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Chapitre III- L’aménagement du territoire ou la fabrique de l’équité socio-spatiale

1. Le chantier lancinant de la (p)réparation socio-spatiale au Maroc

Résultant de plusieurs dynamiques politiques successives visant à maîtriser l’espace, son aménagement et ses populations, les formidables paradoxes du Maroc associent de riches ressources patrimoniales et naturelles à de graves retards d’équipements (des espaces ruraux marginalisés aux espaces urbains paupérisés). Ils ont creusé la fragmentation socio-spatiale ainsi que la fragilisation de milieux de vie séculaires et structurés, qui décrédibilisent le rayonnement du Maroc. Face à cela, la vigoureuse sectorialisation étatique n’est aujourd’hui plus la réponse soutenue.

La confrontation des priorités concurrentielles que sont d’une part, la préservation des ressources et, d’autre part, les objectifs sociaux de résorption de la précarité, est dorénavant affichée comme une stratégie gouvernementale qui annonce, depuis 1995, une volonté d’« instaurer les bases du développement durable, afin de répondre aux besoins nationaux en matière de gestion rationnelle des ressources naturelles et pour mieux intégrer les dimensions sociales et économiques (…) dans le cadre du processus de Rio et du Sommet Mondial de Développement Durable de Johannesburg »3

. Par cette déclaration d’intention, le Royaume marocain indique qu’il ajuste désormais son traitement territorial aux recommandations officielles édictées par les principes de la Déclaration de Rio. Ceux-ci accordent une place prépondérante à la protection de l’environnement comme partie

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intégrante des processus de développement (principe 4), tout en la conditionnant à une lutte contre la pauvreté (5) et en prenant en considération certains groupes sociaux comme les femmes, les jeunes et les communautés locales et autochtones (20 à 22).

1.1. L’identité multiple du Maroc et son positionnement géopolitique mondialisé

A la croisée de grandes régions supranationales, le Royaume du Maroc se plaît à affermir cette position stratégique de pivot que lui confère géographiquement et culturellement son territoire. S’éloignant des images tiers-mondistes de l’Afrique et des crispations identitaires ou révolutionnaires comme en Algérie, son atout a été de présenter au monde occidental l’image apaisée d’un état arabe de proximité, dont la continuité dynastique était un gage de stabilité politique en dépit de larges parts troubles (VERMEREN 2002). Car c’est en effet au travers des affrontements sourds entre le Palais et le parti de l’Istiqlâl, ainsi que des années de plomb qui ont stigmatisé la seconde moitié du XXème

siècle, que le Maroc indépendant a utilisé l’appareil d’Etat hérité des années de Protectorat pour élaborer la transition démocratique aujourd’hui portée par le représentant suprême de la dynastie alaouite, Mohamed VI (cf. encadré 2).

Pays émergent « du Sud », le Maroc est proche de l’Europe non seulement par l’appartenance méditerranéenne, mais également par son histoire récente adossée à l’expérience coloniale française qui a façonné la plupart de ses comportements institutionnels ultérieurs, ce qui est loin d’être anodin dans la question qui nous intéresse ici. Ses franges atlantiques et méditerranéennes représentent les interfaces de liaison cruciales, par lesquelles le Maroc cherche à se distinguer de ses voisins arabes et africains en investissant des partenariats spécifiques d’abord sous forme d’accords commerciaux, mais qui glissent aujourd’hui vers la recherche de relations plus subtiles à l’échelle de la régionalisation mondialisée. Ainsi depuis octobre 2008, l’UE des 27 reconnaît un « statut avancé » au Maroc qui conforte celui-ci dans l’image de voisin privilégié, concerné et surtout impliqué par les décisions prises au sein de l’UE, à l’instar des 4 pays non membres aujourd’hui regroupés dans l’Association Européenne de Libre-Échange (la Suisse et la Norvège rejointes par l’Islande et le Liechtenstein).

