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Sur le champ exploré

Dans le document Animation et développement social (Page 57-61)

Face à ces trois lignes de transformation qui travaillent le corps social, les associations et les pouvoirs publics ont développé des efforts considérables en équipements, en postes de tra- vail, en mesures et en dispositifs institutionnels. Or, le champ de l’intervention sociale, au sens large que lui donne Claude Dubar dans sa synthèse2, s’est structuré essentiellement

selon la logique statutaire des professions établies : animateur, éducateur spécialisé, assis- tant social, éducateur sportif, éducateur de justice… En conséquence, la définition de bon nombre d’emplois est induite par cette approche qu’imposent les profes-

sions, avec leurs statuts et leurs cycles de formation.

PRATIQUES/ANALYSES

2/ DUBARC., « Catégorisation des métiers de l’intervention sociale », MIRE info, décembre 1997.

Cette logique a des effets tout à fait repérables sur le terrain. Elle fait le plus souvent cor- respondre un public, un type d’activité et un groupe de professionnels dominant. Les dispo- sitifs peuvent s’additionner, les interventions restent sectorielles et segmentées.

Pourtant, selon ce sociologue du travail, une deuxième logique se dessine. Elle part, non pas des professions et de leurs statuts, mais de l’identification des besoins dans une situation donnée, relative à des orientations ou des missions précises. Cette approche exige de déter- miner les activités et les services en place, mobilisables pour la production de réponses arti- culées à la fois aux missions et aux besoins identifiés. Il devient alors nécessaire de définir les postes, les fonctions permanentes ou les missions temporaires en correspondance avec les problèmes mis en évidence.

Ce changement de point de vue a des effets profonds sur la manière d’appréhender et de caté- goriser les emplois, sur la manière de définir les compétences nécessaires pour assumer la transformation des modes d’intervention et, enfin, sur la manière de concevoir le rôle des équipements.

L’analyse du panel des emplois qui ont servi de référence à notre groupe de travail fait appa- raître deux grands groupes d’employeurs. Le secteur des collectivités territoriales semble être le principal. Le second secteur est porté par le milieu associatif qui recouvre le secteur tradi- tionnel de l’animation. Parmi les intitulés de mission, on note une multiplication des missions autour du « développement local » des pays.

Force est de constater que nous n’avons pas pu tirer parti de l’approche du champ par le ver- sant employeurs. Nous avons observé que ce n’est pas forcément le type d’employeurs qui structure le champ et que bien des situations sont « comparables » dans le secteur public et dans le secteur associatif.

Face à la difficulté de définir le champ de l’animation et du développement social, nous avons tenté de dégager quelques réflexions à partir d’une lecture empirique des missions, telles qu’elles étaient décrites par les intéressés. Celles-ci sont à géométrie variable et les personnes transgressent souvent la mission de base (celle définie dans la fiche de poste) pour œuvrer dans un secteur voisin ; il est intéressant de constater que certaines missions sont des mis- sions « transfuges » au regard de leur secteur employeur : c’est le cas de la mission du direc- teur de la base nautique, qui évolue vers du développement local, de la coordination du festival des cuivres dans le pays de Montbéliard, mais c’est aussi le cas de la structure d’in- sertion de Poitiers, qui abandonne une logique de gestion de dispositif pour une logique d’animation du développement social. L’analyse des missions confirme que les emplois ont une configuration changeante, parce qu’ils sont structurellement liés aux évolutions sociales et politiques publiques. Les vecteurs d’activités (logement social, culture, sport, insertion, participation…) ne sont que des « portes d’entrées » qui balisent le champ d’intervention. Pour saisir ce champ professionnel, il faut l’arrimer à l’analyse des difficultés que les struc- tures doivent traiter et que les politiques publiques visent à transformer.

Notre travail d’analyse nous conduit à identifier, dans la nébuleuse des emplois visés, six pôles différents.

Les trois premiers ont en commun de répondre à la nécessité de faire évoluer les structures que Claude Dubar qualifie de « traditionnelles ». Ils renvoient à :

– des emplois de direction d’équipement aux méthodes renouvelées (centres sociaux, MJC, foyers d’hébergement) ;

Les pôles 4 et 5 ont en commun d’utiliser une médiation culturelle (café musique) ou spor- tive (sport insertion) pour le premier, socio-économique pour le second (entreprise d’inser- tion, régie de quartier, création de services de proximité ou d’activité économique).

Le dernier pôle de chef de projet chargé du développement social sur un territoire urbain ou rural est sans doute le mieux identifié, si l’on en croit les nombreuses offres d’emploi qui lui correspondent.

