• Aucun résultat trouvé

Quels dispositifs socio-techniques pour planifier la conservation intégrée ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 172-177)

Introduction

CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE

Si les 30 glorieuses en France avaient permi, au travers des grands corps d’ingénieurs d’Etat en charge d’orchestrer l’aménagement du territoire, l’imposition d’un modèle centralisé de la décision publique, la fin du 20ème siècle aura été marquée par l’émergence de mouvements de contestation, la décentralisation du pouvoir à des entités de proximité telles les départements ou régions, puis l’avènement des processus de délibération participative (Claeys-Mekdade, 2006).

Comme nous l’avons précédemment montré, les nouveaux enjeux en matière de conservation de la biodiversité et plus globalement de développement durable, supposent d’une part, de savoir prendre en compte la complexité des systèmes sociaux et écologiques et des relations qu’ils entretiennent et d’autre part, de faire en sorte que la détermination des normes et objectifs de durabilité soit l’objet d’un processus de légitimation sociale.

La philosophie politique offre un cadre conceptuel, idéologique, pour penser ces changements. Déjà en 1927, John Dewey mentionnait que la complexification de l’exercice du pouvoir et de la démocratie bureaucrate et technicienne était à l’origine de l’effacement du public. Selon Jürgen Habermas (1973), c’est l’extension de la rationalité instrumentale au dépend de la rationalité communicationnelle qui entraîne l’absorption du débat politique par la dimension technique et finalement la dépolitisation de nos sociétés. Dès lors naît le besoin d’une démocratie dialogique, délibérative, qui permettrait de fonder la société sur une base communicationnelle à travers la médiation du discours public et des procédures institutionnelles de décision (Habermas, 1987). Au-delà d’un idéal démocratique, la délibération permettrait l’émergence de solutions nouvelles et d’une rationalité fondée sur la confrontation des points de vue et représentations, inciterait à la montée en généralité et enfin assurerait sa légitimité à l’action publique qui en émerge (Blondiaux et Sintomer, 2009). Mais la démocratie délibérative suppose de fait un renouvellement des rapports qu’entretiennent science, politique et société (Fischer, 1991 ; Kasemir et al., 2003 ; Cheng et al., 2008).

L’expertise est couramment définie comme « la production d’une connaissance spécifique pour l’action » (Lascoumes, 2002) mais c’est aussi une activité de médiation entre science et décision (Roqueplo, 1997; Robert, 2008) ou plus largement l’intégration de connaissances et techniques dans la gestion des affaires publiques (CRESAL, 1983). L’expertise assure une régulation entre des contraintes scientifico-techniques, sociopolitiques et règlementaires

Melleray, 1990). Massardier et Verdier (2000) proposent à ce titre de distinguer les experts intégrés à la hiérarchie administrative ou gouvernementale (hauts fonctionnaires, administratifs, etc.) de ceux qui sont extérieurs au système politico-administratif (consultants, universitaires, représentants de lobbies ou de professions, etc.). Quel qu’il soit, l’expert doit sa légitimité non seulement à la communauté à laquelle il appartient mais aussi à l’autorité publique qui le mandate (Massardier, 1996). Il est donc sélectionné par ses pairs et par ses commanditaires. La dépendance vis-à-vis de l’expertise est un élément central de la société contemporaine postindustrielle (Lascoumes, 2002). Les experts partagent ainsi de plus en plus le pouvoir avec les politiques pour qui la connaissance savante devient une ressource incontournable (Restier-Melleray, 1990; Saurugger, 2002), de sorte que l’on peut parfois parler d’un « gouvernement des experts » (Massardier et Verdier, 2000).

L’instabilité socio-économique croissante et les nouveaux défis environnementaux ont cependant mené à la remise en cause d’une action publique soit disant rationnelle et fondée sur l’expertise (Theys, 1996; Beck, 2003). C’est notamment dans le champ de l’environnement que la remise en cause de l’expertise comme fondement d’une action publique objective a pour une bonne part trouvé son origine (Roqueplo, 1998). La contestation de la politique nucléaire par les organisations écologistes ou le gel de la procédure Natura 2000 suite à la levée de bouclier du « groupe des 9 » montrent l’ampleur des enjeux et la diversité des revendications. D’un côté, les écologistes rejettent une politique énergétique qui ne garantit pas la sécurité du peuple et pose de grandes interrogations quant à ses impacts écologiques mais se heurtent à des intérêts financiers colossaux (Lorentz, 2001), de l’autre, les acteurs du territoire protestent contre une directive venue de l’Union Européenne et traduite par des experts, qui menace leur souveraineté et sonne le début de l’écologisation de l’espace rural (Alphandery et Fortier, 2001).

Dans un monde qui n’est plus prévisible, où les connaissances ne sont que partielles et incertaines, et les enjeux de plus en plus grands, les rapports qu’entretiennent science et politique ne peuvent plus se maintenir, le volontarisme politique comme l’activité scientifique ne peuvent plus être les seuls fondements légitimes de l’action publique (Callon et al., 2001).

