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Chronique de la scène de théâtre

2.2 Le quotidien de la place Beb Bhar

3.2 Chronique de la scène de théâtre

3.2 Chronique de la scène de théâtre

La place Beb Bhar constitue, sans aucun doute, le lieu de manifestation de la culture tunisienne. Notre observation de la place qui n’était autre qu’une simple "inspection éco-descriptive", nous a permis de faire ressortir les traits caractéristiques des activités se déroulant sur la place et la population qui la fréquente. Nous avons relevé un comportement spécifique aux acteurs sociaux observés sur la place.

Les personnages22 précédemment décrits représentent à la fois des acteurs et des spectateurs des scènes qui se suivent mais ne se ressemblent pas. On peut s’attendre à ce que la place qui représente une séquence d’un parcours, soit sectorisée. Chaque secteur le long d’une journée, abrite un ensemble de micro activités qui font les actes de la pièce théâtrale. Armé de notre appareil photo numérique, nous avons essayé d’immobiliser certaines activités, aussi bien ordinaires qu’occasionnelles, se déroulant sur la place. Cette technique nous a permis la perception qualitative des événements.

Un grand dégagement situé en face des terrasses des cafés, se présente comme une scène secondaire pour le déroulement des spectacles, la scène principale se situe au niveau de la fontaine et de l’arche. Les gradins de notre théâtre sont en surélévation mais éloignés de la scène principale. Ce sont les sièges (plots et bacs à fleur) qui sont les plus rapprochés des spectacles. Pour construire notre chronique nous nous sommes basées sur nos propres observations et sur les anecdotes que nous avons collectionnées au cours des enquêtes.

22 On se réfère au chapitre III de la thèse.

Ce match se déroule sur la place Beb Bhar dans une section bien délimitée, le mercredi 15 mars vers 17h40, par temps clément, ensoleillé et légèrement venté. Sur le parcours du retour de l’école, les élèves de l’école "Ennejma" (l’étoile) se retrouvent sur la place comme convenu et comme d’habitude pour jouer une partie de football, qui ne dure pas plus de 30 minutes. Le temps d’attendre les parents qui passent en voiture et que les commerçants commencent à ranger leur marchandise et préparent la fermeture des boutiques. L’espace réservé à leur jeu est toujours le même : le

secteur sud ouest de la place. La balle n’est autre qu’une boule de papier ou bien une bouteille en plastique, il est rare que les enfants jouent vraiment avec un petit ballon. Cette scène est aussi curieuse qu’ordinaire. L’espace public se transforme pendant quelques minutes en terrain de football, souvent les plots servent de limites au but d’un côté et de l’autre ce sont les cartables et les sacs à dos, posés par terre en tas, qui représentent le second but.

Pendant ces quelques minutes de jeu, les trajectoires des passants sont légèrement détournées pour ne pas piétiner le terrain réservé au jeu. Souvent d’autres enfants de passage s’arrêtent à proximité du terrain pour observer le jeu, applaudir les buts et chercher à faire partie de l’équipe.

Le match de foot à l’heure du retour de l’école

Il ne reste pas beaucoup de temps pour que les deux équipes prennent place sur le terrain. Les joueurs effectuent leurs derniers mouvements d’échauffement. Ils s’organisent. Enfin, tout le monde en place. La partie commence. La balle fait le tour des joueurs :

- Anis, Anis à moi !!! - Tiens !

Il est seul face au but. Le gardien de but se penche légèrement en avant comme pour attraper la balle qui lui arrive de plein fouet, se déplace latéralement à droite puis à gauche. Il se plonge pour arrêter le tir… mais l’attaquant était plus rapide : Sa balle est déjà dans les filets.

- il y est, on a marqué !! - Goooooal !!

Quelques minutes seulement après le début de la partie, l’équipe de Seif a déjà marqué.

- Allez les garçons, le prochain but sera pour nous ! Vite en place !

L’équipe adverse ne se décourage le moindre, tout de suite se remet au jeu. Ils s’agitent, courent dans tous les sens… le jeu devient de plus en plus dur…

Une situation ordinaire et habituelle, qui se reproduit tous les jours, mais qui devrait se dérouler dans un séjour, un thé à la menthe et des pâtisseries accompagnent la scène. Ces jeunes femmes sont posées sur des bornes en plein milieu de la place, ne se souciant guère de l’environnement, elles discutent, s’amusent et restent longtemps, tout l’après-midi… Elles ont transformé par cette activité, ce micro espace en un salon ouvert au public.

3.2.2 Le salon ouvert au public

Deux dames assises confortablement grignotent des graines de tournesol, leurs sacs par terre entre les jambes, discutent, échangent des arguments, rigolent… leurs enfants jouent autour.

- Aujourd’hui j’ai cuisiné un plat délicieux, j’ai vu la recette à la télé… Dit l’une et l’autre rétorque :

- « Ah ! Donne moi cette recette je vais l’essayer ce soir au dîner »… - Tu as su que Najiba est enceinte au 3ème mois ?

- Vraiment ? arrête, mais ça ne fait que 4 mois à peine qu’elle s’est mariée.

- Mais oui. Elle au moins elle va avoir un enfant, mais la pauvre Monia qui depuis 5 ans… que veux tu faire !

- C’est la volonté de dieu

- Tu veux venir avec moi demain, je vais lui rendre visite et lui emmener le makroudh que j’ai préparé hier !

- Oui, oui je veux bien, dis moi à quelle heure ?

