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LE DOGME DU PROJET : LES

Dans le document Animation et développement social (Page 70-72)

PROCÉDURES

CONTRE LES

PROCESSUS.

formalisation qui leur laisse espérer que le respect de la procédure vaut maîtrise de la réalité à transformer. Les professionnels de l’animation et du développement social ont ainsi appris, dans leur formation, à parler un jargon techniciste qui coupe du sens commun et esquive la rencontre, l’échange et la confrontation avec les destinataires du changement.

En fait, cette approche, focalisée sur les procédures et sur la réalisation des objectifs, s’avère souvent sur le terrain inopérante pour redonner parole et vie à des groupes, et pour recréer un tissu social. L’usage techniciste de ces méthodologies a contribué à rendre largement inef- ficiente la participation des habitants. Même s’ils sont consultés par entretiens ou question- naires, ils doivent s’inscrire dans une procédure qui prend peu en compte leur propre dynamisme : ils sont interrogés, rarement mobilisés. De plus, ces méthodologies renforcent souvent la coupure avec les agents intermédiaires, ceux qui sont au contact direct avec le public. Le développement des méthodes d’ingénierie sociale a en effet contribué à creuser l’écart entre les responsables et les personnels de terrain. En même temps que les cadres, chefs de service éducatif, responsables d’équipement, chefs de projet de ville… renforçaient leurs compétences stratégiques, l’idée s’imposait qu’un processus d’action bien conçu, aux objectifs clairement formulés, ne nécessitait que des personnels susceptibles d’exécuter des tâches bien identifiées et contrôlables, comme dans le processus de taylorisation de la pro- duction industrielle. On a donc vu apparaître et se développer, dans les quartiers et les éta- blissements scolaires, une catégorie d’OS de l’action sociale et du développement urbain : interchangeables, il leur suffit d’être jeunes, au chômage et immigrés pour être reconnus aptes à exécuter des tâches variées d’intervention sur des groupes d’enfants et d’adolescents. 3) Des dérives technicistes du paradigme de projet à un modèle inspiré de l’apprentissage par le contexte.

Il semble donc nécessaire de revenir sur un paradigme qui est devenu un dogme de l’action et de dépasser sa technicité rassurante pour penser à ce qu’exige la dynamisation d’un terri- toire ou d’un quartier. La méthodologie de projet reste sans doute utile pour formaliser une conduite d’action, mais il faut cesser de la confondre avec une action de dynamisation d’une situation dans une perspective de transformation. Par ailleurs, même s’il n’est pas né dans l’entreprise, le projet s’y est développé et garde sa marque de fabrique, sa rationalité y a trouvé ses lettres de noblesse. Mais, s’est-on interrogé sur la pertinence de sa transposition au secteur du développement social, où seul un nombre limité de problèmes peut être placé sous le contrôle direct de professionnels agissant comme des “pilotes” d’action, et où la plu- part des problématiques de développement ne peuvent se réduire à une rationalisation de l’ac- tion ? De plus, on a omis de remarquer que, pendant que l’on s’ingéniait à y vulgariser et formaliser une méthode stratégique, l’entreprise de son côté s’efforçait de diversifier les approches, d’observer les stratégies émergentes pour modéliser d’autres systèmes de conduite de l’action.

Le travail d’Henry Mintzberg est significatif de cette diversification, puisque l’auteur n’identifie pas moins de dix écoles différentes présentes dans les entreprises. On se bornera ici à consi- dérer l’une d’entre elles. À l’opposé de ce que l’auteur appelle « l’école cognitive », qui implique, comme dans les démarches de projet, que la conduite de l’action dépende de la représentation claire et préalable de sa visée, « l’école de l’apprentissage » insiste sur la capa- cité de l’action à faire émerger, par expérimentation et apprentissage, des objectifs ne pou- vant être pensés avant que le processus d’action ne soit vraiment engagé. Cette perspective ménage le préalable d’une vision stratégique globale, mais les objectifs et le chemin à suivre ne sont plus déterminés à l’avance. Elle remet en cause, ou peut même renouveler profondé- ment, l’articulation entre la pensée et l’action structurant les démarches de projet. Elle désta- bilise l’idée d’une conception préalable et centralisée de l’action. Le pôle unique de conception de la stratégie disparaît au profit de plusieurs pôles de gestation de dynamiques d’action

pouvant contribuer au développement de l’orientation générale. Dans cette approche, le rôle du dirigeant ne consiste plus à concevoir l’action à l’avance mais à mettre en place une pro- cédure globale, à mobiliser des groupes et des partenaires sur une grande orientation, à faire que la mise en action révèle des pôles de ressources. Conduire l’action revient alors à recon- naître et à favoriser des expérimentations, des essais, à faire circuler des savoirs, des expé- riences, afin de définir ou redéfinir des objectifs d’action. Il s’agit aussi d’accompagner ce qui se fait sur le terrain par de l’échange, de la mise en parole, au regard d’un grand axe de mobilisation. Évaluer n’est plus alors contrôler et gérer des écarts, mais être garant du sens de l’action. Nous avons retenu que la compétence est un processus qui mobi- lise savoirs, expertises, expériences dans l’action, en fonction du cadre de perception que se construit le professionnel. Ce faisant, nous avons insisté sur le fait qu’elle ne s’actualise qu’en lien avec les ressources disponibles dans l’environnement : l’organisation du travail et les modes d’ac- tion retenus. Au travers de notre analyse critique sur l’hégémonie du projet, nous avons voulu montrer à quel point certains types d’approches technicistes du management conduisent à négliger les ressources que constituent les compétences collectives.

LA PENSÉE DE

Dans le document Animation et développement social (Page 70-72)