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Le patient hémodialysé présente un risque de surexposition au BPA en raison de son accumulation résultant d’une incapacité à l’éliminer par voie urinaire et d’une exposition chronique par voie parentérale engendrée par un relargage à partir des dispositifs médicaux utilisés en HD (2–6). A ce jour, seul le BPA provenant des dialyseurs a été intégré dans l’évaluation des risques liés à cette exposition. Par ailleurs, l’eau pour hémodialyse, utilisée en grande quantité (environ 150 litres/séance) pour produire le dialysat et le liquide de substitution constitue une source d’exposition au BPA et aux ClxBPA jamais étudiée avant nos travaux. Enfin,

l’exposition liée au traitement par HDF n’a pas été décrite à ce jour.

Notre travail a pour objectif d’étudier l’exposition au BPA mais également aux dérivés chlorés du BPA chez le patient souffrant d’insuffisance rénale chronique terminale traité par HD conventionnelle ou HDF-Ol à travers 2 approches complémentaires. La première approche consiste à quantifier le BPA et les ClxBPA apportés par l’eau et l’ensemble des dispositifs médicaux utilisés en HD conventionnelle et en HDF-Ol. La

seconde approche étudie l’impact de cette exposition sur les concentrations urinaires

et plasmatiques de BPA et ClxBPA chez le patient traité par ces techniques. Choix méthodologiques

La majorité des travaux portant sur l’étude de l’exposition au BPA par le traitement en HD ont été réalisés en utilisant une méthode ELISA afin de quantifier le BPA. Cependant, cette méthode est critiquable en raison des réactions croisées liées à la non-spécificité des anticorps anti-BPA utilisés (184).

C’est pourquoi, nous avons choisi de mener nos analyses à l’aide d’une technique utilisant l’UPLC-MS/MS, méthode par ailleurs recommandée pour le dosage d’ultratraces de micropolluants (185). De plus, lors de la mise au point de nos méthodes de dosage, nous nous sommes attachés à les valider selon les recommandations internationales (ICH, FDA et NORMAN).

Par ailleurs, nous avons apporté une attention toute particulière à la maitrise de la contamination par le BPA, aussi bien lors du recueil des échantillons que lors de la réalisation des dosages. Cette précaution, jamais rapportée dans les études menées en hémodialyse, est pourtant essentielle étant donné le caractère ubiquitaire du BPA (186).

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Exposition au BPA et aux ClxBPA par l’intermédiaire de l’eau utilisée pour hémodialyse

Plusieurs études ont détecté du BPA et des ClxBPA dans différents milieux aquatiques ainsi que dans l’eau potable, malgré les différents traitements de purification (136). C’est pourquoi, nous nous sommes interessés à la présence de ces micropolluants dans l’eau pour hémodialyse servant à produire les fluides utilisés en HD conventionnelle et HDF. Nous avons mesuré les concentrations de BPA mais également des Clx-BPA à chaque étape de la production d’eau pour hémodialyse. Nous avons mis en évidence que le BPA et les Clx-BPA étaient présents dans la majorité des échantillons prélevés, dès l’entrée de la boucle de traitement d’eau, à chaque étape de sa purification ainsi que dans le dialysat utrapure et le liquide de substitution.

Parmi les ClxBPA détectés dans ces fluides, le DCBPA a été quantifié à des taux pouvant atteindre 14,5 ± 11.5 ng/L, environ 10 fois plus élevés que ceux retrouvés pour les autres dérivés chlorés (MCBPA, TCBPA et TTCBPA). Des études in vitro ont démontré que, parmi les ClxBPA, le DCBPA avait l'activité oestrogénique la plus importante: 38 à 105 fois plus élevée que le BPA (131,156).

Ces résultats soulignent l’inefficacité des systèmes de purification pour réduire la contamination par le BPA et les Clx-BPA de l’eau pour hémodialyse. Afin de limiter cette contamination, des procédés d’élimination pourraient être positionnés en fin de boucle de traitement d’eau. Certains auteurs ont proposé la photocatalyse ou l’ozonation comme méthode de dégradation du BPA dans l’eau (187,188).