Le Maroc est bien sûr aussi l’angle nord ouest d’un continent Africain en voie de développement, qui cherche à exprimer des vitalités locales par la coopération avec la société civile (représentée par les ONG nationales ou internationales) et qui se rassemble

aujourd’hui de façon inédite autour de sa position de grande vulnérabilité environnementale. A cet égard, la récente déclaration d’Alger relative au changement climatique annonce comme « priorités africaines » la lutte contre la désertification et la dégradation des sols, ainsi que la sauvegarde des ressources en eau, en exhortant à la promotion « d’actions vigoureuses en matière d’adaptation et de réduction de la vulnérabilité»4. Dans ce grand tableau africain, il est cependant à noter l’isolement choisi du Maroc (1984) vis-à-vis de l’Organisation de l’Unité Africaine, rebaptisée

Union Africaine en 2002, alors qu’il en fut un état fondateur (1963). L’épineuse question du Sahara Occidental en est la cause, le Maroc marquant ainsi sa désapprobation à l’égard de la reconnaissance par l’UA d’une république sahraouie autonome5

revendiquant la souveraineté sur le territoire du Sahara occidental en frontière avec l’Algérie. Cela correspond pour le Maroc aux deux entités administratives que sont les régions en extrême Sud Ouest de

Laâyoune-Boujdour-Sakia el Hamra et de Oued ed Dahab-Lagouira6

.

Enfin le Maroc sous son appellation al Maghrib al Aqsa représente littéralement le pôle le plus occidental d’un monde arabe, qui s’exprime essentiellement au travers de l’islamisation en tant que marqueur culturel imposant et persistant. Plus régionalement, le Royaume du Maroc, ainsi défini depuis l’acquisition de l’Indépendance qui a transformé le Sultanat de Mohamed Ben Youssef en Monarchie Constitutionnelle proclamée en 1962, appartient à la formation élargie d’un Maghreb creuset d’identités vernaculaires maures et berbères. Toutefois, derrière une unité de civilisation que ne dément pas une réalité historique, l’émiettement des fractions tribales relatives à ce très ancien peuplement berbère, remontant à plusieurs siècles avant JC et qui est une constante patrimonialisée des arrière-pays montagneux et/ou désertiques, n’a pas représenté une réelle structuration sociétale, mais plutôt un contre-pouvoir utilisé au travers de complexes jeux d’alliances négociées ou arrachées par les dynasties successives.

Même si aujourd’hui au Maroc la tribu n’est plus une entité politique et administrative au devant de la scène, puisque le maillage territorial et la tutelle étatique ont contribué à la désofficialisation de ce type de pouvoir, les liens de lignage demeurent extrêmement

4

Conférence Africaine sur le Changement Climatique, novembre 2008

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La République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) a été autoproclamée en 1976 par le Front Polisario (Soulèvement politique armé qui s’est constitué pour mettre fin à l’occupation espagnole du Sahara et qui en a refusé l’annexion ultérieure par la Mauritanie et le Maroc). Bien qu’elle soit membre officiel de l’Union Africaine, la RASD n'est reconnue que par 32 pays en 2008, essentiellement situés en Afrique, Amérique du Sud, Asie du Sud Est (alors que 79 pays la reconnaissaient en 1989).

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Le cœur de la tension se situe au niveau marocain dans une filiation revendiquée vis-à-vis des tribus nomades issues d’une zone comprise entre l’Atlas et le fleuve Sénégal, berceau historique de trois des dynasties principales du « grand Maroc » précolonial : Almoravides, Almohades, Saadiens.

Encadré 2 – Le Maroc politique contemporain : de l’Indépendance de 1956 à l’alternance de 1999

Après des luttes intestines entre le Parti nationaliste de l’Istiqlâl issu de notables citadins (qui revendiquait la gestion de l’Etat-Nation puisqu’il avait fomenté la conquête de l’indépendance), et la dynastie alaouite revenue d’exil en appuyant son pouvoir sur une féodalité rurale toujours puissante, un appareil d’état modernisé se constitue à la fin des années 50 sur un partage de pouvoirs : l’autorité reste celle du Palais, mais elle concède sous pression nationaliste une part stratégique du pouvoir (intérieur et affaires étrangères). De ce gouvernement bicéphale et ambivalent dérive un climat de répression aux ramifications puissantes et complexes, faisant ressortir des tensions anciennes que la pacification forcée du Protectorat avait masquées. Intronisé en mai 1961, le nouveau souverain alaouite Hassan II qui succède à son défunt père Mohamed V, ex-sultan chérifien sous protectorat français, dote rapidement le royaume du statut constitutionnel, ce qui politise le régime en permettant de neutraliser l’héritage de l’Istiqlâl.

