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Durabilité des programmes d’amélioration génétique

De tout ce qui précède, il convient d’extraire une leçon fondamentale, qui est que les ressources génétiques animales ne sont pas seulement une entité biologique. Ce sont des biens publics, gérés par un collectif, exprimant une relation forte avec un territoire, des traditions et une adaptation à des systèmes de production (Selmi et Joly, 2014). Ainsi la durabilité d’un programme de sélection d’une race doit répondre à cette compréhension de la ressource génétique comme entité socio-technique et biologique complexe. Par exemple, la multifonctionnalité du bétail des pays en développement est mobilisée pour définir les objectifs et établir les critères de sélection des futurs reproducteurs (Roosen et al., 2005). Ignorée, cette multifonctionnalité pourrait constituer une barrière pour la pérennisation des programmes de sélection ne visant seulement que des objectifs de production bouchère ou laitière (Philipsson et al., 2011). Par ailleurs, les stratégies longtemps retenues, telle que la centralisation des programmes dans les fermes étatiques et les stations de recherche, sont de plus en plus jugées non durables, car impliquant faiblement les bénéficiaires finaux (Haile et al., 2011). Cette implication des bénéficiaires finaux doit être comprise comme la traduction de la prise en compte des dimensions à la fois économiques, techniques, sociales et culturelles de la race animale. Plus souvent initiés par les gouvernements, ces programmes ne sont soutenus que par des financements et par des actions isolées et limitées dans le temps des ONG ou de la recherche (Haile et al., 2011). De ce fait, ces financements ne sont pas compatibles avec le caractère à long terme des programmes de sélection. Selon ces considérations, les facteurs de non durabilité des programmes de sélection peuvent se classer en quatre catégories : (1) l’inadéquation des objectifs de sélection avec les intérêts des éleveurs, (2) le défaut de ressources financières et humaines, (3) la stratégie de sélection inadaptée et (4) la faible implication des éleveurs et de leur collaboration avec les autres parties prenantes.

12 6.1. Inadéquation avec les objectifs des éleveurs

Les objectifs fixés sont la clé de réussite d’un programme d’amélioration génétique. C'est la première étape et la plus décisive car elle conditionne tout le reste du processus (Minvielle, 1990). Cette étape consiste à fixer la finalité de l'amélioration génétique et elle aboutit à la définition d'un objectif général, qui est l'orientation globale que l'on veut donner à la population. Cet objectif doit être accepté au préalable par les éleveurs de la race à améliorer. Son identification doit découler d’une démarche participative impliquant les éleveurs. Le schéma de sélection appliqué doit répondre à leurs besoins actuels et futurs (Bennison et al., 1997). Les premiers programmes développés en Afrique, plus souvent implantés dans les stations de recherche, avaient des objectifs définis par la recherche, souvent disjoints de ceux des bénéficiaires finaux. C’est le cas au tout début du programme de sélection du bovin N’Dama au Sénégal, qui visait alors uniquement des performances bouchères. Après quelques années de fonctionnement, ce programme fut contraint d’intégrer le lait parmi les objectifs de sélection pour tenir compte des besoins des éleveurs afin de les faire participer davantage (Diop et al., 1993 ; Sissokho et al., 1993). Pour satisfaire ces besoins des éleveurs et lever cette contrainte d’inadéquation, plusieurs approches ont été développées pour définir les objectifs de sélection. Parmi celles-ci , les approches participatives et les approches bioéconomiques ont été utilisées dans les pays en développement (Mwacharo et Drucker 2005 ; Roosen et al., 2005 ; Ejlertsen, 2013 ; Salces et al., 2014 ; Asefa etal., 2015).

6.2. Ressources financières insuffisantes

La viabilité des programmes de sélection dépend des considérations techniques mais aussi financières. L’une des causes majeures de l’échec de beaucoup de programmes de sélection est l’absence de lignes de financement structurantes à long terme au sein des budgets gouvernementaux. Les programmes gouvernementaux considèrent le croisement comme ayant des objectifs plus facile à atteindre (FAO, 2010), dont l’horizon temporel est davantage en adéquation avec l’horizon politique, électoral. L’avènement des biotechnologies de production (l’insémination artificielle particulièrement), en outre favorisée par leur image de modernité, a ouvert une voie encore élargie au croisement, qui avait déjà bénéficié des moyens conséquents pour améliorer la production animale en Afrique de l’Ouest et de l’Est (Kamuanga et al., 1999 ; Ilatsia et al., 2012; Roschinsky et al., 2015). Ainsi, les rares financements des activités de sélection en race pure sont apportés par des projets de recherches ou des appuis isolés des ONGs ou des agences de coopération internationale. Les charges inhérentes à la gestion des programmes de sélection telles que l’alimentation ou la gestion sanitaire des animaux ne sont pas totalement prises en charge par ces bailleurs. C’était le cas du programme ONDY au Mali où l’échec a été imputé au coût élevé de ces charges (Berti et al., 1995). D’autres charges, non moins négligeables, peuvent concerner le soutien aux producteurs (compensation financière ou subvention en nature). Il peut paraitre incongru d’accorder une compensation financière aux bénéficiaires directs. Mais, beaucoup d’études ont montré que les programmes d’amélioration génétique des pays en développement qui

