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a. « One share, one vote »

35 KGer A3 2015 27, consid. 4.8.

36 KGer A3 2015 27, consid. 8.

37 Saint-Gobain, Sika reach deal to end bitter fight : FT, https://www.reuters.com/article/us-sika-cie-saint-gobain/saint-gobain-sika-reach-deal-to-end-bitter-fight-ft-idUSKBN1IB35T (visité le 11 mai 2018) ; Saint-Gobain gives up fight for control of Sika, https://www.ft.com/content/2935efb6-548f-11e8-b3ee-41e0209208ec (visité le 11 mai 2018).

Dans la continuité du droit suisse, le droit américain approuve aussi l’usage d’actions à droit de vote privilégié. Les États-Unis demeurent encore à ce jour un choix de prédilection pour les entreprises recherchant à adopter une structure à double classe d’actions à l’instar de Facebook, Alphabet (anciennement Google), Alibaba, Snap et Fitbit notamment38. Afin d’appréhender la systématique américaine, il est essentiel de s’attarder sur le contexte dans lequel ces normes s’inscrivent.

De prime abord, le code du Delaware39 consacre dans son Titre 8 chapitre 1, comme le droit suisse, la règle du « one share, one vote » comme principe de base en les termes

« Unless otherwise provided in the certificate of incorporation…each stockholder shall be entitled to 1 vote for each share of capital stock held by such stockholder »40. Il peut être déduit, à la lecture du présent texte, que cette règle demeure de droit dispositif41. À cet effet, plusieurs remarques sont à faire.

Premièrement, à l’image du droit suisse, qui comme nous l’avons vu requiert une clause statutaire42, le droit du Delaware impose l’inscription des différentes classes d’actions non pas dans les bylaws de la société mais dans son certificat d’incorporation43. Le risque en cas de manquement au respect de ce principe demeure la nullité de la clause et conséquemment une application du principe général de §212 let. a DGCL44. Ce principe fût confirmé récemment par la Court of Chancery du Delaware dans Sinchareonkul v. Fahnemann et al.45.

38 ANAND 2018,p. 7 ; BEBCHUK/KASTIEL 2018, p. 1.

39 Nous utilisons le droit du Delaware comme base pour ce travail car s’agit des règles de droit des sociétés les plus répandues aux États-Unis avec plus de 50 % des sociétés cotées américaines incorporées dans cet État ainsi que 66 % des entreprises du Fortune 500. « About Agency », Delaware Division of Corporations, https://corp.delaware.gov/aboutagency.shtml (visité le 27 mai 2018).

45 Sinchareonkul v. Fahnemann et al. (2015), Court of Chancery of the State of Delaware, C.A. 10543-VCL, p. 13 s. La cour interprétant la portée de §109 let. b DGCL porte un poing d’ordre sur la portée vaste de la présente section statuant que « the range of subjects of a bylaw can adress is expansive » dès lors « it is not enough to measure it only against the « relating to » language of Section 109(b). It is also necessary to consider what other sections of the DGCL say about the matter ».

Dans un second temps, §151 let. a DGCL s’inscrit comme la disposition fondamentale concernant les actions à droit de vote privilégié et autres constructions actionnariales analogues. En effet, §151 let. a DGCL se distingue du droit suisse concernant la forme que peuvent adopter les actions à droit de vote privilégié. À la lecture de celle-ci, les actions peuvent contenir « such voting powers, full or limited, or no voting powers »46. Le droit du Delaware par une clause aussi générale dénote une certaine flexibilité en matière d’actions à droit de vote privilégié. À l’image de Sachs v. R. P. Scherer Corp dans lequel la Court of Chancery débouta une injonction contre la constitution d’actions à droit de vote privilégié octroyant 10 voix par actions47 ou de Williams v. Geier, un arrêt de principe dans lequel la Supreme Court of Delaware approuva une clause faisant dépendre le poids du vote à la durée de détention par l’actionnaire (les actions voyaient leur vote décuplé après trois ans de détention)48.

Toutefois, le DGCL, adoptant une position similaire au droit suisse visant une protection actionnariale, impose aux sociétés ayant émises des actions de soumettre au vote des actionnaires toute décision modifiant la structure de l’actionnariat49.

Finalement, le droit américain permet la constitution d’actions à droit de vote privilégié directes et ce sans restriction sur les proportions entre les droits de vote. Il peut dès lors en résulter une disproportion de droits de vote importante au sein de la société à l’instar de Berkshire Hathaway Inc.50, Ford51 ou encore Zynga52.

