans le temps »

Le tableau synoptique suivant (n°2) permet d’esquisser une grille de lecture pour savoir comment la durabilité apporte une plus-value à l’aménagement. De la même façon qu’Harvey consulte la capacité de résolution qu’apporte la dimension spatiale à chacune des modalités de l’oppression sociale identifiées par Young, nous tentons de repérer dans sa conception de l’aménagement dévolu à plus de justice (et non l’aménagement comme justice), quels sont les

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Cet extrait et les suivants sont issus d’une traduction proposée par Béatrice Collignon (2001) du texte de David HARVEY paru en 1992 dans la Revue International Journal of Urban and Regional Research et intitulé Social Justice, Postmodernism and the City

mots-clefs opérateurs qui émergent du croisement entre justice socio-spatiale et durabilité. Toujours en analogie avec le procédé de Harvey, cela nous inspire une notion supplémentaire et transversale à la fois, en ce qu’elle conditionne la valeur des précédentes, suggérant qu’il est nécessaire d’interroger les exigences du rapport à autrui dans l’équité.

Le recours à Young, ou pour le dire plus largement, à une forme de déconstruction de la notion de justice qui serait pour certains auteurs trop figée dans la théorie du contrat, correspond à cette tendance postmoderne qu’Harvey ne réfute pas9 et qui illustre le repositionnement spécifique au monde anglo-saxon de la géographie radicale et humaniste. Cette tendance conteste globalement toute universalisation considérée comme inapte à fournir des explications scientifiquement satisfaisantes à la complexité contemporaine (COLLIGNON et al. 2001). Sur ce point et sans forcément vouloir ouvrir le débat sur la postmodernité en géographie10

, nous pouvons tout de même relever cette dichotomie que

9

Même s’il prend beaucoup de précautions discursives à propos du débat théorique sur la justice, qui ne peut selon lui se limiter ni à un éclatement entre des impératifs particuliers ni à un discours d’ordre supérieur recueillant l’adhésion de tous.

10

Sur ce point voir, par exemple, le n°31 de la revue Géographie et Cultures (1999) : postmodernité, visions anglophones et francophones, ou le tome 33 de l’Espace Géographique (2004), rassemblant de nombreuses contributions sur la géographie française postmoderne.

6. La justice achoppe sur

5 formes d’oppression © C. FAUVEL, 2009 I.M. YOUNG (1990) 5. Violence 4. Impérialisme culturel 3. Impuissance politique 2. Marginalisation 1. Exploitation D. HARVEY (1992)

Donc pour apporter de la justice, les politiques d’aménagement doivent : 1. repérer les stratégies de

compensation négative

2. débloquer les représentations binaires de type norme/opposition 3. donner la parole à ceux qui sont loin

du pouvoir décisionnel

4. ne pas hiérarchiser les conceptions de projets et leurs consultations 5. reconnecter les formes d’exclusion

sans oppression ou soumission

Sur quoi se fonde la justice socio-spatiale dans la durabilité

6. Place pour l’autre

mettre en relation le quotidien et le long terme, l’ici et l’ailleurs 1.Lecture systémique 2.Mise en visibilité 3.Délibérations / Négociations 4. Gouvernance 5. Intégration Tableau n° 2 : La plus-value de la durabilité dans la justice socio-spatiale

Claire HANCOCK présente dans un récent numéro des Annales de Géographie

spécifiquement consacré à la justice spatiale11

. D’après elle, la géographie française ne se penche sur les disparités sociales révélées dans l’espace public que sous l’angle normatif de la régulation étatique, et non sous l’angle heuristique du pluralisme culturel et social, à cause de cette « méfiance face aux attendus du postmodernisme » et d’une difficulté plus générale à accepter de valoriser la différenciation. Pourtant, appliquée à l’aménagement, cette interrogation peut se greffer sur les réflexions menées autour de la gouvernance locale. En effet elle accentue la négociation entre acteurs différents, voire opposés dans des débats contradictoires, ce que Rawls prendra d’ailleurs en considération dans des écrits ultérieurs (infra 1.3).