Cette remise en cause de la place de la science dans les enjeux de société fait écho aux travaux de la nouvelle sociologie des sciences développés depuis les années 70 et qui montre que le savoir et la connaissance ne sauraient se soustraire à un modèle unique d’activité scientifique chargé de leur conférer une soit disant universalité (Bloor, 1976; Latour, 1989).

Pour autant, il n’échappe à personne que du point de vue de la pollution, de la santé, la société

entretient une dépendance accrue à l’égard de la science, « devenue le médiateur indispensable entre l’homme et un environnement dont la plupart des caractéristiques pertinentes sont de plus en plus inaccessibles pour le profane » (Granjou, 2003). Il est donc urgent de définir un cadre procédural qui permette notamment de « concilier besoin croissant d’expertise et remise en cause de sa légitimité traditionnelle » (Joly, 1999). Comment peut-on définir une nouvelle rationalité qui tienne compte à la fois des limites de la connaissance mais aussi de sa complexité, tout en accordant une plus grande place aux acteurs ? Comment organiser un nouveau rapport entre science, politique et société (Callon et Rip, 1992)?

Il s’agit dès lors de définir un cadre interprétatif des connaissances disponibles qui rende visibles les incertitudes et qui permette simultanément de confronter les valeurs et représentations des acteurs pour faire émerger de nouvelles perspectives (Roqueplo, 1997).

Ainsi les concepts de science post-normale, contextualisée ou de mode 2 (Funtowicz et Ravetz, 1993 ; Nowotny et al., 2001 ; Barré, 2004; Van der Windt et Swart, 2008 ) supposent qu’au travers de l’élaboration de la décision, les acteurs du forum hybride (Callon et al., 2001) produisent aussi de nouvelles connaissances, pragmatiques et fondées pour l’action. En confrontant au territoire les connaissances de mode 1, issues de la science normale, elles les dépassent en intégrant en outre le résultat des interactions sociales inhérentes au processus qui mène à la décision. Ce qui signifie que la qualité de la connaissance et sa robustesse sociale sont plus que jamais relatives à la qualité du dialogue (Habermas, 1987; Stengers, 2002).

Douguet et al. (2006) estiment alors que « l'incertitude n'est pas traitée comme un déficit mais comme une opportunité ». En reconnaissant la pluralité des légitimités d’action (Funtowicz et Ravetz, 1993), le dispositif socio-technique mis en place peut en effet permettre d’élaborer de façon pragmatique une vision partagée de l’action publique au travers d’un processus d'apprentissage collectif (ComMod, 2009).

La gouvernance définie comme un « processus continu de coopération et d’accommodements entre des intérêts divers et conflictuels » (Commission on Global Governance, 1995) est identifiée par les pouvoirs publics comme un principe clé pour donner sens à « l’espace public » selon la terminologie d’Habermas (Habermas, 1978). Mais si certaines transformations semblent conduire à l’ouverture des systèmes décisionnels traditionnels pour laisser plus de place aux citoyens, des auteurs soulignent les nombreuses significations et applications possibles de l’idée de démocratie participative (Bacqué et al., 2005). Blondiaux (2005) constate par ailleurs le décalage entre « l’importance des enjeux de la participation, le consensus dont fait l’objet cette idée aujourd’hui et la pauvreté des

concepts, des cadres théoriques et des moyens dont les acteurs disposent pour penser cette réalité nouvelle ». Tout comme Pretty (1995) et Arnstein (1969), il souligne que la participation souffre ainsi d’un impensé conceptuel, procédural et politique. Que recouvre la notion de démocratie participative ? A quoi veut-on faire participer les citoyens ? S’agit-il d’informer, de consulter, de concerter ou de co-décider ? Comment organiser ces procédures participatives ? Quels sont les objectifs poursuivis par les élus au travers de ces expériences?

C’est ainsi que la plupart des procédures participatives placent dans des situations difficiles et instables d’un côté, les acteurs de terrain, chefs de projet ou agents de développement qui, sans expériences ni cadre précis, doivent décider localement les modalités de concertation, et de l’autre, les citoyens invités à participer qui ne savent jamais dans quelle mesure ils pourront vraiment s’exprimer et décider (Reed, 2008).

Dans cette deuxième partie, nous analysons comment les dispositifs socio-techniques programment et planifient la conservation intégrée au travers du concept de réseau écologique. Comment aboutir à un cadre d’action publique qui, malgré les incertitudes et les enjeux, soit efficace sur le plan écologique et acceptable socialement ? Nous portons une attention particulière au rapport qu’entretiennent science et société dans le cadre de démarches participatives. Comment s’effectue le transfert des connaissances et des modèles scientifiques à l’action publique ? Comment sont gérées la complexité et l’incertitude pour élaborer localement les critères socialement légitimes ? Notre regard porte donc principalement sur le lien entre les modalités d’organisation des dispositifs participatifs et les processus d’expertise. Comment se distingue le groupe d’acteurs qui participent à l’expertise et la place du processus d’expertise au sein du collectif ? Quelle est en retour l’influence sur la qualité du dialogue, et sur les résultats qui en émergent ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 172-177)