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Exercice incontournable du travail de thèse, l’épistémologie est un passage obligé pour les étudiants en doctorat. Cazal (2015) souligne d’ailleurs « qu’il est fréquemment attendu des doctorants qu’ils se positionnent sur ce plan, le plus souvent dans le cadre d’un chapitre traitant de la méthodologie de leur travail de recherche [et] comme le souligne avec vigueur Dumez, nombre de thésards sont sommés, dans des séminaires doctoraux ou lors de leur soutenance, de choisir une position épistémologique ».

Cette institutionnalisation de l’épistémologie et sa déclinaison en paradigmes peuvent dérouter les doctorants. Dumez (2010) précise d’ailleurs que « dans les sciences de gestion, on considère souvent que deux ou trois paradigmes épistémologiques s’opposent, entre lesquels il faut choisir : le positivisme d’une part, le constructivisme et l’interprétativisme de l’autre, l’interprétativisme étant souvent présenté comme une variante du constructivisme ». Sous couvert de l’intention louable d’offrir un cadre à la recherche, un glissement vers une approche dogmatique de la conduite de la recherche peut s’opérer (Cazal, 2015).

Nous nous livrerons toutefois à cet exercice de positionnement épistémologique et de choix d’un paradigme en nous appuyant sur les ouvrages d’Avenier et Gavard-Perret (2012) et d’Adler et Adler (1987) avant de souligner les limites et les difficultés soulevées par ces interrogations épistémologiques, notamment dans les travaux de Cazal (2000a, 2000b).

4.1. Choisir un fondement épistémologique

Piaget (1967, cité dans Avenier & Gavard-Perret, 2012) définit « l’épistémologie comme l’étude de la constitution des connaissances valables ». Il s’agit donc de déterminer ce qu’est « la connaissance », comment on « l’élabore » et enfin comment on en détermine « la validité ». Pour cela, le chercheur s’appuie sur un courant épistémologique qui lui permet à la fois

d’apporter une réponse aux trois éléments évoqués, mais qui est également en accord avec sa propre philosophie du travail de recherche.

La littérature sur les paradigmes épistémologiques contemporains s’articule autour de trois principaux courants – le positivisme, l’interprétativisme et le constructivisme – qui ont fait l’objet des déclinaisons que nous présentons dans le tableau 13 ci-dessous (adapté d’Avenier & Gavard-Perret, 2012). POSITIVISME P.E. interprétativiste CONSTRUCTIVISME P.E.réaliste scientifique P.E. réaliste critique P.E. constructiviste pragmatique P.E. constructiviste au sens de Guba et Lincoln Hypothèses d’ordre ontologique Il existe un réel en soi (LE réel). Le réel existe en trois strates (profond, actualisé, empirique). La réalité objective réside dans la signification consensuelle perçue par les acteurs d’une situation. Aucune hypothèse fondatrice. Le réel est relatif. Il est un construit social. Hypothèses d’ordre épistémique Le réel n’est pas forcément connaissable. Est connaissable le réel empirique, perception du réel actualisé créé par des mécanismes générateurs à l’action dans le réel profond (non observable). Est connaissable l’expérience vécue. L’intention du sujet connaissant influence son expérience vécue de ce qu’il étudie. Est connaissable l’expérience humaine active. L’intention de connaître influence ce que l’on étudie.

Dans le processus de connaissance, il y a interdépendance entre le sujet connaissant et ce qu’il étudie. But de la connaissance Connaître et expliquer des phénomènes observables. Mettre à jours les mécanismes générateurs et leurs modes d’activation. Comprendre le processus d’interprétation, de construction de sens, de communication et d’engagement dans les situations. Construire de l’intelligibilité dans le flux de l’expérience à fin d’action intentionnelle. Comprendre les constructions de sens impliquées dans le phénomène étudié.

POSITIVISME P.E. interprétativiste CONSTRUCTIVISME P.E.réaliste scientifique P.E. réaliste critique P.E. constructiviste pragmatique P.E. constructiviste au sens de Guba et Lincoln Modes de justification spécifiques Neutralité, objectivité, justification de la validité externe et interne. Pouvoir explicatif des MG identifié. Justification de la validité des MG via des mises à l’épreuve successives dans des recherches quantitatives ou qualitatives. Méthodes herméneutiques et ethnographiques. Justification des validités communicationnelle, pragmatique et transgressive. Adaptation fonctionnelle et viabilité de la connaissance pour agir intentionnellement. Justification de la validité des connaissances génériques via des mises à l’épreuve dans l’action. Méthodes herméneutiques mobilisées de manière dialectique. Fiabilité et authenticité. Pas de généralisation.