Encadré 4 – La théorie de l’effondrement de Jared Diamond, ou autre usage des inégalités dans l’axiomatique de la crise environnementale

Sans être indispensable au corpus (non exhaustif) présenté sur l’apport de la justice dans la géographie de l’aménagement, le propos de Jared DIAMOND est suffisamment relié au sujet de thèse pour ne pas faire totalement l’objet d’une impasse dans l’approche géographique nord-américaine de l’inégalité. Nous n’y avons pas souscrit dans le cadre de l’argumentation, dans la mesure où elle ne relève pas des théories de la justice, mais exploite le genre de l’essai pour établir une résonance entre la thématique des inégalités spatiales et la vision systémique relative à l’adaptation et à la survivance comme indissociable de la pensée durable (cf infra chapitre II).

La démonstration eschatologique de Jared DIAMOND (2000, 2006) croise en effet la réflexion sur l’inégalité avec l’effondrement civilisationnel, selon une interprétation de l’adaptabilité historiquement liée aux conditions originelles du milieu (mais sans toutefois référer aux thèses insoutenables de la supériorité ethnique). A partir de son concept-clef d’écocide, il défend la thèse que les implosions politiques ou catastrophes destructrices de civilisations correspondent à des processus d’autodestruction ayant pour trait commun l’incapacité à tenir compte des conditions initiales du milieu et tire de cet enseignement du passé une objectivation digne d’inquiéter plus sérieusement les sociétés contemporaines dans leur confiance à s’adapter et à surmonter les crises, aussi graves soient-elles (ZUINDEAU, 2006).

Sa grille d’analyse de l’effondrement des sociétés s’articule ainsi autour de cinq points (lui aussi !) : les sociétés sont responsables de l’épuisement de leur milieu (1), ce qui entraîne des bouleversements écologiques et des perturbations influençant les activités anthropiques (2) et affaiblissant la réactivité de la société vis-à-vis de crises politiques, économiques ou conflictuelles (3). En découle une désorganisation sociétale profonde qui s’étend comme une tâche d’huile en altérant le système culturel de valeur (4) au point que les institutions et les gouvernements n’ont plus la capacité d’évaluation nécessaire pour analyser la problématique d’effondrement sur le long terme et dans la globalité, ne cherchant au contraire qu’à résoudre dans l’immédiateté les difficultés émergentes (5). Ces collapsus (d’après le titre original) permettent selon lui de dresser un inventaire analytique du chaos mondialisé, ce qui en théorie est tout à fait intéressant, nous ne le nierons pas. Mais il faut quand même souligner que les événements principaux sont vidés de leur substance politique et sociale au profit d’une exclusive explication environnementale incriminant la pression anthropique, inégalitaire et démographique sur le milieu (TANURO, 2007).

11 Justice spatiale (sous la direction de Philippe GERVAIS-LAMBONY), Annales de Géographie n° 665-666, janvier-avril 2009. Ce numéro spécial reprend quelques contributions du colloque international organisé par le GECKO (laboratoire de Géographies Comparées des Suds et des Nords, Université Paris X-Nanterre) en mars 2008, sous l’appel « Justice et injustices spatiales ».

La reconnaissance de l’altérité peut tout à fait compléter l’interprétation procédurale de la

justice comme équité, qui ne conteste pas la persistance des inégalités pourvu que leur

traitement permette une amélioration des plus démunis. On saisit donc en quoi l’approche conjuguée de Rawls et des variations qui en sont faites par Young offre des perspectives théoriques profitables à la géographie. La discipline peut approfondir la réflexion à propos des pratiques aménagistes qui ne seraient pas d’emblée synonymes de justice socio-spatiale, mais investiraient plutôt la capacité d’évaluer les inégalités, les formes d’oppression et les captations déséquilibrées. Cela explique le choix de retenir pour la suite de la démonstration que la place pour l’autre est un dénominateur commun aux items identifiés dans la grille d’analyse de ce que peut être la justice socio-spatiale (tableau n°2), en ce qu’elle impose à chaque fois de considérer :

que chaque action spatialisée est constitutive d’un tout et ne peut donc se concevoir dans une limitation déterminée qui permettrait de n’avoir aucun retentissement sur l’espace de l’autre (lecture systémique) ;

qu’il est par conséquent nécessaire de dépasser la représentation sociale dominante pour avoir conscience que cet ensemble en permanence perturbé est donc ultra-producteur de contingences spatialisées (mise en visibilité) ;

que la façon dont la parole de l’autre est mise au débat, isolée, ou instrumentalisée,