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f. Analyses de sensibilités

3. Discussion des résultats

Le gradient social mis en évidence dans l’étude sur l’incidence de l’IRTT indique non seulement que les ISS existent dans la MRC pédiatrique mais aussi que potentiellement elles apparaissent à des

111 stades précoces, avant la mise en place d’un traitement de suppléance. Cette hypothèse est également appuyée par le pourcentage élevé des patients dans le quintile le plus défavorisé dans les deux études sur dialyse (41%) et transplantation (37%). L’impact des ISS dans les stades précoces de la MRC pédiatrique parait tout à fait plausible quand on se place dans le contexte pédiatrique, contexte où l’environnement familial et socio-éducatif est primordial. L’apparition d’une maladie chronique chez un enfant est un bouleversement non seulement pour lui mais aussi pour toute la famille, qui doit apprendre à se réorganiser autour de l’enfant malade. Alors que l’adulte est caractérisé par son autonomie sociale (qui définit la capacité de l’individu à impacter sa propre prise en charge), chez l’enfant et plus particulièrement chez les très jeunes, la famille est essentielle dans la gestion de la maladie. Et malheureusement, tous les contextes familiaux ne sont pas favorables à de bonnes conditions de prise en charge qui permettraient de ralentir la progression de la MRC et donc d’atteindre le stade d’IRT plus tardivement. Un environnement défavorisé peut être chaotique, désorganisé, non prédictible, avec un logement insalubre, et parfois un faible niveau d’investissement des parents dans l’éducation et les soins des enfants, pour des raisons financières ou par manque de temps. En dehors d’un contexte de maladie, tous ces facteurs, seul ou de façon simultanée, peuvent contribuer à rendre le développement de l’enfant compliqué et peuvent générer des trajectoires de développement socialement cloisonnées (Marmot,Bell, 2016). Dans un contexte de maladie chronique comme la MRC, nous pouvons imaginer que les conséquences soient considérables. Dans certaines études, les auteurs qualifient cela d’adversité familiale, qui parait notamment impacter la santé mentale des enfants concernés (Hertzman,Boyce, 2010; McLaughlin, 2016). Cette approche plutôt écosystémique fait écho au modèle de Dahlgren et Whitehead sur les déterminants de la santé (Whitehead,Dahlgren, 1991) et semble se vérifier dans cette thèse étant donné que la population en IRTT pédiatrique était plus défavorisée que la population pédiatrique française (entre 37 et 41% vs. 32%).

Cependant, ce gradient social, ne se retrouve pas aussi clairement dans tous les travaux de cette thèse. En effet, il est possible de catégoriser les patients en deux groupes, qui sont différents entre l’étude sur la dialyse et l’étude sur la transplantation. Pour l’étude sur la dialyse (Partie 2), nous pouvons distinguer les patients des quintiles 1 et 2 et les patients des quintiles 3 à 5. Pour l’étude sur la transplantation (Partie 3), nous pouvons distinguer les patients du quintile 1 et les patients des quintiles 2 à 5. Dans les deux études, les patients issus des milieux les plus favorisés (quintile 1 et 2 ou quintile 1) ont de meilleurs résultats de santé que les patients plus défavorisés (quintile 3 à 5 ou quintile 2 à 5), dont les indicateurs sont moins bons de façon générale, en particulier pour le quintile 5. Toutefois, il est important de rappeler lors de la présentation de ces résultats, que les quintiles de l’EDI sont les quintiles des IRIS de la France et non les quintiles de la population générale, et encore

112 moins ceux de la population pédiatrique. Nous pouvons envisager que réaliser ces études avec les quintiles de défavorisation de la population pédiatrique reflèterait encore mieux les disparités chez les enfants atteints d’IRTT.

Parmi les raisons pouvant expliquer les inégalités de santé observées entre les différentes classes de défavorisation sociale, la première pouvant être mise en avant est une disparité d’accès au soin de ces populations. Une des définitions de l’accès au soin, donné par Pierre Lombrail, est qu’il s’agit de « l’utilisation en temps utile des services de santé par les individus de façon à atteindre le meilleur résultat possible en terme de santé » (Lombrail, 2007). Les résultats de cette thèse suggèrent que les ISS touchent les deux aspects de l’accès au soin.

En effet, nous avons mis en évidence des inégalités dans l’accès primaire (qui concerne l’entrée dans le système de santé) à la fois avec le gradient social dans l’incidence de l’IRTT, mais aussi en montrant que les plus défavorisés démarraient davantage leur dialyse en urgence et avaient un retard de prise en charge spécialisée plus important que les plus favorisés. Le retard de prise en charge spécialisée par un néphrologue est une des premières explications d’une progression rapide vers l’IRTT et par la suite, d’un accès retardé à l’inscription sur la liste d’attente et à la greffe préemptive (Jander et al., 2006; Boehm et al., 2010; Pruthi et al., 2016). Dans notre population d’étude, les patients des quintiles 1 et 3 de l’EDI étaient davantage inscrits préemptivement sur liste d’attente de greffe (environ 30%) par rapport aux enfants des quintiles 4 et 5 (environ 20%), et les patients du quintile 1 étaient plus jeunes à l’inscription que ceux du quintile 5 (13,9 ans vs. 15,4 ans). De plus, les patients du quintile 5 ont deux fois moins souvent bénéficié d’une greffe préemptive que les patients du quintile 1 (environ 15% vs. 30%).

