• Aucun résultat trouvé

VII.1 Conclusions générales

VII.1.1 Rôle de la dynamique de l’habitat

L’objectif de mes travaux de thèse était d’apporter des éléments de compréhension du rôle de l’environnement passé dans la structuration spatiale et la dynamique de diversification des poissons récifaux. L’emploi d’approches diverses et complémentaires a permis d’identifier la disponibilité d’habitat récifal comme un déterminant majeur de la répartition des poissons récifaux, lequel a influencé les processus de spéciation, extinction et dispersion à plusieurs échelles spatiales et temporelles.

Structure des assemblages. Premièrement, ces travaux suggèrent que les changements

d’habitat passés ont structuré les gradients de diversité en isolant les populations et en contraignant la co-occurrence entre espèces ayant récemment divergé (A1). Bien que le rôle de l’habitat passé dans les dynamiques de co-occurrence entre espèces sœur ne soit pas pleinement démontré au cours de cette thèse, la projection géographique des métriques de co- occurrence est concordante avec l’hypothèse d’une forte influence de la fragmentation de l’Archipel Indo-Australien au cours du Quaternaire sur la répartition de la richesse en poissons récifaux. Par ailleurs, la structuration des habitats aurait eu une influence sur la structure morphologique des assemblages de poissons récifaux, en favorisant la présence d’espèces de grande taille dans les archipels éloignés des grandes surfaces d’habitat passé, et la présence des espèces de petite taille dans les zones d’habitats vastes, indépendamment de tout processus écologique.

Dynamique de la diversification. Deuxièmement, les résultats de cette thèse montrent que la

dynamique des habitats récifaux a eu une influence importante sur la diversification des poissons récifaux. La signature d’une dépendance des taux de spéciation ou d’extinction à la fragmentation de l’habitat à l’échelle globale a été identifiée à partir des temps de divergences entre plusieurs clades de poissons récifaux (A2). Par ailleurs, des mécanismes de diversification basés sur la dynamique de l’habitat (A3, A4, Aa1, Aa2) ont généré des

prédictions concordantes avec les estimations des taux de diversification à partir des phylogénies moléculaires et des données fossiles. Ces mécanismes suggèrent que le maintien de larges aires d’habitat pendant de longues périodes permettrait l’accumulation de nombreuses espèces en influençant les taux de spéciation et d’extinction, et que la fragmentation de l’habitat favorise l’isolement des espèces et la spéciation.

Structure globale de la diversité. Troisièmement, le développement du modèle SPLIT a

permis de montrer comment la dynamique des habitats, induite par le mouvement des plaques continentales, a pu forcer le mouvement du pic de diversité des organismes marins côtiers de la Téthys vers l’Archipel Indo-Australien. Ces évènements historiques très anciens dans l’histoire évolutive des poissons récifaux pourraient être à l’origine des fortes disparités entre les faunes de l’Atlantique et de l’Indo-Pacifique.

VII.1.2 Hétérogénéité spatiale et temporelle des processus

Les conclusions de plusieurs articles de cette thèse (A1, A2, A4) soulignent l’importance de l’échelle spatiale et temporelle utilisée, dans la compréhension des mécanismes à l’origine de la répartition des espèces à la surface du globe. Les hypothèses macroévolutives pour expliquer la répartition et la diversification des espèces de l’Indo-Pacifique pourraient avoir agi à différentes périodes (A1) tandis que l’effet de la fragmentation sur les taux de diversification est probablement hétérogène dans l’espace (A2). De même, les processus historiques déterminés par la dynamique des habitats à large échelle, et les processus écologiques agissant à l’échelle des gradients environnementaux, ont des influences à des échelles spatiales et temporelles très différentes (A4).

VII.1.3 Complémentarité des approches

Le déroulement de cette thèse illustre bien la complémentarité entre les approches empiriques et corrélatives, et les approches mécanistiques. Les premières permettent d’identifier des liens entre les variables permettant de formuler des hypothèses sur les causes de l’existence de ces relations. Par exemple, les relations entre métriques de co-occurrence et richesse spécifique permettent de supposer que la géographie de la spéciation est à l’origine des patrons de richesse. Ensuite, les approches mécanistiques basées sur la phylogénie moléculaire nous ont permis d’identifier dans certains cas l’existence d’un lien entre fragmentation et taux de diversification. Enfin, les processus spatiaux ont montré comment ce lien entre fragmentation de l’habitat et taux de diversification a pu se mettre en place avec des processus simples.

VII.2 Perspectives

En accord avec les remarques précédentes, les perspectives s’articulent autour de l’utilisation de méthodes complémentaires et s’attachent à prendre en compte l’influence des différentes échelles spatiales et temporelles dans l’explication des patrons de biodiversité.

VII.2.1 Influence relative des interactions biotiques et de la dynamique des habitats sur la co-occurrence des espèces sœurs

Les résultats de cette thèse, en conjonction avec des reconstructions biogéographiques et le registre fossile (Renema et al. 2008; Cowman & Bellwood 2013; Siqueira et al. 2016), confirment l’influence des larges plateaux continentaux de l’océan Téthys pendant le Crétacé et le début du Cénozoïque sur la répartition spatiale des poissons récifaux. En revanche, les mécanismes expliquant l’influence des variations climatiques du Quaternaire sur la diversité des organismes marins à l’échelle de l’Indo-Pacifique sont encore mal connus. En effet, de nombreuses espèces de l’Indo-Pacifique sont apparues après la fermeture du passage entre la Téthys et l’Indo-Pacifique. Plusieurs auteurs attribuent l’apparition de ces espèces aux nombreuses opportunités écologiques apportées par l’apparition de nouvelles zones d’habitat assez vastes et de nombreuses espèces de coraux constructeurs (Bellwood et al. 2010; Price et al. 2012; Sorenson et al. 2014; Price et al. 2015). Dans ce cas, la diversification des poissons récifaux serait déterminée par les interactions biotiques. D’autres auteurs attribuent ces apparitions à des phénomènes macroévolutifs influencés par la dynamique des habitats

CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES 51 (Hubert et al. 2011; Gaither & Rocha 2013; Pellissier et al. 2014; Tornabene et al. 2014; Puckridge et al. 2015).

