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Tableaux récapitulatifs des enquêtes effectuées à Tunis 19

3. Démarches empiriques

3.1 Documentation in situ

3.1.1 Temps d’imprégnation

Pour une approche in situ nous avons focalisé notre travail de terrain sur deux aspects : saisir la dynamique de la place publique et comprendre la logique d’un parcours quotidien. Pour cela nous avons commencé par une période d’imprégnation, étape indispensable pour se (re)familiariser avec le terrain d’étude. La place est observée globalement à différents moments et au cours de différentes périodes (au cours de la semaine, pendant les jours fériés, le week-end et durant un événement exceptionnel...), pour repérer les activités et les pratiques, préciser les composantes de l’espace et comprendre le fonctionnement du lieu. Cette première approche a été complétée par des reportages photos, certainement nécessaires pour relater l’ambiance urbaine.

Une fois sur le terrain, nous avons commencé à faire de la caméra discrète en observant et décrivant des conduites sociales, en étant observateur participant ou pas. La question à laquelle nous avons souhaité répondre est : quelle population fréquente ce lieu et comment s’y comporte t-elle ? Quels sont les usagers réguliers et ceux occasionnels du terrain ? Y a-t-il des trajectoires privilégiées ? Et quelles sont-elles ? Y a-t-il des pratiques spécifiques20 ?

Pour pouvoir répondre à ces questions il a fallut prendre le temps de l’imprégnation avant de commencer les relevés, les graphiques et les enquêtes, ce qui veut dire fréquenter le site en flâneur, ou usager amateur, noter sur son propre journal de bord tout ce qui semble présenter de l’intérêt (même une variation d’ensoleillement qui suscite un comportement particulier, lieux de pose privilégiés et aussi certains détails qui semblent insignifiants). Cette étape nous a aidé pour la familiarisation avec le terrain et le repérage des traits caractéristiques et pertinents qui ont servi pour l’analyse par la suite.

3.1.2 Observation des terrains

La deuxième étape est une étude descriptive du territoire, qui se base sur un plan détaillé sur lequel nous avons rajouté les détails de l’observation (boutique de textile, d’artisanat, d’alimentation…, distributeurs automatiques.). Une étude du flux de déplacement et de stationnement, qui concerne les déplacements de la population, diurne et hebdomadaire. Nous avons aussi travaillé sur l’observation qualitative, puisque la nature de la population, peut varier le long de la journée, ainsi que les activités observées. Nous avons relevé les comportements spécifiques observables : quels sont les lieux de stationnement ? Comment les usagers détournent-t-ils l’usage de certaines installations ? (usage de plots, de marches et de lieux d’escalade), relever les attitudes typiques, démarches, interpellations, le genre de conversation (en s’appuyant sur des clichés photographiques). En prenant des notes et en dictant nos observations sur un dictaphone avec micro cravate, discrètement.

Souvent lors de nos observations, nous avons préféré être accompagnée, de cette manière les commentaires de notre observation sont plus aisément dictés à notre micro-cravate, ainsi perçu de loin, nos paroles ont l’air de s’adresser à notre compagnon. Nous avons privilégié la méthode de l’enregistrement de nos observations plutôt que de prendre des notes, parce qu’elle nous paraissait plus efficace. Lors de nos enquêtes de terrain, nous avons aussi bien adopté la méthode de l’observation participante que de l’observation distanciée selon les circonstances et le terrain dans lequel on se trouve. Nos méthodes ont donc été sans cesse réadaptées aux conditions immédiates de l’enquête.

Dans l’étude qualitative, nous n’avons pas hésité à relever les événements occasionnels qui ont suscité notre intérêt et que nous avons appelé par la suite les brèches spontanées. En identifiant les types d’usagers, les activités, les types de démarche, les styles de consommateurs en terrasse, la nature des groupes, la fréquentation des bancs (détournement d’usage : des marches et des plots), les variations selon l’heure de jour et de nuit dans la semaine et en week-end et dans l’année. Nous avons aussi relevé les stratégies d’appropriation et le comportement des usagers dans le terrain d’étude qui offre de multiples choix de parcours. En spécifiant les lieux de passage privilégiés, les figures d’évitement et les raccourcis. Les motifs d’arrêt des passants (arrêts programmés, non prévus et indésirables, involontaires et gênants, volontaires), la population qui s’y pose21, etc.

