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Prolongement 1. La langue, ressort et enjeu de la force symbolique de l’État

2. Du côté de l’analyse historique et socio-politique

attachés à l’intégration européenne152. Sans doute cette focalisation sur des situations où les enjeux politiques des questions linguistiques apparaissent particulièrement saillants a-t-elle sa logique. Elle présente toutefois au moins deux inconvénients : celui de délaisser l’étude des situations qui, comme dans la plupart des pays européens, apparaissent en comparaison « pacifiques » voire sans problème ; celui, plus général, de réduire le politique au conflit ouvert et, partant, de laisser échapper l’essentiel des modes d’exercice du pouvoir politique. Qu’en est-il alors des travaux sur les politiques linguistiques dont le point de départ est plus politique que linguistique ?

2. Du côté de l’analyse historique et socio-politique

En dehors des linguistes — parfois en lien avec eux — historiens, politistes et — plus rarement — sociologues ont également abordé les questions relatives aux politiques de la langue. Ils les traitent le plus souvent comme l’une des dimensions d’objets plus vastes, autour de deux principaux axes distincts bien que liés l’un à l’autre : la formation historique de l’État et l’unification nationale ; les concurrences linguistiques intra et internationales153.

On rappelait en commençant les liens qui unissent les questions linguistiques à la formation des États. C’est avec la constitution historique du cadre étatique que s’élabore si ce n’est la langue elle-même, au moins le cadre légitime de ses usages. À la manière du marché économique, constitué et unifié à la faveur de l’émergence de l’État doté du monopole de l’émission monétaire, la constitution d’un marché linguistique unifié a partie liée avec le processus de constitution de l’État154. En s’imposant comme centre unique du pouvoir politique, l’État national impose en même temps une langue unique, pour ses propres agents, pour les actes juridiques puis par l’intermédiaire du système scolaire progressivement généralisé. Cette langue est standardisée, codifiée, sinon dans

152 Voir par exemple Labrie Normand, La construction linguistique de la communauté européenne, Paris, Champion, 1993 ; Truchot Claude (dir.), Le plurilinguisme européen, Paris, Champion, 1993.

153 Rares sont en effet les travaux qui, à l’instar de ceux de Padraig Ó Riagáin sur l’Irlande, sont centrés sur « l’encastrement » des politiques linguistiques dans les transformations socio-économiques. Cf. le compte-rendu paru dans Language in society, 1999 28 (1), p..127-130 de Ó Riagáin, Padraig, Language

policy and social reproduction : Ireland 1893-1993, Oxford, Clarendon Press & New York, Oxford

University press, 1997. On n’a malheureusement pas pu prendre directement connaissance de cet ouvrage.

154 Bourdieu Pierre, Ce que parler veut dire, op. cit. ; De Swaan Abram, Sous l’aile protectrice de l’État, Paris, PUF, 1995, p. 103 et suivantes.

des textes juridiques produits par l’État, ai moins par des institutions qui, comme l’Académie française, lui doivent leur existence. Si la langue unique apparaît comme un produit étatique, elle forme aussi l’une des ressources utiles à l’affirmation du pouvoir d’État155, en réduisant les risques que les velléités autonomistes peuvent faire courir à la centralisation, en s’instaurant comme le dépositaire d’un bien collectif (le « trésor » de la langue), en imposant le mode de communication nécessaire à l’acquisition de positions de pouvoir.

C’est sous la forme historiquement dominante de l’État-nation que les liens entre la langue et l’État sont le plus fortement affirmés. La formation et l’affirmation de cette communauté politique qu’est la nation passe de fait généralement par la constitution d’une communauté linguistique différenciée des autres, dotée entre autres d’une littérature propre156. Certains travaux récents sur l’histoire de la nation et du nationalisme ont intégré cette dimension à l’analyse157. L’essai de Benedict Anderson sur « l’imaginaire national » insiste entre autres sur le rôle de l’imprimerie comme vecteur de diffusion de modes de pensée et de communication propre à une communauté dans la constitution du sentiment national et consacre plusieurs développements à la langue158. Plus encore, la synthèse d’Eric Hobsbawm propose d’intéressantes pistes sur le rôle de la langue dans l’identification de l’État et de la nation (p. 176 et suivantes), en revenant notamment sur l’émergence d’une statistique linguistique d’État au milieu du XIXe siècle (p. 182-188). L’auteur analyse également les modalités d’imposition du critère ethnolinguistique de définition de la nation au cours du XIXe siècle, liée au « glissement vers la droite des thèmes de la nation », en la rapportant aux transformations sociales entraînées par le développement de l’instruction (p. 189-228)159.

