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Le réseau Natura 2000: quelle responsabilité pour quelle intégration?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 90-100)

Ruppert Vimal1, Raphaël Mathevet1, John D. Thompson1

Article en cours de préparation

1 Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive, UMR 5175, CNRS, 1919 route de Mende, 34293 Montpellier cedex 5, France

Résumé

Le réseau Natura 2000 est l’effort de conservation de la biodiversité le plus important à l’échelle du territoire Européen. La désignation des sites et les mesures de gestion qui y sont associées se basent exclusivement sur des listes d’espèces et d’habitats dits « d’intérêt communautaire ». Il est donc urgent d’évaluer les potentialités de complémentarités entre le réseau Natura 2000 et les politiques de conservation définies sur la base d’autres enjeux, plus locaux. Dans cet article, nous analysons la responsabilité du réseau Natura 2000 au regard d’enjeux de conservation identifiés au niveau de la région Languedoc-Rousillon dans le sud de la France. Alors que le réseau réglementaire semble très lacunaire avec, à titre d’exemple, la moitié de la flore totalement absente (299 espèces), le réseau Natura 2000, représentant 30% du territoire régional, couvre une bonne part des enjeux (« seules » 32 espèces sont totalement absentes du réseau composé des sites réglementaires et Natura 2000). Sur la base de ce constat, nous proposons d’identifier les aires prioritaires pour la conservation en privilégiant avant tout les espaces déjà couverts par le réseau Natura 2000. Territoire d’animation et de médiation entre les acteurs, le réseau Natura 2000 pose en effet les bases indispensables à la recherche de la complementarité des politiques publiques et d’une réelle intégration.

Mots clés: Natura 2000, complémentarité, responsabilité, Sites d’Intérêt Communautaire

Abstract

The Natura 2000 network represents the most important effort undertaken to preserve biodiversity on the European scale. The sites designation process which comprises management measures is exclusively based on a list of species and habitats of “community interest”. There is thus an urgent need to assess the potential complementarities between Natura 2000 and other nature conservation policy instruments which address more local issues. In this study, we analyse the importance of Natura 2000 regarding conservation issues pointed out at the regional level in the southern France's Languedoc-Roussillon region. A conservation gap exists if we only consider protected areas under regulatory approach, with, for instance, half of the flora being absent from the sites (299 species). The Natura 2000 network, which accounts for 30 % of the region’s surface area, meets quite well the conservation issues, with only 32 plant species absent from both Natura 2000 and regulatory sites.

With this in mind, we propose to identify priority conservation areas by favoring already designated Natura 2000 sites. As a territory of animation and stakeholder mediation, the Natura 2000 network can indeed lay the foundation for the quest for complementarity of public policies and real integration.

Keywords: Natura 2000, complementarty, responsability, Sites of Comunity Interest

De nombreuses études ont montré que les stratégies d’aires protégées sont insuffisantes pour répondre aux enjeux de biodiversité (Brooks et al., 2004; Rodrigues et al., 2004 ). Les scientifiques soulignent par ailleurs que bien souvent le choix des sites à conserver s’est fait de manière ad hoc sur la base de critères peu explicites et privilégiant des zones à faibles enjeux de développement socio-économique (Pressey, 1994; Scott et al., 2001). Créé en 1992, le réseau Natura 2000 (N2000) a pour objectif de préserver la biodiversité dans les territoires ruraux et représente ainsi une opportunité pour concilier conservation de la biodiversité et maintien des activités humaines (Miller et Kettunen, 2005; Marty et Lepart, 2009). Les sites

« d’intérêt communautaire » appartenant au réseau N2000 sont désignés sur la base de listes d’espèces et d’habitats issus de deux directives communément appelées directive « oiseaux » et directive « habitats de 10% du territoire, il est de loin le projet Européen le plus ambitieux en matière de conservation de la nature (Maiorano et al., 2007 ; Watzold et al., 2010). Mais si le réseau est basé sur une méthodologie clairement définie visant la protection d’enjeux prioritaires au niveau européen, il s’agit maintenant d’analyser sa complémentarité avec les dispositifs déjà existants pour prendre en compte des enjeux de conservation identifiés à d’autres niveaux d’organisation. Ici nous proposons d’évaluer comment le réseau N2000 peut être complémentaire du réseau d’aires protégées français en terme de représentativité des enjeux de biodiversité définis au niveau de la région Languedoc Roussillon.

