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3 Démarche et méthode

4.1 Thèmes et mesures prioritaires spécifiques aux migrants

4.1.2 Domaine psychosocial

Cette partie présente les opinions des experts concernant l’utilité de traitements spécifiques à la population migrante dans le domaine psychosocial et sur les thématiques que ce domaine devrait couvrir. Des soins particuliers aux migrants dans ce domaine sont surtout jugés nécessaires en raison des dommages engendrés par le motif de la migration. Les besoins d’une intervention thérapeutique

spécifique de type psychosocial sont appréhendés par rapport à un aspect particulier de la migration, à savoir les traumatismes de guerre et de torture. Les thèmes liés aux conditions sociales et de travail dans le pays d’accueil provoquent, selon les participants, des besoins qui augmentent avec la durée de séjour. Ils devraient être traités surtout par des approches d’information et de prévention plutôt que par des actions thérapeutiques de type psychosocial. La dépendance de l’alcool et des drogues illégales est également estimée comme un problème moins urgent en ce qui concerne des traitements spécifiques de type psychosociaux prenant en compte la perspective migratoire, comme le montre la liste ci-dessous.

Les thèmes de santé prioritaires pour une intervention psychosociale spécifique sont les suivants 47:

1. Les dépressions: ce thème est rattaché à deux ensembles de questions.

L’un concerne les réfugiés qui n’arrivent pas à gérer leur situation de déracinement et de souvenirs de guerre. L’autre considère avant tout la population étrangère résidante en Suisse depuis longtemps. Il y est question de problèmes identitaires liés au mythe du retour au pays d’origine et de ceux relatifs à un manque de reconnaissance (par ex.

sociale et citoyenne) dans le pays d’accueil (la moyenne des réponses est de 1,76) ;

2. Les troubles réactionnels et d’adaptation: d’une façon générale, ce point concerne surtout les réfugiés et les victimes de torture qui doivent surmonter un traumatisme de guerre ou de torture vécu dans le pays d’origine (1,91) ;

3. Les troubles fonctionnels et psychosomatiques: cette catégorie fait également référence aux réfugiés et aux victimes de torture ou de guerre.

Les traumatismes du pays d’origine et de la migration, l’insécurité et le manque de moyens d’intégration dans le pays d’accueil sont cités parmi les causes de tels troubles (1,99) ;

4. Les abus d’alcool: selon les participants, ce problème peut apparaître par manque d’intégration ou par isolation/solitude dans le pays d’accueil (les hommes seuls étant particulièrement exposés) (2,35) ;

5. La toxicomanie: les migrants de la deuxième génération représentent le groupe-cible davantage mentionné par rapport à ce type de troubles, de même que les requérants d’asile dont l’activité professionnelle est limitée (2,62).

Les autres thèmes (6 à 9) ne sont pas retenus comme prioritaires. Ils ne sont pas considérés comme liés au phénomaine migratoire et sont donc vus comme pouvant être abordés dans le cadre des traitements assistés par des interprètes.

47 Notons que pour déterminer les thèmes prioritaires du domaine psychosocial une auto-sélection s’est effectuée parmi les participants en fonction de leurs compétences. 70% des participants par rapport à l’ensemble se sont sentis capables de répondre aux questions proposées.

6. Les troubles névrotiques (2,92) ;

7. Les troubles de la personnalité en général (3,19) ; 8. Les troubles psychotiques (3,33) ;

9. Les schizophrénies (4,15).

Les mesures d’intervention proposées dans le domaine psychosocial afin de traiter les thèmes de santé prioritaires susmentionnés font essentiellement référence au développement de services d’interprétariat et à la médiation interculturelle.

D’autres facteurs déterminants de la santé sont bien sûr cités (comme par exemple la répercussion des problèmes juridiques sur le plan psychique), mais l’amélioration des instances d’appui aux psychologues et psychiatres en Suisse par des interprètes et des médiateurs interculturels est, quant à elle, évoquée de manière systématique.

Les solutions sont appréhendées dans une perspective interdisciplinaire des pratiques pouvant aborder les questions sanitaires d’une façon plus globale. Les commentaires soulignent également la nécessité d’un travail préventif et de proximité dans le domaine psychosocial. Enfin, les barrières d’entrée sont signalées par les participants comme plus élevées pour les migrants dans ce domaine que dans celui biomédical. Dans ce sens, il est préconisé d’instaurer des services à bas seuil (comme par ex. des renseignements téléphoniques, des conseillers auprès des organisations de la migration, des unités mobiles de soins communautaires, etc.).