Pour la période récente, la dimension linguistique de l’édification nationale a été bien montrée dans les travaux consacrés aux pays issus de la décolonisation160. Et ce sont

155 Bourdieu Pierre, « Esprits d’État », art. cit.

156 Il y a bien sûr des exceptions, dont la Suisse est un bon exemple.

157 Voir les exemples donnés dans Smith Anthony D., Nationalism and modernism. A critical survey of

recent theories of nations and nationalism, London & New York, Routledge, 1998, notamment p. 234,

note 9. C’est cependant loin d’être toujours le cas. L’un des plus importants ouvrages récents de sociologie historique du nationalisme, celui d’Ernest Gellner, n’y prête ainsi pas d’attention. Gellner Ernest, Nations et nationalisme, Paris, Payot, 1989. Je remercie Yves Déloye de m’avoir aidé à me repérer dans cette littérature.

158 Anderson Benedict, L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996 (1983). Voir en particulier les chapitres 4 et 5, p. 77-118.

159 Hobsbawm Eric, Nations et nationalisme depuis 1780, Paris, Gallimard, 1992.

160 Les principales références en la matière citées dans les ouvrages de référence mentionnés plus haut sont Das Gupta Jyotitinra, Language Conflict and National Development, Berkeley, University of

avant tout ces pays qui ont fait l’objet de recherches spécifiquement consacrées aux politiques linguistiques. Les choix linguistiques ont en effet compté parmi les principaux vecteurs de l’affirmation nationale, avec la réinvention d’une histoire et d’une culture communes ou le culte des mythes et des héros fondateurs161. Retour et-ou reconstruction d’une langue originelle pré-coloniale, sélection des langues officielles et nationales parmi les idiomes en usage… ces choix ont aussi souvent compté parmi les plus problématiques. Dans la plupart des cas, la décolonisation linguistique était en effet loin d’aller de soi : le fréquent plurilinguisme des États se superposant à une composition pluriethnique, choisir une langue nationale unique c’était aussi marquer la suprématie d’un groupe sur les autres, entraînant des conflits parfois très violents. Au point que la langue de l’ancien pays colonisateur soit finalement conservée pour éviter les conflits, comme au Kenya, où l’anglais est la seule langue officielle, que le choix se porte sur une langue minoritaire mais aussi véhiculaire — et à ce titre, non associée à un groupe particulier — comme le malais en Indonésie, ou encore (c’est le cas semble-t-il exceptionnel de Madagascar) qu’une nouvelle langue (en l’espèce le malgache commun) soit véritablement inventée, par hybridation des différents dialectes en usage162.

Ce lien entre langue et édification nationale n’est pas resté sans conséquences sur les productions savantes consacrées aux questions linguistiques. Si ces dernières ont pu être mises au service de la « cause » nationale, en France, ce lien a plutôt détourné les historiens de l’analyse de la langue nationale. Alors que l’histoire de la langue a été constituée comme instrument de l’édification nationale par les historiens allemands au début du XIXe siècle, cette entreprise était peu légitime au regard de ce qu’il est convenu d’appeler la conception française de la nation. Les philosophes français du siècle des Lumières avaient associé les notions de nation et de langue163 ; mais l’on sait qu’au nom du caractère nécessairement volontaire de l’adhésion nationale, la représentation de la nation qui s’impose en France à partir de la IIIe République — notamment sous l’influence d’un Renan — récuse, avec la race et la religion, la langue comme élément fondateur du « droit national »164. Objet des luttes pour la définition

California Press, 1970 ; Fishman Joshua A., Language and Nationalism, Cambridge, Newbury House, 1973 ; William Colin H., Called into Liberty ! On Language and Nationalism, Multilingual matters, Clevedon, 1994.