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réussissent sont ceux qui ont apporté une subvention aux éleveurs (Abdulai and Huffman, 2005 ; Roschinsky et al., 2015). Ce point sera repris et développé dans l’analyse de nos travaux.

6.3. Stratégies de sélection non adaptées et faible implication des éleveurs

Les stratégies développées peuvent varier selon les espèces, les objectifs, les ressources disponibles ou selon la vision des prescripteurs. Les premiers programmes étaient basés sur des systèmes à noyau fermé centralisé dans les fermes étatiques ou dans des stations de recherche (Fall et al., 1982, Berti et al., 1995, Haille et al., 2011 ; Siddo et al., 2015). Dans ces programmes, les éleveurs étaient des acteurs passifs recevant seulement le progrès génétique issu du noyau de sélection. Les conséquences de cette stratégie étaient leur faible implication entrainant ainsi une faible diffusion du progrès génétique. Le faible intérêt des éleveurs aux programmes de sélection peut aussi être expliqué par la perception qu’ils ont de cette méthode d’amélioration génétique qu’ils considèrent caduque par rapport à celle utilisant le croisement considéré comme un symbole de modernité pour répondre à leurs objectifs (Siddo et al., 2017). Toutefois, étant les propriétaires des animaux, aucune stratégie utilisée ne peut être durable sans leur participation (Kosgey et al., 2006 ; Philipsson et al., 2011 ; Leroy et al., 2017). Ainsi, des stratégies visant à améliorer cette participation ont été développées : participation à la conception et à la définition des objectifs de sélection et participation à la coordination du programme. L’une des méthodes utilisées pour définir les objectifs de sélection est de demander l’avis des éleveurs (Bosso et al., 2007). Cette méthode participative aurait l’avantage d’engager les éleveurs dans le reste du processus de sélection, leur permettant ainsi un contrôle sur le respect de leurs objectifs. Toutefois, cet engagement ne serait efficace que s’il est effectué dans un cadre collectif. Ainsi, l’organisation des activités de sélection par des communautés d’éleveurs est vue comme un outil institutionnel de durabilité. Développés dans des pays en développement, les programmes de sélection à base communautaire (CBBP, pour Community- based breeding programs) sont présentés comme une alternative aux programmes de sélection centralisés où l’implication des éleveurs n’est pas toujours effective (Duguma 2010; Duguma et al., 2012; Haile et al 2011; Abegaz et al., 2014; Wurzinger et al., 2013 ; Mueller et al., 2015). Ce modèle met les éleveurs au cœur du processus de sélection, dans lequel ils assurent à la fois la production et la diffusion du progrès génétique. Par contre, selon d’autres études, la CBBP conviendrait mieux aux élevages familiaux de petits ruminants des pays en développement du fait d’une faible interaction entre les éleveurs et les autres parties prenantes (Mueller et al., 2015). En effet dans beaucoup des pays en développement, les petits ruminants sont souvent élevés par les catégories vulnérables de la population notamment les femmes et les jeunes. De ce fait, une faible interaction entre les pouvoirs publics et ces catégories d’éleveurs est observée concernant ces espèces, contrairement au cas de l’espèce bovine où des politiques pour l’autosuffisance en lait sont élaborées et organisent une intervention des gouvernements et des autres parties prenantes. La CBBP constituerait ainsi un désavantage si elle est appliquée aux bovins. Concernant cette dernière espèce, Kahi et al. (2005) proposent un modèle d’organisation communautaire appuyée par des partenaires techniques et financiers (CBOGIL, pour

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Community-based organizations for the genetic improvement of livestock), où les éleveurs sont les acteurs principaux de l’organisation, et les partenaires du développement sont les membres stratégiques. L’analyse de chacun des facteurs décrits ci-dessus contribue à comprendre les causes de réussite ou d’échecs de pérennisation des programmes de sélection bovine des systèmes à faibles niveaux d’intrants des pays en développement.