Dans l’espace observé, nous avons essayé d’être la plus discrète possible, même lors des prises de vue, nous avons essayé de nous comporter en touriste et non en chercheuse comme le dit Henri Peretz : « Une grande part de la pratique de l’observation consiste en une adaptation sociale de l’observateur au milieu étudié »22.

En même temps, il fallait être attentive à tout ce qui se passait autour. La plupart du temps nous avons cherché à imiter les usagers posés partout sur la place, en essayant d’avoir comme eux, un comportement habituel, aussi pour voir ce qu’eux voient par le choix de leurs positions dans l’espace. Nous avons essayé de varier les positions d’observation, mais par la répétition de cette pratique, nous avons privilégié deux postes d’observation intéressants, ce sont ceux qui nous ont permis de nous fondre au mieux et de nous confondre avec ceux qui d’ordinaire se posent sur la place.

Pendant nos premières séances d’observation, il était important de nous comporter en découvreuse de l’espace observé, en variant les points de vue et surtout en évitant de se plier à l’évidence, comme le dit Jean-Didier Urbain : « Il faut modifier sans cesse la trajectoire du regard, le désorienter »23.

Cette variation permet la défamiliarisation et la (dé)ritualisation pour favoriser la (ré)adaptation, puisque notre connaissance préalable du terrain d’étude, risque de laisser échapper ce qui nous semble commun et évident. Une fois, un chercheur étranger au terrain m’a demandé : « Que font tous ces gens

21 Le développement de cette analyse constitue la base du chapitre IV de la thèse.

22 Peretz Henri, Les méthodes en sociologie : L’observation, Paris, La découverte, 1998, p.6

arrêtés sur la place et posés partout ? », j’ai répondu : « rien ils regardent, ils se posent tout le temps comme ça… c’est normal… pourquoi me le demandez vous ? », il ajoute : « justement parce que pour moi ce n’est pas évident… »24.

Ce travail préparatoire nous a permis de constituer une base de données très riche, composée d’un ensemble de photographies panoramiques montrant des micro-scènes des activités de la place publique. Nous avons tenu un journal personnel relatif à nos observations répétées et illustré par des croquis et des schémas explicatifs25.

Les prises de vues et le reportage photographique : Lors de notre observation de la place publique nous avons effectué :

- Des prises de vues (des repères architecturaux et spatiaux).

- Des séquences vidéo (les lieux les plus animés ou au contraire, où il ne se passe rien à différents moments de la journée).

- Des relevés d’architecture et des croquis d’ambiance.

- Relevés des traces d’usage (lecture de l’espace à partir des traces d’usage en les décrivant et en prenant des photos).

- Une observation ethnographique (une étude descriptive de la population qui fréquente la place).

- Le long d’une journée en semaine et une journée le week-end, nous avons aussi observé l’éveil de la place et le taux de fréquentation.

Les relevés urbains et architecturaux (plans, croquis, couleurs, position du mobilier…), ont concerné uniquement les deux places étudiées (Grenette et Beb Bhar). Nous avons donc multiplié les croquis montrant les formes des lieux, la nature des bâtiments et leurs hauteurs (habitats, commerce, banques, nombre d’étages…) les voiries, l’implantation des voies du tram ou du métro aérien, les stations de bus ou de taxi, les parking à moto ou vélo ou voitures, la végétation, le mobilier urbain (cabines téléphoniques, fontaines, abris bus, bornes, plots, lampadaires, poubelles…) avec un relevé des matériaux, revêtement de sol, façades et couleurs…

Ces croquis rapides mais bien précieux pour notre recherche, ont servi de support de fond pour limiter les zones, situer les micro-activités (zone où jouent les enfants, lieu d’attente, lieu de repos…) les traces de parcours, de traversée de la place, les zones de mobilité et les zones d’arrêt…

24 Extrait d’une séance d’observation à Tunis faite avec Jean-Paul Thibaud dans le cadre de la recherche internationale ACI.