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CHAPITRE 1 : INTRODUCTION

1.3. Le développement de l’enfant adopté

1.3.4. La double filiation de l’enfant adopté

Plusieurs cliniciens réfèrent dans leurs travaux à la place psychologique qu’occupe le parent biologique auprès de l’enfant adopté (Lifton, 2002, 2007; Verrier, 2004). Alors que Muller et Perry (2008) soutiennent qu’une des principales motivations des enfants adoptés pour entreprendre une recherche de leurs origines vise à combler un « vide », plusieurs études soulignent que la majorité des enfants adoptés sont curieux et souhaitent disposer d’informations sur leurs parents biologiques et leur passé. Dans une étude menée auprès de 122 adolescents11

impliqués dans le Minessota-Texas Adoption Research Project, 78 % des adolescents interrogés mentionnent être curieux ou très curieux, 10 % s’y intéressent peu et les autres (12 %) ne manifestent aucune forme de curiosité (Wrobel & Dillon, 2009). Une autre étude menée au Royaume-Uni rapporte des résultats similaires alors que 68 % des adolescents interrogés affirment penser occasionnellement ou fréquemment à leurs parents biologiques (Hawkins et al., 2008). En vieillissant, le degré de curiosité des enfants en regard de leur situation d’adoption augmente, sauf s’ils considèrent disposer d’informations suffisantes (Wrobel & Dillon, 2009). Cet intérêt marqué pour leur passé témoigne du caractère unique de la réalité adoptive. L’enfant adopté est issu de deux familles, celle qui lui a donné la vie et celle qui l’a élevé. À travers les comportements de recherche de ses origines et les conversations qu’il entretient à propos de son adoption avec ses parents adoptifs, l’enfant adopté tente de créer un sentiment de cohérence interne et de continuité entre son passé, son présent et son futur. Selon plusieurs chercheurs (Grotevant, 1997a; Grotevant, Dunbar,

11 L’échantillon total comprend 153 jeunes mais seulement 122 entrevues ont pu être cotées en regard

Kohler, & Esau, 2007), le développement optimal de l’enfant adopté repose sur sa capacité à intégrer cette réalité dans la construction de son identité. Ils soutiennent que l’environnement familial et social dans lequel évolue l’enfant adopté influence grandement ce processus, ainsi que son développement ultérieur.

1.3.4.1. Le degré d’ouverture du milieu adoptif face à l’adoption

La nature des relations existantes entre la famille adoptive et la famille biologique influence le développement de l’enfant adopté (Grotevant et al., 2007; Grotevant & McRoy, 2008; Grotevant, McRoy, Elde, & Fravel, 1994). Au-delà de l’existence de contacts directs entre l’enfant et son parent biologique, c’est davantage l’attitude des parents adoptifs en regard de la famille biologique de l’enfant qui semble l’aspect le plus important. Dans ses travaux, Brodzinsky (2005) réfère « au degré d’ouverture face à l’adoption » pour désigner l’ensemble des attitudes, des croyances, des attentes, des affects et des comportements que manifestent les membres de la triade adoptive. Selon lui, la qualité de la communication entre le parent adoptif et l’enfant au sujet de l’adoption ; l’empathie du parent adoptif à l’égard de la situation de l’enfant et des parents d’origine ; le degré d’ouverture du parent adoptif face à la communication avec la famille d’origine et la reconnaissance par le parent adoptif de la double appartenance de l’enfant adopté sont des éléments essentiels qui favorisent le développement optimal de l’enfant adopté (Brodzinsky, 2005; Neil, 2009). Dans une étude menée auprès de 73 enfants adoptés âgés entre 8 et 13 ans, il constate que le « degré d’ouverture face à l’adoption » est associé à une plus grande estime de soi et moins de problèmes de comportement chez l’enfant (Brodzinsky, 2006). L’analyse des entrevues menées auprès de 190 familles a aussi permis de démontrer que les familles qui maintiennent des contacts avec les parents biologiques ont en général une meilleure relation avec l’enfant, parlent davantage du sujet de l’adoption avec l’enfant adopté, manifestent plus d’empathie envers lui et ses parents d’origine (Grotevant et al., 1994).

