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C HAPITRE III : VARIATIONS DE L'ARTICULATION LINGUALE DES CONSONNES ET VOYELLES EN FONCTION DE LA POSITION

A.3. Durée du geste d'occlusion

Nous avons vu dans les sections précédentes que la position prosodique d'un segment influence le degré et la dispersion des contacts de la langue sur le palais. Ainsi pour les occlusives /t, n, k/, les caractéristiques spatiales de l'articulation consonantique varient en fonction de la position prosodique. Or, un geste articulatoire38 n'existe pas seulement dans l'espace, mais aussi dans le temps. Dans cette section, nous chercherons donc à savoir si les caractéristiques temporelles de l'articulation linguale sont également modifiées par la position prosodique de la consonne.

L'électropalatographie ne permet pas d'observer le déroulement temporel complet du mouvement de la langue. L'apparition du contact ne correspond pas au début du déplacement de la langue vers le palais, mais au point où celle-ci entre en contact avec le palais. De même, la disparition du contact ne correspond pas à la fin du mouvement de la langue mais au relâchement de l'occlusion. L'électropalatographie renseigne donc uniquement sur la durée du geste d'occlusion de la langue sur le palais.

Pour les consonnes occlusives, j'ai mesuré la durée de l'occlusion linguale sur les profils de contact entre la première image présentant une occlusion complète et la dernière image avant la cassure du barrage occlusif. Il faut rappeler que la fréquence d'échantillonnage des données palatographiques est de 100 Hz. Les mesures de la durée de l'occlusion doivent donc être considérées avec une erreur de 9 ms. Puisque cette erreur est constante et puisque les intervalles occlusifs comparés entre les positions prosodiques sont mesurés tous de la même manière, il ne semble pas que ceci puisse être source d'erreur dans nos comparaisons.

38 J'utilise ici le mot "geste" dans un sens pré-théorique, au sens d'événement articulatoire. Il ne s'agit pas ici du Geste défini dans la Phonologie Articulatoire comme unité minimale de contraste, ou comme structure minimale de contrôle d'un mouvement articulatoire [voir p. ex. Browman & Goldstein 1992].

Les durées de l'occlusion linguopalatale sont présentées dans les figures 3.10 a, b, c pour les trois occlusives et par locuteur. Les résultats des comparaisons statistiques sont présentés dans le tableau III-4a.

• La durée de l'occlusion des trois consonnes occlusives varie, elle aussi, en fonction de la position prosodique. A l'image des variations du degré de contact linguopalatal, les consonnes placées au début des constituants prosodiques élevés tendent à avoir une occlusion plus longue. Pourtant, lorsqu'on compare le nombre de positions différenciées par le degré de contact ou par la durée de l'occlusion, il apparaît que les variations temporelles distinguent moins de positions prosodiques (comparaison tableau III-4a et III-1). Le locuteur 1F perd la distinction entre Si et Mi pour /n/, entre Mi et GAi pour /k/. Il gagne une distinction entre GIi et Pi pour la consonne /t/. Le locuteur 2M, perd la distinction entre Mi et Si ou GAi pour /n/, entre GIi et Pi pour /t/. Pour /k/, les même positions sont distinguées par la durée de l'occlusion et le degré de contact.

Figure 3.10 Durée de l'occlusion linguale pour les occlusives /n/ (a), /t/ (b) et /k/ (c) en fonction de la position prosodique. (pour les abréviations des positions, cf. figure 3.1)

0

50

100

150

200

250 Loc. 1F Loc. 2M

ms.

Si Mi GAi GIi Pi Si Mi GAi GIi Pi

a. /n/

0

50

100

150

200

250 Loc. 1F Loc. 2M

ms.

Si Mi GAi GIi Pi Si Mi GAi GIi Pi

b. /t/

0

50

100

150

200

250 Loc. 1F Loc. 2M

ms.

Mi GAi GIi Mi GAi GIi

Tableau III-4a : Durée de l'occlusion linguale des consonnes /n/, /t/ et /k/. Comparaisons entre positions prosodiques. Résultats statistiques des tests ANOVA (1 facteur "position") et des comparaisons par paire effectuées par un test post-hoc Ficher PLSD. "ns" = p ≥ 0,05. "*" = p < 0,05.

Locuteur 1F Locuteur 2M

/n/ F(4,92)=186,9; p=0,0001 Si, Mi <* GAi <* GIi, Pi

F(4,89)=89,6; p=0,0001

Si <* GAi <* GIi, Pi ; Mi <* GIi, Pi /t/ F(4,97)=166,9; p=0,0001

Si <* Mi, GAi <* GIi <* Pi

F(4,97)=78,5; p=0,0001 Si, Mi <* GAi <* GIi, Pi /k/ F(2,43)=33,1; p=0,0001

Mi, GAi <* GIi

F(2,42)=81,6; p=0,0001 Mi, GAi <* GIi

Tableau III.4 b: Coefficients de corrélation (r2) entre le degré de contact linguopalatal (sur tout le palais) et la durée de l'occlusion linguale. Données pour les deux locuteurs et les trois consonnes /n, t, k/. En (a) corrélations calculées sur l'ensemble des données, en (b) corrélations calculées uniquement pour les consonnes en Si, Mi, et GAi (non précédées de pause).

