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Chapitre 3 : Diagnosticité dans des tâches simples

3.3 Discussion

3.3.1 Discussion sur les mesures

Cette expérience avait pour but de provoquer diverses formes de charge mentale lors de la réalisation de tâches expérimentales simples. Bien que les manipulations expérimentales de difficulté, de stress et de tâches aient été faites de manière à être indépendantes les unes des autres, l’expérience, telle que vécue par les participants, peut avoir été différente. Cette section détaillera les diverses mesures, subjectives, comportementales et physiologiques, afin de mieux comprendre comment les différentes composantes de la charge mentale ont évolué au cours de l’expérience.

90 3.3.1.1 Discussion sur les mesures subjectives

Les résultats du NASA-TLX permettent de décortiquer la charge mentale subjective des participants. Tel qu’on peut s’y attendre, l’augmentation de la difficulté a provoqué une augmentation de l’exigence mentale perçue. Malgré que, dans cette étude, le stresseur retenu visait à être distinct de l’exigence mentale, les participants ont indiqué que la présence du stresseur augmentait aussi l’exigence mentale. Ce résultat est probablement causé par les instructions qu’on reçut les participants. Ces instructions leur disaient que la présence de la punition sonore aversive était causée par une mauvaise performance. Rappelons que cette punition sonore était, en réalité, déclenchée de manière aléatoire. Cette augmentation de l’exigence mentale n’est toutefois pas une erreur de conception de l’expérience. En effet, les instructions précisaient aussi que la punition sonore n’était pas associée à une tâche plus difficile. Il est donc possible que les participants n’aient pas cru les instructions ou qu’ils les aient oubliés au moment de faire la tâche. Il est également possible que la présence du stresseur ait créé une forme de charge extrinsèque (voir Galy, Cariou et Mélan, 2012) et que les participants l’aient perçu ainsi au lieu de par le stress.

Un patron similaire a été observé pour l’exigence temporelle. La difficulté et le stress ont tous deux augmenté l’exigence temporelle perçue. Une interaction a toutefois été observée entre le stress et la tâche. Cette interaction peut facilement être expliquée en comparant les deux tâches. La principale difficulté de la tâche de n-back provient possiblement de la charge en mémoire qu’elle impose (Schoofs, Preuß, Wolf, 2008). Même si les participants recevaient comme instruction de répondre le plus rapidement possible, ces derniers n’ont pas considéré que la tâche était plus temporellement exigeante à la difficulté élevée. À l’inverse, la tâche de recherche visuelle était beaucoup plus associée à une exigence temporelle puisque les participants avaient très peu de temps pour effectuer leur recherche. L’exigence temporelle est souvent associée au stress (p.ex. Matthews et Campbell, 2010). Étant donné que l’exigence temporelle était plus élevée lors de la recherche visuelle, on pourrait faire l’hypothèse que cette dernière était plus stressante. Les résultats des analyses montrent toutefois le contraire. Dans l’ensemble, la tâche de n-back a été perçue comme plus stressante et plus frustrante. Le stress et la frustration, bien que fortement influencée par la présence du

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stresseur, ont également augmenté avec la difficulté, renforçant encore une fois la difficulté à éliciter de manière indépendante de l’exigence ou du stress.

Étrangement, les participants ont indiqué qu’ils n’ont pas effectué un effort plus grand lorsque le stresseur était présent, mais seulement lorsque la difficulté augmentait. L’augmentation de l’effort provoqué par la difficulté est attendue. Ce résultat montre que la charge mentale n’était pas maximale lors des conditions faciles, puisque les participants avaient encore des ressources supplémentaires à investir lors des niveaux de difficulté élevés. L’absence d’effort supplémentaire lors de la présence du stresseur peut laisser croire que certains participants se sont doutés que la punition sonore n’était pas réellement associée à leur performance puisqu’ils n’ont pas senti le besoin d’investir plus d’effort lorsque celle-ci était présente. Cette punition « injustifiée » peut donc avoir été une source de frustration et de dérangement chez les participants. Les scores de frustration et de stress sont d’ailleurs plus élevés en présence du stresseur. Les corrélations entre le temps passé sur la recherche visuelle et l’effort/la frustration NASA-TLX pourrait d’ailleurs être expliqués par le fait que plus l’expérience progressait, plus les participants entendaient la punition sonore et plus ils étaient frustrés l’entendre malgré leur performance. Malgré que la présence du stresseur n’ait que très peu affecté la performance, les participants ont rapporté avoir eu une moins bonne performance lors des conditions stressantes. L’hypothèse la plus probable pour expliquer ce résultat se trouve probablement dans les instructions de la tâche, qui, encore une fois, précisaient que la punition sonore était provoquée par leur mauvaise performance.