Très autoritaire et s’appuyant sur ses forces militaires, le régime est ébranlé par des crises violentes et des « affaires louches » jusqu’à la seconde moitié des années 70 (notamment les 2 coups d’états de 71 et 72) qu’il s’efforce de contenir dans le contexte fragilisant de la conjoncture économique dégradée. Non exportateur de pétrole et peu consommateur, le Maroc profite paradoxalement de la crise économique mondiale de 73 en valorisant ses gisements de phosphate, ce qui lui permet de financer un plan de relance volontariste en industrialisant fortement des secteurs légers et faciles d’exportation tels que le textile et l’agro-alimentaire. Cette croissance relative s’accompagne d’une « marocanisation » destinée à récupérer le foncier et les capitaux éparpillés depuis la décolonisation, afin de promouvoir une gestion patrimonialisée du territoire marocain par le royaume. Mais dans une décennie 80 pénalisée par la conjonction d’une période de sécheresse structurelle avec le retentissement de la crise mondiale sur les exportations d’un Maroc fortement agricole, l’endettement et son traitement curatif par une politique d’ajustement structurel imposent une libéralisation négative marquant la prédominance de l’économique sur le social. L’austérité budgétaire bloque les finances publiques supposées assurer le fonctionnement interne du pays (salaires, subventions), ce qui débouche sur des émeutes sociales inévitablement reliées au contexte des agglomérations bidonvillisées par les arrivées massives d’une paysannerie exsangue. L’alternance conçue dans les années 1990 amorce un processus de démocratisation qui décentre les organes consultatifs, la souveraineté demeurant bien sûr celle du Roi. Toutefois, la révision constitutionnelle de 1996 marque une double étape majeure dans l’assouplissement de ce régime autocratique de droit divin :

- d’une part l’élection au suffrage universel direct de la Chambre des Représentants instaure le bicaméralisme et l’ouverture à l’alternance gouvernementale qui se concrétise par l’accession à des postes-clefs dès 1998 d’anciens opposants ayant connu les années de répression

- d’autre part, la régionalisation mise en œuvre en 97 marque les essais d’une décentralisation qui traduit la reconnaissance du local et un désengagement progressif de l’Etat dans la gestion territorialisée, restant toutefois dévolue à la vision nationale et souveraine des affaires de l’état.

Bien que cette transition démocratique ait été engagée avant le décès de Hassan II en juillet 1999, dans un cheminement à la fois tortueux et volontariste, la figure emblématique en est celle de son successeur et fils Mohamed VI, devenu en quelque sorte ce Roi du peuple que la résistance au Protectorat, entamée à cause de l’exil de la famille royale en 1953, aspirait à mettre au pouvoir. Après une ébullition qui a marqué la rupture d’avec la rigidité sécuritaire en exhumant le passé trouble du Maroc contemporain, le pays s’est attelé à la recherche d’arguments démocratiques adaptés à une royauté construite sur le droit divin (MVI est Amir al Mouminine, c’est-à-dire chef spirituel et moral de la communauté islamique.

prégnants avec, en filigrane, toute une structuration sociale collective de base. Ainsi la tribu et ses fractions persistent au travers de référents identitaires et de cadre d’appartenance qui peuvent s’avérer primordiaux dans le contexte des élections communales. Nous reviendrons sur cette dimension en questionnant plus tard la validité des procédures participatives. Toujours est-il qu’à l’occasion de l’importante Fête du Trône, qui est un marqueur fort de l’allégeance civile des sujets marocains au pouvoir dynastique, les hauts-dignitaires berbères doivent réitérer leur fidélité au pouvoir souverain par une parole symbolique de soumission7

.

1.2. Un déséquilibre interne aux racines profondes

Le pouvoir central d’avant la colonisation, ou Makhzen, était fragilisé par la gestion permanente des conflits issus de l’architecture tribale qui prévalait historiquement dans l’imposante dorsale montagnarde de l’Atlas traversant le cœur du Maroc selon une diagonale Sud-Est/Nord-Ouest allant globalement d’Agadir à Oujda (carte 2).

Avant que le Protectorat français (1912-1956) n’impose des juridictions administratives sous forme de régions8

, l’Empire Chérifien surimposait à une trame de pouvoirs locaux un système de distinction binaire entre le territoire du Bled Siba, refusant l’autorité principale du Sultan, et celui du Bled Makhzen, constitué des entités soumises ou ralliées. Aussi, loin de parvenir à fonder une autorité régulatrice, le système makhzénien se trouvait « confronté à une mosaïque de spécificités humaines et culturelles qu’il devait gérer avec circonspection »9

. Cette situation de rapport de forces permanent, générée par une combinaison d’obédience et de défiance et appuyée par l’instabilité politico-sociale de populations installée dans des barrières montagnardes difficiles à atteindre comme à surveiller, a engendré ce que Mohamed NACIRI (1999) a appelé le stress territorial. Le pouvoir central pré-colonial maintenait son autorité en exploitant tant bien que mal les dissidences tribales des populations montagnardes et surtout en les isolant.

