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CHAPITRE I : INTRODUCTION GÉNÉRALE

4. Discussion

4.1. Discussion des caractéristiques cliniques des 40 familles

L’épilepsie familiale comprend différents syndromes qui sont généralement diagnostiqués à travers les caractéristiques cliniques des membres affectés. La disponibilité de données généalogiques étendues permet d’établir de larges pedigrees, potentiellement très informatifs pour l’analyse génétique.

Dans notre étude, les familles vivent à Oran, une région où le taux de mariages consanguins est estimé à 18% selon les données de la Fondation Nationale pour la Promotion de la Santé et le Développement de la Recherche en 200714. Des études antérieures ont mis en évidence un taux élevé de mariages endogames à Tlemcen (34%), une région à 150 km d’Oran [220]. Compte tenu de la ségrégation du phénotype épileptique dans de larges familles multigénérationnelles comptant plusieurs membres atteints, les Oranais semblent être une population intéressante pour la recherche en génétique des épilepsies.

Dans notre cohorte, le taux de consanguinité estimé à 50% était bien plus élevé que ce qui est attendu dans la population générale. Des résultats similaires ont été rapportés dans des populations pratiquant l’endogamie. En effet, dans leur cohorte jordanienne de 31 familles épileptiques, Masri et al ont rapporté un taux de consanguinité de 61.3%, suggérant que cette dernière jouerait un rôle dans le déterminisme de certaines formes d’épilepsie [221]. Ainsi, cette constatation nous a incités à mener une autre étude épidémiologique dans la même région géographique, visant à étudier la relation entre la consanguinité et l’épilepsie, et à identifier les autres facteurs de risque associés à l’épilepsie [53]. Cette étude sera abordée dans le chapitre suivant.

Dans notre échantillon, l’épilepsie était plus fréquente parmi les apparentés au premier degré que ceux du deuxième ou troisième degré. Ces résultats rejoignent les données de la littérature. En effet, dans une large cohorte de 3098 épileptiques originaires de Turquie, 9.5% des sujets de l’étude avaient au moins un apparenté épileptique ; les membres apparentés au premier degré étant deux fois plus nombreux

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que ceux du deuxième degré (202 vs. 94) [222]. Ceci rejoint les résultats d’études menées en Iran [51], en Jordanie [223], en Tanzanie [224], au Kenya [225] et en Inde [226, 227]. Ces résultats suggèrent l’existence d’une composante génétique dans l’épilepsie, mais n’écartent pas l’implication de facteurs environnementaux partagés par les membres d’une même famille.

La plupart des familles (62.5%) étaient phénotypiquement concordantes alors que dans les quinze familles restantes une grande variabilité phénotypique intrafamiliale était observée. Ce phénomène peut être expliqué par deux hypothèses :

 La première est celle du pléiotropisme génétique. En effet, certains gènes codent pour plusieurs traits phénotypiques à la fois. Par conséquent, une seule et même mutation peut s’exprimer par un large spectre phénotypique. C’est ce qu’on appelle « l’effet pléiotropique d’un gène ».

 La deuxième hypothèse qui a fait l’unanimité dans la communauté scientifique est celle de l’exposition à des facteurs épigénétiques qui vont moduler l’expression des gènes sans pour autant modifier la séquence d’ADN ni l’ordre d’enchainement des bases azotées. Ces facteurs sont représentés essentiellement par la méthylation des segments d’ADN riches en îlots CpG, et par la désacétylation des histones. Ces deux mécanismes vont entrainer une compaction de la chromatine avec enclavement et séquestration du gène à l’intérieur des replis. Le gène n’étant plus accessible au complexe de transcription, il ne sera pas transcrit, et sera donc réduit au silence. C’est ce qu’on appelle dans le jargon génétique « le silençage génique ».

4.2. Discussion des caractéristiques cliniques des 40 probants

Parmi nos 40 cas-index, il y avait une légère prédominance masculine (23 hommes/17 femmes). La plupart des études épidémiologiques sur l’épilepsie montrent que les hommes sont plus fréquemment atteints que les femmes, cependant la différence est rarement statistiquement significative [228].

L’âge moyen de début des crises était de 9.5 ans, probablement à cause de la prédominance dans notre échantillon, de syndromes épileptiques qui ont la particularité de s’exprimer à l’adolescence ou un peu plus tard, tels que l’épilepsie myoclonique juvénile [229], l’épilepsie myoclonique progressive [230, 231] et l’épilepsie familiale du lobe temporal [232].