L’analyse transversale des missions prescrites et du travail réel nous a conduits à dégager certaines constantes dans la pratique des professionnels :

1) La nécessité pour eux de connaître et de prendre en compte les usagers, les populations destinataires des mesures, non comme des entités administratives, ou même sociologiques, mais comme des personnes, sans l’implication desquelles les transformations souhaitées ne peuvent se réaliser.

2) La nécessité d’articuler leurs interventions avec une problématique de développement local pour lutter contre la segmentation et le cloisonnement des réponses existantes. Ceci implique pour eux d’agir sur (ou dans) un espace, un territoire défini. C’est dans cet espace qu’il s’agit de créer du lien. Agir avec les composantes de cet espace, c’est s’appuyer sur ses ressources, avec les publics, les partenaires éducatifs, sociaux, économiques, c’est agir avec les déci- deurs, avec les élus, mais aussi intervenir dans le cadre d’un réseau, pour repasser du local aux approches globales, pour confronter les expériences et conjuguer des valeurs partagées. 3) Il apparaît que le caractère incontournable de la maîtrise de savoirs techniques en matière de gestion, de management ne doit pas faire oublier que ces savoirs n’ont de pertinence que lorsqu’ils sont au service de finalités explicitées. À tous les niveaux, on retrouve également l’importance de la notion d’équipe, équipe qu’il faut constituer, recruter, qu’il faut animer, qu’il faut manager, qu’il faut former. Dans bien des cas, c’est le recours à la direction de projet qui sert à formaliser l’action.

4) Au travers de l’injonction récurrente de travailler avec les bénévoles, de rendre les habitants « acteurs », s’affirme la nécessité de relier action sociale et action citoyenne, pour ne pas séparer un traitement social des difficultés d’une restauration des liens qui permettent de « faire société » et d’accéder à un espace public de délibération. Les professionnels ne peu- vent pas seuls inventer des réponses aux besoins sociaux. Ils doivent agir avec des collectifs, en mobilisant autrement les usagers, les populations qui structurent le champ que nous avons exploré. Cette activité appelle une compréhension du fonctionnement des groupes et une apti- tude à travailler avec des collectifs.

5) Le dernier axe structurant du travail réel de ces professionnels renvoie au cadre de valeurs que sous-entend pour eux l’évaluation du contexte et le discernement sur les orientations à privilégier. En effet, « contrairement au directeur d’une unité de production de poulets surge- lés, qui peut tranquillement vendre ses poulets au Cameroun, puisque sa finalité n’est qu’économique, le directeur d’un service social ou médico-social, d’un projet, doit saisir l’ar- ticulation de ce qu’il fait et de ce qu’il aide à faire, avec la société dont il souhaite la construc- tion. Il ne peut naturellement pas, comme le directeur de l’entreprise de production de poulets, distinguer son rôle professionnel (je contribue à inonder le marché africain de volailles surgelées “Douce France”) et son rôle de citoyen, puisque sa mission consiste justement à faire le contraire de ce qui peut (au prix d’une certaine schizophrénie pour être bienveillant) être le lot de quelqu’un dont la rationalité serait limitée à sa petite bulle entrepreneuriale ». (Patrice Lorrot)

« Pour moi, dit l’un des participants, il est vital de penser que les dispositifs d’animation, d’aide, d’insertion doivent contribuer à faire vivre et à redéfinir une culture démocratique, pour lui redonner son pouvoir d’intégration, son pouvoir de reconnaissance vis-à-vis des jeunes générations, vis-à-vis de ceux qui sont déracinés de leur travail, de leur culture professionnelle,

de ceux qui sont déracinés de leurs pays d’origine. » « Nous sommes en train de changer de monde et de société. Un monde s’efface et un autre est en train d’émerger sans qu’existe aucun modèle préétabli pour sa construction. Cette situation est éprouvante pour nous, elle nous oblige à chercher les ressources nécessaires pour analyser et affronter les situations auxquelles nous sommes confrontés », continue-t-il. Ces ressources ne sont pas seulement techniques, elles posent la question d’un référentiel de valeurs autour duquel organiser le sens et la cohérence de l’intervention professionnelle. Or, ce cadre de valeurs ne relève pas d’un seul positionnement personnel, ni d’un alignement pur et simple sur les valeurs des commanditaires. Cette question est rarement explicitée dans l’action et les professionnels ne sont pas préparés à cette « activité oubliée ».

Ces caractéristiques transversales montrent bien l’importance de ne pas s’en tenir, pour la production des compétences repérées, à une logique de formation spécialisée préparant à un emploi ciblé. Elles ont constitué pour nous un support précieux pour proposer des orienta- tions en matière de définition des compétences et des formations à promouvoir.

Réflexions et

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