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CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 34-40)

Si le territoire est support, enjeu et produit des interactions entre les hommes et leur environnement (Ferrier, 1984; Di Méo, 1998), la planification spatiale vise à organiser ces interactions dans le temps et dans l’espace (Brunet, 1987). Planifier c’est comprendre le fonctionnement du territoire, c’est organiser la réalisation d’objectifs, c’est programmer des actions à mener dans un domaine précis avec des moyens et des connaissances limitées. La planification spatiale de la conservation consiste donc à identifier des espaces géographiques pour mettre en œuvre des actions de conservation de la biodiversité in situ (Margules et Pressey, 2000; Lagabrielle, 2007). Dans une société de l’information et de l’image, les outils de représentations cartographiques se sont considérablement développés, notamment au travers des Systèmes d’Information Géographique (SIG). Aujourd’hui les récentes avancées conceptuelles en matière de protection de la nature, mettant en avant le besoin d’intégrer les enjeux de conservation au développement humain, représentent de véritables défis en termes d’outils d’accompagnement et de planification spatiale. Bien que l’on passe de la protection d’espèces ou d’habitats à la gestion de l’ensemble du territoire, la planification spatiale reste nécessaire pour plusieurs raisons (Ando et al., 1998; McDonald-Madden et al., 2008;

Moilanen et al., 2009). D’abord parce qu’un enjeu de biodiversité considéré et identifiable spatialement n’est pas distribué de manière homogène. Tous les espaces n’ont donc pas la même « valeur » au regard de cet enjeu. Ensuite parce que les différents enjeux de biodiversité en appellent à différents modes de gestion et/ou de conservation et ne sont pas sont pas nécessairement distribués de manière corrélée. Il s’agit alors d’identifier comment sont distribués chacun des enjeux dans l’espace. Enfin et surtout, parce que la conservation de la biodiversité se fait dans des conditions de moyens financiers limités et selon un compromis avec les activités humaines en place et à venir. Il faut donc identifier les zones prioritaires pour la conservation.

Notre travail s’inscrit dans une approche globale des enjeux de biodiversité à un niveau régional. De ce point de vue, nous présentons ci-après les principaux enjeux relatifs à deux domaines de recherche en lien avec notre questionnement : l’un porte sur les stratégies de définition d’aires prioritaires pour la conservation tandis que l’autre traite plus spécifiquement de l’intégration d’enjeux de conservation dans la planification de l’aménagement du territoire.

Des aires protégées aux aires prioritaires pour la conservation

Historiquement, le choix des sites à protéger s’est fait de manière ad hoc sur la base de critères peu explicites et privilégiant des zones à faibles enjeux de développement socio-économique (Pressey, 1994). Dans les années 70, l’avènement des outils de géomatique a cependant permis de prendre du recul et d’évaluer la pertinence de ces choix stratégiques.

Ainsi la méthode de « gap analysis » (Scott et al., 1993), en croisant par superposition le réseau d’aires protégées avec la répartition des enjeux de biodiversité (présence d’espèce, d’habitat, richesse, etc.), a permis de mettre en évidence les lacunes et le manque de représentativité des dispositifs existants (e.g. Scott et al., 2001; Rodrigues et al., 2004; Gaston et al., 2006; Maiorano et al., 2006 ). Des outils ont alors été développés pour sélectionner des aires prioritaires pour la conservation en se basant sur des approches quantitatives de fait plus explicites, transposables et bénéficiant d’une légitimité scientifique accrue (Sarkar et al., 2006). Le concept de « Systematic Conservation Planning », proposé dans les années 90 (Margules et Pressey, 2000), témoigne d’une volonté de systématiser les stratégies de conservation autour d’un cadre théorique pour sélectionner et gérer les aires prioritaires pour la conservation. Cette approche se fonde sur six étapes : la compilation des données disponibles dans la région considérée, la définition d’objectifs de conservation, l’évaluation de l’efficacité du réseau de sites alloués à la conservation, la sélection de nouveaux sites, le choix du type de gestion pour chaque site, la définition d’objectifs précis pour chaque site.