Poursuivant cet aperçu des conditions propres à l’émission d’actions à droits de vote privilégié sous le régime du Delaware, nous pouvons dès à présent nous intéresser aux conditions d’émission de telles actions dans le cadre d’une société cotée.

46 §151 let. a 1ère phrase DGCL.

47 Sachs v. R. P. Scherer Corp (1984), Court of Chancery of the State of Delaware, C. A. 7537.

48 Williams v. Geier (1996), Supreme Court of Delaware, 671 A.2d 1368, consid. II et VII.

49 §242 let. a ch. 5 DGCL cum §242 let. b ch. 2 DGCL ; EDELMAN/JIANG/THOMAS,p. 11.

50 Les actions de la société sont divisées en deux classes, les actions de classe A ayant une voix et les actions de classe B 10'000 voix par action.

51 Les actions de classe B permettent un contrôle constant de 40 % du droit de vote indépendamment du nombre d’actions détenues.

52 Les actions de classe B ont un droit de vote de 7 : 1 en comparaison des actions de classe A. Les actions de classe C quant à elle suivent un ratio de 70 : 1.

Historiquement, les actions à droit de vote privilégié, concernant les marchés financiers américains, ont été pendant longtemps interdites par le NYSE, ce jusqu’en 198453 suite au regain de l’intérêt pour de telles structures ainsi que pour des raisons de compétitivité avec le NASDAQ et l’AMEX54. La SEC pris les devants toutefois en instaurant le 7 juillet 1988 la Rule 19c-4 CFR55 interdisant aux entreprises d’entrer en bourse avec une structure actionnariale ayant des actions avec plus d’une voix. Elle autorisa toutefois l’émission d’actions dont le droit de vote serait inférieur à une voix ainsi que le maintien de toute entreprise d’ores et déjà introduite en bourse avec une telle structure56.

Bien que la Rule 19c-4 CFR fût rejetée par l’arrêt The Business Roundtable v. Securities and Exchange Commission en 199057, aussi bien le NYSE que le NASDAQ décidèrent d’introduire des règles analogues à celle-ci dans leurs manuels de cotation58.

À la lecture de la Rule 19c-4 CFR, de l’art. 5640 NASDAQ Market Rules et de §313.00 NYSE Listed Company Manual, il ressort que l’opposition du législateur américain concernant les actions à droit de vote privilégié ne porte pas réellement sur l’émission lors de la première capitalisation boursière59 mais sur les recapitalisations60. Effectivement, aussi bien le NASDAQ que le NYSE interdisent aux entreprises cotées sur leur marché de péjorer la position de leurs actionnaires61. Leurs droits ne peuvent dès lors pas être dilués par l’émission d’une nouvelle classe d’actions dès la cotation62.

53 ANAND 2016, p. 4 ; BEBCHUK/KASTIEL 2018, p. 6.

54 BURKART/LEE ;XIAO HUANG, p. 7.

55 ANAND 2016, p. 4 ; BAINBRIDGE,p. 566 ; LOWENSTEIN, p. 979 ; XIAO HUANG, p. 8.

56 XIAO HUANG, p. 8.

57 The Business Roundtable v. Securities and Exchange Commission (1990), US Court of Appeals for the District of Columbia Circuit, 905 F.2d 406 (D.C. Cir. 1990) ; ANAND 2016, p. 4 ; BAINBRIDGE, p.

567 ; BEBCHUK/KASTIEL 2018, p. 6. La Rule 19c-4 fût rejetée par les tribunaux du fait qu’il fût considéré que par cette règle la SEC aurait outrepassée ses compétences reçues par le congrès américain. Le tribunal ne conteste donc pas la règle en elle-même mais la procédure y afférant.

58 NASDAQ Market Rules 5640 et IM-5640 ; NYSE Listed Company Manual § 313.00.

59 Art. IM-5640 NASDAQ Stock Market Rules ; ANAND 2016, p. 5 ; WEN, p. 1497.

60 BEBCHUK/KASTIEL 2017, p. 597 ; XIAO HUANG,p. 7.

61 §313 let. A 2ème par. NYSE Listed Company Manual ; art. 5640 NASDAQ Stock Market Rules ; XIAO

HUANG,p. 7.

62 BEBCHUK/KASTIEL 2017, p. 597 ; BERGER/DAVIDOFF SOLOMON/BENJAMIN,p. 303.

b. Un système critiqué et la recherche de nouvelles structures

Les actions à droit de vote privilégié sont la source d’un débat constant depuis plusieurs années aux États-Unis, aussi bien au sein de la doctrine que dans la pratique.