Pour cela, nous utilisons l’inventaire des Zones d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique (ZNIEFF) qui se base sur la présence d’espèces dites déterminantes (INPN, 2006) hiérarchisées, dans le cadre de la région considérée, en fonction de leur rareté et de la responsabilité de la région au vu de leur effectif. Nous traitons ici des espèces appartenant aux groupes taxonomiques pour lesquels la connaissance est la plus complète à savoir les plantes (phanérogames), les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les amphibiens et les poissons. Les espèces N20001, qui font toutes parties de l’inventaire ZNIEFF, n’ont évidemment pas été prises en compte. Le réseau de sites réglementaires considérés dans le cadre de cette étude est constitué des réserves naturelles régionales et nationales, des réserves biologiques, du cœur du Parc national des Cévennes, des arrêtés de protection de biotope et des terrains acquis par le conservatoire du littoral. Seules les zones N20002

1 Pour les groupes taxonomiques considérés, on compte 87 espèces d’après l’INPN.

qui ne se superposent pas à ces zonages

2 Le réseau Natura 2000 est composé des Zones Spéciales de Conservation (ZSC) identifiées sur la base des

sont considérées en tant que telles. Dans un premier temps, nous évaluons la responsabilité des sites N2000 au vu du nombre d’espèces de plantes et de vertébrés qui y sont présentes1. Par la suite, nous analysons quantitativement comment le réseau N2000 complète le réseau d’aires protégées pour chacun des groupes taxonomiques. Pour cela, au regard de la hiérarchisation réalisée dans le cadre de l’inventaire ZNIEFF, nous avons regroupé les espèces en quatre classes et considéré que le réseau global doit atteindre pour chacune d’entre elles, un objectif croissant en terme de représentativité de leur distribution2

Alors que le réseau de sites réglementaires couvre 4.4% du territoire, le réseau N2000 s’étend sur 28.8% de surfaces supplémentaires (notons que 98% de la surface des sites réglementaires est inclus dans le réseau N2000). Ainsi seule 14.7% de la surface des ZNIEFF est inclue dans les sites réglementaires alors que ce chiffre s’élève à 79.6% en considérant le réseau N2000.

. Enfin, nous identifions, à l’intérieur du réseau N2000, les ZNIEFF prioritaires pour atteindre les objectifs considérés.

Figure 1 - Nombre d’espèces de plantes et de vertébrés présentes dans les sites N2000

directive « oiseaux ».

1 Une ZNIEFF (et les espèces qui y sont associées) est considérée présente dans un site si plus de 20% de sa surface y est représenté.

2 Objectifs fixés en termes de pourcentage de la distribution de l’espèce (nombre de ZNIEFF où elle est présente) qui doit être inclus soit dans un site réglementaire soit un site N2000 :

90% 45 plantes, 5 mammifères, 9 oiseaux, 3 reptiles/amphibiens, 2 poissons 60% 73 plantes, 7 mammifères, 11 oiseaux, 2 reptiles/amphibiens, 6 poissons 30% 132 plantes, 2 mammifères, 30 oiseaux, 5 reptiles/amphibiens, 6 poissons 10% 362 plantes

La Figure 1 montre la très forte responsabilité des sites N2000 en matière d’enjeux régionaux. En effet, certains sites peuvent abriter jusqu'à plus de 30 espèces de plantes (un des sites contient même 128 espèces !) et plus de 10 vertébrés inventoriés dans le cadre du dispositif ZNIEFF. Le tableau 2 montre que les sites réglementaires ne couvrent qu’un échantillon partiel des enjeux. En effet, aucune espèce de poisson, de reptile/amphibien et de mammifère n’est suffisamment prise en compte au regard des objectifs que nous avons fixé ici. De manière globale, 41 des espèces les plus prioritaires au vue de la hiérarchisation réalisée dans le cadre de l’inventaire ZNIEFF sont totalement absentes du réseau de sites. On note par ailleurs que 11 espèces de poissons sur 14 et près de la moitié des plantes sont totalement absentes du réseau de sites. Si l’on considère le réseau N2000 cependant, seulement une espèce d’amphibien ou reptile, une espèce de mammifère et 32 espèces plantes ne sont pas du tout représentées. Notons cependant que l’espèce d’amphibien ou reptile et l’espèce de mammifère sont parmi les espèces les plus prioritaires.

Tableau 1 - Analyse des lacunes du réseau de sites réglementaires et évaluation de la complémentarité du réseau N2000

Les espèces « total-gap » sont des espèces qui ne sont jamais présentes dans le réseau considéré. Les espèces « partial-gap » sont des espèces qui ne sont pas suffisamment représentées dans le réseau considéré au regard des objectifs fixés. Le chiffre entre parenthèse correspond aux espèces pour qui sont les plus importantes pour la région et pour lesquelles nous avons fixé un objectif de représentation de leur distribution à 90%.

Le réseau N2000 permet donc de couvrir une proportion importante d’enjeux régionaux.

Cependant étant donnée la surface qu’il couvre et du fait des moyens limités attribués à la conservation de la biodiversité (Ando et al., 1998), l’enjeu est d’identifier quelles sont les ZNIEFF à l’intérieur de ce réseau, qui nécessiteraient en priorité une attention particulière au-delà des enjeux européens. En effet, si de nombreuses espèces sont présentes dans chaque

site, ceux-ci n’ont pas tous la même importance au regard des objectifs que nous avons fixés.