TABLEAU 13 : PRINCIPAUX PARADIGMES EPISTEMOLOGIQUES CONTEMPORAINS (AVENIER &GAVARD- PERRET,2012, P.25)

Nous reconnaissons dans ces paradigmes deux grands courants conceptuels de la recherche qui ont pour fondement une appréhension différente de la réalité. D’une part, le positivisme met l’accent sur une réalité extérieure, indépendante et déterministe du monde. De l’autre, l’interprétativisme et le constructivisme défendent l’idée d’une réalité dépendante du sujet observateur. Ces approches conduisent à concevoir très différemment la production de connaissances : pour le courant positiviste, les connaissances se veulent objectives car la réalité est externe, et il s’agit alors de lire les lois qui la gouvernent ; pour les courants interprétativiste et constructiviste, les connaissances dépendent du sujet qui les « produit ». Pour ces deux derniers courants, l’opposition réside dans la façon dont ces connaissances sont produites : pour les interprétativistes, elles résultent de la compréhension de la représentation de la réalité par les acteurs ; pour les constructivistes, les connaissances (actionnables) sont une construction de la réalité opérée par les acteurs. Pour autant, cette dichotomie sur la nature de la réalité doit être nuancée dans l’appréhension qu’en font les sciences de gestion modernes : Rappin (2011) explique que poussées par « la dérive méthodologique qui habite les sciences de gestion, […] les questions de la nature de la réalité et de l’indépendance entre sujet et objet relèvent au mieux de la secondarité sinon de l’illusion voire du leurre, et n’ont d’autre fonction opérationnelle que d’être des critères de choix entre des dispositifs concurrents d’arraisonnement des organisations. » (p. 482). D’où, y compris pour le positivisme, « le passage d’un régime

ontologique de l’extériorité à la métaphysique de l’intériorité : le fondement du monde n’est plus à rechercher dans un tiers, une transcendance, mais dans le Sujet lui-même (cogito sum) [et] alors que le scientifique antique s’efforçait d’épouser l’ordre naturel, le scientifique moderne ancre la vérité dans le regard d’un sujet sur un objet. » (p. 479).

Cette différence d’appréciation conduit à raisonner de façon inverse en présentant les arguments qui seraient en mesure de nous faire écarter un ou plusieurs de ces paradigmes épistémologiques. Prenons le positivisme : parmi les hypothèses fondatrices, l’une d’elles « dite d’épistémologie objectiviste dualiste [postule que le chercheur] doit se placer en position

d’extériorité par rapport au phénomène étudié, [travailler] dans des conditions contrôlées (en

particulier par observation et expérimentation), [faire en sorte] que le chercheur n’influence pas l’objet étudié. » (Avenier & Gavard-Perret, 2012). Cette hypothèse ne nous semble pas tenable dès lors que le chercheur fait partie de l’organisation qu’il étudie. Son extériorité est impossible par nature. Dès lors, nous mettrons de côté ce courant épistémologique qui ne nous permet pas de justifier une production des connaissances en toute neutralité, objectivité ou par des mises à l’épreuve successives dans des conditions contrôlées. L’hypothèse que nous avons présentée relève du positivisme logique que certains chercheurs (Popper, Kuhn, Feyerabend...) ont tenté d’atténuer. Sur la base de leurs réflexions se sont développées des approches alternatives, dites de post-positivisme (Tableau 13), qui introduisent davantage de souplesse dans la nature de la réalité, dans la production des connaissances et dans le choix des méthodes. Pour autant, que ce soit pour le réalisme scientifique ou pour le réalisme critique, certains principes interrogent quant à la proximité de leurs frontières avec les courants interprétativiste et constructiviste. Le réalisme scientifique propose ainsi le principe de « l’existence d’un monde indépendant de ce qui est perçu et des représentations qu’on peut en avoir. » (Avenier & Gavard-Perret, 2012). Dans ce courant post-positiviste, cette référence à la « perception » et à la « représentation » pour connaître la nature de la réalité fait penser à l’interprétativisme. Le réalisme critique brouille encore plus les frontières avec une « conception de la connaissance qui n’est pas définitivement établie […] certains auteurs privilégiant une conception représentationnelle de la connaissance. » (Avenier & Gavard-Perret, 2012), ce qui rappelle là aussi l’approche interprétativiste. Tiraillé ainsi entre le paradigme positiviste logique dont une des hypothèses nous paraît incompatible avec notre positionnement de chercheur, et des paradigmes réalistes qui naviguent en bordure des eaux territoriales de l’interprétativisme, nous préférons écarter cette approche pour notre étude.