Depuis son avènement, la communauté scientifique s’est largement mobilisée sur cette thématique notamment autour de l’évaluation des réseaux d’aires protégées existants et de la sélection de nouvelles aires prioritaires pour la conservation. Retraçant les axes majeurs de réflexion, Wilson et al. (2010) définissent les principes clés en matière de planification de sites pour la conservation.

La représentativité

Le réseau de sites doit être représentatif des enjeux de biodiversité. Cependant, dans un contexte où les données ne sont pas toujours disponibles et où certains éléments de la diversité biologique ne sont pas matérialisables, l’enjeu repose sur la substituabilité des éléments considérés (Rodrigues et Brooks, 2007). Espèces emblématiques, classes d’occupation du sol, habitats, etc. sont alors les éléments chargés de représenter la biodiversité dans son ensemble.

La complémentarité

Tous les algorithmes et outils visant l’identification d’un réseau de sites pour la conservation se basent sur le principe de complémentarité (Pressey et al., 1993). Cela signifie que les sites ainsi identifiés sont complémentaires les uns des autres pour atteindre des objectifs prédéfinis correspondant pour chaque attribut de biodiversité considéré à un niveau de représentation dans le réseau de sites. Ainsi les sites sélectionnés ne sont pas forcément les plus riches (Williams et al., 1996) et la complémentarité d’un site varie en fonction des objectifs fixés ou des aires de conservation déjà en place (Wilson et al., 2009).

La flexibilité et l’irremplaçabilité

Plusieurs solutions peuvent être envisagées pour répondre à des objectifs prédéfinis.

L’importance d’une unité de planification compte-tenu de ces objectifs est donnée par la valeur d’irremplaçabilité. L’irremplaçabilité d’une unité de planification peut être définie comme la proportion des solutions possibles où celle-ci est sélectionnée (Margules et Pressey, 2000). Elle permet donc d’évaluer l’importance d’une unité donnée pour aboutir à un réseau complémentaire.

La persistance des éléments de biodiversité ciblés

Idéalement un réseau de sites devrait pouvoir assurer le maintien des éléments ciblés sur le long terme. A ce propos, les scientifiques soulignent principalement deux aspects : d’une part le choix des objectifs de représentation pour chaque élément considéré doit permettre de couvrir une surface ou une population de taille suffisante (e.g. Pressey et al., 2003; Solomon et al., 2003) d’autre part, certains enjeux nécessitent un réseau d’espaces qui soient suffisamment connectés (e.g. Van Teeffelen et al., 2006). Ces deux paramètres sont cependant totalement dépendants des connaissances disponibles et, considérant par ailleurs la complexité technique inhérente à leur application, ils sont en réalité rarement pris en compte.

Le rapport coût/efficacité

Le choix d’aires prioritaires pour la conservation se fait toujours selon des contraintes de ressources limitées. Compte tenu du fait que les coûts inhérents à la conservation d’un site, qu’ils soient sociaux ou économiques, ne sont pas distribués de manière homogène (Ando et al., 1998), le réseau de sites doit reposer sur le compromis le plus efficace entre représentativité des enjeux de biodiversité et coût de la conservation. Dans la littérature scientifique cependant, ils ne sont que rarement pris en compte ou sont considérés à postériori, après la procédure de sélection des sites.

Les menaces et la vulnérabilité

De la même manière, un plan de conservation ne peut faire l’économie d’une évaluation des menaces qui pèsent sur la biodiversité. La prise en compte des menaces peut se faire soit au niveau des unités de planification (e.g. Pressey et Taffs, 2001) soit directement au niveau des entités de biodiversité considérées (e.g. Gauthier et al., 2010). Ainsi l’évaluation des menaces est utile pour fixer les objectifs de conservation, choisir le réseau d’aires protégées ou définir les modalités de gestion.

