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Les dispositifs locaux de transmission du tennis : des modalités de gestion hétérogènes

La pratique encadrée du tennis que nous analysons s'est construite au fil d'un processus que nous avons essayé de saisir durant la première partie de l'étude. Qu'implique alors son implantation au regard des structures qui la gèrent et l'hébergent à l'échelle locale ? Ce chapitre rend compte des phénomènes redondants et caractéristiques des clubs au travers de « cas particuliers », dans l'objectif d'éclairer ce et ceux qui régissent la transmission du tennis. Si les relations entre clubs et institutions sont en interdépendances, nous observerons dans cette partie qu'elles ne donnent que rarement lieu à un assujettissement total des premiers sur les seconds.

Dans un sens, les clubs de tennis sont avant tout des associations sportives, et tel que le précisait Jean-Louis Laville332, c'est dans l'objectif de répondre à des impératifs gestionnaires

latents que ces espaces prennent certaines mesures visant à réglementer leurs fonctionnements. Ces impératifs tendent donc progressivement à implanter un modèle « bureaucratique » – qui nous le verrons reste encore instable et surtout inabouti – dans une recherche de prévisibilité, de pérennité et d'anticipation. Au niveau des clubs de tennis, ces mesures et leurs logiques nous ont semblé autant déséquilibrées d'un club à l'autre, qu'elles nous sont apparues comme désormais indispensables. C'est ce que nous allons tenter de démontrer.

3-A Les enjeux de l'usage des monographies

Il s’agit ici de présenter un univers – celui des clubs – pour souligner ses fragmentations, mais également les principes qui régissent et stabilisent l’ancrage ou l’identification d'avatars, rattachés aux logiques de gestion typiques de notre objet d'étude. Ce travail de traduction ne peut malheureusement faire l'économie de certaines généralités, ne serait-ce qu'à l'échelle de la dimension informative de cette étude : détailler la vie d'un club, présenter les acteurs de l'encadrement, leurs trajectoires, etc. Tout ceci nécessite l'usage de données et de degrés de complexité variables, qui posséderont pour objectif d'éclaircir la connaissance et la compréhension de notre champ d'investigation et des formes symboliques que lui confèrent ses acteurs. Notamment en y dégageant des seuils, ces derniers étant toujours érigés par des faits concrets, recueillis, observés, lus, entendus, etc.

parfois à 17 heures pour se finir à 23 heures. Ainsi les enseignants qui quittent la Lorraine pour le Luxemboug le font le plus souvent lorsqu'ils s'engagent dans la vie familiale, qu'ils se marient et qu'ils font des enfants

332 Laville Jean-Louis, L’association : ni entreprise, ni administration, in Bloch-Laine.F. (dir.), Faire société. Les

En partant de constatations empiriques, nous proposerons ainsi des typologies de clubs, de transmetteurs, de missions, etc. Cette partie est donc une phase transitoire au regard de notre démonstration, elle traite de l'usage du service, mais uniquement de son usage extérieur à la séance et à son public. Ceci se doit d'être clairement détaillé avant de saisir la diversité des usagers, de leurs motivations et « la mise en scène » de la pratique ici analysée. Le « monde social » du tennis en club s'érige comme une structure ouverte où circulent des acteurs, des lieux, des identités et des intentions de natures diverses. Si les enjeux ou les logiques d'une situation d'encadrement sont à considérer différemment selon le point de vue des individus impliqués, nous privilégierons ici la perspective de ceux qui l'administrent quotidiennement : les clubs. La question centrale de ce chapitre étant : comment s'organise et se répartit l'offre d'encadrement tennistique selon les espaces qui peuvent l'héberger et leurs caractéristiques ?

Nous essayerons de répondre à cela au travers d'une démarche ethnographique dont nous avons posé les bases dans nos prolégomènes. Selon l'organisation qui cadre l’expérience de la séance, il émane des logiques, des formes d'investissement et des missions de natures diverses que nous allons pouvoir traiter. Il s'agira ainsi de présenter la diversité de ces espaces en saisissant ce qui les oppose et ce qui les unifie, mais surtout d'expliquer au lecteur ce qu'ils peuvent représenter pour les acteurs et pour le monde du tennis. Ceci nous a obligé à faire des choix au niveau des lieux d’investigation. Choix ici basés sur l’accessibilité de l’espace d’observation, sur sa représentativité à l’échelle du monde social des clubs de tennis, ou encore par simple intuition scientifique : l’impression qu’ « ici il se passe quelque chose ». Ainsi, en dégageant une forme de catégorisation de ces lieux, c’est au final ce qui construit leurs conventions, leurs normes, leurs finalités et leurs modes de fonctionnement que nous détailleront.