Approches corrélatives. Les métriques de co-occurrence entre espèces sœurs peuvent

apporter des éléments de réponse quant à l’influence de la compétition sur la répartition de la diversité des poissons. Récemment, Pigot et collaborateurs (2016) ont relié les dynamiques de coexistence entre espèces sœurs d’oiseaux à la quantité d’énergie disponible. L’idée est que les espèces sœurs ayant divergé récemment présentent des similitudes dans l’utilisation des ressources, et vont donc être en compétition pour les mêmes ressources. Leur co-occurrence ne serait donc possible que dans des habitats extrêmement favorables. Une approche similaire adaptées aux poissons récifaux serait de relier ces patrons de co-occurrence à la quantité d’habitat disponible, pour prendre en compte l’influence de la compétition pour l’espace sur la répartition des espèces (Komyakova et al. 2013). Par ailleurs des différences de co- occurrence entre les échelles locales et régionales indiqueraient que la compétition joue un rôle important indépendamment de la géographie de la spéciation. Ce type d’analyse nécessiterait l’utilisation de données morphologiques précises pour évaluer le degré de similitude entre les espèces et l’influence de ces traits sur la co-occurrence des espèces.

Approches phylogénétiques. Les données de fragmentation de l’habitat récifal en réponse

aux variations climatiques du quaternaire (Pellissier et al. 2014) peuvent nous permettre de tester l’influence de cette fragmentation dans différentes régions de l’Indo-Pacifique sur les taux de diversifications de clades récents de manière spécifique (Condamine et al. 2013). Ce type d’analyse pourrait être complémentaire avec les analyses faites dans l’article 2 et éventuellement montrer l’influence du choix de l’échelle spatiale et temporelle sur l’inférence de mécanismes de macroévolution. Alternativement, la diversification pourrait être de la même manière reliée à la diversité des coraux constructeurs pour évaluer l’hypothèse de l’influence des radiations des coraux sur la diversité des poissons récifaux de l’Indo- Pacifique.

Approches mécanistiques spatiales. Ici encore, les données de fragmentation de l’habitat

récifal au cours du quaternaire offrent l’opportunité de tester ces hypothèses alternatives à l’aide d’un modèle mécanistique spatialisé. Ces données s’étalant sur un pas de temps beaucoup plus court que les données utilisées pour le modèle SPLIT, l’unité de modélisation et les mécanismes à l’œuvre devront être modifiés. Afin d’introduire l’effet de la compétition pour l’espace et l’effet de la fragmentation, il serait intéressant de modéliser les mouvements des populations à la place des espèces. Ces populations seraient caractérisées par leur taille et leur taux de divergence génétique avec les autres populations de la même espèce. Ainsi, les interactions biotiques et l’isolement des populations pourraient déterminer la persistance, la dispersion et la divergence des populations dans un habitat dynamique. Les prédictions de telles simulations pourraient ensuite être comparées aux métriques de co-occurrence utilisées ci-dessus afin de comprendre les mécanismes à l’origine des propriétés émergentes de la diversité des poissons récifaux dans l’Indo-Pacifique.

VII.2.2 Applications aux milieux terrestres

Plusieurs articles récents montrent l’influence importante des mouvements des plaques tectoniques sur la dynamique de la diversité des clades terrestres (Jordan et al. 2016; Descombes et al. 2017). Il pourrait donc être intéressant d’appliquer le modèle SPLIT à des clades terrestres, animaux ou végétaux pour évaluer l’influence de la dynamique des habitats sur la répartition de la biodiversité. Cela permettrait, par exemple de tester de manière mécanistique l’influence des orogénèses sur la biodiversité terrestre (Antonelli & Sanmartín 2011; Lagomarsino et al. 2016)

VII.2.3 L’importance des données

Tout au long de ma thèse, j’ai souvent été confronté à une limitation commune à beaucoup d’analyses en biogéographie, macroécologie et macroévolution : la qualité et la disponibilité des données. Premièrement, les données paléo-environnementales sont rares et manquent soit de séries temporelles conséquentes, soit de prise en compte des variations spatiales. Deuxièmement, les phylogénies moléculaires des organismes marins sont souvent incomplètes, limitant un bon nombre d’approches macroévolutives. J’ai pu participer à l’amélioration de ces jeux de données pendant ma thèse, en reconstituant les arbres phylogénétiques de plusieurs espèces de poissons récifaux et en construisant, avec l’aide précieuse de Camille Albouy et à partir du travail déjà effectué pour la base GASPAR (Kulbicki et al. 2013; Mouillot et al. 2013), une base de données de la répartition des Acanthomorphes récifaux tropicaux et tempérés. Cependant de nombreuses limitations encore associées à un manque de données phylogénétiques et spatiales. Je conclus donc cette partie en exprimant ma volonté de participer à la construction de jeux de données permettant de tester des grandes hypothèses de macroévolution. En milieu marin, la reconstruction de super- phylogénies avec des hautes résolutions pour les coraux (Huang et al. 2017) et les Acanthomorphes (Near et al. 2013; Rabosky et al. 2013) permettrait l’évaluation de nombreuses hypothèses de macroévolution.

53