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Les disparités de statut d’emploi : l’influence des caractéristiques individuelles

Qu’elle réside dans une zone urbaine ou rurale, une personne sera toujours caractérisée par un certain nombre d’aspects, qu’elle peut ou non contrôler, qui viendront influencer sa relation à l’emploi. Les théories du capital humain et du signal (§1) et les pratiques discriminatoires (§2) en sont les deux facteurs explicatifs principaux.

1. Le niveau d’éducation et l’âge : entre théorie du capital humain et théorie du signal

L’éducation joue un rôle central dans le statut d’emploi des individus. Deux théories complémentaires permettent de l’expliquer : la théorie du capital humain qui veut que plus un individu est éduqué, plus il sera productif ; et la théorie du signal qui démontre que le niveau d’éducation fournit une information à l’employeur sur les capacités initiales des individus. Nous présenterons ces deux théories successivement. Bien qu’ils décrivent généralement le lien entre éducation et salaire, les mécanismes évoqués restent les mêmes dans le cadre plus général de la relation éducation/emploi.

1.1. La théorie du capital humain

La théorie du capital humain s’est développée à partir des années 1960 avec les travaux de Mincer (1958, 1974), Schultz (1961) et Becker (1964, 1975). Mincer (1958) explique les différences de salaires par le fait que tous les individus n’ont pas tous les mêmes dispositions à se former pour occuper des emplois qualifiés. Schultz (1961) précise ensuite que les individus sont en mesure d’améliorer leur productivité via des actes volontaires d’investissement, et notamment d’investissement humain en formation. Becker (1964) vient développer le cadre théorique de ces idées et détermine les taux de rendement de l’éducation à cette époque aux États-Unis. Ben Porath (1967) complète par la suite cette idée en introduisant la notion de cycle de vie, montrant alors qu’il est rentable de se former à temps plein au début de la vie.

Construit en analogie au capital physique, le capital humain est défini comme « l’ensemble des compétences, qualifications et autres capacités possédées par un individu à des fins productives » comme l’explique Simonnet (2012, p. 116), qui précède son propos en expliquant que « le capital humain se présente donc comme un facteur endogène résultant de choix rationnels d’investissement de la part des familles, des travailleurs et des entreprises dans l’éducation, le savoir-faire, la migration et même la santé ».

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La théorie du capital humain prédit principalement que l’éducation est à l’origine d’une accumulation de compétences permettant d’accroitre les revenus, le but est alors d’évaluer les rendements de l’éducation. Deux modèles principaux sont au cœur de la mesure du capital humain : (i) le modèle de Ben Porath (1967) et (ii) la spécification de Mincer (1974).

Dans le premier modèle, Ben Porath fait deux hypothèses importantes : la concurrence sur le marché du travail et la stationnarité de l’économie. Il explique alors la formation des salaires en fonction de la productivité marginale de l’individu, productivité qui est elle-même dépendante du capital humain accumulé. Le stock de capital humain s’accroit d’une année sur l’autre avec l’investissement effectué, ou se déprécie si aucun investissement n’est réalisé. Le choix d’investissement se fait en fonction de coûts financiers (frais de scolarité etc.) et d’un coût d’opportunité proportionnel à la productivité du travailleur à la période précédente. Il montre alors une forme concave du taux de salaire en fonction de l’âge.

En effet, le stock de capital humain augmente tant que l’investissement brut est supérieur à la dépréciation du stock déjà accumulé. Ainsi, au début de la vie active, le taux de salaire doit augmenter avec l’âge tant que l’investissement net est positif. Ensuite, l’âge avançant, l’investissement tend à diminuer, d’une part car le coût d’opportunité devient de plus en plus important, et d’autre part parce que le nombre d’années restantes pour percevoir des revenus supplémentaires diminue naturellement avec l’âge. Dans le même temps, la dépréciation du capital humain tend à augmenter, ce qui fait que l’investissement net diminue avec l’âge. Nous retrouvons bien une relation concave avec une augmentation du taux de salaire jusqu’à un certain âge avec une stagnation ou une diminution par la suite.

