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IV. À L'ANALYSE DES REPRÉSENTATIONS DES AGENTS DE SÉCURITÉ

1. Le portrait des itinérants

1.2 La diversité des formes d'itinérance

Les agents de sécurité interrogés nous mentionnent le fait que l'itinérance n'est pas vécue de la même façon par tous les itinérants. Prenant en considération la définition de l'itinérance comme celle de mode de vie fait de dénuement tant de logement, que de nourriture que de soins, et généralement de consommation de substances psychoactives, les agents de sécurité déclarent que les itinérants ne vivent pas tous la même situation extrême.

Il s'agit ici de montrer que les agents font des distinctions entre les situations d'itinérance, certaines leur apparaissant comme étant permanentes d'autres au contraire, temporaires, et enfin, certaines associées à une forme d'errance.

1.2.1 L'itinérance permanente

Si les agents ne parlent pas directement de permanence de la situation de certains itinérants, c'est en indiquant qu'ils les connaissent et les rencontrent depuis de nombreuses années qu'ils rendent compte de cette réalité. À cette occasion nous voulons souligner que la permanence de certaines situations d'itinérance paraît décrire l'échec de toutes les formes d'aide dont les itinérants ont pu bénéficier. Cette constatation sur la longévité de l'état d'itinérance de certaines personnes s'associe, par contre, pour une partie des agents de sécurité au fait que, pour sortir de l'itinérance, il faut d'abord que la personne en ait la volonté. Cette vision présentée par certains agents s'accompagne de l'idée plus ou moins implicite d'un choix de vie de la personne quant à sa situation.

Des fois tu les vois, ils ont décidé de se prendre en main parce que ça revient tout le temps à ce qu'on disait si ils ont décidé de s'en sortir, c'est leur choix. Je crois que sincèrement c'est leur choix aussi, fait que quand tu les vois plus, ils ont peut être décidé de se prendre en main, ou il est peut être arrivé malheur. Des fois ça arrive aussi. T'en entend parler dans les journaux. Il y en a c'est vraiment des irrécupérables (Entrevue STCUM, Yannick).

Pour d'autres agents de sécurité, l'itinérance de la personne ne résulte pas de choix de vie parce qu'il n'est pas possible qu'une personne ait envie de vivre cette vie.

1.2.2 L'itinérance temporaire

Cette réalité que les agents désignent sous le terme d'itinérance de fins de mois aurait une cause purement économique. En effet, ces personnes auraient des ressources qui leur permettent de louer une chambre à la semaine, la plupart du temps, mais la modicité de ces dernières les oblige à vivre dans la précarité, précarité qui les conduit à l'itinérance dès lors que leurs ressources financières sont épuisées.

Pis y'en a qu'c'est des genres d'itinérants de fin de mois, ben eux autres ils sont deux, trois pis chaque fin de mois, ils ont plus d'argent sur leur BS, ils restent dans leur chambre, ils payent leur chambre à la semaine, pis quand ils ont pas d'argent, ben le propriétaire, ils les jettent dehors, ils s'en vont dans le métro (Entrevue STCUM, Frédéric).

1.2.3 L'errance

Cette forme d'itinérance particulière désigne, pour les agents de sécurité, les personnes qu'ils appellent les grands voyageurs. Il s'agit ici de personnes qui se déplacent régulièrement d'une ville à une autre fuyant des contrôles sociaux devenus trop pesants selon les agents. Ces personnes ne sont vues par les agents de sécurité que pendant quelques mois, le temps pour l'itinérant d'estimer qu'il doit chercher ailleurs un endroit plus paisible en termes de contrôle.

Là on a un autre type d'itinérance, c'est les grands voyageurs. T'as des gars qui arrivent à Montréal, ils parlent un drôle d'anglais, avec un accent spécial, on les enquête, ben on s'aperçoit, ben qu'ils ont des dossiers criminels, à Vancouver, en Alberta, à Toronto. Tout l'ouest canadien, il les connaissait très bien les services policiers. Ben dans ben des cas on les connaît. [...] Je me rappelle avoir eu une bagarre avec un itinérant, un nouveau, il était pas en état d'ébriété, il semblait très itinérant, on avait eu une bagarre, il était venu s'interposer dans une arrestation. Pis suite à son arrestation, il était recherché par six services de police au Canada. Ça veut dire que ce gars dans l'ouest canadien, ce gars, il marchait partout, il prenait des bus pis des autobus, pis dû à son allure, personne s'en occupait tout le monde s'en éloignait. Fa que il éloignait la police aussi. S'il avait été enquêté, il aurait pas eu le temps de franchir tout le Canada au complet. On était chanceux, ce gars là il était recherché à Toronto, pour une tentative de meurtre sur un autre itinérant. Fa que la police de Toronto a voulu l'avoir pis étant donné qu'on l'a retourné en Ontario, ben les petits services de police en Ontario, ils s'en sont occupés parce qu'il avait des mandats d'arrestation avec lui. Fa qu'on a été chanceux, celui-là on ne l'a jamais revu dans la région de Montréal. Pour moi, il a pogné 10 -15 ans de prison avec son histoire de tentative de meurtre. Fa que c'est ça, les itinérants t'as les voyageurs aussi (Entrevue STCUM, Gilles).

Ces différentes formes d'itinérance contribuent à diversifier la perception des agents de sécurité quant à la vie des itinérants. Cette diversification complexifie le jugement que portent les agents de sécurité sur les itinérants, jugement qui est à l'origine de leur intervention. Pourtant, dresser un portrait des catégories d'itinérance et d'itinérants tels qu'envisagées par les agents de sécurité, ne suffit pas pour comprendre la réalité de la situation de contrôle que vivent les itinérants par rapport aux agents de sécurité.

Considérant que la relation des itinérants et des agents de sécurité s'explique avant tout par le mode de vie des itinérants, qui leur donne l'occasion de rencontrer de manière quotidienne des agents de sécurité, il convient maintenant d'aborder la question de la perception du mode de vie des itinérants d'après nos observations et le discours des agents de sécurité rencontrés.