Contrairement au passé, les investisseurs se détachent de la « Wall Street Rule »63 en tendant à adopter une position de plus en plus active dans la prise de décisions auprès des sociétés dans lesquelles ils investissent64. Depuis l’offre publique initiale (ci-après : IPO) de Google en 2004 et plus récemment l’IPO de Snap65, le débat a été vivement relancé par les investisseurs institutionnels et particulièrement par l’intermédiaire du Conseil des investisseurs institutionnels (ci-après : CII)66. Cet engouement émanant de ces derniers n’est que très peu surprenant car ceux-ci, dans les dernières années, ont tendance à se focaliser sur des rendements à court terme67. Or, cette position peut être amenée à être en totale contradiction avec des dirigeants recherchant une fructification sur le long terme68.

Pour la doctrine, le problème est double. Le risque, selon eux, émane de l’alignement des intérêts des détenteurs d’actions à droit de vote privilégié. Ces derniers ont d’une part un fort pouvoir décisionnel leur permettant de s’isoler de la menace d’une éviction par un actionnariat mécontent69. Conjointement, il manque une incitation financière à rechercher un rendement maximal de l’entreprise et donc d’agir dans l’intérêt des investisseurs car la part en capital détenue est au demeurant faible70.

Toutefois, certains voient dans une telle structure un moyen de dévoiler le réel potentiel d’une entreprise. Cela car l’adoption d’une double classe d’actionnariat pourrait signaler

63 WEN, p. 1504.

64 EISENBERG/COX,p. 304.

65BEBCHUK/KASTIEL 2018, p. 1 ; SHARFMAN, p.1.

66 BANERJEE/MASULIS, p. 2 ; BEBCHUK/KASTIEL 2017, p. 597 ; BEBCHUK/KASTIEL 2018, p. 6 ; WEN, p.

1497.

67 BERGER/DAVIDOFF SOLOMON/BENJAMIN,p. 299.

68 BEBCHUK/WEISBACH, p. 7 ; GLOVER/THAMODARAN, p. 3 ; MCKINNON,p. 89.

69 BEBCHUK/KASTIEL 2018, p. 9.

70 Ibidem.

la connaissance par les dirigeants d’informations et de projets favorables à l’entreprise voulant être menés à terme71.

Cependant, au-delà de potentiels bénéfices dont les actionnariats des entreprises ayant adopté une double classe d’actions pourraient bénéficier, aussi bien le CII72 que d’importants fonds de placement américains tels Vanguard et T. Rowe Price se positionnent en faveur du one share, one vote73. En raison de tels conflits, les acteurs concernés s’efforcent de rechercher des constructions actionnariales empruntant les concepts d’actions à droit de vote privilégié tout en tentant de se concilier aux idéaux des détracteurs74. À ce jour, deux structures semblent rallier l’unanimité, à savoir les

« clauses sunset » et le « tenure voting ».

Nous débutons notre analyse par la « clause sunset ». Celle-ci conditionne l’émission d’actions à droit de vote privilégié à leur conversion en actions ordinaires en cas d’avènement de certains évènements futurs75. De telles conditions résolutoires peuvent adopter diverses formes. Dans le cadre du présent travail, nous limiterons l’analyse à deux variantes.

La première variante est le « fixed-term sunset »76. Comme son nom l’indique, la finalité est une conversion automatique des actions à droit de vote privilégié en actions ordinaires à l’échéance d’une durée préétablie77. La durée fixée dans un fixed-term sunset varie usuellement entre cinq et vingt-huit ans, la majorité des sociétés ayant opté pour une durée de sept ans78. Il demeure toutefois possible pour les dirigeants de compléter cette clause en y ajoutant la possibilité pour les actionnaires non affiliés aux

71 BEBCHUK, p. 26 ; CHEMANNUR/JIAO,p. 9 ss.

72 Le CII s’est strictement opposé aux actions à droit de vote pondéré, les lettres envoyées au NASDAQ et au NYSE, afin de les sommer d’interdire de telles actions, démontrent cette forte opposition. Cf. Lettre du conseil des investisseurs institutionnels à Edward S. Knight, Vice-président et Conseiller, NASDAQ OMX Group datant du 27 mars 2014 ainsi que la Lettre du conseil des investisseurs institutionnels à John Carey, Vice-président, NYSE Regulation, Inc. et NYSE Euronext datant du 27 mars 2014.

dirigeants de renouveler celle-ci pour une durée similaire à la majorité des voix79. Un exemple récent d’un fixed-term sunset est Groupon qui adopta une telle provision en 2011, laquelle fût enclenchée en octobre 2016, convertissant la totalité des actions à droit de vote privilégié détenues par les dirigeants en actions ordinaires80.

