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Lorsqu’un évènement se réalise et qu’il a un impact dans la vie d’un individu, il est naturel de vouloir en connaître l’origine, de l’expliquer. D’en rechercher la cause. La causalité est une notion très vaste et complexe, dont les définitions sont multiples et présentes dans divers domaines : l’économie, la philosophie, la psychologie, la justice, ou encore la santé. En épidémiologie aussi, plusieurs définitions ont été proposées et par conséquent plusieurs méthodes pour y répondre. Longtemps, la causalité a été rapportée à une relation de nécessitation surtout dans le domaine de la philosophie (Anscombe, 1993), mais cela a été remis en cause à partir des années 1960, notamment avec l’apparition des théories probabilistes. Nous ne rentrerons pas dans les détails mais ces théories se basent sur l’approche de Hume (Hume et al., 1978), qui explique qu’une cause est forcément suivie de son effet. Autrement dit, si une variable X est modifiée, alors Y va changer. Une autre définition, proposée par Rothman et Greenland (Rothman,Greenland, 2005) consiste à dire qu’il s’agit d’un évènement, une condition, ou une caractéristique antérieure à la maladie, qui a été nécessaire à l’apparition de la maladie au moment où elle est apparue, sachant que les autres conditions étaient fixées. En d’autres termes, c’est un évènement, une condition ou une caractéristique qui a précédé la maladie et sans laquelle la maladie ne serait pas du tout apparue, ou alors bien plus tardivement.

En réalité le mécanisme complet de la causalité est bien plus complexe et ne s’arrête pas à une seule composante mais à un ensemble d’éléments qui interagissent entre eux. Un élément à l’origine du mécanisme complet de causalité serait ce que Rothman et Greenland définissent comme étant une « cause suffisante ». Cela correspond à un ensemble de conditions et d’évènements minimaux (à savoir, toutes les conditions ou évènements nécessaires à l’apparition de la maladie) qui provoque inévitablement la maladie. Ainsi la plupart du temps, ne sont identifiées que des composantes

58 uniques du mécanisme complet. Ces composantes, appelées aussi facteurs, interagissent entre elles, même avec des années d’écart, et ensemble, répondent au concept de multicausalité qui consiste à dire que tout mécanisme causal implique l’action jointe d’une multitude de causes. Elles sont au cœur des études épidémiologiques qui cherchent en majorité à connaître leurs effets et la force de cet effet.

Mais lorsque l’on étudie l’effet d’un facteur, est-il possible d’affirmer que cet effet est causal ? Ou s’agit-il d’une simple association ? Il est important de bien distinguer ces deux notions. L’association entre un facteur et un évènement ou une maladie, est une relation non dirigée. Deux variables sont associées si des informations sur l’une renseignent sur la probabilité de réalisation de l’autre. Une relation causale entre deux variables est, quant à elle, dirigée et suppose que si une intervention venait à changer une variable, cela aurait un effet sur l’autre. En pratique, la différenciation entre les relations causales et non causales pourrait être facilitée si une liste des critères causaux nécessaires et suffisants définis précédemment était établie. Toutefois, une liste de « causes suffisantes » est compliquée, voire impossible à établir et donc, n’existe pas.

Cependant, en 1965, Austin Bradford Hill proposa dans un article une liste de critères (Hill, 1965), qui, si tous vérifiés, permettraient de différencier une relation causale d’une relation non causale. Ces critères reprennent un raisonnement inductif, déjà évoqué par Mill (Mill, 2011), et suivant les principes de Hume (Hume et al., 1978). Toutefois, Hill nuança lui-même ses critères, en précisant qu’aucun de ces neuf points ne pourraient apporter de preuves irréfutables pour ou contre l’hypothèse d’un effet causal et des limites ont été discutées notamment dans des commentaires récents d’auteurs spécialisés dans le sujet de la causalité (Armitage 2020). Ces critères sont présentés et discutés ci-dessous :

- La force de l’effet : une association forte peut être une preuve de causalité par rapport aux associations faibles. Toutefois, Hill précise bien que cela ne signifie pas que les associations faibles ne peuvent pas être causales et que, par conséquent, la force de l’association n’est pas nécessaire ou suffisante pour dire qu’une association est causale.

- La cohérence : elle repose sur le fait d’observer de façon répéter une association dans différentes populations, dans différentes circonstances. Un manque de cohérence ne signifie cependant pas que l’association n’est pas causale, parce que certains effets ne se produisent que dans certaines circonstances et des études ne sont pas répliquées. Comme le souligne Hill, une erreur est de dire qu’il n’y a pas de cohérence entre les résultats de certaines études parce que certains sont statistiquement significatifs et d’autres non. La significativité statistique dépend en grande partie de la taille de l’échantillon.

59 - La spécificité : elle consiste à dire qu’une cause ne peut entraîner qu’un seul effet, et non plusieurs. Dans les faits, Hill précise que ce n’est pas le cas, puisqu’un facteur peut être une des causes de plusieurs maladies. Seulement, Weiss a montré que le critère de spécificité pouvait être valable pour distinguer une hypothèse causale d’une hypothèse non causale (Weiss, 2002). C’est-à-dire, quand l’hypothèse causale prédit une relation avec un certain évènement mais aucune relation avec un autre.

- La temporalité : elle précise que pour être causal, un évènement, une caractéristique ou une condition doit précéder dans le temps l’effet. Ce critère est assez indiscutable et est d’ailleurs repris dans les hypothèses de méthodes comme la médiation.

- Le gradient biologique : il suppose la présence d’une relation dose-effet entre la cause et l’effet, c’est-à-dire une relation monotone, croissante ou décroissante, qui peut être linéaire ou non. Cependant, Hill précise qu’une relation dose-effet monotone, n’est pas systématiquement causale, un facteur de confusion pouvant en être l’explication. Il est également possible d’avoir une relation causale par une relation dose-réponse non linéaire (en forme de U par exemple).

- La plausibilité : cela réfère à la plausibilité biologique de l’hypothèse causale. Toutefois, comme souligné par Hill, cette plausibilité est assez rarement basée sur des données, et si les mécanismes sont méconnus, cela ne signifie pas que l’hypothèse est fausse.

- La concordance : cela signifie que l’interprétation de la cause et de son effet pour une association ne s’oppose pas à ce qui est connu (montré en laboratoire notamment) de l’histoire naturelle et de la biologie de la maladie. La distinction avec la plausibilité est assez fine. Pour Hill, cela signifie que l’absence d’informations concordantes ne doit pas être pris comme preuve à l’encontre d’une association considérée comme causale.

- L’expérimentation : l’expérimentation ou la semi-expérimentation est parfois possible. D’après lui, la preuve expérimentale est le résultat de la suppression d’une exposition dans une intervention ou un programme de prévention. Ce niveau de preuve est cependant difficile à mettre en place de façon pragmatique et donc il est compliqué d’en faire un critère à part entière pour l’inférence causale.

60 - L’analogie : dans certain cas, le raisonnement par analogie peut être adapté, et peut être une

source d’hypothèses encore plus élaborées pour étudier l’association.

Ces critères énoncés par Hill peuvent difficilement être utilisés pour établir la validité d’une inférence causale au vu de leurs nombreuses limites, évoquées par Hill lui-même, mais ils ont été l’origine de nombreuses discussions et développements méthodologiques autour de la notion de causalité. Dans cette thèse, nous avons utilisé deux de ces méthodes : les diagrammes causaux et la démarche contrefactuelle à travers les analyses de médiations.