Quant à l’évaluation subjective de la fatigue, seul un effet de la difficulté a été observé. Malgré que la tâche de recherche visuelle ait toujours passé en deuxième, les participants n’ont pas rapporté être plus fatigués lors de cette dernière. La fatigue était aussi constante à l’intérieur des quatre essais de chaque tâche. Cette absence d’effet est possiblement causée par la faible durée totale de l’expérience. En effet, chaque essai prenait un peu plus de 2 minutes à compléter, ce qui fait que le temps total de passation, incluant les pauses et les questionnaires, était de moins d’une heure.

92 3.3.1.2 Discussion sur les mesures comportementales

L’effet simple de la difficulté sur la performance est un indice qui suggère que la manipulation expérimentale a été réussie et que l’exigence mentale était effectivement plus élevée lors des conditions difficiles. Malgré que la tâche de n-back ait été jugée plus stressante, plus frustrante et également plus exigeante, celle-ci a été mieux réussie que la tâche de recherche visuelle. Il est possible de faire l’hypothèse que ce résultat est causé par la fatigue des participants (étant donné que la recherche visuelle passait toujours en deuxième). Les mesures subjectives et la courte durée de l’expérience laissent toutefois croire que la fatigue n’a pas eu un effet considérable pendant l’expérience. L’interaction entre la difficulté et la tâche suggère simplement que l’écart entre les niveaux de difficulté était plus grand pour la tâche de recherche visuelle que pour le n-back. Mis à part les hypothèses relatives à la charge mentale, il est important de garder en-tête que la performance des deux tâches ont été obtenue en faisant une normalisation entre le meilleur et le pire score de chaque tâche. Il est donc nécessaire d’être prudent dans la comparaison de la performance entre les deux tâches.

Quant à la mesure de l’effort, les résultats montrent que celui-ci était plus élevé lors de la tâche de n-back. Ils montrent également que l’effort augmentait avec la difficulté lors du n-back, mais diminuait avec la difficulté lors de la recherche visuelle. En comparaison avec l’exigence mentale, l’effort mental est rarement mesuré. Celui-ci est plutôt estimé avec des marqueurs physiologiques (p.ex. Fairclough et Houston, 2004). Il est donc difficile de comparer les résultats obtenus avec la littérature. Peu d’indices laissent croire que les individus vont fournir moins d’effort à une tâche de recherche visuelle plutôt que de n-back. Tout comme pour la performance, cette baisse pourrait être attribuable à la fatigue. Il est également possible que l’évaluation subjective de l’exigence mentale ait été biaisée lors de l’expérience. En effet, comme l’ordre des tâches n’était pas contrebalancé, ou encore que les deux tâches n’étaient pas mélangées, il n’y avait qu’un seul moment dans toute l’expérience où les participants passaient de n-back à la recherche visuelle, diminuant le nombre d’occasions où ces derniers pouvaient comparer les deux tâches entre-elles. Quant à l’interaction, elle suggère que l’augmentation de la difficulté, lors de la tâche de n-back, était accompagnée d’une évaluation plus prononcée de l’exigence mentale. À l’inverse, la baisse

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d’effort en recherche visuelle suggère que les participants avaient des résultats moins bons, mais qu’ils ne considéraient pas que la tâche était plus difficile.