Au regard des nouveaux enjeux de conservation que nous avons décrits précédemment, les outils et méthodes développés ont évolué au cours du temps. Alors que la plupart des études laissaient croire en un paysage binaire composé de zones à protéger et de zones à développer, de récentes publications en matière d’évaluation d’aires protégées (e.g. Ochoa-Ochoa et al., 2009) ou de sélection d’aires prioritaires pour la conservation (e.g. Watts et al., 2009), ont mis en avant le besoin de considérer l’existence d’une grande diversité de zonages associée aux modalités de gestion nécessaires ou au compromis entre activités économiques et protection de la biodiversité. D’autre part, les scientifiques tentent de tenir compte d’autres enjeux de biodiversité comme les processus écologiques et évolutifs qui génèrent et permettent le maintien de la biodiversité (Possingham et al., 2005; Rouget et al., 2006;

Pressey et al., 2007) ou les services écosystémiques rendus aux sociétés humaines (Gross, 2006; Egoh et al., 2007; Naidoo et al., 2008 ). Il s’agit dès lors d’identifier à une échelle donnée les composantes spatiales de ces enjeux.

Mais la définition de méthodes systémiques pour choisir un réseau d’aires prioritaires pour la conservation pose avant tout la question de leur applicabilité et donc de leur transfert du champ scientifique au champ de l’action. Le remplacement de l’expert par des outils calibrés dans la recherche d’une plus grande transparence des choix prioritaires se heurte à la complexité tant sociale qu’écologique des systèmes étudiés. Dans un article intitulé “The gaps between theory and practice in selecting nature reserves”, Prendergast et al. (1999) s’interrogent quant au peu de succès de ces outils et méthodes dans le champ de l’action. Ils constatent que bien souvent les acteurs de la conservation n’ont même pas conscience de leur existence, n’ont pas les moyens financiers pour les mettre en œuvre ou ne sont tout simplement pas réceptifs à des approches prescriptives venant du champ scientifique.

Quoiqu’il en soit, on ne peut que souligner l’enjeu d’une communication accrue entre scientifiques et gestionnaires acteurs de la conservation pour faire en sorte que savoirs experts

et méthodes scientifiques ne s’opposent pas mais au contraire deviennent complémentaires et s’influencent mutuellement (Cowling et al., 2003).

L’avènement de la planification écologique dans l’aménagement du territoire.

Au cours des années 80, un autre champ disciplinaire s’est développé autour de la planification écologique au sens large. L’enjeu n’est plus l’identification d’aires prioritaires mais l’inclusion explicite de principes écologiques dans la planification spatiale à l’échelle du paysage (Steiner, 2000; Ahern, 2002; Opdam et al., 2006). Alors que l’avènement des outils et techniques présentés plus haut avait pour objectif de rendre plus transparente une stratégie déjà existante, basée sur des sites délimités, il s’agit bien ici d’accompagner une nouvelle approche de la conservation dont le postulat de base est le besoin d’écologiser les politiques d’aménagement du territoire. La planification écologique suppose donc d’intégrer les aspects biophysiques et socio-culturels pour mettre en valeur les opportunités et les contraintes dans le processus de décision (Steiner, 2000). Pour créer ce lien entre aménagement et conservation de la nature au sens large, l’écologie du paysage, discipline émergente à la croisée de la géographie et de l’écologie, est ainsi devenue incontournable (Opdam et al., 2001). Pour qu’un paysage soit durable, il faut que l’agencement spatial des différents éléments qui le composent intègre les processus écologiques nécessaires au maintien de la biodiversité. L’enjeu est dès lors de dépasser la stricte représentation des patterns du paysage pour comprendre comment ils influencent son fonctionnement écologique (Haines-Young, 1999). Cela suppose aussi d’être capable de généraliser les méthodes et principes permettant d’étudier le fonctionnement d’une espèce pour gérer la biodiversité au sens large.

