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Chapitre 1 : La comédie musicale au Québec

1.2 Les droits d’auteur

Que ce soit pour une production professionnelle ou une production amateur, chaque production se doit de payer des droits d’auteur. Évidemment, ce ne sont pas les auteurs qui gèrent eux-mêmes les droits de représentation ou les droits d’exécution. Il existe aux États- Unis plus d’une dizaine de sociétés de gestion des droits ayant comme mandat d’autoriser la production de comédies musicales16. En plus de permettre aux productions de jouer en toute légalité et d’avoir accès au matériel officiel de répétition (livrets, partitions et quelques fois des trames sonores), ces sociétés s’assurent qu’une même comédie musicale ne soit pas produite dans la même région à des dates similaires.

16 DramaSource, Dramatic Publishing Co., Dramatists Play Service, Eldridge Publishing, Rodgers & Hammerstein Org., Miracle or 2 Productions, Music Theatre International, Samuel French, Tams Witmark et Theatrical Rights Worldwide sont les plus importantes compagnies américaines octroyant les droits pour la production de comédie musicale.

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En effet, la majorité des comédies musicales de Broadway ne mettront pas sur le marché les droits de représentation pour leur spectacle tant qu’elles tourneront encore à New York. Les producteurs professionnels craignent que les productions amateurs (même les plus éloignées) nuisent à leur vente de billets, et ils désirent offrir une certaine exclusivité aux spectateurs qui se déplacent jusqu’à New York pour voir leur spectacle. C’est pourquoi les comédies musicales les plus populaires de Broadway prennent du temps à être accessibles aux amateurs. Dans la même logique, lorsqu’un revival17 ou une importante tournée nationale est prévue pour une comédie musicale, il arrive fréquemment que les compagnies octroyant les droits retirent temporairement les droits d’un spectacle. Lorsqu’une production professionnelle ou amateur désire présenter une comédie musicale de Broadway, mais dans une autre langue, elle doit faire affaire avec ces grandes sociétés. Ces dernières offrent généralement l’un des deux scénarios suivants : si la société possède déjà une traduction dans la langue demandée par la production, cette dernière se verra dans l’obligation d’utiliser la traduction fournie. Dans le cas contraire, si aucune version n’est disponible dans la langue demandée, la production devra traduire elle-même le spectacle et faire approuver sa traduction. Le statut du traducteur est donc influencé par les limites fixées par les droits d’auteur :

The copyright law outlines […] the limits of manipulation in the translation of work whose copyrights are still controlled by the playwrights or their descendants. (Aaltonen, 1997 : 91)18

Déjà qu’il est difficile traduire et d’adapter une comédie musicale dans une nouvelle langue, même sans contraintes légales, un facteur important influence les traducteurs dans leur travail : les compagnies possédant les droits de production des comédies musicales ont leur mot à dire sur la traduction. Afin d’en apprendre plus sur le processus d’approbation d’une traduction de comédies musicales, nous avons contacté Musical Theater International19.

17 Revival est le terme anglophone utilisé pour désigner une nouvelle production d’un ancien spectacle à succès. Généralement, lors d’un revival, on sous-entend une reprogrammation du spectacle : nouvelle mise en scène, nouveaux décors, une réorchestration, etc. (Perroux, 2009)

18 La loi sur le droit d’auteur fixe les limites des modifications apportées lors de la traduction à une œuvre dont les droits sont détenus par l’auteur ou ses descendants. (Notre traduction)

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Musical Theater International est l’une des plus grandes compagnies de distribution de droits d’auteur en Amérique du Nord. Leur catalogue propose plus de 330 titres de comédie musicale.

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Le traducteur traduisant une comédie musicale dont les droits sont contrôlés par Musical Theater International doit signer une entente contractuelle avec la compagnie20. Il est intéressant de constater que sur les dix points constituant ce contrat, un seul concerne directement le travail de traduction et d’adaptation.

The Translator agrees that the translation will preserve the spirit and tone of the Play’s English-language version and that he/she will not make any changes to the book or lyrics of the Play except such minor changes and colloquialisms as may be necessary to make the Play suitable for production in the [foreign] language.21

Les autres points font entre autres référence au fait que les droits de la traduction effectuée appartiendront à l’auteur original de la comédie musicale, et donc que le traducteur renonce à tout droit moral en lien avec son adaptation. En d’autres mots, le traducteur s’engage à préserver l’esprit original de la pièce et à ne pas faire de changement au livret ou aux paroles, à l’exception de quelques changements mineurs, tels que des idiotismes, qui seraient plus adaptés afin de favoriser une bonne compréhension dans la langue cible. Une fois la traduction terminée, elle doit être approuvée par l’auteur du livret original. Les possibilités et les limites de traduction dépendent donc de chaque auteur. L’un pourra être plus enclin à accepter une adaptation libre, alors qu’un autre pourra préférer que la traduction soit la plus proche possible de son livret original. C’est une des raisons pour laquelle certains auteurs choisissent eux-mêmes les traducteurs lorsqu’une version dans une langue étrangère est en préparation22.

Ce phénomène n’est pas récent. Au XIXe siècle, Richard Wagner a vu quelques-unes de ses œuvres se faire traduire. Wagner imposait ses propres principes de traduction que les traducteurs devaient suivre à la lettre. Ces principes exigeaient que le traducteur respecte la prosodie, la versification, les rimes et le phrasé ainsi que les rapports entre structure musicale et structure verbale et le rapport entre le texte et le jeu des chanteurs (Kaindl, 2004). Dans le cas de Richard Wagner, les traductions existantes sont l’œuvre de plusieurs

20 Voir le contrat en annexe. 21

Le Traducteur s’engage à préserver l’esprit et le ton de la Pièce dans sa version anglaise et à n’effectuer aucun changement au livret ou aux paroles de la Pièce, à l’exception de quelques changements mineurs et idiotismes indispensables à sa production dans la langue cible. (Notre traduction)

22 Le compositeur Alan Menken a choisi de demander à l’adaptateur Nicolas Nebot de traduire les chansons de la comédie musicale Sister Act, présenté en France en 2013. (http://www.stage- entertainment.fr/sister-act-nicolas-nebot)

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traducteurs, choisis par la famille Wagner qui, selon Gouiffès, a toujours refusé que les éditeurs aient leurs propres traducteurs (2004 : 463).

En conclusion, on peut observer que les droits d’auteur déterminent le degré de variation d’une traduction par rapport à sa version originale. Le traducteur peut donc travailler plus librement si les droits d’auteur ne sont pas trop restrictifs ou si une œuvre n’est plus protégée par les droits d’auteur. Dans ce cas, il peut laisser libre cours à sa créativité.

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