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IV.1 Introduction

De nombreux auteurs considèrent que les variations de l’environnement passé ont eu une influence déterminante sur la répartition de la diversité de poissons récifaux à l’échelle régionale mais aussi globale (Cowman & Bellwood 2011, 2013; Hubert et al. 2011; Hodge et al. 2012, 2013; Tornabene et al. 2014; Pellissier et al. 2014; Dornburg et al. 2015; Puckridge et al. 2015). Dans cette littérature, la fragmentation et la surface de l’habitat récifal sont considérées comme des déterminants importants de la diversification des poissons récifaux. Cependant, l’effet de ces variables n’a jamais été explicitement pris en compte dans les analyses concernant les poissons récifaux.

Dans ce chapitre, j’ai testé l’influence des variations de température, du nombre de patch d’habitat et de l’aire totale d’habitat (Fig. 12) sur les taux de spéciation et d’extinction de 10 clades de poisons récifaux (A2). J’ai utilisé deux approches de modélisation en macroévolution s’appuyant sur les temps de divergence des lignées, estimés à partir des

Figure 12 : Variation du nombre de patch d’habitat corallien, et de la surface totale d’habitat corallien pendant le Cénozoïque. Les dates d’apparition estimées de chaque clade de poissons récifaux inclus dans l’analyse sont indiquées en gris. Aca : Acanthuridae, Bal : Balistoidea, Car : Carangoidea, Cha : Chaetodontidae, Hol : Holocentridae, Hae : Haemulinae, Lab : Labrinae, Pom : Pomacentridae, Sca : Scarinae, Spa : Sparidae

phylogénies moléculaires. La première approche permet de tester la présence d’un ou plusieurs changements des taux de diversification au cours du temps, et d’estimer les dates de ces changements (Stadler 2011). Cette première analyse m’a servi à tester l’hypothèse selon laquelle la diversification des poissons récifaux a varié dans le temps, et d’associer ces variations à des changements historiques de l’environnement (e.g. les glaciations du Quaternaire). La seconde approche permet d’évaluer l’influence des changements passés de l’environnement sur les processus de spéciation et d’extinction (Condamine et al. 2013).

IV.2 Les effets de l’environnement passé sont contrastés

Ces analyses détectent un changement de taux de diversification au cours de l’histoire évolutive de la plupart des clades investigués (A2). Seuls les arbres phylogénétiques des Chaetodontidae, des Carangoidea et des Scarinae correspondent à un processus de diversification constante. Dans la dynamique de diversification des autres clades, deux types de changements ont été observés : une augmentation de la diversification à la fin du Paléogène (-30 à -20 millions d’années) et une baisse de la diversification au cours du Quaternaire. D’un point de vue historique, ces dates correspondent à des évènements déjà considérés comme majeurs dans la mise en place des gradients de biodiversité marine (Hou & Li 2017) : Premièrement, la fermeture de l’Océan Téthys et la colonisation de l’Indo- Pacifique par de nombreuses espèces de coraux constructeurs au Miocène a permis la colonisation pas-à-pas de nouveaux habitats, offrant de nombreuses opportunités de spéciation (Renema et al. 2008; Cowman & Bellwood 2013). Deuxièmement, les cycles successifs de glaciation du Quaternaire auraient occasionné des pertes d’habitat corallien importantes (Kiessling et al. 2012) et pourraient avoir causé l’extinction de nombreuses espèces de poissons récifaux (Pellissier et al. 2014).

Tableau 3 : Influence de l’environnement passé sur les taux de diversification des poissons récifaux. Les cases en vert représentent les modèles sélectionnés. Les cases en gris représentent les modèles qui n’ont pas été rejetés. Les proportions indiquées dans les cases représentent la fréquence à laquelle chaque modèle a été sélectionné dans la distribution postérieure de chaque arbre phylogénétique. L@M N*Les taux de diversification sont constants ; " N*Le taux de spéciation dépend de l’environnement ; $ N*Le taux d’extinction dépend de l’environnement.

INFLUENCE DE L’ENVIRONNEMENT PASSE SUR LES TAUX DE DIVERSIFICATION 31 En revanche, les effets de l’environnement passé sur les taux de diversification des poissons récifaux sont beaucoup plus contrastés (A2). Seul la diversification chez les Carangoidea n’est influencé par aucune des variables environnementales considérées (Tab. 3), tandis que la diversification d’autres familles semblent au contraire être influencées par les deux variables (Acanthuridae, Sparidae). Les variations de fragmentation de l’habitat (estimé selon le nombre de patch d’habitat) semblent affecter les taux de spéciation des lignées dont les espèces ont de bonnes capacités de dispersion à l’âge adulte (Acanthuridae, Holocentridae, Labridae, Sparidae). A l’inverse, la fragmentation de l’habitat affecte plutôt les taux d’extinction des lignées nidificatrices (Balistoidea, Pomacentridae) ayant une plus faible capacité de dispersion. Les variations d’aire totale d’habitat semblent avoir une influence bien moindre sur les taux de diversification.

IV.3 Perspectives

De nombreuses incertitudes sont associées à ces résultats. Une première amélioration serait donc de limiter ces incertitudes. Premièrement, poursuivre l’effort de reconstitution des arbres phylogénétique des différents clades est essentiel pour limiter les incertitudes liées à l’incomplétude des phylogénies. Deuxièmement, les données de fragmentation ne prennent pas en compte les fluctuations climatiques du Quaternaires qui sont pourtant très importantes dans l’histoire évolutive des poissons récifaux (Ludt & Rocha 2014; Tornabene et al. 2014). En utilisant la reconstruction récente des paléo-récifs du Quaternaire (Pellissier et al. 2014), il serait possible d’évaluer l’influence de la fragmentation de l’habitat récifale, causée par les glaciations, sur les taux de diversification de différentes lignées plus jeunes

Par ailleurs, la fragmentation de l’habitat et la surface totale d’habitat présentent des variations géographiques importantes. Ainsi, au sein d’une même lignée et à la même période, les espèces peuvent être exposées à des environnement très différents et montrer des taux de diversification divergents. Etant donné que les régions ont des histoires contrastées (Cowman & Bellwood 2013), il serait intéressant d’analyser l’influence de la fragmentation de l’habitat sur des lignées originaires de la même région et ayant toutes été confrontées au même environnement. Par ailleurs, deux approches peuvent être proposées pour détecter ces divergences. La première consiste à permettre aux taux de diversification de varier au sein des lignées (Rabosky 2014; Lewitus & Morlon 2016a, 2016b). La détection d’un changement de mode de diversification au sein d’un clade peut ensuite être associé à une exposition à des environnements différents ou à l’apparition d’une innovation clé. Cependant, cette méthode permet uniquement d’identifier des concordances entre un changement de mode de diversification et des variables environnementales, mais ne permet pas de quantifier l’association entre les deux. En revanche, la seconde méthode, qui consiste à modéliser directement l’influence des variations environnementales dans l’espace et le temps, sur les processus de spéciation, d’extinction et de dispersion (A3, A4, Aa1, Aa2) permet d’estimer

cette relation de manière causale. Dans la suite de ce manuscrit, je présente un modèle capable de simuler l’influence de la dynamique spatiale et temporelle de l’habitat sur les processus de diversification des espèces.

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CHAPITRE

V :

RELIER LA DYNAMIQUE SPATIALE DES HABITATS A LA