Les mesures d’intervention dans le domaine psychosocial sont indiquées dans l’ordre de priorité suivant :

x Le soutien des psychologues par des médiateurs et des interprètes interculturels : il s’agirait de recruter ces personnes dans différentes ethnies et de les former, afin qu’elles participent aux consultations ou qu’elles aident dans le travail de prévention (85% des participants sont favorables à cette mesure)48 ;

x La formation du personnel soignant et la formation psychologique et psychiatrique : pour cette mesure également, il existe un large consensus quant à la nécessité d’améliorer les diverses voies de formation du personnel soignant (formation de base et post-grade). Il est question de susciter un regard « ethnologique », mais aussi des connaissances linguistiques et des techniques d’implication de médiateurs interculturels et d’interprètes (82%) ;

x Le recrutement ciblé et la motivation d’un personnel soignant de la deuxième génération : cette mesure reçoit également le soutien de la majorité des participants. Ici encore, il s’agit d’implication de psychologues et de psychiatre issus de différents cercles culturels dans les centres de soins régionaux (72%) ;

48 Nous indiquons seulement les pourcentages de réponses favorables aux mesures présentées.

x La promotion de praticiens avec une offre psychologique et psychiatrique spécialisée : cette mesure demeure cependant l’objet de controverses liées au risque de « ghettoïsation » qu’elle peut engendrer selon certains participants (56%).

A ce stade, nous relevons qu’un large consensus parmi les experts de ce domaine s’est dégagé tant sur les thèmes prioritaires que sur les mesures pouvant les résoudre. Les classements concernant ces résultats ne sont pas contestés au deuxième tour de l’étude49 et il ne s’est pas avéré nécessaire de les rediscuter lors de focus groups. Nous retenons que les traitements dans le domaine psychosocial devraient concerner en priorité, les traumatismes de guerre et de torture et, s’intéresser d’abord, aux personnes issues d’une migration d’asile. Les besoins liés aux conditions sociales et de travail des migrants en Suisse se révèlent ainsi moins prioritaires. Les mesures d’intervention impliquent avant tout de résoudre les problèmes de communication lors des contacts entre soignants et soignés par le biais d’interprètes. Elles demandent aussi une formation concernant les troubles spécifiques liés au phénomène migratoire et aux traumatismes de guerre et de torture. Et, elles exigent l’apprentissage d’un savoir-faire de la part du personnel soignant, des interprètes et des médiateurs interculturels afin d’apprendre notamment à collaborer ensemble (la question de la formation sera traitée plus bas, partie 4.1.5).

Nous supposons que les mesures d’intervention sélectionnées en premier lieu, comme l’interprétariat et la médiation interculturelle, sont préférées par les participants, car elles peuvent être mises en œuvre rapidement. En revanche, il paraît plus difficile de trouver un personnel soignant immigré de la deuxième génération ayant les compétences linguistiques adéquates, et qui serait en outre intéressé à acquérir les compétences « transculturelles » pour ce type de travail. Une autre mesure qui n’est pas proposée, mais qui pourrait être imaginée est l’engagement de professionnels issus des communautés immigrées concernées. Ce type de mesure exigerait la reconnaissance de leurs diplômes ce qui semble assez problématique à réaliser dans l’immédiat en raison des opinions controversées sur cette question dans le champ politique et social.

Pour terminer, notons que la difficulté pour les migrants d’accéder aux traitements psychosociaux, relevée par les participants de cette recherche, est confirmée par la littérature. Des études récentes ont mis en évidence qu’il existe une sur-consultation dans le domaine somatique et une sous-consultation dans le domaine psychosocial de la part des migrants (cf. Wicker 1999 ; Hatz et al. 2000).

En outre, une absence de prise en compte des troubles psycho-sociaux spécifiques des migrants lors de l’anamnèse, du diagnostic et de la thérapie est constatée par l’étude de Hatz et al. (2000). Nous savons aussi que les migrants peuvent éprouver certaines réticences à repenser à leurs souvenirs de guerre et préférer ne pas les traiter. Par ailleurs, les troubles liés aux traumatismes de guerre et de torture

49 La moyenne des réponses adhérant au classement du premier tour est de 1,78 pour les thèmes et de 1,71 concernant les mesures.

peuvent prendre une longue période avant de se déclarer. Or, un traitement rapide accélère le recouvrement d’une bonne santé. Enfin, le statut légal précaire et la récente arrivée en Suisse rendent plus difficile l’accès aux soins (notamment de type psychosocial) et la connaissance du système de santé. Les données issues de la littérature nous amènent aussi à conclure que les barrières d’entrée sont plus nombreuses dans ce domaine que dans celui du biomédical. Ce que confirment les résultats de la présente étude, qui préconise d’instaurer des services à bas seuil afin de faciliter les consultations de type psychosocial. Ils recommandent de plus de fournir une information différenciée aux migrants et à leurs communautés sur les questions médicales de type psychosocial.