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Comme déjà exposé, la Convention n° 189 définit les « périodes de dis-ponibilité » comme celles « pendant lesquelles les travailleurs domes-tiques ne peuvent disposer librement de leur temps et restent à la dis-position du ménage pour le cas où celui-ci ferait appel à eux »102. La question de savoir dans quelle mesure ces périodes doivent être consi-dérées comme du « temps de travail » est particulièrement délicate à trancher lorsque la personne salariée vit dans le ménage qui l’emploie.

a) Inapplicabilité des règles sur le service de piquet

En l’absence de règle spécifique, les tribunaux suisses tendent à se réfé-rer aux art. 14 et 15 OLT 1 sur le service de piquet103, bien que ces disposi-tions ne soient pas applicables aux ménages privés, comme souligné plus haut. Si l’on peut saluer les efforts déployés pour prendre ainsi en considération les périodes de disponibilité dans le contexte de l’économie domestique, force est de constater que l’application des art.

14 et 15 OLT 1 au personnel « Live-In » s’avère inadéquate à deux égards : d’une part en raison du fait que la distinction effectuée à l’art.

15 OLT 1 entre le travail effectué « dans l’entreprise » et « hors de l’entreprise » se prête mal à prendre en considération le fait que le do-micile de la personne salariée est précisément dans l’entreprise. D’autre part, il peut être difficile de déterminer dans un cas concret si les heures

« de disponibilité » sont effectuées pour « porter secours dans une situa-tion d’urgence », « en sus du travail habituel » (art. 14 al. 1 OLT 1) ou dans le cadre de celui-ci.

101 Sans pour autant devoir respecter les conditions posées par la loi sur le travail et ses ordon-nances (en particulier l’art. 73 OLT 1), non applicables aux ménages privés (art. 2 al. 1 let. g LTr).

102 Au sens de l’art. 10 § 2 C 189 mentionné supra partie III.B.2.a.

103 A titre d’illustration, voir un arrêt rendu par la Cour de justice du canton de Genève le 18 janvier 2017, CAPH/14/2017, c. 5.4. Voir aussi l’arrêt 4A_96/2017 rendu par le TF dans la même affaire, dont le considérant 2.2 explique que la cour cantonale « n’est pas partie d’une notion juridique erronée du service de piquet à rémunérer ».

b) Modèle de CTT pour la prise en charge 24 heures sur 24

Depuis 2018, le modèle de CTT susmentionné104 reconnaît le « temps de présence »105 comme un « élément caractéristique de la prise en charge 24h/24 », qui donne droit à une rémunération106

Le « temps de présence » est défini comme « le temps passé par le tra-vailleur/la travailleuse dans le foyer ou dans les pièces occupées par la personne assistée, sans accomplir un travail actif, mais en se tenant à disposition de la personne assistée »107.

En pratique, la question de savoir si le personnel « Live-In » se tient « à disposition » ou est en train de se reposer reste délicate à trancher.

Faut-il considérer la personne salariée qui vit au domicile d’enfants ou de seniors susceptibles de l’appeler à tout moment comme étant conti-nuellement « disponible » pour répondre aux besoins du ménage ? La jurisprudence semble répondre par l’affirmative lorsque les enfants ou les seniors se trouvent dans une situation de dépendance et que per-sonne d’autre dans le ménage n’est en mesure de s’en occuper.

c) Critère de la dépendance

Dans un cas récent, la Cour de justice du canton de Genève a jugé qu’une employée domestique était, dans le cadre de son activité habi-tuelle de jour, « constamment » à disposition des « triplés » du ménage,

« représentant les employeurs », sauf durant les périodes de prise en charge par leurs parents ou d’autres tiers108.

Lors d’une autre affaire, le Tribunal fédéral a admis que « la présence de nuit d’une employée logée sur place » n’était devenue nécessaire, et ne devait être rémunérée, qu’à partir du moment où un certificat médical attestait que la personne âgée n’était plus autonome et avait besoin d’une garde nocturne109.

104 Partie III.B.5.a.

105 Le temps de présence n’est toutefois pas pris en compte dans la durée de travail hebdomadaire (let. E) qui est composé du travail « actif » et limité à 44 heures par semaine (let. D al. 1), soit un temps en-deçà des durées prévues actuellement par les CTT cantonaux.

106 En fonction de l’intensité de l’assistance (let. E et K).

107 Let. E.

108 CAPH/56/2018 du 23 avril 2018, c. 2.7.

109 TF 4A_96/2017 du 14 décembre 2017, c. 2.2.

Si le critère de dépendance est aisé à appliquer dans le cas d’enfants en bas âge, qui ne peuvent raisonnablement être laissés seuls la nuit, il peut s’avérer délicat à apprécier s’agissant d’adultes, notamment lors-que l’état de santé d’une personne âgée se dégrade progressivement pour finalement aboutir à une perte totale d'autonomie.