Considérons à présent l’approche constructiviste. La première hypothèse fondatrice de ce paradigme « postule que ce qui est connaissable, c’est l’expérience humaine des relations de résistance perçue aux actions menées. » (Avenier & Gavard-Perret, 2012). Elle précise que les connaissances produites résultent d’une intelligibilité partagée, entre le chercheur et les acteurs, des flux d’expériences humaines « pour agir intentionnellement par rapport au phénomène étudié. » (p. 36). Plus simplement, Le Moigne (1990/1995, cité par Rappin, 2011) rappelle que « le constructivisme pose une réalité construite par les individus qui poursuivent une finalité dans l’action. », (p. 477). Cette référence à l’action intentionnelle du chercheur et des acteurs, dans une co-construction de sens, ne peut s’appliquer à notre étude car le phénomène étudié dépasse largement le champ d’influence des parties prenantes. De ce fait, nous ne retiendrons pas non plus l’approche constructiviste dans cette étude.

Pour conduire cette recherche, nous avons retenu l’approche interprétativiste. Ce parti pris reflète un principe de « réalité » dicté par notre terrain plus qu’une véritable liberté de choix de notre part. Reprenons ce que Piaget nous dit sur la façon de déterminer ce qu’est la « connaissance », sur la façon de « l’élaborer » et enfin d’en éprouver la « validité », et essayons d’imaginer quelles réponses nous pourrions apporter pour chacun de ces points dans le cadre d’un rapprochement entre notre terrain et une posture épistémologique interprétativiste.

Qu’est-ce que la « connaissance » dans l’approche interprétativiste ? Pour Avenier et Gavard-Perret (2012), « la construction de la connaissance vise d’abord à comprendre les significations que les différents sujets participant à une même situation donnent à cette situation. » (p. 38) ; pour Rappin (2011), c’est la « compréhension des représentations, des jugements, des motivations et des raisons d’agir d’autrui » (p. 485) ; Masengesho, Bonami et De Ketele (2009) décrivent la connaissance comme étant la « représentation faite d’interprétations et de constructions, modèle de compréhension ouvrant des possibilités d’action et de transformation. » (p. 56). Ces quelques citations convergent sur la définition de la « connaissance » pour les interprétativistes mais méritent d’être complétées et précisées en rappelant que la « représentation » résulte de l’interaction entre un réel existant (non accessible à l’homme) et « le sujet connaissant ». Cette représentation est donc « la réalité objective d’une situation » dès lors qu’elle fait l’objet d’un consensus parmi les sujets qui la vivent (Avenier & Gavard-Perret, 2012). Dans le cadre de notre étude, la connaissance sera la représentation commune partagée des acteurs de l’intelligibilité du mode de fonctionnement qu’ils ont de leur organisation. De cette signification consensuelle, il nous reviendra d’extraire et d’analyser les dimensions telles que les acteurs les perçoivent puis de les comparer avec ce que nous en dit la

littérature. De là, nous essayerons alors de faire émerger les dimensions particulières qui ne sont pas mises en avant dans l’approche contingente.

Comment « élabore-t-on » la connaissance chez les interprétativistes ? Les méthodes privilégiées sont principalement de nature herméneutique et ethnographique. Pour Avenier et Gavard-Perret (2012), « les connaissances générées sont essentiellement de type descriptif. Elles sont en général présentées dans des narrations détaillées offrant des ‘decriptions épaisses’ (thick descriptions, selon la formule de Geertz, 1973). Le but de ces descriptions épaisses est double : donner la possibilité au lecteur de suivre précisément la manière dont les interprétations du chercheur ont été élaborées à partir du matériau empirique mobilisé ; communiquer au lecteur le plus d’informations possibles pour lui faciliter une éventuelle mobilisation de ces connaissances dans un autre contexte. » (p. 38). Ces connaissances ne donnent pas lieu à une généralisation statistique, et elles sont obtenues « de manière itérative par induction et/ou abduction, à partir de lectures attentives répétées du matériau empirique jusqu’à ce qu’une construction de sens nouvelle émerge, éventuellement à la lueur de connaissances théoriques préalables. » (p. 39).

