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Il est probablement impossible de s’affranchir totalement de l’analyse manuelle des données, mais l’automatisation que permet les technologies actuelles est sans nul doute la clé vers l’analyse à grande échelle. Nous avons pu voir ici que, utilisé avec modération, et adapté à la réalité de la population étudiée, l’alignement automatique des phonèmes permet d’observer des tendances générales de prononciation, de mettre en évidence les formes réellement problématiques et d’évaluer les compétences des participants. Il reste encore à mesurer l’évolution de ces tendances sur une durée plus importante, afin de pouvoir quantifier les progrès réels des apprenants.

Les analyses fines ont permis de constater que l’élision est vraisemblablement la stratégie de simplification la plus fréquente chez ces locuteurs. L’analyse quantitative automatique à quant à elle permis de quantifier la fréquence d’utilisation de cette stratégie, ainsi que celle d’insertion de voyelle et celle de substitution. Ce chapitre a présenté comment traiter les données enregistrées lors des entretiens afin d’observer les tendances de réalisation générales et par locuteur ; en fonction des phonèmes concernés et de leur position dans la syllabe.

Ce chapitre a aussi proposé des perspectives d’évaluation et de correction auto- matique. Grâce au résultats détaillés obtenus, il est possible de donner un feedback approprié à chaque locuteur en fonction de sa prononciation. La présente étude a permis le calcul de ”scores” de prononciation de certains phonèmes par participant, et de scores globaux de prononciation. La perspective de ”noter” les apprenants n’est

7.4. DISCUSSION 115 pas notre objectif ici, mais les résultats obtenus peuvent permettre de discriminer les locuteurs et de les positionner pour adapter leur formation ; ou encore d’observer une évolution globale de leur prononciation dans le temps. Le score peut être considéré comme source de motivation pour l’apprenant : il peut constater une évolution vi- sible de sa prononciation, et a les moyens de se tester et évaluer sa prononciation en autonomie, sans être jugé par un enseignant ou un proche.

Si l’alignement et le traitement des données de cette étude sont totalement au- tomatisés, il deviendra possible de proposer une évaluation/correction en temps réel de la prononciation des apprenants. Il serait tout à fait envisageable de concevoir une application permettant à l’utilisateur de s’enregistrer, et traitant automatiquement le signal pour finalement donner un feedback approprié. L’application serait alors comparable à celle de Kawai et Hirose (1997) sur le fonctionnement (alignement automatique), mais adaptée au public japonophone apprenant le français, et calibrée sur un grand nombre de difficultés phonétiques. Comme le remarquait Digalakis et Moustroufas (2007), la principale difficulté est de concevoir un programme capable d’évaluer du discours spontané, sans faire lire un texte pré-analysé à l’utilisateur.

On pourrait imaginer une application dotée d’un outil de reconnaissance vocale, chargé d’analyser la parole de l’utilisateur, et d’identifier des mots cibles qui auraient été préalablement intégrés à la base de données, avec des phonèmes en options, par le concepteur. Une fois le discours analysé, le programme aligne alors automatique- ment les mots compris dans sa base de données, et aligne ou non les phonèmes en option en fonction du signal. Pour chaque option aura été associée une description de l’erreur, avec le mécanisme de simplification, le phonème concerné et sa position ; et en fonction de la fréquence des erreurs et de leur type, le programme donne alors un feedback à l’utilisateur pour l’aider à conscientiser le problème et à le résoudre.

Chapitre 8

Entretiens avec les participants

À l’issu de la formation intensive organisée dans le cadre de cette étude, des entretiens individuels ont été réalisés pour obtenir un enregistrement T₂ des mots cibles à analyser. En cette occasion, une discussion ouverte avec le participant a aussi été proposée pour obtenir des informations plus précises sur son apprentissage du français ainsi que ses ressentis pendant la formation. Les cinq questions suivantes ont été abordées pendant la discussion, en français ou en japonais, selon la volonté du participant.

- Comment as-tu appris la prononciation du français jusqu’à maintenant ? - Quelles difficultés tu as en ce qui concerne la prononciation du français ? - À quel genre de formation tu t’attendais avant de venir ?

- Qu’as-tu ressenti pendant les premières minutes devant le tableau de rectangles ? - Quels conseils aurais-tu à me donner si je veux faire un cours similaire au Japon ? (qu’est-ce qui t’a plu ou déplu pendant la formation ? Comment cela se passerait-il au Japon ?)

Après quoi il a été demandé au participant de refaire le tableau sur une feuille blanche, de mémoire, sans aucun indice. Puis pointer quelques mots après une brève revue du tableau original. Comme il apparaît dans le corps du chapitre, les avis et les ressentis sont divers et il est important de prendre du recul sur les commentaires avant toute généralisation. L’entretien se voulait dialogal et compréhensif : l’objec- tif étant d’avoir un aperçu des sentiments du participants sans l’influencer dans ses commentaires. Rien n’était donc justifié de ma part, ni contredit, mais je réagissais

aux commentaires de manière à faire progresser la conversation dans le sens du par- ticipant.