Par exemple, dans le cas précité du service de piquet de nuit, l’employée résidait dès le début de la relation contractuelle au domicile de l’employeur et il ne ressort pas de l’état de fait que l’employeur eût for-mellement exigé d’elle, au moment de la perte d’autonomie, une pré-sence à domicile de nuit110.

Eu égard aux conséquences sur la rémunération de l’employée domes-tique, il eût été souhaitable que les parties déterminent précisément, dès le départ puis au fur et à mesure de l’évolution de la situation, si la présence de nuit était nécessaire ou non.

Dans les cas de prise en charge « intense »111, le modèle de CTT mis à disposition par le SECO exige de la partie employeuse qu’elle examine régulièrement la situation et, après avoir effectué une pondération des intérêts, prenne des mesures concrètes pour adapter l'organisation de la prise en charge112, le cas échéant en recourant aux services de tiers.

Si le devoir de documenter le temps de travail présenté au point précé-dent permet d’iprécé-dentifier avec précision l’activité déployée (travail actif, temps de présence, pauses, interventions durant le temps de présence, heures supplémentaires, etc.)113, l’obligation de réévaluer régulièrement les besoins a le mérite de clarifier la volonté des parties pour le futur et de permettre à la personne salariée de bénéficier d’une meilleure maî-trise de son temps. À cet égard, les nouveaux standards posés par le modèle de CTT doivent être salués.

110 Ibidem. Voir aussi l’état de fait contenu dans l’arrêt CAPH/14/2017 précité.

111 « 2 à 3 fois par nuit » selon la let. K c. du modèle de CTT.

112 Let. E al. 2.

113 Voir let. S al. 2.

C. Télétravail à domicile (« Home Office »)

1. Réalité en Suisse et dans le monde

La présente section s’intéresse au télétravail effectué à domicile114, de façon régulière ou occasionnelle, au moyen des technologies de l’information et de la communication. En effet, dans le monde entier, ce mode d’exercice à distance de l’activité salariée s’avère avoir des réper-cussions sur la durée du travail ainsi que sur les périodes de repos115. L’impact sera plus ou moins prononcé selon que le télétravail remplace (totalement ou partiellement116) le travail de bureau ou qu’il s’agit de télétravail informel, réalisé de façon souvent non rémunérée117, en sus des heures contractuellement convenues (« phénomène des heures supplémentaires cachées »118). De même, en présence de télétravail à domicile régulier, l’identification des heures de travail sera plus ou moins ardue selon que le contrat prévoit des horaires fixes ou que seul aura été convenu un pourcentage du travail pouvant être effectué de-puis la maison119.

De façon générale, l’agence Eurofound et le BIT mentionnent, comme première conséquence du télétravail, un allongement de la durée du travail120. Un tel effet paraît logique lorsque le télétravail vient s’ajouter au travail convenu. En pratique, la frontière entre le télétravail formel, en lieu et place du travail de bureau, et le télétravail informel,

addition-114 Le télétravail « à domicile » doit être distingué du télétravail « nomade ». Selon un rapport du Conseil fédéral du 16 novembre 2016, « le télétravailleur mobile n’a pas de lieu fixe de travail et se déplace d’un endroit à l’autre, alors que le télétravailleur à domicile travaille à son domicile privé » (CF, Télétravail, ch. 3.2.2). Les tâches accomplies grâce aux moyens de télécommunica-tion pourraient aussi être réalisées dans les locaux de l’entreprise (CF, Télétravail, ch. 3.1).

115 BIT, Temps de travail décent, N 736.

116 Sur le télétravail « total » ou « alterné » (avec une activité dans les locaux de l’entreprise), ainsi que le télétravail « partiel » (ne portant que sur certaines tâches comme la lecture de courriels), voir CF, Télétravail, ch. 3.2.3, 3.5.

117 Voir EUROFOUND/OIT, Working everywhere, 23 avec le renvoi à des études en Grande-Bretagne et en Inde.

118 Voir CF, Télétravail, ch. 7.4.1.1 , avec les références.

119 Voir MÜLLER/MADUZ, Arbeitszeit, 466-467.

120 Selon le rapport EUROFOUND/OIT, Working everywhere, 21-23, en Europe et dans d’autres régions du monde, les personnes qui font du télétravail tendent à travailler plus d’heures que celles qui travaillent exclusivement dans les locaux de l’entreprise. Le tableau 5 montre que ce constat vaut aussi pour le télétravail accompli à domicile de façon régulière.

nel, est toutefois difficile à tracer121. Dans les deux cas, le télétravail pa-raît entraîner un déplacement des horaires de travail en soirée et la nuit (entre 18 h 00 et 24 h 00)122. En outre, les personnes qui font du télétra-vail à domicile ont, plus souvent que celles ne recourant pas à cette mo-dalité, tendance à faire des heures supplémentaires durant le week-end123.

Au vu de ces évolutions, la question de savoir si les règles générales relatives à la durée du travail et à la protection de la santé s’appliquent et peuvent être mises en œuvre en cas de télétravail gagne en impor-tance. Autrement dit, « le travail numérique est-il du travail ordi-naire »124 ?

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