Si l’induction consiste à généraliser à partir de quelques cas, l’abduction « porte sur ce qui peut être. » (Dumez, 2013). Attardons-nous sur ce second point : « l’abduction démarre avec un fait surprenant. » (p.190). Si la déduction permet, à travers d’hypothèses, de prédire des effets « logiques » (si A1, A2 et A3 sont vrais, et si B est vrai et provoque A1 vrai, A2 vrai et A3 vrai, alors B est vrai), l’abduction (ou rétroduction) permet de revenir interroger les hypothèses lorsqu’un fait présente une anomalie par rapport aux prédictions des hypothèses. L’abduction consiste alors à « formuler une hypothèse nouvelle qui permette d’expliquer le fait déroutant que la théorie d’arrière-plan n’explique pas. » (p.191). Catellin (2004) explique que « nous pratiquons l’abduction dans la vie courante, lorsque nous recherchons les explications d’un phénomène ou d’un fait surprenant [comme pour un diagnostic médical]. […] L'abduction se laisse donc reconstruire a posteriori comme un raisonnement déductif faillible. Mais, à la différence de la déduction, l'abduction est par nature incertaine. On ne peut pas affirmer avec certitude qu'une explication constitue la cause réelle d'une observation, l'incertitude pouvant porter sur la plausibilité de l'explication, ou bien concerner la validité de la connaissance permettant l'explication […] l'abduction est incertaine et n'a pas le pouvoir prédictif de la déduction. » (p. 180). L’élaboration de la connaissance pour les interprétativistes part donc toujours du terrain et du matériel empirique fournis par les observations, les entretiens, les documents. Ceux-ci permettent soit de faire émerger des connaissances générales à partir de

cas formant des faisceaux concordants (induction), soit de revisiter une théorie à partir d’une anomalie se trouvant là où on ne l’attend pas (abduction).

Le dernier point défini par Piaget concerne la « validation » des connaissances produites. Comment éprouve-t-on leur « validité » ? Trois principes directeurs permettent de répondre à cette question (Avenier & Gavard-Perret, 2012). Le premier est relatif à la « fiabilité » du processus de recherche, le « lecteur [devant disposer des] moyens de suivre l’ensemble du cheminement cognitif qui conduit du matériau empirique de la recherche […] jusqu’aux résultats annoncés, de manière à pouvoir, s’il le souhaite, reproduire ce cheminement ». Il faut donc mettre à disposition du lecteur l’ensemble des données et des méthodes utilisées en cours de recherche. Le deuxième principe doit permettre de démontrer la validité interne de la recherche qui repose :

- sur la « cohérence interne » de la recherche (son design) comprenant le cadre épistémologique, le but de la recherche, la question étudiée, les théories mobilisées, la méthode et le terrain (pp. 40-41) ;

- sur la « validité du construit » (interprétation de l’expérience vécue investiguée) qui est présenté aux acteurs afin de vérifier qu’il correspond bien à ce qu’ils font (pas à ce qu’ils disent qu’ils font) (p. 43) ;

- sur la « rigueur du processus » de recherche qui exige d’expliciter dans le détail le processus utilisé (p. 45).

Le troisième principe a trait à la « validité externe de connaissances » qui consiste mettre à l’épreuve les connaissances produites au-delà des cas qui ont permis de les produire, afin de vérifier si elles procurent des repères fonctionnels utiles à d’autres terrains moyennant un travail d’adaptation au nouveau contexte (p. 47).

4.2. Positionnement du chercheur

Selon la typologie établie par Adler et Adler (1987) sur la position du chercheur, nous appartenons de fait, et sans autre possibilité car nous sommes membre des organisations faisant l’objet de cette étude, à la catégorie des « complete-member-researchers (CMRs »). Cette posture ethnographique est ainsi décrite :

“The complete-member-researchers (CMRs) immerse themselves fully in the group as ‘natives’. They and their subjects relate to each

other as status equal, dedicated to sharing in a common set of experiences, feeling and goals. As a result, CMRs come closest of all researchers to approximating the emotional stance of the people they study”. (p. 67)

Et cette appartenance est précisée dans la remarque suivante :

“The complete membership role can be divided into two distinct subtypes : the ‘opportunistic’ researcher and the ‘convert’. In the former, researchers study settings in which they are already members.”