Par ailleurs, en β01γ, l’ANSES a proposé l’utilisation des résines en polyuréthane comme alternative aux résines époxydes utilisées dans le revêtement intérieur des canalisations et à l’origine d’un relargage de BPA (189). Les résines en polyuréthane présentent une toxicité bien plus faible par rapport aux autres matériaux (190).

Exposition au BPA par l’intermédiaire des DM utilisés en HD

Nous avons étudié les quantités de BPA apportées par l’ensemble des dispositifs médicaux utilisés en HD et HDF. Le relargage de BPA a été mis en évidence pour l’ensemble des dispositifs testés: dialyseurs et ultrafiltres. De même, nous avons retrouvé du BPA dans les concentrés de dialyse utilisés pour la préparation du

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dialysat. En revanche, du fait de leur mode de fonctionnement, nous n’avons pas pu évaluer la part de BPA apportée par le circuit interne des générateurs de dialyse.

Seules les tubulures en PVC étaient exemptes de BPA conformément à

l’engagement des fabricants européens de ne plus l’utiliser dans la production de

PVC (166). Le PVC n’est toutefois pas exempt de PE. En effet, certains phtalates,

reconnus comme PE, sont toujours utilisés dans la fabrication des DM, en tant que plastifiants (191). D’ailleurs, plusieurs études ont démontré que les concentrations sanguines en phtalate augmentaient après une séance d’HD (192–195).

Parmi les DM utilisés en HD, nous avons démontré pour la première fois que les ultrafiltres utilisés pour produire le dialysat et le liquide de substitution, apportaient des quantités importantes de BPA. Ainsi, ces ultrafiltres, composés d’une coque en polycarbonate et d’une membrane de filtration en polysulfone, contribuent significativement à la contamination de ces fluides. Nos résultats ont montré que la contamination diminuait au cours de leur utilisation, suggérant l’intérêt de proposer une étape de rinçage avant leur utilisation en attendant que les industriels modifient la composition de ces dispositifs.

Nous avons démontré que tous les modèles de dialyseur testés pouvaient entrainer une contamination par le BPA. Nos travaux ont confirmé que des quantités significatives de BPA étaient relarguées par ces DM (provenant notamment des

coques en polycarbonate et des membranes en polysulfone) (3–6,170,172). Nous

avons mis en évidence que le rinçage des dialyseurs réalisé avant une séance de dialyse était essentiel afin de limiter l’exposition au BPA. Cependant, malgré cette étape recommandée par les fournisseurs afin d’éliminer les impuretés liées au processus de fabrication, des quantités importantes de BPA sont toujours présentes au niveau des deux compartiments du dialyseur. Cette donnée devrait alerter les industriels sur la nécessité de mettre en place des actions de rinçage plus efficaces, dès la production du dialyseur, afin d’en améliorer la sécurité.

Un autre moyen pour limiter cette exposition, serait de substituer le BPA par d’autres substances. En β01γ, l’ANSES a publié un rapport d’étude sur les alternatives possibles aux matériaux contenant du BPA. Concernant les membranes de dialyse, le polyéthersulfone semble être une alternative intéressante au polysulfone (170),

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identifié comme source de contamination par le BPA dans nos travaux. Cependant, ce polymère peut être synthétisé selon plusieurs méthodes dont certaines utilisent le bisphénol S (BPS) qui présente pourtant une activité œstrogénique similaire à celle du BPA. Le BPS est de plus en plus utilisé en tant qu’alternative au BPA alors que des incertitudes sur sa toxicité subsistent (196). Concernant la coque des dialyseurs, le copolymère Tritan™ (polyéthylène téréphthalate glycol) a été proposé en remplacement du polycarbonate. Cependant, il a été démontré que ce copolymère engendrait un relargage de BPA mais également d’un autre PE, le benzylbuthyl- phthalate (197).