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Les crises généralisées étaient légèrement plus fréquentes que les crises focale (50% vs. 40%). Ce résultat concorde avec ceux des études menées dans certains pays Arabes [31, 233], en Asie [234] et en Afrique sub-Saharienne [235]. En outre, dans une cohorte Américaine incluant 1994 individus épileptiques, Abou Khalil a constaté que les individus présentant des crises généralisées avaient plus d’apparentés au premier et second degré atteints d’épilepsie que ceux présentant des crises focale (40.2% versus 31.2%, p = 0.001) [236]. Une autre étude plus récente menée en Israël et qui a inclus 211 familles multiplex, a rapporté une prédominance des crises généralisées qui étaient trois fois plus fréquentes que les crises focales [237]. En effet, malgré l’existence d’une part génétique indéniable dans certaines formes familiales d’épilepsie focale, la contribution de ces facteurs reste relativement modeste par rapport à ce qui est rapporté dans les épilepsies généralisées [102].

Onze probants (27.5%) avaient des antécédents personnels de convulsions fébriles (CF) et 75% d’entre eux avaient une histoire familiale de CF. Ces résultats concordent avec ceux d’Abou Khalil qui a constaté que les patients épileptiques ayant des antécédents personnels de CF étaient plus susceptibles d'avoir une histoire familiale de CF que ceux n’en ayant pas (p<10-6) [236]. De manière intéressante, Hwang et al. ont identifié l’histoire familiale d’épilepsie comme facteur prédictif de survenue de crises non provoquées chez les enfants qui ont présenté leur première CF après l’âge de trois ans (p=0.019) [238].

Soixante dix pour cent de nos cas-index étaient libres de crises durant les trois mois précédant l’enquête, alors que 30% continuaient à présenter des crises. Ceci peut être en partie expliqué par la fréquence non négligeable de syndromes épileptiques myocloniques dans notre cohorte (EMJ ou EMP1), connus pour être pharmaco-résistants ou pharmacodépendants. En effet, dans une étude récente que nous avons menée au service de neurologie du CHU d’Oran, et qui avait pour objectifs d’identifier les facteurs prédictifs précoces d’épilepsie réfractaire, les crises myocloniques étaient significativement prédictives de pharmacorésistance. Les autres facteurs identifiés étaient la fréquence élevée des crises en début d’évolution, un état de mal inaugural, et l’étiologie de l’épilepsie (Annexe 1) [239]. Par ailleurs, la persistance des crises pourrait refléter une mauvaise observance thérapeutique de certains patients faisant face à des difficultés financières et à un niveau socio-économique très bas.

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Des comorbidités psychiatriques étaient présentes chez 12 probants (30%). Plusieurs études récentes ont montré un lien étroit entre l’épilepsie et divers troubles neuropsychiatriques chez l’adulte et même chez l’enfant [240-247]. Les troubles de l'humeur se voient chez 25 à 48% des épileptiques et les troubles anxieux dans 14 à 31% des cas [248-250]. Par ailleurs, il existe une relation bidirectionnelle entre l’épilepsie et la dépression [251]. En effet, les épisodes dépressifs majeurs chez les épileptiques varient entre 11 et 62% versus 3.7 à 6.7% dans la population générale [252]. En outre, le pourcentage de décès par suicide chez les patients épileptiques varie de 11 à 33%, avec une moyenne générale de 11,5% [253]. L'association avec la psychose est également surprenante; la prévalence de la psychose interictale chez les épileptiques est estimée à 19.4% dans les épilepsies généralisées et à 15.2% dans l’épilepsie du lobe temporal [254]. Il est indispensable de dépister ces comorbidités chez les patients épileptiques au moyen d’échelles standardisées et de questionnaires validés afin d’améliorer et de personnaliser la prise en charge de ces malades [255-260].

