• Aucun résultat trouvé

Il a ensuite été demandé à chacun des participants de dessiner de mémoire le ta- bleau phonologique, sans les couleurs, mais en indiquant à quoi correspond chaque rectangle dessiné. L’objectif était d’observer ce qui avait été bien et moins bien mé- morisé, et quelles traces le tableau avait laissées en mémoire après 4 séances de cours. La transcription était libre, je proposais d’écrire la ou les premières lettres qui leur passaient par la tête pour écrire le son en question, ou écrire un mot en exemple. Lorsque le participant dit avoir terminé, je lui demande de prononcer chaque son – je note alors la transcription au crayon à côté du rectangle, si la prononciation diffère de ce qui est écrit ou si aucun caractère n’a été trouvé pour transcrire le phonème. Jusque là aucun indice n’est donné, et le tableau est tel qu’il apparaît dans la mémoire du participant. Les tableaux sont placés en annexe de ce mémoire.

On observe que sur les 8 participants ayant dessiné le tableau, 4 s’en souviennent parfaitement (N1, N5, N8 et N9), 2 s’en souviennent bien mais oublient plusieurs pho- nèmes (N2 et N6) et les deux autres s’en souviennent très peu (seulement quelques

8.7. ANCRAGE DU TABLEAU DANS LA MÉMOIRE À MOYEN TERME 125

phonèmes présents pour N4 et N7). La qualité de mémorisation ne semble pas liée au niveau de langue, ni à la qualité de prononciation en T₁, ni encore à l’appréciation du cours.

Si N7 était particulièrement réticente à l’approche de la formation, et n’a dessiné qu’un tableau très vague dans lequel il manque la plupart des éléments, N4, qui semble avoir bien plus apprécié le cours, elle aussi se souvient de très peu d’éléments du tableau. N5 est le participant avec l’expérience d’apprentissage du français et la durée de séjour en France les plus longues, elle a effectivement dessiné un tableau très complet ; pourtant N1 et N8, dont l’apprentissage n’a duré que deux ans et demi, le séjour en pays francophone seulement six mois, et dont les difficultés de prononciation sont flagrantes en T₁, ont eux aussi proposé un tableau pratiquement parfait.

Les voyelles sont globalement mieux restituées que les consonnes. Le triangle vocalique et la logique d’aperture et de profondeur (avant-arrière) sont assez bien restitués1, excepté pour N2, N4 et N6. Pour ces derniers la disposition des phonèmes

ne reflète pas la réalité articulatoire.

Si l’on regroupe le e muet et œ, et si l’on ne tient pas compte du a postérieur, des voyelles nasales et du ŋ, qui n’ont été que très brièvement abordés en cours, et si l’on compte seulement les rectangles dont le son est retenu par le participant, on constate que N8 n’a oublié aucun phonème, N9 et N5 en ont oublié qu’un (ø et œ), N1 et N2 en ont oublié deux (k, ɡ et œ, ɡ), N6 en a oublié 7 (œ, o, ɔ, p, b, ʃ et ʒ), N4 en a oublié 10 et N7 en a oublié 112. La figure 8.1 présente les phonèmes colorés en

fonction de leur mémorisation par les participants. Plus le phonème est foncé, plus les participants sont nombreux à s’en être rappelé. Le nombre de cercles sous chaque phonème indique le nombre de participants ayant correctement placé le phonème par rapport aux autres. Les voyelles nasales ont été placées entre les voyelles et les consonnes, mais dans un ordre aléatoire.

On constate que les cinq voyelles i e a u y sont constamment dessinées, toutes à leur position initiale, sauf deux inversions de i et e (N2, N9). Le o a été oublié par N6, ce qui est assez étrange puisque tous les autres participants ont constamment pensé aux 5 voyelles du japonais ; le y est quant à lui toujours présent. Pour les consonnes on trouve sur tous les tableaux les phonèmes t f v s et l, puis m n d z ʁ pour 7

1Le fait que la disposition des rectangles soit respectée ne signifie pas qu’elle est comprise. 2Respectivement ɛ, ɔ, ø, œ, d, v, k, ɡ, ʃ, ʒ et ɔ, œ, m, n, p, b, z, ʒ, k, ɡ, ʁ.

8.7. ANCRAGE DU TABLEAU DANS LA MÉMOIRE À MOYEN TERME 127

participants sur 8. Tous les participants excepté N7 ont placé des voyelles nasales, 3 à 4 selon les locuteurs, avec ɑ̃ dans tous les cas, puis ɛ̃ et ɔ̃, et enfin œ̃ dans quatre tableaux. Plusieurs paramètres nous empêchent pourtant de penser que les phonèmes les plus présents sont les plus acquis : d’une part leur degré d’utilisation pendant le cours (les consonnes k et ɡ ont été peu travaillées, car vraisemblablement moins problématiques que les autres), mais encore leur fréquence d’apparition en français (œ̃ ou ŋ sont plus rares, et sont facilement oubliés). Cependant, on peut penser que le œ (ou le ə) sont une réelle difficulté phonétique pour nos locuteurs qui peinent encore parfois à différencier le ø du u (cf. 8.2).

Fig. 8.2 : Fréquences d’apparition des phonèmes dans les tableaux (du plus au moins fréquent)

Le tableau semble donc globalement bien mémorisé. Cependant, est-ce la mé- moire visuelle de certains qui leur permet de dessiner le tableau, ou leur conscienti- sation du rapport entre les phonèmes ?

J’ai demandé à chaque locuteur si la disposition des phonèmes leur semblait lo- gique. N1 explique que, de ce qu’elle a compris pendant la formation, plus on descend dans le tableau des voyelles, plus la bouche s’ouvre, quand on va vers la gauche, les lèvres sont étirées, quand on va vers la droite les lèvres s’allongent vers l’avant. Pour les consonnes, N1 comprend le rapport sourde/sonore, mais ne relève pas spécialement de logique gauche-droite. N8 fait une comparaison entre les paires consonantiques sourde/sonore avec le trait de voisement du japonais (le dakuten ゛, /ka/ か →/ga/ が). D’après N10, il semblerait que les japonais ne font pas ce lien en général : le dakuten est pour eux seulement un diacritique qui modifie la consonne, le fait que la différence

ne vient que de la vibration des cordes vocales n’est pas une évidence3. Selon N9, les

consonnes qui se ressemblent sont proches, mais en ce qui concerne le rapport entre les voyelles, c’est plus difficile. Elle dit ne pas avoir compris jusqu’à une discussion des participants dans le tramway, après la première séance de cours. À ce moment-là, N8 aurait expliqué à plusieurs personnes ce que représentait la disposition des voyelles du tableau. N4 dit aussi ne pas avoir deviné le sens de cette disposition avant que N8 ne lui explique. D’après N6, le tableau des voyelles est plus difficile que celui des consonnes mais il comprend mieux la logique de la disposition pour les voyelles.

Plusieurs participants disent ne pas avoir bien compris la logique des couleurs du tableau, et n’avoir retenu les phonèmes que par la position des rectangles dans le tableau.

Enfin, en analysant de plus près les tableaux et les enregistrements, on constate que /y/ est souvent transcrit yu ou iu (N2, N6, N9) et/ou prononcée [jy] (N1, N2, N9). Les voyelles /u/, /ø/ et /œ/ sont prononcées [ɯ] par N2 et N4. Lors des révisions du tableau original, N6 prononce [ʤ] pour la fricative palato-alvéolaire, puis puis se corrige ([ʒ]) et enfin donne un exemple « je » qu’il prononce [ʤə]. On remarque aussi que N4 transcrit ce qu’elle prononce [v] avec la lettre b.