Locuteur 1F Locuteur 2M /n/ (a) 0,63 0,76 (b) 0,66 0,63 /t/ (a) 0,60 0,60 (b) 0,61 0,47 /k/ (a) 0,20 0,60 (b) 0,0001 0,003

La position prosodique affecte donc les caractéristiques spatiales et temporelles de l'articulation des consonnes mais elle a plus d’influence sur le plan spatial. Comme on l'a dit précédemment, les caractéristiques spatiales et temporelles d'un geste sont intimement liées : la constriction de la langue sur le palais peut être plus importante parce que le geste d'occlusion est plus long et, inversement, le geste d'occlusion peut être plus long parce que la langue se déplace plus loin vers le palais. Les relations entre degré de contact linguopalatal (total) et durée du geste d'occlusion sont estimées par la corrélation entre ces deux variables. Les coefficients de corrélation sont présentés dans le tableau III-4b.

• Plus de la moitié de la variance du degré de contact est prédictible à partir de la variance de la durée d'occlusion pour les deux locuteurs pour /n/ et /t/, et pour le locuteur 2M pour /k/ (r2>.5). Pour le locuteur 1F, seul 20% (r2=.2) de la variance du degré de contact de /k/ peut être expliqué par la variance de la durée d'occlusion. Il existe donc une relation entre les deux variables, mais les caractéristiques temporelles de l'articulation consonantique ne déterminent qu'une partie de ses caractéristiques spatiales, et vice-versa.

Sur la figure 3.10, il apparaît clairement que deux grands groupes se distinguent par la durée de l'occlusion : les débuts de GI et P ont une occlusion très longue, les positions inférieures ont une durée plus courte. Les deux positions GIi et Pi, se distinguent également des positions inférieures par la présence d'une pause. L'augmentation de la durée de l'occlusion pour les consonnes précédées d'une pause n'indique pas seulement que ces consonnes sont plus longues, mais surtout que l'articulation linguale commence pendant la pause (i.e. la pause est articulée). Ce phénomène est particulièrement net pour la consonne sonore /n/ et est illustré sur la figure 3.11 qui présente deux exemples de la suite /a#na/ produite par le locuteur 1F en GIi (graphe supérieur) et par le locuteur 2M en Pi (graphe inférieur). Sur chaque graphe sont présentés (1) le signal acoustique, (2) la trajectoire de contact exprimée en % d'électrodes contactées sur les 96 électrodes du palais (ordonnée) en fonction du temps (abscisse), (3) un profil de contact pendant la pause (point B), et (4) le spectrogramme de la séquence. Dans ces exemples, et pour la plupart des /n/ analysés, l'augmentation du contact linguopalatal (point C) et le début de l'occlusion linguale complète (point D) se font bien avant le début des vibrations laryngées (point E), donc avant le début acoustique de la consonne. Pour les consonnes sourdes il est bien sûr impossible de délimiter le début acoustique de la consonne. Pourtant, l'examen du profil de contact et de la durée des gestes

d'occlusion présentés figure 3.10 suggèrent que le maximum d'occlusion arrive aussi très tôt pendant la pause (p. ex., environ 200 ms avant le relâchement de l'occlusion pour les /t/ du locuteur 2M). La mise en place anticipée des articulateurs avant le début de la phonation et pendant la pause a été également observée (bien que non mentionnée dans la publication) dans le corpus en /nonono/ utilisé par Fougeron et Keating (1997) pour l’anglais-américain39.

En ce qui concerne le degré de contact ou la durée de l'occlusion linguale, les variations en fonction de la position prosodique ne sont pas limitées à une différence entre positions avec pause et positions sans pauses. Les positions sans pauses (Si, Mi et GAi) se différencient également par ces variations articulatoires. Dans le calcul de la corrélation entre degré de contact et durée de l'occlusion, il est possible que la corrélation soit exagérée par la présence des positions GIi et Pi qui ont un contact particulièrement important associé à une occlusion très longue. La corrélation entre variables temporelle et spatiale pourrait alors ne tenir qu'au statut particulier des consonnes précédées d'une pause. Pour tester cette hypothèse, j'ai examiné uniquement les positions non précédées d'une pause, c'est à dire les positions Si, Mi, et GAi pour /n/ et /t/, et les positions Mi et GAi pour /k/. Ces données sont indiquées dans le tableau IV-b par la lettre (b).

• Pour les deux locuteurs, l'exclusion des positions GIi et Pi modifie peu (Loc. 1F) ou diminue légèrement (Loc. 2M) la corrélation entre le degré de contact et la durée de l'occlusion pour les consonnes /n/ et /t/. Pour la consonne /k/, lorsque l'on ne considère que les position Mi et GAi, il n'y a pas de corrélation entre degré de contact et durée de l'occlusion pour les deux locuteurs.