Il est actuellement admis que certains désordres psychiatriques partagent des variants génétiques communs avec l’épilepsie [261]. En effet, les études génétiques de recherche de variations en nombre de copies d’ADN (CNV), ont montré que dans certains cas, le même CNV se voit dans les affections psychiatriques et dans l’épilepsie [262]. Plusieurs études ont démontré une association entre des CNV récurrents rares avec l’épilepsie, l’autisme , la schizophrénie, le retard mental et le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) [263, 264]. Plus intéressante encore est l'observation qu'un même CNV peut contribuer au développement de plus d'un type de troubles neuropsychiatriques [265]. Cela a conduit à suggérer que la schizophrénie, l'autisme et la déficience intellectuelle sont plutôt des phénotypes chevauchants d’une anomalie commune du développement neural [266, 267].

4.3. Discussion des modes de transmission

Notre cohorte comprenait 13 familles avec épilepsie du lobe temporal (ELT): sept familles présentaient des caractéristiques compatibles avec une épilepsie mésiale du lobe temporal (crises focales simples avec des impressions de déjà-vu parfois associées à des vertiges ou des nausées, crises focales complexes avec suspension de la conscience) et six familles ont été diagnostiquées avec une épilepsie autosomique dominante avec crises à symptomatologie auditive (autosomal dominant temporal lobe

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epilepsy with auditory features ADEAF). Nous avons conclu à une transmission

autosomique dominante (AD) dans 76.9% de ces familles (Tableau 11). En effet, il est communément admis que ADEAF suit un mode d'hérédité AD avec pénétrance incomplète. Ainsi, en analysant les données provenant de 24 familles avec ADEAF et mutations du gène leucine-riche glioma inactivé (LGI), Rosanoff et Ottman ont constaté que la pénétrance globale de la maladie était de 67% et qu’elle ne variait pas en fonction du type de mutation ou de sa localisation dans le gène [268]. Hedera et al. ont décrit une famille caucasienne de quatre générations, dans laquelle onze individus présentaient des caractéristiques compatibles avec une épilepsie mésiale. Trois individus indemnes avaient des descendants présentant le phénotype, suggérant une transmission AD avec pénétrance incomplète [269].

L’épilepsie myoclonique juvénile (EMJ) a été diagnostiquée dans neuf familles. Les pedigrees étaient compatibles avec une transmission AD probable dans trois familles et autosomique récessive (AR) dans quatre familles. Dans les deux familles restantes, l'analyse des pedigrees suggérait la possibilité de plus d'un mode de transmission. A ce jour, le mode exact de transmission de l’EMJ n’est pas connu [270]; les rares études familiales et génétiques menée ont abouti à des résultats plutôt contradictoires : transmission AD, AR, maternelle ou complexe [229].

Nous avons posé le diagnostic d’épilepsie myoclonique progressive de type 1 (EMP1) chez trois familles avec une transmission sur un mode AR. EMP1 ou maladie d’Unverricht-Lundborg (Unverricht-Lundborg Disease ULD) est une maladie neurodégénérative AR, caractérisée par des myoclonies d’action, des crises tonico-cloniques, une ataxie cérébelleuse progressive et une préservation de la cognition [271]. Des mutations dans le gène codant pour la cystatine B (CSTB), un inhibiteur de la cystéine protéase, sont responsables de l’anomalie génétique sous-tendant l’EMP1[272]. Dans notre population d'étude, il y avait 9 familles avec phénotypes compatibles avec une épilepsie génétique avec convulsions fébriles Plus (EGCF+), une épilepsie à expressivité extrêmement variable au sein d’une même famille. Le mode de transmission semblait AD dans cinq d’entre elles, et AR dans deux autres. À notre connaissance, toutes les familles EGCF+ décrites dans la base de données OMIM15, suivent un mode de transmission exclusivement AD [273]. Récemment, Belhedi et al. ont

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décrit la première famille Tunisienne consanguine présentant une EGCF+ avec un mode de transmission AR. L’étude de liaison a permis d’identifier un nouveau locus sur le chromosome 22q13.31 [274]. Une autre famille d’origine Marocaine avec transmission AR de la maladie a également été décrite avec liaison en 8q12.1-q13.2 [275].

Le phénotype d’épilepsie absence de l’enfant à transmission AR a été identifié chez une seule famille consanguine avec trois enfants atteints. Une forme familiale d'épilepsie absence de l'enfant avec un mode de transmission AR a également été rapportée dans cinq familles tunisiennes consanguines [276].

Deux de nos familles (5%) avaient une épilepsie syndromique avec une transmission AR probable, pointant vers le rôle important de la consanguinité dans l'expression de variants récessifs rares.