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c. Les indicateurs d’inégalités sociales de santé

Les ISS, et par conséquent les déterminants sociaux peuvent être mesurés par différents indicateurs. Ces indicateurs, pour être choisis, doivent correspondre à un objectif précis, conformément à toute pratique épidémiologique. Ils doivent également rendre possible la comparaison des ISS au niveau spatial (entre des régions, des pays) et temporel (pour étudier des évolutions). Parmi les indicateurs d’ISS, trois sources de données distinctes peuvent être distinguées : les données individuelles, les indicateurs écologiques de défavorisation sociale et les bases de données administratives (HCSP, Juin, 2013).

i. Les données individuelles

Pour mesurer le statut socio-économique (SES) d’un individu, il est indispensable de prendre en compte la dimension multifactorielle de cette notion, qui ne peut donc pas être déterminée par un seul indicateur. Ainsi a été définie une triade essentielle permettant de rendre compte du SES d’un individu : l’éducation, les revenus et la situation professionnelle.

Le niveau d’éducation est à la fois un reflet des capacités cognitives permettant d’intégrer plus facilement les recommandations, les explications médicales et de solliciter les ressources nécessaires si besoin mais, il est aussi souvent associé au niveau de revenu. Très utilisé dans les études épidémiologiques, sa limite est que plus le temps passe plus on observe une homogénéisation du niveau d’étude.

La situation professionnelle peut avoir des conséquences sur la santé à différents niveaux : directement par les expositions professionnelles et indirectement par les ressources financières, matérielles et sociales qu’elle peut apporter.

Enfin, le niveau de revenu constitue une dimension très importante de la situation socio-économique d’un individu. Il s’agit pourtant d’un indicateur difficile à interroger car souvent tabou en France, mais aussi parce qu’il comprend plusieurs dimensions (régularités des revenus, sources, « disponibilité »).

Les caractéristiques individuelles sont aussi importantes à recueillir au niveau individuel pour inscrire les ISS dans l’histoire du patient.

29 L’âge et le sexe font parties des données quasiment systématiquement recueillies. En revanche, l’ethnicité et la situation migratoire sont deux variables bien moins présentes dans les données épidémiologiques.

L’ethnicité, définie par P. Simon en 1997, est un concept « combinant une multiplicité de caractéristiques telles que le lieu de naissance, la langue, les « traits culturels », la religion, la « race », la nationalité, la couleur, l’ascendance et, le sens d’une appartenance commune ». Catégorisée parmi les données sensibles par la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), le recueil de l’origine ethnique dans les études est accordé au cas par cas, en fonction de la pertinence du recueil, de la finalité de la recherche et de l’argumentaire scientifique présenté (A., 15 mai 2007).

Concernant la santé des immigrés, il s’agit d’une question très peu étudiée en France et alors qu’ils représentent 11% de la population. Cela peut s’expliquer par de multiples raisons à la fois historiques, sociologiques et politiques. Pourtant, il a été montré que les origines migratoires étaient un facteur important d’ISS (Berchet,Jusot, 2010; Cognet et al., 2012). Pour renseigner la situation migratoire, il est possible d’interroger les individus sur le statut d’immigré, l’ancienneté d’installation en France, les origines migratoires et la nationalité.

Autre indicateur, le statut vis-à-vis de la couverture du risque maladie est intéressant à analyser car de nombreuses études ont montré son influence sur les recours aux soins et les dépenses de santé. Cependant, la complexité des situations individuelles et du système français d’Assurance Maladie rend difficile le recueil de cette information. Il est souvent conseillé de le demander en deux temps, le statut assurantiel de base d’une part et le statut assurantiel complémentaire d’autre part.

Enfin, d’autres indicateurs individuels, très nombreux, tels que les insertions sociales, les conditions de vie, les conditions de travail et les insertions spatiales peuvent être utilisés pour étudier les ISS mais les études ne le permettent pas toujours, souvent pour des questions de budget.

ii. Les indicateurs écologiques de défavorisation

La défavorisation est un concept complexe, multidimensionnel et qui a donc été défini de multiples façons. Selon Peter Townsend, la défavorisation (ou deprivation en anglais) fait référence à un état de désavantage observable et démontrable relatif à la communauté locale ou plus largement à la société à laquelle appartient une personne (Townsend, 2010). Elle ne se réduit pas seulement à une dimension matérielle ou économique mais fait aussi état des interactions sociales.

30 Les indicateurs écologiques de défavorisation permettent de fournir une caractérisation synthétique du niveau socio-économique de la population à une échelle donnée et à un moment donné. Ils sont la résultante d’une agrégation de différentes variables mesurées à une échelle géographique donnée (revenus, emplois, etc.). Parmi les échelles géographiques, nous pouvons compter la région, le département, le canton, la commune, l’IRIS (Ilot Regroupé pour l’Information Statistique) et le carroyage.