En Europe, c’est dans ce contexte que le concept de réseau écologique a reçu une attention politique et sociale sans précédent (Jongman et al., 2004) pour constituer une stratégie de conservation de la nature à part entière (Jongman et al., 1995; Bennett, 1998 ). En s’appuyant sur le modèle « tache, corridor, matrice » (Forman et Godron, 1986), il propose de représenter le paysage et son fonctionnement sous forme de zones cœurs de biodiversité, de leur zone tampon et de corridors (Jongman, 1995). Les outils de planification des réseaux écologiques se développent donc à la fois dans le champ scientifique où ils ont une dimension plus ou moins expérimentale et dans le champ de l’action où ils servent à fonder de nouvelles stratégies territoriales de conservation. La nature des interactions ou les modalités de transfert des outils entre science et action relèvent donc d’un processus bien plus complexe et

imbriqué. Les réseaux sont identifiés à des échelles locales, régionales ou continentales sur la base d’espèces cibles ou de données d’occupation du sol (Bennett et Wit, 2001; Jongman et al., 2004) et s’accompagnent bien souvent de l’analyse des ruptures de continuité d’habitat et des pressions anthropiques qui fragmentent le territoire (e.g. Berthoud et al., 2004).

Cependant, si le concept de réseau semble devenir le nouveau paradigme de la conservation de la nature en Europe notamment, nous verrons au chapitre 2 de la partie II qu’il n’est pas sans soulever des interrogations quant à sa mise en œuvre pratique et à ses fondements scientifiques. Boitani et al. (2007) dans un article intitulé « Ecological networks as conceptual frameworks or operational tools in conservation » reconnaissent que les réseaux écologiques doivent être maintenus à l’agenda politique comme un cadre de travail conceptuel mais soulignent l’importante simplification de concepts écologiques complexes inhérente à leur mise en œuvre.

Nous distinguons donc ici deux approches de la planification de la conservation qui font appel à des connaissances, des techniques et des outils différents. La première, portée par des macro-écologues, naît du besoin de rendre plus intelligibles, plus transparentes les stratégies d’aires protégées. En restant principalement centrées sur l’identification de sites délimités et complémentaires au vue de la répartition d’enjeux clairement identifiés, les approches développées récemment opèrent un glissement de l’identification de réserves à l’identification d’aires prioritaires pour la conservation. Malgré tout, comme nous l’avons déjà mentionné, la complexité des techniques utilisées et le manque de communication entre science et acteurs de la conservation, limitent l’applicabilité de ces outils et leur transfert du champ scientifique au champ de l’action. La deuxième approche, portée par des géographes et des écologues du paysage, tente de répondre aux nouveaux défis environnementaux en intégrant les préoccupations environnementales dans la planification de l’aménagement du territoire. Il ne s’agit plus seulement d’identifier des sites représentatifs et complémentaires mais des réseaux qui rendent compte de l’agencement spatial des éléments du paysage et des hypothèses quant à leurs interactions. Ici les outils ne s’adaptent pas à un concept préexistant, ils émergent en même temps que celui-ci. Aussi, le succès social des stratégies de réseau écologique reflète celui des outils de cartographie nécessaires à leur mise en œuvre. Cependant, l’enjeu et les questionnements quant à la pertinence d’une telle approche portent principalement sur la capacité des méthodes et modèles utilisés à agréger des connaissances sur le fonctionnement de « l’ensemble de la biodiversité » à des échelles paysagères.

Ces deux champs de recherche illustrent tant la variété des outils et concepts disponibles que la complexité inhérente à la planification d’une conservation intégrée de la biodiversité.

Les récentes avancées conceptuelles mettent en exergue le besoin d’une approche fonctionnelle de la conservation qui considère la biodiversité avant tout comme un processus.

Cela signifie en premier lieu d’être capable d’intégrer les enjeux de conservation aux différentes politiques publiques et à tous les niveaux d’organisation du territoire. Mais comment les outils et méthodes peuvent-ils permettre de planifier cette intégration à un niveau régional ? Comment peut-on spatialement organiser le passage d’une planification de l’aménagement du territoire qui distingue des espaces de nature et des espaces d’activités humaines à une planification qui intègre au contraire développement humain et conservation de la biodiversité ?

Au travers de cette partie, nous tenterons d’apporter des éléments de réponse à cette problématique en axant notre travail autour de trois questions principalement: Quels patterns de biodiversité peut-on prendre en compte au niveau régional ? Comment peut-on évaluer les menaces sur la biodiversité ? Comment hiérarchiser les enjeux de conservation ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 34-40)