(p. 68)

S’il ne nous semble pas utile de nous attarder sur le processus qui permet à un chercheur de devenir un CMRs car notre position ne nous offre guère d’autres possibilités, il semble opportun de souligner les avantages de cette posture mais aussi les inconvénients, les risques et les difficultés qu’elle présente. L’intérêt principal de ce positionnement réside dans le fait de « vivre » son et dans son terrain de recherche. L’accès aux informations est facilité par l’appartenance du chercheur en tant que membre de la communauté qu’il étudie. Néanmoins, Adler et Adler (1987) soulignent que pour un opportunistic CMRs, le premier écueil réside dans la difficulté à trouver sa place de chercheur dans une organisation dont il fait partie en tant qu’acteur. Relatant l’expérience de Susan Krieger qui mena une étude « opportuniste » sur la communauté lesbienne dont elle faisait partie (p. 68), voici ce qu’observent Adler et Adler (1987) :

“[…] she decided to undertake a formal study. She turned to her acquaintances, friends, and lovers from this social group and conducted a series of 78 depth interviews with them. This put her in an awkward position at times, especially when she was dealing with rivals or ex-lovers and attempting to approach them from an uninvolved, value-neutral stance. For her, immersion in the research role was an omnipresent struggle, and one that plagued her well beyond the data- collection phase of the research.” (p. 73)

Le conflit de position bien illustré dans ce cas précis n’est pas forcément à généraliser pour tout chercheur engagé dans cette démarche mais il reste prédominant, la schizophrénie induite par cette posture « en et hors » n’étant jamais lointaine. Comment rester objectif et neutre dans

ce qui demande une prise de recul par rapport à la communauté à laquelle on appartient, sans se détacher d’elle en tant que membre à part entière, position qui nécessite un engagement profond ? Il n’existe pas réellement de méthode efficace à opposer à ce problème, chaque chercheur devant composer avec sa propre personnalité et celles des membres de sa communauté. Les dilemmes intellectuels restent permanents tout au long de la recherche. L’appartenance au groupe gêne la prise de conscience objective nécessaire à la recherche, et inversement la distanciation évince le chercheur des membres de sa communauté qui peuvent alors masquer des éléments auparavant accessibles à sa connaissance. Adler et Adler (1987) développent ces fluctuations qui illustrent les difficultés rencontrées par les chercheurs adoptant cette posture de recherche (pp. 74-78) ; ils en font ressortir que le mouvement naturel général d’un « opportunistic CMR » est celui d’un élargissement de son propre point de vue – au-delà de la perspective étroite que lui offre son statut de membre – afin d’englober plus largement la perspective collective partagée de sa communauté (p. 78). À la fin de son travail de recherche, le CMR peut entreprendre de se désengager du groupe qu’il a étudié. Les raisons peuvent être multiples mais les auteurs en soulignent trois principales. La première est relative à des contraintes matérielles (déménagement, argent…) qui ne dépendent pas de la volonté du chercheur ; la seconde peut venir de la disparition du champ de recherche lui-même qui avait servi de sujet à l’étude (dissolution d’un groupe, fin d’un mouvement social…) ; la troisième enfin est intrinsèque au chercheur qui prend conscience d’avoir atteint ses limites personnelles (engagement trop intense ayant un impact sur la santé, impossibilité de supporter plus longtemps le conflit induit par les deux réalités que représentent le statut de membre et celui de chercheur…) (pp. 79-80).

En résumé, notre positionnement de chercheur peut et doit être identifié comme un CMR dans la mesure où nous faisons partie intégrante de l’organisation objet du terrain de recherche. Si nous reconnaissons que le principal avantage réside dans un accès facile et de l’intérieur aux informations dont nous avons besoin, nous devons bien admettre avoir dû faire face aux principaux points durs soulignés par Adler et Adler (1987) dans cette posture et notamment la difficulté à se distancier de la position de membre pour adopter celle du chercheur, et notre