L’avantage de ces indicateurs est de fournir une mesure du SES en l’absence de données individuelles grâce à l’adresse des individus.

Leurs limites sont le biais écologique qu’ils entrainent, la non prise en compte du contexte du milieu de vie (urbain, rural, centre-ville, périphérie…) et de la mobilité des individus d’une zone géographique à une autre. Une autre difficulté est de bien différencier l’approximation de ces indicateurs écologiques pour le SES individuel et la caractérisation d’un territoire. En effet, l’interprétation peut rapidement être confondu avec celles des indicateurs territoriaux, qui eux, ont la fonction de caractériser la position économique d’un quartier pour des analyses multi-niveaux. Bien sûr, les interactions entre les inégalités sociales et les inégalités territoriales sont fortes : la composition sociale des habitants explique en partie les inégalités territoriales et les spécificités de ces territoires jouent un rôle dans les inégalités sociales.

Plusieurs indicateurs écologiques existent, leurs différences reposant sur la méthode et les variables utilisées dans leurs constructions. En France, trois principaux indices de défavorisation sont utilisés :

 FDep

L’indice de défavorisation sociale FDep a été créé en 2009 par une équipe française pour s’adapter au contexte français (Rey et al., 2013). Il a été construit à l’échelle des IRIS, des communes, des cantons et des régions à partir des données de recensement de la population de 1999 (Insee) et des revenus fiscaux des ménages de 2001 (Insee-DGI) (puis reproduit en 1990 et 2009). Il a été défini comme la première composante d’une analyse en composante principale (ACP) de quatre variables : le revenu médian par ménage, le pourcentage de bacheliers chez les 15 ans et plus, le pourcentage d’ouvriers dans la population active et le pourcentage de chômeurs dans la population active. Ces quatre variables représentent une dimension fondamentale du niveau socio-économique, maximisent la représentation de l’hétérogénéité de ses composantes et sont covariantes de façon similaire selon le milieu urbain ou rural. L’association entre défavorisation sociale et mortalité sur la période 1997-2001 est observée quelle que soit l’échelle spatiale choisie. Il est notamment utilisé par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie de Travailleurs Salariés (CNAM-TS).

31  European Deprivation Index (EDI)

Créée en 2012 par Pornet et al. (Pornet et al., 2012), il est construit à partir des données de recensements et des données d’une enquête individuelle sur la pauvreté. Utilisé dans cette thèse comme approximation du niveau socio-économique individuel, les détails de sa construction sont présentés dans la suite du document.

 Indice « métropoles »

Comme pour le FDep, cet indice a été construit à partir des données du recensement de 1999 et des revenus fiscaux de 2001 (Lalloue et al., 2013). Développé en 2013, il découle d’un autre indice développé dans la ville de Strasbourg à l’échelle de l’IRIS (Havard et al., 2008). L’indice « métropoles » a été développé dans 3 métropoles régionales (Lille, Lyon et Marseille). Quarante-huit variables ont été choisies pour être représentatives des concepts théoriques de la position socio-économique et en lien avec la littérature. L’indice représente la combinaison linéaire des facteurs retenus par le premier axe d’une ACP. La même procédure a été appliquée à chaque métropole régionale séparément puis aux trois zones simultanément. Au total, 20 variables ont été retenues pour les métropoles de Lille, Lyon ou Marseille et 19 lors de l’analyse conjointe des trois métropoles. Quinze des vingt variables sont communes aux trois indices obtenus pour chaque métropole régionale : (1) ménages avec une voiture, (2) ménages avec deux voitures ou plus, (3) individus avec un emploi non stable, (4) 15 ans et plus ayant un niveau d’études égal au Bac, (5) 15 ans et plus ayant un niveau d’études secondaire inférieur (BEP, CAP, BEPC), (6) 15 ans et plus sans diplôme, (7) non propriétaires, (8) individus avec un emploi stable, (9) familles monoparentales, (10) revenu médian par unité de consommation, (11) résidences principales avec plus d’une personne par pièce, (12) étrangers dans la population totale, (13) nombre moyen de personnes par pièce, (14) immigrants depuis le dernier recensement dans la population totale, (15) travailleurs à leur compte dans la population active. Pour son utilisation, les auteurs ont mis à disposition un programme en langage R, qui permet de créer l’indice et de définir les classes homogènes.

A l’étranger, d’autres indices de défavorisation sont utilisés, en voici quelques-uns :  Indice de Jarman (Angleterre)

Défini en 1983, il est construit à partir des variables suivantes : chômage, absence de voiture, surpeuplement du logement, classe sociale inférieure, locataire, famille monoparentale, jeune enfant de moins de 5 ans, retraités vivant seuls, immigrés récents. Il a été créé pour identifier les zones potentiellement à forte demande de services de soins primaires.

32 Défini en 1987, il est construit à partir de la somme non pondérée de 4 variables : chômage, pas de véhicule, logement surpeuplé, locataire du logement.