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Conçue en 1933 comme un soulèvement patriotique initié par les nationalistes pour défier la tutelle envahissante du Protectorat et réaffirmer l’autorité de Mohamed V, la Fête du Trône symbolise l’unité populaire des sujets marocains, qu’ils soient arabes ou berbères, vis-à-vis de leur souverain. Elle donne lieu chaque année à une cérémonie solennelle qui témoigne des liens unissant le roi à son peuple, le premier faisant le bilan de ses engagements pour la nation qu’il gouverne, tandis que le second certifie sa confiance par un serment d’allégeance.

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4 régions militaires (Agadir, Marrakech, Meknes, Fes) et 3 régions civiles (Casablanca, Rabat, Oujda).

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Sous-tendues par des objectifs de pacification stratégique, les années de Protectorat ont entériné cette dichotomie aux frontières virtuelles entre Bled Siba et Bled Makhzen, en rationalisant un encadrement sécuritaire des populations qui instaura de nouvelles pratiques d’organisation territoriale. Les deux principaux noms de la géographie coloniale, Jean CELERIER et Georges HARDY, considérèrent par le biais de la théorie du «syndrome ethnique» - soit la dualité structurelle de la population marocaine : arabe ou berbère10

- que le Maroc se scindait en deux entités distinctes qu’étaient d’une part le Maroc utile, modernisé par la colonisation européenne, et le Maroc inutile, souffrant de handicaps car «abandonné aux procédés indigènes». Le début du XXème

siècle marque ainsi la domination d’un Maroc utile, correspondant essentiellement aux couloirs littoraux et aux réseaux de grandes villes qui bénéficient des politiques de modernisation et des conditions de croissance

10

En mai 1930, le dahir berbère promulgue la co-existence des deux nationalités, en reconnaissant les compétences de la j’maâ et des tribunaux coutumiers berbères qu’il place sous juridiction pénale française (ANNEXE 5). Conçu par les juristes du Protectorat, ce dahir signé par le nouveau Sultan Mohamed V auquel il retirait toute autorité sur les populations berbères, fut aboli en 1934 suite à une alliance entre le jeune Sultan et les nationalistes qui préparaient l’Indépendance en prenant appui sur la représentation patriotique d’une figure dynastique susceptible de rassembler le peuple contre le colon occidental.

HAUT-ATLAS

13 communes urbaines 236 communes rurales

Support Source : DAT, SNAT, 2003 ©

C . F A U V E L , 2 0 0 9 RIF 20 communes urbaines 188 communes rurales MOYEN-ATLAS 22 communes urbaines 103 communes rurales

Carte 2 : Principaux massifs montagneux du Maroc

ANTI-ATLAS

8 communes urbaines 95 communes rurales

économique. Le reste du pays, difficile d’accès et par conséquent difficile à valoriser comme à contrôler, est pour l’essentiel maintenu dans un cadre militaire.

Toutefois, c’est surtout l’administration qui se contenta de cette théorie déterministe, car les travaux des géographes cités ont cheminé plus avant dans la réflexion. Ainsi CELERIER a-t-il travaillé sur un découpage davantage fondé sur les grands ensembles physiques, tandis que HARDY écrivait en 1933 que si « l’occupation pouvait et devait se borner momentanément aux régions productives, en somme aux plaines cultivées, l’on espérait que le reste se soumettrait à la longue par attraction. En réalité le Maroc utile, c’est tout le Maroc »11

. Cette dernière phrase nous intéresse particulièrement car, derrière un premier degré aussi prometteur que lénifiant, elle dit avec exactitude que chaque portion de l’espace marocain sert à quelque chose (sans parler d’équité). Or justement utiliser un espace comme surface d’évacuation des problèmes ou comme faire-valoir dans le moins pire des cas, c’est lui accorder tacitement une grande utilité ! Nous n’en resterons pas à cette seule interprétation et reviendrons plus longuement sur cette dimension de l’utile invisible ultérieurement.