161 Voir de manière générale Bayart Jean-François, L’illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996.

162 Les études de cas sont en la matière très nombreuses. Voir notamment les exemples donnés dans Calvet Louis-Jean, op. cit., et Lapierre Jean-William, Le pouvoir politique et les langues : Babel et

Léviathan, Paris, PUF, 1988.

163 Voir Achard Pierre, La sociologie du langage, Paris, PUF, 1993, p. 115-116.

légitime de la nation entre Allemands et Français165, la question de la « langue nationale » est ainsi relativement délaissée par l’histoire classique de la nation en France. Elle est écartée une seconde fois, en même temps que les questions liées à la nation — les « grands hommes » et les batailles — à la faveur du développement de l’histoire sociale.

Au-delà du cas de la discipline historique en France, il a plus généralement fallu attendre la prise en compte relativement récente des questions liées à la construction sociale des réalités nationales dans les sciences sociales166 pour que se développent des travaux sur les politiques linguistiques. Les liens entre langue et nation ont alors pour conséquence la focalisation des travaux sur les périodes critiques de l’édification nationale. Les analyses portant sur la seconde moitié du XXe siècle concernent de fait essentiellement les pays issus de la décolonisation167, tandis que l’étude des pays européens reste concentrée sur les XVIIIe et XIXe siècles168. Dans le cas français, une attention particulière est portée à la période révolutionnaire169 et, dans une moindre mesure, aux débuts de la IIIe République170 — davantage étudiés sous l’angle de la question scolaire. La politique de la langue française pour la période postérieure à la seconde guerre mondiale a comme on l’a vu été intégrée à la marge de travaux linguistiques ; elle fait l’objet de quelques études juridiques, mais il n’est pour ainsi dire pas d’analyse qui parte de leur dimension sociale et politique171. Il y a bien une thèse de science politique partiellement publiée consacrée à la politique de la langue française de 1960 à 1994 ; ses apports se limitent toutefois à des informations brutes, essentiellement

165 Noiriel Gérard, « La question nationale comme objet de l’histoire sociale », Genèses, 4, mai 1991, p. 72-94.

166 Noiriel Gérard, « La question nationale… », art. cit.

167 Pour un exemple intéressant de ce type de travaux, voir Dua Hans R., « The National Language and the ex-Colonial Language as Rivals : The case of India », International Political Science Review, 14 (3), July 1993, p. 293-312.

168 Von Busekist Astrid, La Belgique. Politique des langues et construction de l’État, Paris-Bruxelles, Duculot, 1998.

169 Balibar Renée, Laporte Dominique, Le français national. Politique et pratiques de la langue

nationale sous la Révolution française, Paris, PUF, 1974 ; De Certeau Michel, Julia Dominique, Revel

Jacques, Une politique de la langue. La Révolution française et les patois, Paris, Gallimard, 1975.

170 Roselli Mariangela, La langue française entre science et République, 1880-1950, Thèse de doctorat en science politique, Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, 1994. L’essentiel de ce travail porte en fait sur la période antérieure à 1914.

171 Ce n’est que partiellement et imparfaitement le cas du travail de Claudie Baudino qui, hésitant entre la chronique politico-institutionnelle des débats et décisions sur la féminisation et une analyse d’inspiration plus directement linguistique ne produit pas ce qu’on pourrait attendre d’une sociologie de la politique de la langue. Baudino Claudie, Politique de la langue et différence sexuelle, op. cit.

d’ordre institutionnel, noyées dans des lieux communs en faveur de la « défense du français »172.

Si les travaux sur l’édification stato-nationale constituent la majeure partie des analyses prenant pour objet — ou au moins prenant en compte — les politiques de la langue, ils n’en forment toutefois pas la totalité. Un autre axe, lié au précédent, peut être dégagé, cette fois autour des concurrences et conflits linguistiques. En effet, si l’existence d’une situation conflictuelle forme souvent une condition nécessaire à ce que des linguistes intègrent des dimensions politiques et sociales à leurs travaux (cf. supra), cela détermine également l’intérêt que sociologues et politistes portent aux enjeux linguistiques.