3.3.1.3 Discussion sur les mesures physiologiques

Afin de complémenter les mesures subjectives et comportementales, il est possible d’analyser aussi les mesures physiologiques. Toutefois, il est important de garder à l’esprit qu’une des problématiques de ce projet de thèse est le manque de diagnosticité des mesures physiologiques périphériques de la charge mentale. Il est donc nécessaire d’interpréter les manifestations physiologiques mesurées dans cette expérience avec prudence. Tel que décrit dans la section des résultats, seulement 10 des 180 métriques physiologiques sont détaillées plus en profondeur.

Malgré que la littérature détaille en grand nombre les effets de l’exigence et du stress sur les diverses métriques cardiaques, et particulièrement celles associées à la variabilité cardiaque, celles-ci, de manière générale, n’ont pas présenté de fortes différences entre les différents niveaux de difficulté et de stress. Rappelons que trois métriques cardiaques ont été retenues pour une analyse plus détaillée (la durée entre les battements cardiaques, la variabilité cardiaque et le ratio des basses sur les hautes fréquences cardiaques). La durée entre les battements cardiaque est, au mieux, un indicateur général de l’activation de l’individu (Betts, 2013). Il est donc normal que cette dernière diminue entre le repos et la tâche et qu’elle diminue avec l’augmentation de la difficulté et de l’effort. Deux hypothèses peuvent être retenues pour l’augmentation de la durée entre les battements cardiaques pour la tâche de recherche visuelle (par rapport à la tâche de n-back). Il est d’abord possible de suggérer que le simple fait de rester assis ait diminué le rythme cardiaque. Toutefois, Fairclough, Venables et Tattersall (2005) suggèrent que le rythme cardiaque devrait être plus sensible à l’exigence qu’au temps passé sur la tâche. Il est donc possible que la tâche de recherche visuelle ait été moins exigeante et moins stressante. Il est toutefois difficile de se prononcer exactement sur ce point; les mesures subjectives suggèrent que la recherche visuelle était moins stressante, mais les mesures comportementales suggèrent qu’elle était plus difficile. Le stresseur n’a pas eu d’effet sur les trois métriques cardiaques retenues. Ce résultat peut sembler étonnant considérant que des travaux similaires (p.ex. Mandrick et coll., 2016) repèrent un effet du

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stresseur sur le rythme et la variabilité cardiaque. Il est possible que l’absence d’effet soit causée par la faible durée des essais expérimentaux. Typiquement, des périodes de 5 minutes sont utilisées pour détecter la variabilité cardiaque (Kleiger, Stein et Bigger, 2005). La tâche est la seule variable dépendante qui a influencé de manière significative le ratio des basses sur les hautes fréquences cardiaques. Étant donné que le ratio des basses sur les hautes fréquences est réputé augmenter avec l’exigence, le stress et l’effort et parfois même avec la fatigue, le ratio des basses sur les hautes fréquences cardiaques permet difficilement de contribuer au diagnostic.

Les métriques respiratoires obtenues à partir de l’analyse fréquentielle ont fait ressortir de la variabilité pour plusieurs variables d’intérêt, notamment celles associées à la difficulté, à la performance et à l’effort. La diminution de la durée respiratoire associée avec l’augmentation de la performance et l’effort concorde avec Bernardi et coll. (2000). L’absence d’effet de la difficulté et du stress permet de faire l’hypothèse que la durée respiratoire est un indicateur un peu plus spécifique à l’effort mental réel investi et moins à l’exigence et au stress. Il est toutefois possible que l’absence d’effet ait été causée par un faible écart entre les niveaux de difficulté et une faiblesse du stresseur de manière générale. Quant à l’amplitude respiratoire, celle-ci a augmenté avec la difficulté et la performance, mais pas avec l’effort. Cette augmentation pourrait avoir été causée par les soupirs des participants, potentiellement plus présents lors des tâches difficiles (Vlemincx et coll., 2011). Cet indice n’est toutefois pas une preuve que les soupirs étaient présents ni que ces derniers sont spécifiques à la difficulté. L’analyse des métriques retenues par les classificateurs pourra peut-être permettre de vérifier cette hypothèse.