Après l’indépendance acquise en 1956, une nouvelle institution marocaine12

s’installe durablement dans une gestion territorialisée fondée sur un contrôle centralisateur strict qui, en verticalisant la représentation territoriale, dépèce et fige des compétences tribales mouvantes et peu adaptées à une telle organisation étatique. Il s’ensuit une perte de sens de la complémentarité des terroirs entre les terrains de pacage, de parcours et leurs piémonts, éclatés à la fois par le découpage et la sectorialisation ministérielle. La marginalisation socio-économique de l’espace rural montagnard traditionnellement tribal s’explique aussi conjoncturellement par les choix stratégiques opérés dès 1960. Ceux-ci ont favorisé la rentabilité agraire et non la paysannerie, dans un contexte mondial où le paradigme de la croissance économique comme vecteur privilégié de croissance sociale représentait alors le modèle capitaliste de développement par opposition stricte à l’idéologie socialiste. Les modalités de cette planification ont conduit à une fragmentation socio-spatiale entre les plaines agricoles fertiles (en particulier Souss et Haouz) ayant fait l’objet de lourds investissements hydrauliques (barrages, pompage des nappes, systèmes de canaux pour les périmètres irrigués), et les vallées montagnardes reléguées dans une économie sylvo-pastorale de subsistance. L’état reconnaît d’ailleurs aujourd’hui que « si les espaces de montagne sont

11

Cité par M. Naciri. Ibid.

12

La monarchie ayant permis de rompre avec la tradition médiévale du sultanat en hybridant l’héritage chérifien et le sentiment national populaire.

d’une fragilité extrême (…) à l’origine du mal, il y a le processus de dépossession territoriale qui a établi une rupture entre les populations et la gestion de leurs terroirs »13

.

1.3. La rénovation statique de l’architecture centralisatrice

Dans un empire chérifien précolonial constamment remodelé en fonction des rapports de soumission avec le bled Siba et ne possédant donc pas de relais territoriaux stables pour la diffusion de l’action makhzénienne, l’expérience protectorale a déclenché la mise en œuvre d’une architecture administrative stimulant le contrôle de l’autorité. Le découpage et le bornage cadastral du territoire ont amorcé une phase de consolidation du pouvoir centralisateur, appuyé sur une pratique délégative vigoureuse. Les 7 régions d’encadrement héritées à l’Indépendance ont été renforcées par la création d’entités administratives sur le modèle Français, que le dahir de décembre 1959 a institué en 14 provinces et 2 préfectures14

correspondant aux espaces fortement urbanisés de Rabat-Salé et Casablanca.

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DAT, SNAT, proposition n°4 du fascicule « Les orientations », p.22

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Il est à noter que la distinction entre province et préfecture ne revêt pas une différence de statut juridique mais attribue aux préfectures une gestion spécifique aux problématiques des grandes agglomérations urbaines.

Régions Provinces

Communes Source carto : DAT,2003

4 6 5 3 7 9 8 1 2 16 15 14 13 12 11 10 Carte 3 : Découpage administratif du territoire marocain

Tanger-Tetouan : 3+2 (2,1) Gharb-Chrarda-Beni Hssen : 0+2 Taza-Al Hoceima-Taounate : 0+3 (1,7) Oriental : 0+6 (1,8) Fes-Boulmane : 4+1(1,4) Meknes-Tafilalet : 2+4 (2) Rabat-Sale-Zemmour-Zaer : 3+1(2) Grand Casablanca : 8+2 (3) Chaouia-Ouardigha : 0+3 (1,55) Doukhala-Abda : 0+2 (1,8) Marrakech-Tensift-Al Haouz : 3+4 (3) Tadla-Azilal : 0+2 (1,3) Souss-Massa-Draâ : 2+5 Guelmin-Es Smara : 0+5 Laâyoune-Boujdour- Sakia : 0+2 Oued Ed Dahab-Lagouira :1+1(0,37) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16

Régions : Préfectures+Provinces (population en millions)

© C . F A U V E L , 2 0 0 9

Le maillage administratif s’est fait de plus en plus précis au fil du temps, afin de maîtriser l’étendue des circonscriptions créées, en particulier en milieu rural. Le Maroc est aujourd’hui découpé en 16 régions, créées suite à la réforme constitutionnelle de 1996. Elles sont subdivisées en 71 provinces et préfectures pour descendre dans l’échelonnement administratif jusqu’aux 1547 circonscriptions communales (1298 rurales et 249 urbaines), agrégeant elles-mêmes des ensembles de douars plus ou moins éparpillés dans le cas des communes rurales. Cet emboîtement dense recouvre une grande complexité, mêlant à une ancienne approche conservatiste et sécuritaire la nécessité de réformer l’interventionnisme d’un appareil d’état conçu comme le garant de l’efficacité économique.

La thèse publiée de Tarik ZAÏR (Toulouse I, 2006) portant sur la problématique de la gestion décentralisée du développement économique au Maroc pointe l’inadéquation entre des