- Présenter des échantillons typiques de l' « action associative »

Les organisations que nous avons étudié – toutes affiliées à la FFT – se déclarent unanimement comme hébergeant des dispositifs d'encadrement du tennis. Néanmoins, d'un endroit à l'autre, ces derniers n'y sont pas perçus, considérés ou traités de la même façon. Nous y saisirons alors le contraste qui s'opère au regard de l’état des lieux de leurs effectifs, de l'histoire de leur implantation, de leurs politiques d’action et les manières par lesquelles s’organise administrativement et quotidiennement l’encadrement. Nous constaterons que la relation de service tente alors d'investir des lieux différents, parfois concurrentiels, voire paradoxaux. C'est cette disparité entre les clubs que nous souhaitons rendre lisible, notamment en précisant leurs différentes positions dans le monde du tennis, en tant que « secteur marchand »333 associatif. En

effet, si nous pourrons constater que le quotidien des clubs adhère de façon plus ou moins fidèle au principe de diffusion du « tennis pour tous », la gestion quotidienne de ce phénomène fait cependant l'objet d'approches différentes. Certains axent leur politique sur la qualité des prestations, d'autres sur l' « ouverture », etc.

L’objectif présent est donc de décrire les structures et les infrastructures dans lesquelles se déroulent les agencements techniques, relationnels ou ludiques qui seront traités vers un autre niveau d’analyse (partie 3). En résumé, il s’agit de procéder à une forme de codage primaire de l'intendance de la transmission du tennis en club, pour dévier ensuite sur une compréhension plus subjective de l'encadrement et des dimensions relationnelles, morales ou encore procédurales qui s'y rattachent.

- Observer le monde des clubs de tennis comme un espace hétéroclite

Les critères apparents qui fondent le prestige d’un club de tennis ou qui influencent le type de clientèle qui le fréquente ont été cernés antérieurement dans la sociologie du sport. Si l'on prolonge la typologie de Waser334, ces derniers peuvent se diviser globalement en trois catégories.

L’auteure distingue d’une part les grosses structures dépassant les 500 membres, qui fonctionnent aujourd’hui de façon quasi similaire au modèle entrepreneurial335, avec néanmoins quelques

distinctions spécifiques aux caractéristiques associatives de l’organisation. Ces clubs embauchent du personnel, possèdent des infrastructures pléthoriques (dix, vingt, voire trente terrains parfois), un niveau sportif souvent prestigieux, caractérisé par exemple par une participation aux championnats de France, avec dans leurs rangs des joueurs et joueuses de bon ou de très bon niveau régional voire national, etc. Ceci sous-tend une gestion administrative rigoureuse, similaires aux modèles bureaucratiques336. De plus, les domaines d’assistance technique et d’animation

tennistique y sont très réfléchis, clairement ordonnés.

À l’inverse, on comptabilise des petites structures qui ne possèdent qu'un ou deux terrains, qui vivent avant tout de subventions et du bénévolat de quelques membres actifs. Ce sont des clubs ou presque tout le monde se connaît et qui représentent le « modèle artisanal »337 associatif,

notamment traduit par des modes de gestion contingents et pas toujours expertisés. Les membres y 334 Waser Anne-Marie, 1995, op.cit pp 40-70.

335 Chantelat Pascal, La professionnalisation des organisations sportives, Paris, L’Harmattan, 2001.

336 Weber Max., Economie et société vol. 1. Les catégories de la sociologie., 1921, Paris, Plon, coll. « Agora les classiques », 1995, pp. 289-336.

337 Selon Gasparini William (2000, op.cit), le modèle artisanal traditionnel implique une gestion quelque peu en marge des logiques mercantiles, Chantelat (2001, op.cit) constate de son côté des difficultés à faire perdurer ce type de modèle de par la rationalisation croissante des méthodes de gestion d’un club, et des attentes de plus en plus poussées d’une partie de la « clientèle ».

développent en général des attentes « raisonnables » ou « classiques », comme pouvoir jouer sur un terrain à moindre coût, ou s’entretenir tennistiquement sous la coupe d’un entraineur, etc.

Enfin, il existe une catégorie « intermédiaire », où les modes de gestion et les objectifs varient selon les actions des dirigeants et les aspirations des membres. Les effectifs tournent entre 100 et 400 membres, et on y retrouve pèle-mêle une gestion bénévole parfois « bricolée », tantôt très organisée. Des ambitions sportives aléatoires, le désir de satisfaire les membres, de les traiter en tant que « clients » etc. La présence d’un ou de plusieurs professionnel(s) de l’encadrement y- est également quasi automatique (voir chapitre 1). En résumé, ce qui situe une organisation de tennis sur l’échiquier du monde social des clubs s’articule principalement autour de ces critères : - Les infrastructures

- La position sportive du club. - Le nombre d’adhérents

- Les politiques de service tennistique proposées (que privilégient les dirigeants ?)