Au niveau électrodermal, les métriques provenant des statistiques descriptives semblent celles qui ont présenté le plus de variabilité. L’analyse spectrale, de son côté, n’a pas permis de faire ressortir un grand nombre de différences entre aucune condition. Il est possible que la bande fréquentielle utilisée n’ait pas été suffisamment large. Dans Shimorura et coll. (2008), il est précisé que l’analyse spectrale est effectuée entre 0,03 et 0,5 Hz; soit une bande plus large que dans cette expérience (0 à 0,1 Hz). Toutefois, l’augmentation de la fréquence de coupure supérieure aurait également eu comme effet d’augmenter la présence des artéfacts

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du mouvement des mains, qui était déjà fortement présent sur les signaux. Il faut également prendre en compte que l’analyse spectrale n’est pas typiquement populaire avec les mesures électrodermales (Boucsein, 2012). Les deux métriques retenues pour la réponse électrodermale ont présenté plusieurs différences significatives. La différence importante du niveau électrodermal entre le repos initial et la tâche est possiblement due au fait que le repos initial était effectué juste après l’arrivée du participant et l’installation des capteurs physiologiques. Il est donc possible que le simple fait d’être resté assis sur une chaise pendant l’expérience ait diminué le niveau électrodermal (Boucsein, 2012). Cette raison pourrait aussi expliquer la baisse entre la tâche de n-back et la recherche visuelle (laquelle, rappelons-le, était toujours effectuée après la tâche de n-back). L’effet du temps n’a toutefois pas empêché le niveau électrodermal de remonter à certains moments. L’analyse montre en effet que la présence du stresseur, la haute performance et l’effort élevé ont tous fait augmenter le niveau électrodermal. Ce niveau a aussi significativement diminué lors de l’augmentation de la difficulté. Les variables d’intérêt ont aussi eu plusieurs effets sur la durée des réponses électrodermales. Typiquement, plus la durée est longue, moins il y a de réponses électrodermales qui font remonter le niveau, ce qui signifie que les deux sont généralement inversés. C’est ce qui est observé dans cette étude. À première vue, il est étonnant que le stresseur n’ait pas diminué la durée des réponses (Carrillo et coll., 2001). Il est toutefois possible qu’au lieu d’augmenter le nombre de réponses, la présence du stresseur ait provoqué quelques réponses d’une très grande amplitude. L’analyse détaillée des classificateurs pourra peut-être permettre de répondre à cette question.

Les métriques pupillaires, et particulièrement celles associées aux statistiques descriptives et aux analyses fréquentielles, ont permis de détecter une forte variabilité pour la majorité des variables d’intérêt. L’induction du stress a provoqué une forte augmentation du diamètre pupillaire. Bien que certains travaux suggèrent que des stresseurs puissent augmenter le diamètre pupillaire (p.ex. Partala et Surakka, 2003), un grand nombre de travaux documente également que des distractions sonores puissent être à l’origine de ces augmentations (p.ex. Marois, Labonté, Parent & Vachon, 2018; Nieuwenhuis et coll., 2011; Wang & Munoz, 2015). Il est intéressant de remarquer que, malgré l’absence d’effet de la difficulté et de la performance, l’effort a été associé à une très forte augmentation du diamètre moyen, ce qui

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suggère que le diamètre pupillaire pourrait être plus spécifique à l’effort que la difficulté de la tâche.

Finalement, les métriques oculaires n’ont présenté que très peu de variabilité. L’absence d’effet des variables d’intérêt sur les métriques oculaires (GAZNF et GAZTotS) peut s’expliquer par deux raisons. Premièrement, les métriques des mouvements oculaires utilisés dans ce projet sont rudimentaires. Deuxièmement, il a été choisi de n’inclure aucune métrique basée sur la scène et les régions d’intérêt.