Et elles continent à s’échanger les nouvelles des voisines et des cousines jusqu’à l’approche de la prière d’El Moghreb…

Habituellement les femmes au foyer, se retrouvent les après-midi chez l’une d’entre elles et se racontent leur quotidien. Il semble que certains secteurs de la place Beb Bhar, soient bien adaptés à cette activité. Ainsi, un groupement de bornes ou de bacs à fleurs fait office de salon. Une habitude propre à un séjour se déplace sur une place publique dans les après-midi agréables et les soirées du mois de ramadan. Le temps d’une longe discussion entre femmes, un espace public à grande fréquentation devient un séjour favorisant les rencontres et le divertissement.

Une gare routière se situe au coin d’une rue, à proximité de la porte de France. Rien n’indique la présence d’une gare ou d’une station de taxi23, ni salle d’attente, ni affichage d’horaire de départ et d’arrivée des véhicules de transport. Mais la gare existe bel et bien. Des chauffeurs appellent les voyageurs et les voyageurs en attente des départs, se posent dans la salle d’attente qui n’est autre que l’ensemble des plots alignés au coin de la place24. Les trafiquants de devise et les chauffeurs font du

change comme dans une banque, tous les jours et tout au long de la journée, mais c’est avec les gestes et très discrètement que cette opération se déroule (souvent en cachette). Ce système clandestin de transport public, est bien organisé, et le côté de la rue El Jazira à proximité des plots et des arcades de l’avenue de France est exclusivement réservé au stationnement des véhicules des transporteurs. Le public n’a pas le "droit" d’y stationner, c’est implicitement réservé aux chauffeurs voyageant vers l’Algérie. Sans que ce soit affiché, tout le monde le sait.

23 Les taxis en Tunisie sont tous jaunes et comportent des écritures : numéro du taxi et l’inscription TAXI. Par contre les taxis qui vont jusqu’en Algérie ne comportent aucune indication et sont des voitures ordinaires souvent avec des immatriculations étrangères.

24 Se référer au plan de délimitation des espaces et des fonctions pour visualiser l’emplacement de la station des taxis algériens.

3.2.3 Le voyage : une station de taxis algériens

- « Ennéba, Ennéba… » Crie un chauffeur.

Les gens rassemblés au coin de la rue El Jazira attendent l’heure du départ, ils se saluent, s’embrassent et se dictent les dernières recommandations avant le voyage.

Une jeune femme voilée glisse sur le siège arrière du taxi et commence à sécher ses larmes. Elle vient de quitter des amis chers pour partir en solitaire dans un long voyage jusqu’en Algérie.

- T’as besoin d’euros ? - Comment ? Pardon ?

- J’ai de la devise, est ce que ça vous intéresse ? - Ah ! Non merci.

Et le jeune homme accélère le pas et disparaît sous les arcades… - Hé ! 50 euros ? Tu pars à Ennéba ?

- Oui ! Oui, tu as deux places dans ton taxi ? - Oui, bien sûr, tu veux aussi de la devise ? - oui !

- Combien ?

- Vous partez à Enneba ? - Oui, mais j’attends quelqu’un…

Et l’homme reste longtemps assis sur son siège, entouré de bagage, à attendre… Et les cris, les adieux, les échanges de bises et de salutations se suivent…

Alignement des taxis des algériens sur la rue El

Souvent des scènes de ce genre se déroulent sur la place et vous devez savoir tenir bon pour vous en sortir, surtout si vous êtes touriste. Un vendeur ambulant fera tout pour vous faire acheter sa marchandise et un cireur ira jusqu’à vous "agresser" pour cirer vos chaussures.

Les gens souvent posés sur place, acceptent volontiers de se faire cirer les chaussures, s’ils n’ont pas eu le temps de le faire le matin. C’est ce qui a fait la popularité de ce métier. Il y a quelques années les cireurs étaient tous installés tout au long des arcades, à longueur de journée et ils ne fournissent pas l’effort d’aller faire le tour des cafés pour convaincre les clients de se faire cirer les chaussures. Au contraire, il y avait les clients habituels de chaque cireur. Certains enquêtés ont évoqué cette habitude et d’autres pensent que les cireurs existent encore le long des arcades : « A Porte de France la première chose qui attire l’attention c’est les cireurs de chaussure (en réalité ils n’y sont plus à Beb Bhar, il en reste quelques uns à l’avenue de Paris et la rue de Rome, mais dans l’imaginaire de l’enquêté ils y sont encore, autrefois ils y étaient et même très nombreux le long des arcades mais à présent il y en a plus aucun, plusieurs enquêtés en parlent et dans leur imaginaire ils continuent à les voir), et … ceux qui pèsent les personnes, ils se mettent sur un trottoir avec un pèse personne et en passant tu peux t’arrêter pour te faire peser à 100 millimes… ».

3.2.4 Le vendeur ambulant et le cireur qui se croisent…

- des lunettes, des cigarettes, chwing gum, allume cigare, batteries, pinces pour cheveux… J’ai tout ce qu’il faut

- non merci.

- C’est pas cher, regardez, essayez… ça vous ira bien ! c’est une grande marque, ce sont des lunettes Chanel… allez, je vais vous faire un bon prix

- L’homme détourne le regard et dit : non merci.

- Le vendeur insiste : allez, regardez, je vais vous faire un bon prix !

- J’ai dit non merci.

- Achetez au moins des chwing gum !

- Oh ! vous ne comprenez pas ?

- Bon ! lunette de marque, chwing gum. Crie le vendeur en s’éloignant du client posé sur la terrasse du café El Madina.

5 minutes après, au moment où le même client s’apprête à payer et partir, un jeune