Les entretiens étaient intégralement enregistrés et ont été étudiés et comparés a posteriori, pour en faire le contenu du présent chapitre.

8.1 Apprentissage de la phonologie au Japon

En ce qui concerne notre population, il ressort globalement un sentiment de manque de formation sur l’oral et la prononciation du français, au Japon comme en France. N1 reconnaît ne jamais avoir appris à prononcer les mots du français jusqu’à son arrivée en France, car il y avait très peu de correction phonétique à l’université au Japon. Sur les 3h de cours hebdomadaires, elle dit ne jamais avoir eu d’entraîne- ment à la prononciation, et pour passer l’entretien – en français – pour obtenir sa mobilité à l’étranger, elle raconte avoir rédigé un texte qu’elle a fait lire à une collègue française de son université en l’enregistrant, puis elle a appris par cœur l’enregistre- ment. N4 raconte avoir eu des cours de prononciation mélangés à la grammaire quand elle était au lycée. Lorsque les étudiants lisaient des textes, l’enseignant (japonais) les corrigeait parfois en leur demandant de répéter après lui. Il y avait aussi un cours de théâtre en français, avec un enseignant francophone natif, où de même il fallait ré- péter après lui. Cependant elle dit n’avoir eu aucune formation à l’université (en tant que non-spécialiste du français). Selon N8 et N9, on est habitué au Japon à transcrire les langues étrangères à l’aide du syllabaire katakana (cf. chapitre iii), en particulier au collège et au lycée. Il n’est pas rare que les premières pages voire la totalité des ma- nuels de langues ou des guides de conversation proposent la transcription en katakana en dessous de la phrase orthographiée en français. N9 a eu un cours spécifique à la phonétique française, mais centré sur la réalisation des nasales. Là encore il s’agissait de lire des textes et répéter la correction de l’enseignant lorsque c’est nécessaire. Ce- pendant N9 dit aussi avoir étudié en cours le triangle vocalique. Quant à N6, n’ayant pas eu de cours spécifiques sur la prononciation, il a appris seul dans des livres de phonétique, il connaît la différence sourd/voisé, la variation d’aperture de la bouche pour les voyelles ou les différents lieux d’articulation. N8 a appris des éléments de phonétique dans la chorale qu’il fréquentait.

8.2. DIFFICULTÉS PERÇUES DANS L’APPRENTISSAGE 119 ment l’enseignement de la prononciation. Il y a déjà une certaine difficulté pour les non-natifs à l’enseigner, et les enseignants natifs qu’elle connaît sont souvent res- té plusieurs dizaines d’années au Japon, connaissent bien les difficultés des Japonais, mais sont aussi habitués à leur prononciation et corrigent rarement les apprenants. De plus, il y a au Japon une habitude de ne pas parler beaucoup en classe, et elle ajoute qu’il faut vraiment se forcer pour répondre à une question. S’il faut faire en plus attention à notre prononciation, alors on préfère se taire. On a vraiment peur de se tromper ou de se faire corriger devant les autres. Pour N10, la grammaire et le vocabulaire sont plus importants que la prononciation. Lorsqu’elle était en première année d’université, elle raconte que ses cours de français étaient exclusivement des cours de grammaire et de vocabulaire : « on lisait seulement ce qui était écrit ». À cela s’ajoute souvent le problème du nombre d’étudiants dans la classe, entre 20 et 40 étudiants pour un seul enseignant. Et il y a peu d’occasions d’utiliser le français au Japon, c’est donc difficile de pratiquer ou vérifier la prononciation est de qualité : « personne n’est là pour nous aider ». N10 continue en ajoutant qu’il y a des gens qui peuvent bien prononcer, et d’autres qui ne peuvent pas. « La prononciation, ça fait ressortir des différences individuelles et personnelles qui discriminent, et qui sont mauvaises pour la classe ». Et comme les apprenants parlent peu, il y a peu de choses à corriger.

Quant à l’apprentissage en France, N1 dit avoir eu des cours de prononciation à Lyon, où il fallait discriminer des sons en disant si on entendait plutôt A ou B, notamment avec les nasales. N2 apprend le français dans une association à Grenoble, elle y apprend la prononciation à partir de l’alphabet, elle apprend à lire et écrire en même temps, et lit des mots et se fait corriger quand c’est nécessaire. Mais N2 précise que l’objectif de cette association est d’enseigner le minimum de survie : « qu’importe la prononciation, si on est intelligible, c’est suffisant ».

8.2 Difficultés perçues dans l’apprentissage de la pho-