Mincer (1974) est le premier à avoir allié modèle théorique et possibilité d’identification empirique du capital humain. Le modèle de Mincer intègre le capital humain dans son intégralité en n’arrêtant pas ce dernier à la fin de la scolarité des individus, mais en prenant également en compte les formations réalisées au cours de la vie professionnelle. La rentabilité de ces derniers investissements est décroissante, si bien que l’intensité des investissements diminue avec l’âge. Il formalise alors l’effet de l’investissement éducatif sur le revenu de la manière suivante :

ln 𝑤𝑖𝑡 = 𝑊0+ 𝑟𝑠𝑆𝑖+ 𝑟𝑒𝐸𝑋𝑃𝑖𝑡+ 𝑟𝑒𝑒(𝐸𝑋𝑃𝑖𝑡)2+ 𝑢

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Avec 𝑤𝑖𝑡 le salaire de l’individu 𝑖 à l’instant 𝑡, 𝑆𝑖 le temps passé par l’individu 𝑖 dans le

système éducatif et 𝐸𝑋𝑃𝑖𝑡 l’investissement post-scolaire de l’individu 𝑖 à l’instant 𝑡 (sa forme quadratique permet de rendre compte de la décroissance de sa rentabilité marginale). Il utilise cette spécification pour estimer les rendements de l’éducation et de l’expérience des hommes blancs en 1959. Il trouve une rentabilité moyenne d’une année d’éducation aux alentours de 10 % et celle de la première année d’expérience un peu en dessous de 8 %. Jarousse et Mingat (1986) trouvent des résultats à peu près similaires sur des données françaises de 1977.

1.2. La théorie du signal

Cahuc et Zylberberg (2003, p. 34) soulignent l’existence d’une « relation causale entre acquisition des connaissances et niveau de rémunération ». Cependant, certaines théories réfutent la causalité de la relation au cœur de la théorie du capital humain, arguant qu’il n’est pas certain que l’éducation permette réellement l’acquisition de compétences productives. Pour autant, cela ne signifie pas que l’éducation ne sert pas à l’employabilité des individus. Pour Spence (1973), les personnes les plus éduquées sont également les plus efficaces ; le système éducatif permet alors de trier les individus selon leur efficacité. Ainsi, le niveau de diplôme donnera une information à l’employeur sur la productivité des candidats à l’emploi. Nous parlons alors de la théorie du signal, dont Arrow (1973) et Spence (1973) sont à l’origine. Pour ces derniers, le diplôme a pour fonction principale de sélectionner des individus dont les capacités productives diffèrent a priori. Dans ce cadre, l’éducation n’est pas vue comme un pourvoyeur de compétences productives, mais comme une source d’information pour l’employeur sur les capacités innées des individus.

Bien qu’apparemment opposées (l’une énonce que l’éducation permet un accroissement des compétences et l’autre réfutant cette allégation), ces deux théories peuvent être finalement considérées comme complémentaires. Il est totalement possible d’imaginer que le système éducatif soit à la fois pourvoyeur de connaissances et sélectionneur d’aptitudes. Il est donc nécessaire pour comprendre le statut d’emploi d’un individu de tenir compte de son niveau de diplôme, mais également de son expérience, qu’il est possible par exemple d’assimiler à l’âge. En effet, une personne plus âgée aura plus de chance d’avoir une expérience professionnelle plus importante qu’une personne plus jeune.

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Ces deux théories, centrales en économie du travail, énoncent toutes deux un fait indiscutable : les individus les mieux éduqués seront ceux ayant le plus de chance d’avoir un emploi et un salaire plus élevé, que ce soit via la valorisation de compétences acquises durant la formation, ou via l’information que cette dernière fournit sur leurs capacités. Si nous suivons ces raisonnements, les différences intra-urbaines de chômage pourraient être expliquées par une répartition non-uniforme des ménages aux niveaux d’éducation différents dans la ville. Certains quartiers peuvent concentrer une part importante de personnes peu qualifiées qui, en accord avec ces théories, auraient donc moins de compétences ou de capacités à valoriser sur le marché du travail, expliquant ainsi le niveau plus élevé de chômage dans ce quartier que dans un quartier où la population à un niveau d’éducation plus élevé.

2. Le genre et l’ethnicité à la base de pratiques discriminatoires

Hormis des critères objectifs permettant d’expliquer les différences d’emploi entre les individus, il est également possible de mettre en avant des caractéristiques qui influencent subjectivement l’employabilité des individus, il est alors question de discrimination.

La discrimination correspond au fait qu’un employeur traitera différemment deux personnes identiques professionnellement sur la base de caractéristiques n’ayant pas d’effets directs sur la productivité (Heckman, 1998). Outre les théories purement racistes ou sexistes, Phelps (1972) et Arrow (1973) ont développé le concept de discrimination statistique. Ce concept explique que les employeurs, ne disposant pas d’une information parfaite sur les candidats à l’emploi, se voient contraint de reconstituer cette information par leurs propres moyens (par exemple via des tests d’embauche) ou en se basant sur des préjugés relatifs aux caractéristiques moyennes du groupe démographique ou social auquel appartient le candidat. Coate et Loury (1993) ont montré que ces préjugés pouvaient devenir auto-réalisateurs, en désincitant les travailleurs à investir en formation, venant alors renforcer les inégalités déjà existantes entre groupes.