Nous avons donc choisi de proposer un regard monographique sur trois clubs, où les descriptions contiennent avant tout des évènements qui apparaissent redondants et représentatifs du secteur de l’encadrement tennistique : résumé d’une situation de gestion des groupes, extraits de discussions informelles, présentation d’axes décisionnels, etc. Si pour chaque « relation de service » : « les « contextualiser (...) c’est donc les restituer dans le cadre institutionnel complexe

où elles s’inscrivent »338, nous les présenterons ici à l'échelle locale, en introduisant l’état des lieux

de leurs infrastructures, leur position géographique, leurs politiques d’organisation au regard du thème de l’encadrement, etc.

- Dresser une typologie des clubs basée autour des modalités de gestion de la pratique encadrée

Une distinction s’opère toutefois au niveau du degré de présentation de ces clubs. Pour chaque espace, nous développons un thème qui à la fois illustre, démontre et justifie en partie de sa position sur l’échiquier propre au monde des clubs. Cette catégorisation particulière est donc un prétexte assumé pour décliner les enjeux et l’organisation du service selon chaque type de club. Deux visions sont donc ici mobilisées : l'une plutôt classique, s'attache à démontrer de façon empirique le quotidien des modes de gestion, de par une sélection de quelques « vignettes » représentatives, propres à l'organisation quotidienne et interne de l'objet d'étude. L'autre plus théorique, confère des outils qui permettent d'interpréter la structure informelle du service à l'aide de concepts empruntés à la sociologie des organisations et des professions.

Comme le précise William Gasparini : « le sport subit un processus dynamique

d’institutionnalisation. L’institution sportive apparaît comme un lieu d’idées, de croyance et de valeurs (..). En fonction de ces valeurs, les relations se définissent entre les dirigeants bénévoles et les sportifs. (…). En ce sens, l’analyse des usages sociaux de l’institution sportive du point de vue de ses membres permet d’opérer une rupture avec le point de vue institutionnel »339. Pour cela nous

présenterons les « allants de soi »340 (taken for granted) qu’on retrouve dans ces espaces dans un

double objectif : commencer le travail de traduction de l’action sociale mise en œuvre au niveau du secteur étudié, puis introduire concrètement le lecteur vers la connaissance formelle des espaces d’analyse qui cadrent la relation de service. Implicitement, c’est une forme de reflet de l’institutionnalisation de l’entrainement de tennis comme service (partie 1) qui s’opère. Mais un reflet parfois distordu, discutable ou paradoxal, qui montre implicitement une différence entre l'administration institutionnelle et les réalités quotidiennes vécues par les acteurs. Ainsi nous présentons les logiques sociales d’un club en rapport au sujet de la thèse, mais du côté de l’expérience des acteurs, qui deviennent ici « auteurs ».

3-B Le déroulement et l’organisation du secteur de l’encadrement tennistique au TCGT sur une année.

Cette première monographie s’est fondée sur trois années de fréquentation régulière, en tant que membre « actif »341 d’un club de tennis de l’agglomération thionvilloise. Nous cherchons à

mettre en avant les modes de gestion du secteur de l’encadrement au travers d’un club de 350/400 membres. Si : « Strauss décrit une partie du monde social comme un ensemble de routines,

d’habitudes, d’évidences »342, c'est principalement au fil de la dimension temporelle de ces routines

que nous éluciderons l’organisation de l'action relative aux espaces. La structure qui gère l’encadrement du tennis au TCGT découle d’une planification redondante que l'observateur peut distinguer d’années en années (ce qui n'empêche pas, nous le comprendrons, son évolution).

339 Gasparini William, 2000, op.cit.

340Concept développé par Alfred Shutz in : L’étranger : un essai de psychologie sociale ; suivi de L'homme qui rentre

au pays (traduction de l’article The Stranger et de l’article The Homecomer), traduction par Bruce Bégout Paris,

Éditions Allia, 2003. Dans son quotidien, l’acteur implanté dans une culture assimile ainsi un ensemble de savoirs et savoirs-faire qui donc vont de soi.

341 À la fois joueur, entraineur et « bénévole ». 342 Dubar Claude et Tripier Pierre, 1998,op.cit, p.107.