La présence de contacts entre l’enfant adopté et sa famille biologique favorise aussi l’émergence de discussions à propos de l’adoption entre l’enfant et ses parents

adoptifs, ce qui a pour effet de favoriser le développement de son identité. Une étude menée dans le contexte de l’adoption ouverte aux États-Unis souligne le rôle médiateur des conversations à propos de l’adoption entre les contacts que le jeune maintient avec sa famille biologique et le développement de son identité (Korff & Grotevant, 2011). L’analyse du discours de 152 enfants adoptés impliqués dans le Minessota-Adoption Research Project, révèle aussi que pour 37 % des enfants, les contacts avec leur famille d’origine ont favorisé le développement de leur identité et que 17 % des enfants qui n’ont aucun contact pensent que de tels contacts pourraient leur permettre de répondre à certains questionnements (Berge et al., 2006). Dans cette étude, les adolescents satisfaits des contacts entretenus avec leur mère biologique rapportent avoir pu obtenir des réponses à leurs questionnements par le biais de ces contacts ou des discussions avec leurs parents adoptifs sur leur adoption, ou alors ne pas accorder d’importance à leur adoption et ne pas vouloir de contacts. Une autre étude britannique menée auprès de 122 enfants adoptés à l’international et de quarante enfants adoptés localement abonde dans le même sens, et rapporte que les enfants adoptés qui sont satisfaits des conversations qu’ils ont avec leurs parents adoptifs au sujet de l’adoption ont une meilleure estime d’eux-mêmes (Hawkins et al., 2008). Évoluer dans un environnement familial qui démontre une attitude d’ouverture et permet de discuter de sa situation d’adoption favorise le développement optimal de l’enfant adopté.

1.3.4.2. Le contexte social

Selon Ouellette (1995), l’adoption est une construction sociale qui reflète la culture et l’évolution d’un groupe. En ce sens, les difficultés des enfants adoptés ne peuvent être comprises sans que l’on s’intéresse au contexte social et aux éléments culturels entourant la définition des liens de parenté entre un adulte et un enfant (Schneider, 1980). Dans les sociétés allochtones, les enfants adoptés se positionnent en porte à faux par rapport au discours social dominant qui accorde préséance aux liens de sang, ils deviennent de facto marginalisés puisque leurs relations avec leurs parents reposent sur des liens sociaux et non biologiques (Cristensen, 1999).

Plusieurs chercheurs soulignent que le phénomène de l’adoption dans les sociétés allochtones s’accompagne d’un discours stigmatisant autant à l’endroit des parents adoptifs, des parents biologiques, que des enfants (Wegar, 1997, 2000; Zamostny, O'Brien, Baden, & Wiley, 2003). Ce sentiment de « stigmatisation » transparaît notamment dans les travaux portant sur le développement de la parenté adoptive (Pagé, 2012; Rosnati, 2005). Les parents adoptifs, ne pouvant compter sur le partage d’un bagage génétique commun, développent différents moyens pour légitimer leur place de parents auprès de l’enfant. Divers travaux menés auprès des enfants adoptés soulignent aussi qu’ils sont quotidiennement exposés à différentes formes de préjugés en lien avec leur statut d’enfant adopté (Garber & Grotevant, 2015; Pinderhughes, 2015). Dans le cadre de leurs interaction quotidiennes, les enfants adoptés rapportent être souvent questionnés par rapport à leur adoption et se sentir parfois « anormal » ou « illégitime » ou sein de leur famille adoptive (Baden, 2016). L’analyse du discours de 153 enfants adoptés révèlent les allusions subtiles que peuvent faire leur entourage en référence notamment à l’inadéquation présumée des parents biologiques ou le caractère philanthropique associé au fait de prendre en charge l’enfant d’autrui (Garber & Grotevant, 2015). Leurs discours témoignent de l’expérience adoptive dans les sociétés allochtones fortement influencée par le contexte social, centré sur l’idéologie du lien de sang.