A l’aide d’un algorithme (« Marxan », Ball et Possingham, 2000; Possingham et al., 2000) qui permet de choisir la combinaison de sites la plus optimale, nous avons identifié, au sein du réseau N2000 exclusivement1, les ZNIEFF qui sont irremplaçables (elles sont sélectionnées quelque soit la combinaison) pour atteindre les objectifs fixés. Il est important de noter que ces sites ne sont pas forcément les plus riches mais plutôt les plus complémentaires du réseau réglementaire (Williams et al., 1996). Certains sites très riches peuvent en effet contenir des espèces qui sont toutes suffisamment représentées dans le réseau de sites protégés alors que d’autres peuvent contenir très peu d’espèces mais rares et totalement absentes des sites protégés. Ainsi nous pouvons identifier comme irremplaçables 60% de ZNIEFF présentes dans les zones N2000.

Figure 2. Identification de ZNIEFF prioritaires au sein du réseau N2000 pour compléter le réseau de sites réglementaires

1 Techniquement cela se traduit par le fait que nous contraignons l’analyse au réseau Natura 2000 de sorte qu’une ZNIEFF en dehors du réseau ne peut être sélectionnée.

Ici notre démarche ne consiste donc pas à évaluer si le réseau N2000 a été délimité de manière optimale au vue des enjeux régionaux (voir pour cela Dimitrakopoulos et al., 2004;

Araujo et al., 2007 ; Maiorano et al., 2007). Nous voulons plutôt illustrer son importance au regard notamment de la surface qu’il couvre et ainsi identifier des zones à enjeux en priorité au sein de ce réseau. En réalité, il est probable que des solutions plus optimales en terme de surface puissent être identifiées en considérant aussi les ZNIEFF en dehors du réseau mais la méthode utilisée ici se base sur l’idée qu’il vaut mieux hiérarchiser les actions de conservation à l’intérieur du réseau déjà constitué. Bien évidemment une telle analyse nécessite par la suite d’être discutée à dire d’experts. Il va de soi d’ailleurs que la protection d’autres ZNIEFF est nécessaire au regard des objectifs considérés puisque certaines espèces sont insuffisamment présentes voire absentes du réseau.

Ainsi nous mettons en exergue l’enjeu de la complémentarité des politiques publiques et le besoin de faire en sorte que le réseau N2000 prenne en compte d’autres enjeux que les seuls espèces et habitats reconnus d’intérêt communautaire. Au-delà de la présence d’une espèce dans un site, on peut distinguer deux cas de figure qui soulèvent des enjeux différents. Le premier concerne les situations où l’espèce ZNIEFF nécessite des mesures de gestion similaires à celles qui sont mises en œuvre pour les enjeux qui ont justifié la délimitation du site N2000. Les travaux en cours de Vincent Bretagnolle (CNRS de Chizé) montrent par exemple que des mesures agri-environnementales mises en place pour l’outarde canepetière peuvent avoir des effets positifs sur d’autres espèces (communication personnelle). De ce point de vue, il serait par ailleurs utile d’évaluer combien d’espèces ZNIEFF sont affiliés aux habitats d’intérêt communautaire. Le second cas de figure concerne les situations où les mesures proposées pour un site ne permettent pas de prendre en compte les espèces ZNIEFF.

A ce propos, il convient de préciser ici qu’en milieu méditerranéen, il est probable que ce cas soit plus fréquent qu’ailleurs. En effet l’hétérogénéité des paysages et la mosaïque qui les caractérisent entraine une forte diversité d’habitats et d’enjeux de conservation que ce soit à l’échelle d’un site N2000 ou d’une ZNIEFF (voir chapitre 2).

Aujourd’hui, le dispositif N2000 tel qu’il est conçu en France, ne garantit pas la prise en considération de ces enjeux ni même leur évaluation. C’est alors localement que se dessine cette intégration au regard des moyens financiers, du temps mais aussi des compétences des opérateurs chargés de la gestion de chacun des sites. Pourtant le réseau N2000 constitue en quelque sorte un capital social (Pretty, 2003) qui a nécessité un travail considérable

d’animation, de médiation, auprès des acteurs du territoire (Alphandery et Fortier, 2001 ; Hiedanpaa, 2002) et qui offre largement la possibilité, au delà des enjeux ciblés d’élargir, le débat à des normes bien plus globales de durabilité.

LITTERATURE CITEE

Alphandery P. et Fortier A., 2001. Can a territorial policy be based on science alone? The system for creating the Natura 2000 network in France. Sociologia Ruralis 41, 3, 311-+.

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Dimitrakopoulos P.G., Memtsas D. et Troumbis A.Y., 2004. Questioning the effectiveness of the Natura 2000 Special Areas of Conservation strategy: the case of Crete. Global Ecology and Biogeography 13, 3, 199-207.

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Rodrigues A.S.L., Andelman S.J., Bakarr M.I., Boitani L., Brooks T.M., Cowling R.M., Fishpool L.D.C., da Fonseca G.A.B., Gaston K.J., Hoffmann M., Long J.S., Marquet P.A., Pilgrim J.D., Pressey R.L., Schipper J., Sechrest W., Stuart S.N., Underhill L.G., Waller R.W., Watts M.E.J. et Yan X., 2004. Effectiveness of the global protected area network in representing species diversity. Nature 428, 6983, 640-643.

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Chapitre 4

Impact présent et à venir de l’urbanisation sur

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