- Présentation

Le TCGT se situe à Thionville au stade de Guentrange, il a été créé à la fin des années 70 durant la phase de « démocratisation du tennis »343 par un petit groupe de passionnés344. Il fut

implanté auparavant sur le site de Cormontaigne en bordure de la ville, dans un quartier assez délabré. Après la destruction de ce dernier, il s’est déplacé dans le quartier de Guentrange, qui est aussi le plus huppé de la ville (le site est au pied d’une colline verdoyante peuplée de jolies villas). En 1988, le club voulait un second court et la municipalité lui proposa alors cet emplacement. Deux ans plus tard ce club fut doté d’un club house, puis de deux courts couverts délocalisés sur le cite de « la Milliaire » en 1993, car le stade n’était pas destiné aux installations couvertes. En 2012, il comptait plus de 400 membres, du fait de la mise en place de cours d’initiation pour adultes, de cours pour le jeune public, de l’entrainement de joueurs de troisième série, de l’attrait de la pratique du tennis à Thionville345, ainsi que du dynamisme de son président, personnage local, qui

possède un nombre important de relations et de réseaux tennistiques voire politiques. Il convient également de préciser que ce nombre d'adhérents en fait tout simplement l'association la plus fréquentée de la ville.

Cette forte augmentation des effectifs, qui en fait un des dix plus gros clubs lorrains produit certaines conséquences : la multiplication des équipes de championnat, du nombre de joueurs classés, le recrutement d’employés, de moniteurs diplômés d’état, l’organisation d’un des plus gros tournois amateurs de la région en terme de dotation et de participants sont à souligner. Le club se distingue cependant des autres grosses structures régionales, en gardant un caractère ouvert et accessible, malgré des infrastructures limitées à trois terrains homologués découverts, complétés par deux courts couverts permanents et l'accès ponctuel à un gymnase municipal. La clientèle y est donc relativement hétérogène, puisqu’on peut trouver une large palette de catégories socioprofessionnelles dans ce club346 : « on accepte tout le monde sans quelque distinction que ce

soit »347. L’activité principale tourne autour de l’encadrement de joueurs de tennis, et de la mise à

disposition saisonnière des terrains à un public de pratique ponctuelle (notamment en été).

Cette association est acteur de la stratégie fédérale qui implique de faciliter l’accès à des séances d’encadrement pour tous les niveaux de jeu. Jusqu’à la fin des années 90 le TCGT stagnait aux alentours des 150 membres. C’est la création d’une salle dédiée au tennis et partagée par

343 Voir dans nos prolégomènes.

344 Ces données m’ont été fournies par le fondateur du club, Bernard Z en mars 2007.

345 En additionnant les effectifs de la demi douzaine de club thionvillois en 2012, on tombe sur un chiffre proche des 1200 licenciés sur 40 000 habitants. Sources ligue Lorraine de tennis.

346 Il m’est par exemple arrive de jouer en équipe avec des chômeurs, des chirurgiens, des enseignants ou encore des employés intérimaire d’usine, de façon péjorative, le TCGT est perçu sur Thionville comme un club de « classe moyennes supérieures ».

plusieurs clubs thionvillois qui a permis au TCGT d’optimiser une offre d’entrainement de tennis au plus grand nombre, et ainsi s’introduire progressivement dans la norme fédérale moderne de ce type de structure.

« L'évolution du club ne s'est pas faite du jour au lendemain, c'est vraiment étapes par étapes

qu'on a réussit ça (…) après nos revenus c'est l'école de tennis, c'est primordial »348

Lors des observations effectuées dans ce club, le TCGT employait deux professionnels diplômés d’Etat, ainsi qu’une demi douzaine d’éducateurs. L’un des employés, Lucas, dont nous dresserons le portrait dans le quatrième chapitre, y exerce à temps-plein et gère avec le président et le comité toute la structure « encadrement » du club. L’autre Vincent, n’était là que ponctuellement pour l’entrainement d'une bonne douzaine de compétiteurs.

- La gestion du secteur de l'encadrement sur une année

Voici donc le compte rendu de la façon dont la pratique encadrée se trouve gérée et considérée par le club sur l'espace d'une « saison tennistique ».

- Septembre, la grande pagaille :

Dans un club de tennis, la saison démarre en même temps que l’année scolaire, et c'est à cette période que règne la plus grande pagaille au club-house, il en est de même pour de nombreuses associations sportives de ce type. En effet, c’est un des moments, si ce n’est le moment de l’année, où les dirigeants ont le plus de travail. Il s’agit de poser les bases pour l’année à venir, délimiter les groupes d’entrainement, distribuer les heures aux entraineurs, planifier les séances hebdomadaires, etc. Le club reçoit de nouvelles inscriptions de membres et invite les anciens à renouveler les leurs, ce qui n’est pas chose facile quand il faut se charger de recaser les quelques deux cents vingt membres qui s’incluront dans ce que l’on appelle au club un créneau d’entrainement. Concrètement, ceci se traduit par de nombreux coups de fil, l’élaboration de plannings, l’envoi de courriers, etc. Ces tâches sont traditionnellement effectuées principalement