Cette « guerre des langues » peut se dérouler à l’intérieur des États. Il s’agit alors d’analyser les fondements ou les expressions linguistiques de conflits communautaires (comme dans le cas de la Belgique), ou de revendications séparatistes (c’est le cas par exemple avec les nationalismes corse ou breton). La « guerre des langues » est aussi internationale. Les enjeux linguistiques sont alors intégrés à l’analyse des relations internationales, qui rend compte des changements intervenus dans la langue diplomatique — recul progressif du français comme langue des relations internationales à partir du traité de Versailles en 1919, progression de l’anglais dans les organisations internationales. Mais c’est surtout comme instrument des politiques nationales de puissance que la langue prend place dans l’analyse, aux côtés des politiques internationales de diffusion culturelle et des usages stratégiques de l’information. Au moins dans le cas français, les travaux sur ce thème restent peu nombreux, inscrits le plus souvent dans la perspective a-sociologique de l’histoire classique des relations internationales173, ou adoptant un point de vue essentiellement institutionnel174. La

172 De Saint-Robert Marie-Josée, La politique de la France à l'égard de la langue française (1960-1994), thèse de doctorat en science politique, Institut d'études politiques de Paris, 1995. Cette thèse, dont la reproduction n’a pas été autorisée, a servi de base à La politique de la langue française, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2000. Ces écrits, dont les discours des académiciens et le Figaro Magazine constituent les principales références, ne respectent en rien les règles les plus élémentaires d’un travail universitaire (références aléatoires des sources utilisées, présentation fortement déséquilibrée des débats), sans même parler de l’absence totale de recul critique à l’égard des poncifs de la déploration conservatrice : abandon de ses missions par l’école, « montée de l’analphabétisme, perte du sens des mots et déculturation », appel au « civisme linguistique », etc. On atteint des sommets lorsqu’il est question (p. 59 du Que sais-je ?) de « la contestation du modèle de société française […] par les immigrés, notamment ceux de la seconde génération ».

173 Voir par exemple la bonne synthèse de Milza Pierre, « Culture et relations internationales », Relations

internationales, 24, 1980, p. 361-379.

174 On trouvera de nombreux éléments sur le service des relations culturelles dans l’histoire administrative du ministère des Affaires étrangères de Baillou Jean (dir.), Les affaires étrangères et le

question de la francophonie, par exemple, a suscité une littérature officielle et des essais politico-culturels très nombreux, mais très peu de travaux d’analyse175.

Récemment, plusieurs travaux ont abordé la question du traitement politique des langues en la rapportant à l’intensification des échanges internationaux, et aux nouvelles concurrences et lignes de conflits qui y sont liées. La thèse d’un processus de « globalisation » des activités au niveau mondial a ainsi amené des auteurs à voir dans l’accélération des échanges linguistiques l’un des signes du déclin des États nationaux176. À partir de modélisations inspirées de la théorie des jeux177 ou d’un calcul coûts – avantages articulant « efficience » et « équité » (fairness)178, d’autres ont montré comment de tels changements peuvent influencer les choix linguistiques. L’intégration européenne a également suscité de nouvelles réflexions sur les enjeux linguistiques, à partir du thème de la compétition entre langues et pays179 ou, de manière très stimulante, à propos de la question entre la langue et le droit180.

On le voit à l’issue de ce rapide tour d’horizon : rares sont les travaux spécifiquement axés sur les politiques de la langue ; et lorsque c’est le cas, ils ne portent généralement pas sur les sociétés occidentales, ou pas sur la période contemporaine181. Partir de la formation historique des États et des nations ou des conflits et concurrences linguistiques présente d’importants avantages : c’est en effet permettre de restituer les

Éditions du CNRS, 1984. Voir aussi Roche François, Pigniau Bernard, Histoires de diplomatie culturelle

des origines à 1995, Ministère des affaires étrangères, Documentation Française, Paris, 1995.

