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L'analyse descriptive de la tolérance des agents à l'endroit

III. DE L'ANALYSE DES PRATIQUES DES AGENTS DE SÉCURITÉ PRIVÉE

1. La non-intervention

1.1 L'existence d'une tolérance à l'égard des itinérants

1.1.1 L'analyse descriptive de la tolérance des agents à l'endroit

Un certain degré de tolérance exprimé par les agents de sécurité privée permet aux itinérants de demeurer dans les lieux surveillés, sans y être jugés indésirables. Cependant, cette tolérance ne s'exprime pas de la même façon dans le métro et à l'université en raison de l'espace occupé par les itinérants à l'intérieur de ces lieux. S'agissant du métro, la tolérance des agents de surveillance permet aux itinérants de circuler dans les stations où ils se trouvent généralement, ce qui leur donne l'occasion d'y rester plus longuement. Le mot d'ordre est alors: “ circulez ”.

Ainsi, il apparaît à l'analyse que la tolérance s'exprime surtout lorsque les individus jugés itinérants ont un comportement proche du voyageur traditionnel pour le métro. Nous observons que ce n'est pas tant l'itinérant que la personne immobile ou couchée qui justifie, dans la majorité des cas, une intervention. Lorsque l'itinérant circule dans le métro, sans solliciter personne, la plupart des agents de surveillance laisse faire même si réglementairement, ils pourraient intervenir en invoquant le flânage prévu dans le CA3:

Des fois, il y a des moyens de pouvoir s'en occuper facilement et puis il y a d'autres journées des fois, si le timing n'est pas bon pour nous autres c'est plus difficile, et puis juste expulser à l'extérieur s'il fait - 20 dehors l'hiver, c'est certain qu'il va rentrer par une autre porte et puis il va se trouver un petit coin tranquille, ils ont leurs petits trucs. En fait, il faut s'assurer que ces

gens là ne demeurent pas immobiles ou couchés sur le plancher et ces choses là. Il faut qu'ils circulent (Entrevue STCUM, Didier).

S'agissant de l'université, comme les itinérants se cantonnent aux entrées de certains bâtiments de l'institution, la tolérance exprimée par les agents de sécurité s'interprète surtout comme le fait de laisser les itinérants quelques minutes de plus à l'intérieur des bâtiments.

L'hiver je trouve ça dur parce que c'est sûr il fait froid dehors. Alors moi, ce que je fais, je les laisse se réchauffer un peu, je vas repasser dans cinq minutes, des fois je vais étirer ça jusqu'à dix minutes. Pis là ils savent et ils disent “ t'es ben correct, madame on va sortir ”. Ils sont compréhensifs, ben ils vont comprendre que tu fais ton ouvrage, pis je veux dire ils ont pas le choix, je veux dire à un moment donné, il faut qu'ils quittent. En général, y'en a qui sont plus agressifs, mais y en a pas tant que ça parce que en général, ils sont très compréhensifs. Ah oui, moi je les trouve très compréhensifs (Entrevue UQAM, Véronique).

C'est pourquoi, nous pouvons dire que le degré de tolérance exprimée par les agents de sécurité à l'endroit des itinérants à la fois dépend et détermine aussi l'utilisation que font les itinérants des lieux. En effet, s'il semble que le métro a une qualité de refuge, les itinérants paraissent utiliser l'université de manière plus réduite en temps et en espace. Cette différence de présence des itinérants dans les espaces surveillés s'explique en partie, selon nous, par le fait que le métro est un lieu beaucoup plus impersonnel que l'université, si bien que les itinérants sont plus enclins à le considérer comme leur espace de vie. La tolérance exprimée par les agents de sécurité des deux services à l'étude semble avoir les mêmes fondements même si elle n'entraîne pas les mêmes conséquences pour l'itinérant. C'est en effet, essentiellement parce qu'il est difficile d'expulser à l'extérieur une personne qui n'est pas perçue comme dérangeante que les agents de sécurité exercent une certaine tolérance quant à la présence d'itinérants sur les lieux qu'ils doivent surveiller.

Or, la perception du comportement adéquat ou non de l'individu itinérant est relativement discrétionnaire et dépend non seulement dudit comportement mais bien aussi de la volonté de l'agent à l'égard de ces personnes. Un comportement adéquat semble consister en un comportement non agressif à l'égard de la clientèle. Un agent de surveillance nous précisait en ces termes ce qu'était un comportement adéquat:

À l'occasion il faut quand même s'en débarrasser, peut être pas s'en débarrasser mais les enlever de la circulation. Le fait d'être dans le métro, dans une sortie pis de quémander de l'argent c'est quand même pas si grave que ça sauf que le fait d'empêcher les gens de passer pis d'être agressif envers eux, ça devient un problème (Entrevue STCUM, Pierre).

Nous pouvons affirmer que, par cette tolérance, les agents de surveillance admettent la qualité de refuge du métro dans la mesure où, connaissant un certain nombre de personnes comme itinérants, accepter de les laisser circuler, c'est aussi accepter de voir le métro devenir leur milieu de vie par excellence:

Y'en a d'autres qui ne boivent pas, mais ils n'ont pas d'autres endroits où aller que dans le métro. Surtout quand il fait très froid l'hiver, l'endroit où est ce qu'ils viennent pour se réchauffer un petit peu. Lorsqu'il fait beau ils sortent à l'extérieur, puis c'est ça. C'est pourquoi il faut faire avec ça quand on intervient (Entrevue STCUM, Julien).

D'autres agents de surveillance mentionnent, lors de nos observations, le fait qu'ils admettaient que les itinérants restent dans une des sorties de la station Place des Arts, en attendant l'ouverture d'une église, située à proximité et qui leur offre le déjeuner. Certains nous ont même mentionné qu'ils retardaient leur passage à cette sortie, pour ne pas avoir à expulser les itinérants qui s'y trouvent. Le déjeuner étant servi à huit heures, ils passeront vers 8h30 pour s'assurer que tout le monde a quitté les lieux. D'autres, au contraire, disent commencer leur patrouille en faisant le ménage de leur station afin de ne pas avoir à revenir plusieurs fois pour des appels concernant des itinérants.

En ce qui a trait aux agents de sécurité de l'université, le fait de donner un peu de répit aux itinérants en leur accordant quelques minutes supplémentaires montre qu'ils envisagent d'adapter leur métier aux circonstances dans lesquelles vivent les itinérants.

Par ailleurs, la tolérance dont font preuve certains agents croît avec les difficultés de vie perçues des itinérants. Ainsi, l'hiver les agents auraient plus largement tendance à laisser circuler les itinérants dans le métro considérant les conditions extérieures. Mais, cette tolérance est tellement discrétionnaire et dépend tellement de l'agent que, pour l'itinérant, il apparaît que le métro est loin de pouvoir être considéré comme un refuge. De la même façon, malgré la tolérance exprimée par les agents de sécurité de l'université, cette dernière demeure un simple lieu de répit temporaire, “ un lieu de passage et non pas d'ancrage ” (Roy, 1988).