Nous avons également montré qu’il existait des inégalités dans l’accès secondaire (qui caractérise la manière dont se déroule les soins après le premier contact). Dans notre étude sur la transplantation, les enfants et adolescents défavorisés avaient un risque instantané d’échec de transplantation plus élevé en tout temps après la transplantation que les enfants et adolescents les plus favorisés.

Comprendre pourquoi ces inégalités existent est une question complexe. Dans la littérature, les auteurs évoquent le refus de soins par certains professionnels, le renoncement des personnes en difficultés, une qualité de relation entre le médecin et la famille moins bonne impactée par une distance dans les représentations, les valeurs et les cultures de chacun, et des problèmes de communication notamment en raison des obstacles linguistiques entre patient et soignant (Lombrail, 2007). En France, il a été montré que la rapidité d’accès à la liste de transplantation pour la population pédiatrique et que les différences d’accès à la transplantation rénale pouvaient être expliquées en grande partie par des caractéristiques du patient (sans information sur le niveau de défavorisation) mais aussi par des caractéristiques des centres de transplantation (Hogan et al., 2014; Hogan et al., 2015). Cependant, la variabilité entre les centres reste largement inexpliquée.

113 Un autre facteur souvent évoqué dans la littérature pour expliquer les différences d’accès au soin est la distance entre le logement des enfants et l’hôpital ou le lieu de soin. En effet, l’éloignement est un facteur favorisant les inégalités d’accès au soin et est souvent corrélé aux niveaux socio-économiques bas, en raison des coûts supplémentaires induit par le déplacement, expliquant leur prise en charge retardée (Kennedy et al., 2012). Nous avons essayé de prendre en compte ce facteur dans nos études en regardant si les patients défavorisés vivaient dans des zones urbaines ou rurales. Or, moins de 3% vivaient dans des zones rurales, ce qui ne semble donc pas aller dans le sens de cette hypothèse. Toutefois, nous avons préféré ajuster sur ce facteur dans toutes nos analyses.

Enfin, la compréhension des patients, et dans la situation pédiatrique, de la famille est un élément fondamental influençant le choix et la réussite des traitements. En effet, comme évoqué précédemment, comprendre que son enfant souffre désormais d’une maladie dont le suivi régulier, les rendez-vous médicaux et la prise des médicaments sont majeurs pour sa survie, n’est pas toujours aisé. Pour en être capable, il faut pouvoir oser poser des questions au médecin quand cela est nécessaire, se saisir de son discours dont le vocabulaire n’est pas toujours simple et ensuite prendre des décisions. Cette capacité a été regroupé dans le concept de littératie en santé (health literacy) qui se définit par « la connaissance, la motivation et les compétences des individus à accéder, comprendre, évaluer et utiliser l'information de santé en vue de porter des jugements et prendre des décisions dans la vie de tous les jours en ce qui concerne la santé, la prévention des maladies et la promotion de la santé, de manière à maintenir ou améliorer la qualité de vie » (Sorensen et al., 2012). Or, il a déjà été montré que cette capacité était étroitement liée au niveau d’éducation des parents, à leur catégorie socio-professionnelle, et à leur niveau de revenu. Une faible littératie en santé des parents d’enfants atteints de MRC a été associée avec une progression plus rapide de la maladie (Taylor et al., 2017; Ricardo et al., 2018) mais aussi avec une moins bonne adhérence au traitement immunosuppresseur chez les jeunes transplantés rénaux (Killian et al., 2018; Steinberg et al., 2018). En plus d’un littéracie en santé limitée, le soutien et le fonctionnement de la famille et les conditions socio-économiques contribuent en effet à la non-adhérence aux traitements ce qui pourrait en partie expliquer nos résultats d’échec de greffe plus importants chez les plus défavorisés. Face à ce manque de moyen pour faire face à la maladie, les choix de traitements peuvent être également adaptés pour donner ses meilleures chances à l’enfant. Les décisions, notamment dans le choix de la modalité de dialyse, sont orientées par les médecins, qui peuvent en fonction de la situation proposer plutôt l’HD avec un suivi à l’hôpital qu’une DP automatisée à domicile. Parce qu’elle se fait à domicile, la DP demande aux parents de bien comprendre les instructions mais aussi d’avoir suffisamment d’espace pour installer le dialyseur et stocker les solutions de dialyse. Nous

114 pouvons donc supposer que cela est moins facile à mettre en place pour les familles défavorisées ce qui expliquerait nos résultats. Cette hypothèse a déjà été suggérée en Pologne, où les mères dont les enfants étaient en DP, avaient un niveau d’éducation plus élevé (Kiliś-Pstrusińska et al., 2014).