175 Voir par exemple le dossier documentaire du Département des études et de la prospective du ministère de la Culture, 1, juin 1993. Voir cependant, dans la perspective d’une histoire culturelle des relations internationales, les travaux récents de Denis Rolland sur l’Amérique latine.

176 Badie Bertrand, Smouts Marie-Claude, Le retournement du monde. Sociologie de la scène

internationale, Paris, Presses FNSP et Dalloz, 1995, notamment p. 123.

177 Laitin David D., « The Game Theory of Language Regimes », International Political Science Review, 14 (3), July 1993, p. 227-240.

178 Pool Jonathan, « The Official Language Problem », American Political Science Review 85 (2), 1991, p. 495-514.

179 De Swaan Abram, « The Evolving European Language System : A Theory of Communication Potential and Language Competition », International Political Science Review, 14 (3), July 1993, p. 241-256. L’auteur a fait paraître en septembre 2001 un ouvrage général sur ces questions, qu’on n’a pas pu utilisé ici.

180 Braselmann Petra, « Comment dire le même droit pour tous dans plusieurs langues ? », Liber, 13, mars 1993, p. 4-6. À partir de l’idée, développée dans de nombreux travaux, qui veut que le travail juridique soit indissociable de la langue dans laquelle il est effectué, l’auteure en vient à mettre en évidence le caractère illusoire d’un droit unique qui puisse s’exercer (« être dit ») de manière identique dans des langues différentes.

181 Que l’on pense à De Certeau Michel et. al., Une politique de la langue, op. cit. ou à Roselli Mariangela, La langue française entre science et République, op. cit. La parution, après que ces lignes aient été écrites, du numéro d’une revue de « pensée politique » consacré aux questions de langue n’a, malgré quelques articles intéressants, que peu contribué à combler cette lacune. Cf. « La République des langues », Raisons politiques, 2, mai-juillet 2001.

liens qui unissent les problèmes de langue à des processus socio-politiques dont ils peuvent être le vecteur (comme l’édification linguistique de la nation), le révélateur (comme la cristallisation des conflits entre communautés autour des questions de langue) ou le produit (comme les effets linguistiques de nouvelles configurations sociales et politiques). Mais ne faire des politiques linguistiques que l’un des chapitres de l’histoire et de la sociologie de ces macro-processus entraîne en même temps des risques.

Celui tout d’abord d’une analyse située avant tout au niveau global des entités collectives — États, communautés, etc. — au détriment de la restitution des multiples relations — entre professionnels de la langue, groupes mobilisés, espace des locuteurs, etc.— dans lesquelles s’opèrent en pratique les choix et enjeux linguistiques, et de la distribution sociale des choix et des pratiques linguistiques. Si tous les travaux cités plus haut ne tombent pas sous le coup d’une telle critique, ce risque n’en est pas moins fortement présent. Rares sont en effet les analyses qui reconstituent de manière systématique l’espace des relations et des concurrences au principe du traitement social et politique des questions linguistiques. Rares sont également celles qui, comme la perspective proposée par Abram de Swaan, placent au cœur même de leur projet l’articulation entre les niveaux macro (en l’occurrence, la « société transnationale ») et microsociologiques (en l’occurrence les choix linguistiques individuels)182.

Un second risque consiste à n’appréhender les questions linguistiques qu’au travers des catégories préconstruites par l’analyse de macro objets et, par là même, de manquer, faute d’une problématisation spécifique, ce qu’il peut y avoir de spécifique aux questions linguistiques. S’ils leur sont évidemment liés, les enjeux socio-politiques des questions linguistiques sont-ils limités et réductibles aux processus d’édification nationale ou aux concurrences internationales qui constituent les principaux prismes au travers desquels ils sont envisagés ? À s’en tenir là, sans doute manque-t-on une part importante de ce qui se joue dans le traitement social et politique de la langue.

Dernier risque, qui forme le prolongement logique du précédent : celui de réduire la langue à un « instrument » — de la domination étatique, de l’unification nationale ou des concurrences entre États. Or, tout comme l’instrumentalisme interne d’une certaine