La méthode la plus connue et la plus utilisée pour quantifier cette discrimination est celle de Oaxaca (1973) et Blinder (1973) qui vise à décomposer les différences de salaire entre individus (dans le cadre de Oaxaca entre homme et femme) en une part expliquée par leurs caractéristiques, et une part inexpliquée, qui est alors assimilée à de la discrimination.

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Cette méthode a été par la suite développée dans un cadre plus général afin de tenir compte de l’hétérogénéité inobservée et de potentiel biais de sélection qui pourraient venir surestimer cette mesure de la discrimination (Oaxaca et Ransom, 1994 ; et Neuman et Oaxaca, 2004 et 2005).

Plus récemment se sont également développées des méthodes de testing, c’est-à-dire des méthodes expérimentales dont le but est « de placer dans des situations comparables des individus appartenant à un groupe de références et d’autres appartenant à un groupe potentiellement discriminé » (Aeberhardt et al., 2010a, p. 33). Ainsi, par exemple, Bertrand et Mullainathan (2003) cherchent à évaluer la discrimination raciale à l’emploi à Boston et Chicago en diffusant des curriculum vitae dans les journaux. Ils trouvent alors que les noms à consonance « blanche » reçoivent 50 % de plus de retours pour des entretiens que les noms afro-américains. Les méthodes expérimentales de testing sont également utilisées en France, (e.g. Duguet et Petit, 2005 ; L’Horty et al., 2011 ; Petit et al., 2013 ; Petit et al., 2014 ; Duguet

et al., 2015).

La multitude d’études sur la discrimination salariale ou à l’embauche a donné lieu à plusieurs revues de la littérature auxquelles se référer pour plus d’information sur le sujet, nous citerons par exemple les travaux de Welch (1975), Altonji et Blank (1999) ou encore Duguet et al. (2010a).

Ces revues de la littérature permettent de voir que l’étude de la discrimination sur le marché du travail est principalement basée sur le genre ou l’origine ethnique. Duguet et al. (2010a, p. 6) soulignent que « despite the recent emergence of studies on new themes, these issues have

remained the most studied by researchers over the last forty years ». Plus particulièrement, ce

sont les différences d’accès à l’emploi et de salaires qui intéressent les chercheurs. Il ressort alors que les femmes auraient tendance, à qualifications égales, à occuper des emplois moins qualifiés que les hommes, nous parlons alors de discrimination occupationnelle (voir par exemple, Fain, 1998). Les femmes seraient également moins bien payées que les hommes, toutes choses égales par ailleurs (voir par exemple Oaxaca, 1973 ou Oaxaca et Ransom, 1994). Par conséquent, quel que soit le type de discrimination étudié, il semblerait qu’il existe une différence de traitement entre homme et femme sur le marché du travail, nous suggérant ainsi que les probabilités d’emploi des femmes sont plus faibles que celles des hommes. D’un point de vue ethnique, les personnes issus de minorités ethniques ou les immigrants connaissent des discriminations d’accès à l’emploi (e.g. Fougère et Safi, 2005 et 2009, Silberman et Fournier, 1999, ou encore Meurs et al. 2006 dans le cas français) mais également des différences de salaires (Aeberhardt et al., 2010b).

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Dans cette section nous avons vu que les choix d’éducation, les différences de traitement en termes d’emploi peuvent également être la résultante de pratiques discriminatoires à l’embauche. Ainsi, une femme, d’origine étrangère, ayant un faible niveau de qualification aura une probabilité d’emploi plus faible. Si nous ramenons les différentes théories et approches vues dans cette section aux différences intra-urbaines d’emploi qui nous préoccupent, nous pouvons dire que les compositions socio-démographiques différentes des quartiers constituent des causes de variation de taux d’emploi au sein des villes. En 2004, Fitoussi et al., dans le rapport du CAE6 mettaient déjà en avant que « les Zus ont été définies […] comme ayant un taux de chômage sensiblement plus élevé que l’agglomération dont elles font partie et, a fortiori, que la moyenne nationale », tout en caractérisant également ces quartiers comme connaissant une surreprésentation des ménages peu qualifiés et des ménages étrangers ou immigrés. Il s’agit là d’une première explication, que nous complétons par une approche de la structure urbaine dans la section suivante.

SECTION 3 – Les disparités de statut d’emploi : une explication par la structure