La seconde variante est l’« event-trigger sunset ». Par interprétation littérale, il peut être déduit que le but de cette clause est de prévoir divers évènements qui pourraient mener à une conversion81. Les évènements communément prévus sont le décès, l’incapacité, la démission ou la retraite des fondateurs82. Cette clause, à notre sens, peut être aussi bien un cadeau bienvenu par l’actionnariat qu’empoisonné. En effet, celle-ci remédie aux problèmes liés au transfert de contrôle. Lorsque les actionnaires investissent dans une société à double classe d’actions, ceux-ci investissent dans la société mais aussi par confiance en la vision du fondateur83. Nous pourrions avancer une telle hypothèse concernant Snap, Facebook ou Berkshire Hathaway ayant toutes trois des fondateurs connus de tous84. Le risque qu’un successeur ne convenant pas aux actionnaires prenne le contrôle est donc atténué voir nul avec une telle clause. À contrario, le prix à payer est un contrôle potentiellement à vie des dirigeants, ce qui peut être d’autant plus choquant lorsque ceux-ci ne sont que dans leur vingtaine comme les fondateurs de Snap Evan Spiegel et Robert Murphy.

Nous poursuivons par une analyse du tenure voting ou time-phased voting85. Cette structure se caractérise par une attribution des voix relative à la durée de détention des actions86. La doctrine américaine conçoit deux moyens d’arriver à un tel résultat. Par low-high, dans quel cas toutes les actions au jour de la capitalisation se verront attribuer une voix et verront leurs droits de vote accroitre après une durée définie de détention87. Ou bien par high-low, situation dans laquelle les actions contiendront un important droit de vote initial, par exemple cinq voix, sous-tendant qu’en cas de transfert des actions le

droit de vote attaché à celles-ci sera réduit à une voix88. Le nouvel actionnaire devra détenir durant une durée déterminée les actions avant de se voir attribuer de nouveau cinq voix89. Au demeurant, la finalité reste la même à savoir de favoriser les actionnaires sur le long terme90.

Nous pouvons cependant questionner l’applicabilité d’une telle structure. Concernant le droit du Delaware, §151 let. a DGCL impose aux acteurs économiques de ne pas discriminer les actionnaires dans une même classe d’action91. La Court of Chancery a toutefois atténuée ce principe dans Providence & Worcester Co. v. Baker en statuant qu’une discrimination entre des actionnaires dans une même classe demeure possible tant que toutes les actions de cette dernière sont soumises aux mêmes conditions concernant l’obtention de votes supplémentaires92. Il apparaît dès lors que le droit du Delaware autorise l’adoption d’un plan de tenure voting.

La question apparaît plus nuancée concernant l’approbation des marchés de capitaux, en effet comme nous l’avons précédemment vu, aussi bien le NYSE que le NASDAQ réfutent la possibilité pour une entreprise de réduire ou restreindre de manière disparate les droits d’actionnaires sur des actions émises93. La doctrine admet cependant par interprétation littérale des deux règlements que ceux-ci autorisent l’émission d’une telle structure au stade de l’IPO94. Concernant l’adoption d’un plan de tenure voting après l’IPO par recapitalisation boursière, une part de la doctrine considère qu’un tel plan ne réduit ni ne restreint de « manière disparate » les droits des actionnaires. Ces derniers ayant des droits de vote égaux et une opportunité égale d’obtenir des droits

88 Ibidem.

89 Ibidem.

90 DALLAS/BARRY, p. 565.

91 §151 let. a DGCL.

92 Providence & Worcester Co. v. Baker (1977), Delaware Supreme Court 378 A.2d 121, p. 123. La cour statuant « The voting power of the stock in the hands of a large stockholder is not differentiated from all others in its class ; it is the personal right of the stockholder to exercice that power that is altered by the size of his holding » ; BERGER/DAVIDOFF SOLOMON/BENJAMIN, p. 317 ; EDELMAN/JIANG/THOMAS,p. 11 ss.

93 art. 5640 NASDAQ Stock Market Rule ; §313.00 let. A NYSE Listed Company Manual ; EDELMAN/JIANG/THOMAS, p. 16.

94 EDELMAN/JIANG/THOMAS,p. 16.

supplémentaires95. Le tenure voting serait dès lors autorisé sur les marchés aussi en cas de recapitalisation boursière.

Le droit américain se caractérise dès lors par une forte flexibilité en matière d’actions à droit de vote privilégié. Toutefois, le contrecoup s’avère être une critique virulente de la part de certains acteurs économiques recherchant une interdiction de celles-ci.

L’interdiction de telles actions est-elle cependant une hypothèse viable ?

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