• Aucun résultat trouvé

Dans la population étudiée de toxicomanes actifs et inactifs sous substitution de méthadone et hospitalisés à l’Hôpital Cantonal Universitaire de Genève, nous avons observé une prévalence élevée d’allongement de l’intervalle QT. Les données suggèrent que la dose de méthadone, la prescription concomitante de médicaments inhibiteurs du CYP3A4, l’hypokaliémie et l’insuffisance hépatique contribuent à la survenue d’un QT long. Dans le groupe de patients sous traitement de méthadone, nous avons relevé un nombre important de personnes (n=27 ; 16.2 %) avec un QTc de 0.50 seconde ou plus en comparaison avec aucune personne dans le groupe contrôle sans méthadone. Un intervalle QTc de 0.50 seconde est considéré comme le seuil à risque pour le développement de TdP (4, 25) ; alors qu’une TdP est rarement associée avec un QTc inférieur à 0.50 seconde (26). La bradycardie, les modifications de l’onde T et d’autres facteurs peuvent augmenter le risque de survenue de TdP pour un QTc donné anormal.

Nous avons relevé un effet-dose significatif de la méthadone sur l’allongement de l’intervalle QT. Cependant à des doses considérées comme faibles, un allongement du QT ainsi qu’un épisode de TdP a été observé. En effet la dose la plus faible à laquelle un patient a présenté un QTc de 0.50 seconde ou plus était 30 mg/j. et un épisode de TdP est survenu en présence d’une prescription de 40 mg/j. de méthadone. Bien qu’une dose seuil n’ait pas été clairement identifiée, un prolongement du QTc à 0.50 seconde ou plus était moins fréquemment relevé à une dose de méthadone inférieure à 40 mg (1 cas sur 27 ayant présenté un allongement du QTc à 0.50 seconde ou plus). Les épisodes de TdP étaient moins fréquents à une dose inférieure à 70 mg/j. (1 cas sur 6 parmi les TdP).

En utilisant un modèle d’étude multivariée, nous avons identifié 3 co-variables supplémentaires intervenant dans l’allongement de l’espace QT : l’utilisation de médicaments inhibiteurs du CYP3A4, un taux de prothrombine inférieur à la norme indiquant une fonction hépatique altérée et l’hypokaliémie. Ces données suggèrent que ces variables agissent de façon synergique avec la dose de méthadone sur l’allongement du QT. Le modèle final permet d’expliquer 31.8 % de la variabilité du QTc.

L’importance des interactions pharmacocinétiques dans la survenue du QT long acquis a été mis en évidence dans une grande étude de patients traités par erythromycine (27). Des cas de prolongement du QT dans le cadre d’interactions médicamenteuses en lien avec la méthadone ont été précédemment rapportés (16, 17). A notre connaissance, aucune étude chez les personnes sous traitement de méthadone n’a montré l’implication de l’inhibition du CYP3A4 dans la survenue d’un QT long. Le CYP3A4 est la principale enzyme hépatique impliquée dans la N-déméthylation de la méthadone (28). Il a été montré que son inhibition conduisait à une augmentation significative de la concentration plasmatique d’une substance proche de la méthadone (29). La valeur prédictive du taux de prothrombine dans notre modèle semble essentiellement en lien avec un effet pharmacocinétique en raison de la diminution du métabolisme de la méthadone en cas d’insuffisance hépatique (28). L’évaluation des interactions pharmacodynamiques n’a pas permis de mettre en évidence un risque additionnel dans l’allongement du QT. Cependant dans notre population la prescription de médicaments connus pour allonger le QT n’était pas fréquente. L’hypokaliémie, intervenant comme 4ème variable dans notre modèle, est un facteur de risque reconnu dans la survenue d’un allongement du QT

Nous n’avons pas identifié clairement un effet du sexe sur la prolongation du QT ou la survenue de TdP comme cela a été décrit précédemment (7, 30). Il est intéressant de noter que les disparités entre les sexes n’ont pas pu être mises en évidence pour toutes les substances et qu’il pourrait y avoir des effets spécifiques (30).

La méthadone, comme traitement substitutif des personnes dépendantes aux opiacés, est reconnue pour ses effets positifs sur la mortalité et la morbidité (31, 32).

Il s’agit d’un traitement peu onéreux et sans effet secondaire hormis le risque de surdose. Ces avantages ont conduit à une augmentation des doses prescrites, parfois dépassant les hautes doses (60-100 mg/j.) considérées dans les études d’efficacité (15). De plus des études ont suggéré qu’en raison d’une variabilité des paramètres de pharmacocinétique entre les individus, les taux sériques de méthadone n’étaient pas prévisibles ; ceci tendant à conduire à une augmentation des doses prescrites (33).

Dans plusieurs cas rapportés, des données de surveillance post-marketing et une étude comparant l’intervalle QT avant et après l’introduction de la méthadone dans le cadre d’une pratique ambulatoire, la méthadone a été reconnue comme cause possible d’un QT long acquis (12, 13, 34, 35). Jusqu’ici son implication dans l’allongement du QT était considérée comme peu importante. Dans le cadre d’une pratique ambulatoire, Martell et al (36, 37) a rapporté que seulement 1.3 % des patients a présenté un allongement du QT supérieur à 0.50 seconde après l’introduction de la méthadone. La différence de population (ambulatoire vs hospitalisée) pourrait expliquer l’écart observé. Par ailleurs les doses de méthadone étaient plus importantes dans notre collectif et les co-médications plus fréquentes.

Par conséquent les présents résultats ne sauraient être appliqués à tous les patients sous traitement substitutif de méthadone mais apportent des informations

importantes pour les patients hospitalisés et quant à la contribution des différents facteurs de risque. Les données indiquent qu’un allongement significatif du QT est particulièrement fréquent lorsque plusieurs facteurs sont impliqués simultanément.

L’identification d’effets secondaires cardio-vasculaires est particulièrement importante car les patients jeunes ont rarement un monitoring cardiaque et sont susceptibles d’être exposés à des médicaments interférant avec l’activation électrique du coeur. Nous n’avons pas pu identifier une association significative entre la présence d’une infection à HIV et la durée du QT (38, 39), mais ce facteur peut avoir été masqué par le fait qu’un patient HIV positif hospitalisé a souvent de nombreuses co-médications.

Nous pouvons relever plusieurs limitations à cette étude. En effet nous ne pouvons pas exclure une différence dans la prévalence des cardiomyopathies structurelles entre le groupe méthadone et le groupe contrôle. D’autre part les données concernant l’usage de substances illégales étaient basées uniquement sur les informations rapportées par les patients et non sur des dosages toxicologiques. Nous ne pouvons dès lors assurer une similitude entre les deux groupes sur ce point. Il en est de même pour la consommation non avouée de cocaïne et d’alcool. A savoir que la consommation simultanée de cocaïne et d’alcool peut conduire à un allongement de l’espace QT par la formation de cocaéthylène (40). Enfin les données ont été collectées dans un seul centre. Nous ne pouvons dès lors pas à partir de cette étude assurer la pertinence de l’allongement du QT comme marqueur biologique prédictif de morbidité ou de mortalité.

Documents relatifs