Nous avons explicité la tâche dimplantologie dentaire et dégagé deux concepts
organisateurs de lactivité des chirurgiens-dentistes reliés à un ensemble de variables et
dindicateurs définissant la structure conceptuelle de la situation en implantologie dentaire.
Les résultats de notre étude ont aussi révélé la manière dont les chirurgiens-dentistes
mobilisent les différents composants de la structure conceptuelle dans les différentes phases
de lintervention. Ces résultats invitent à discuter dune part lactivité des chirurgiens
-dentistes dans son rapport à la tâche prescrite et dautre part, à situer cette activité dans un
ensemble plus large, étudié en didactique professionnelle, des activités dacteurs engagés dans
la gestion denvironnements complexes liés aux vivants.
5.1) Lactivité des chirurgiens-dentistes en implantologie
Notre structure conceptuelle de la situation fait état dun système complexe. En effet,
une variable peut être définie par plusieurs indicateurs, un indicateur peut avoir des origines
différentes (métriques ou perceptives) et, un même indicateur peut renseigner à la fois une
variable du concept « démergence » et une du concept « dancrage ». Par conséquent, dans
cette multitude dindicateurs, le dentiste expert doit faire des choix. Ces choix sont établis
principalement durant la phase de planification de la chirurgie. Lintervention pourrait alors se
résumer à la mise en uvre de cette planification. Notre étude montre quil nen est rien.
Les travaux de Leplat (1985, 2000) ont montré quil y avait toujours plus dans le
travail réel que dans la tâche prescrite. Il existe dans le travail une part irréductible de création
c'est-à-dire dadaptation aux évènements. Le travail ne se réduit jamais à ce quon peut en
planifier. Nous développons ainsi, outre ladaptation du protocole implantaire en fonction de
la densité osseuse perçue pendant le forage que nous avons déjà mentionné, trois aspects de
lactivité des chirurgiens-dentistes attestant leur adaptabilité au contexte spécifique de
lintervention.
Premièrement, lobjectif de la phase de planification est de définir le concept
« démergence» tout en optimisant lancrage. Deux techniques sont principalement utilisées
pour parvenir à cet objectif. La première est dite « traditionnelle » et consiste à positionner un
calque de limplant (feuille transparente) sur la planche de scanner afin de déterminer par
transparence les caractéristiques et lémergence de limplant en fonction des spécificités
anatomiques du patient. La deuxième technique consiste à utiliser des logiciels informatiques
qui reconstruisent la mâchoire du patient en trois dimensions (3D) à partir dune image scanné
en deux dimensions (2D). Les praticiens utilisent cette reconstruction pour positionner
virtuellement un implant dans la bouche du patient et déterminer ainsi ses caractéristiques et
son émergence idéale.
Les dix dentistes de létude ainsi que les formations que nous avons observées utilisent
la technique « traditionnelle ». Or, avec cette technique pour passer de la planification à
lintervention chirurgicale, le dentiste a un double travail à réaliser. Dune part, il doit être
capable de réaliser une reconstruction mentale de la mâchoire du patient en 3D à partir des
clichés du scanner (en 2D). Dautre part, il doit être en mesure dutiliser cette reconstruction
mentale pour transférer les informations prises sur le scanner dans la bouche du patient,
c'est-à-dire pour pouvoir se repérer dans la bouche du patient et se représenter la partie non visible
de los. Cette double activité développée par les chirurgiens-dentistes lors de lintervention
chirurgicale montre que lactivité ne se limite pas à une application stricte de la planification.
Elle ne va pas de soi et doit être apprise.
Deuxièmement, lintervention consiste pour le dentiste à mettre en uvre sa
planification. Lors de cette intervention, il dispose dindicateurs métriques sous forme dune
sonde graduée pour donner une valeur aux variables « localisation » et « enfouissement ». Ce
nest pas le cas pour établir une valeur pour la variable « axe ». Cette variable constitue donc
pour le praticien un challenge dans sa volonté de transférer le protocole implantaire dans le
cadre de lintervention réelle. La détermination de la valeur de cette variable constitue une
adaptabilité du praticien au cours de lintervention ainsi que la capacité à orienter un foret
selon laxe défini (habileté motrice fine). Cette capacité devra de plus être reproduite à
plusieurs reprises au cours de lintervention dans la mesure où dune part, laxe définitif
sétablit à partir du passage de plusieurs forets consécutivement et dautre part, le dentiste doit
retrouver un positionnement gestuel fin entre chaque passage de foret. En effet, lhabileté
motrice fine sur laquelle repose la capacité à assurer le forage de los selon un axe prédéfini
doit être reproduite à plusieurs reprises dans le temps de lintervention en raison des
interruptions répétées de lactivité de forage liées notamment au changement de foret. Cette
reproduction à lidentique dun geste fin constitue à proprement parler un challenge pour le
chirurgien-dentiste.
Troisièmement, le dentiste doit toujours faire face au cours de lintervention à de
limprévu. En effet, dans les situations filmées, nous avons rencontré de multiples imprévus :
un foret manquant dans la trousse implantaire, une greffe osseuse pas encore cicatrisée, un
implant qui transperce légèrement la paroi osseuse, un diamètre de puits de forage trop
important par rapport à limplant prévu, un guide chirurgical qui ne se positionne pas au bon
endroit, etc. Tous ces imprévus sont autant de situations auxquelles le dentiste doit faire face
dans linstant et en présence dun patient conscient (il ny a pas danesthésie générale, pour
limplantologie).
Prenons lexemple de lutilisation des guides chirurgicaux que nous avons présenté
précédemment. La prescription de ces guides par les fabricants dimplants repose sur lidée
que lactivité des chirurgiens-dentistes consiste à mettre en uvre un plan dintervention
préétabli. Notre étude montre quil nen est rien. Par exemple, nous avons observé un dentiste
qui avait prévu dutiliser un guide chirurgical38 pour réaliser lensemble de la séquence de
forage. Ainsi, le geste du dentiste aurait été contraint et la chirurgie aurait consisté à la mise
en uvre dune procédure pré-établie. Or dès le début de lintervention, le dentiste sest
aperçu dun décalage entre la position prévue du guide chirurgical et sa position réelle dans la
bouche du patient. Celui-ci a donc pris la décision de le retirer et de réaliser lintervention
sans laide du guide chirurgical. Même si les étapes de lintervention restent les mêmes avec
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