 Indice de Carstairs et Morris (Écosse)

Défini en 1991, il est construit à partir de la somme non pondérée de 4 variables : chômage, pas de véhicule, classe sociale basse, logement surpeuplé.

 Indice de Pampalon (Québec)

Défini en 2000, il est construit à partir des variables suivantes : la proportion de personnes de 15 ans et plus sans certificat ou diplôme d’études secondaires ; le ratio emploi/population chez les 15 ans et plus ; le revenu moyen des personnes de 15 ans et plus ; la proportion de personnes de 15 ans et plus vivant seules dans leur domicile ; la proportion de personnes de 15 ans et plus séparées, divorcées ou veuves ; la proportion de familles monoparentales. Comme l’EDI, il prend en compte la multidimensionnalité de la défavorisation (matérielle et sociale).

 Index of Multiple Deprivation (Royaume-Uni)

Créé en 2004 (Index of Deprivation 2004) puis mis à jour en 2007 (Index of Multiple Deprivation 2007 ou IMD 2007) et en 2010 (IMD 2010), cet indice prend en compte un nombre plus importants de dimension de la défavorisation que l’indice de Townsend ou de Carstairs. Il est construit à partir de 37 indicateurs répartis dans ces 7 domaines, à savoir le revenu, l’emploi, la santé, l’éducation, l’accès/barrières aux services, l’environnement résidentiel, et la criminalité.

iii. Les bases de données administratives

En France, l’accès aux bases administratives est encore extrêmement limité. Pourtant elles couvrent plusieurs thématiques utiles à la Santé Publique (recours aux soins, hospitalisation, handicaps, prestations et situation professionnelle, sociale et économique) et sont liées par un identifiant individuel unique. Ces bases peuvent également permettre d’identifier des indicateurs socioéconomiques tel que les différents emplois au cours de la vie, le statut d’assurance maladie (CMU, CMU-C) ou encore des informations concernant la famille (statut marital, nombre d’enfants, etc). Les principales bases mobilisables pour la recherche, pour la surveillance et la santé publique sont :

- les données de santé (réunies au sein du Système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM)) mais qui ne contiennent pas d’information sur la situation socioprofessionnelle,

- les données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) qui permettent de recenser les différentes périodes d’activités professionnelles,

33 - les données du système national de gestion des identités qui contiennent des

informations sur le statut vital ou l’état-civil.

3. Etat des connaissances sur les inégalités sociales de santé dans la maladie

rénale chronique chez les jeunes

Les ISS dans la MRC est un sujet qui a été beaucoup étudié chez l’adulte, particulièrement dans la littérature anglo-saxonne. Cela s’explique notamment par le fait que les indicateurs du statut socio-économique (SES) sont très souvent disponibles dans les bases de données anglo-saxonnes, avec des informations, la plupart du temps, individuelles, sur le revenu, le niveau d’éducation, la couverture maladie ou encore l’ethnicité. Mais qu’en est-il pour la MRC pédiatrique ? S’intéresser aux ISS chez les jeunes atteints de MRC devrait être une priorité de santé publique, étant donné qu’il s’agit de la population de demain et que de nombreuses études ont montré un impact précoce des conditions de vie dès le plus jeune âge sur l’état de santé et sur les comportements en lien avec la santé à l’âge adulte.

Afin de répondre à cette question et d’en savoir plus sur les études qui ont pu être réalisées sur le sujet, nous avons réalisé une revue de la littérature avec comme objectif d’étudier la prise en compte des ISS dans la MRC pédiatrique dans les études scientifiques, que ce soit de façon descriptive, ou étudier comme exposition principale.

Afin d’être le plus exhaustif possible dans nos résultats, nous avons construit un algorithme assez large, réfléchi autour de trois axes principaux : la population pédiatrique, la MRC (que ce soit avant les traitements de suppléances, pendant la dialyse ou après avec les résultats de greffe et autres), et les ISS. Cependant, nous avons exclu toutes les études qui n’étaient ni en anglais ni en français, qui étaient hors sujet (autres maladies ou ne traitant pas des ISS), dont les participants étaient adultes ou dont les résultats pédiatriques ne se distinguaient pas des résultats adultes, et qui traitaient de l’IRA uniquement. Les algorithmes lancés sur Pubmed et Scopus le 26 juin 2020, et le processus de sélection sont détaillés en Annexe 5. En tout, 72 articles ont été étudiés dans cette revue de la littérature.

Dans les études sélectionnées, les ISS étaient évaluées de différentes façons, mais deux grandes catégories se dégageaient, celles étudiant :

- les disparités ethniques, où nous avons décidé de regrouper les différentes études où les individus étaient catégorisés selon leur couleur de peau, leur origine ethnique ou leur pays de naissance.

- les disparités socio-économiques mesurées par des indicateurs individuels ou écologiques.

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