Par ailleurs, même si des efforts sont entrepris par les industriels dans le choix des matériaux, la maitrise des contaminations croisées est complexe au cours du processus de fabrication et d’assemblage des DM qui peuvent notamment faire intervenir l’usage de colles pouvant elles-mêmes contenir du BPA (198).

A ce jour, les différentes alternatives pour remplacer le BPA n’ont pas encore fait l’objet d’études toxicologiques exhaustives, notamment vis-à-vis de leur effet perturbateur endocrinien. Les données concernant ces alternatives évoluant rapidement, il est important que les professionnels de santé concernés s’informent régulièrement sur ce sujet lors du choix des dispositifs médicaux.

Même si certains dispositifs médicaux sont étiquetés « BPA-free », principalement pour des raisons marketing, rien ne garantit qu’ils soient véritablement exempts de BPA. D’ailleurs, en β015, l’ANSM a missionné un groupe d’experts, afin de vérifier la composition de DM portant ce type d’étiquetage. Dans près de β/γ des cas, la mention apposée par les industriels était erronée (191). Nous avons fait le même constat en détectant du BPA en quantité importante au niveau des dialyseurs étiquetés « BPA free ».

Comparaison de l’exposition au BPA et aux ClxBPA selon la technique : HD conventionnelle vs. HDF

Nos résultats nous ont permis d’estimer qu’une séance d’HD conventionnelle pouvait exposer le patient à une dose de BPA de 140 ng/kg/j alors qu’en HDF, cette dose peut atteindre 442 ng/kg/j. Ces résultats sont très supérieurs à la dose déterminée

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comme source d’exposition au BPA (166). Ces valeurs restent inférieures à la dose

journalière tolérable (DJT= 4 µg/kg/j) proposée par l’EFSA. Cependant cette dose a

été établie sur la base d’une exposition par voie orale et non pas celle d’une exposition systémique. Or la biodisponibilité par voie orale est environ 100 fois plus faible que par voie systémique, voie par laquelle les patients sont exposés au BPA

lors des traitements par HD. A cette exposition au BPA, s’ajoute une exposition aux

ClxBPA pour lesquels la toxicocinétique n’a jamais été décrite ni aucune DJT proposée.

Alors que nos résultats indiquent que le risque d’exposition des patients traités par HDF est bien supérieur à celui des patients traités par HD conventionnelle, Quirogoa

et al. ont récemment rapporté que après HDF-Ol, les concentrations sériques de

BPA diminuaient significativement alors qu’elles étaient inchangées après HD

conventionnelle (199). Selon, ces auteurs, l’ajout du transport convectif de l’HDF-Ol

au modèle classique de diffusion de l’HD permet une clairance accrue du BPA. Toutefois, cette conclusion parait surprenante dans la mesure où l’effet convectif améliore la clairance des composés de poids moléculaire élevé et non des composés de bas poids moléculaire comme le BPA. Par ailleurs, cette étude, menée sur un nombre limité de patients (n=22) présente un biais dans la méthode de dosage utilisée (ELISA), ce qui peut remettre en question les conclusions de cette étude. D’autres études sont donc nécessaires afin d’étudier l’impact de l’exposition au BPA et aux ClxBPA chez le patient traité par HD et par HDF.

Impact de l’exposition au BPA et ClxBPA sur les concentrations sanguines Dans notre modèle simulant la dialyse et utilisant de l’eau, les concentrations de BPA sont identiques dans le compartiment sang et dialysat. Il serait cependant intéressant d’étudier les mécanismes de transfert du BPA et des ClxBPA en condition réelle à savoir en présence de sang. En effet, le BPA est fixé à plus de 90 % à l’albumine plasmatique, ce qui pourrait créer un gradient de diffusion de la forme libre en faveur d’une accumulation chez le patient et limiter son élimination par HD. De plus, de part son caractère lipophile, le BPA pourrait avoir une affinité plus importante pour le sang que pour le dialysat.

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Afin de confronter les résultats obtenus dans l’approche « milieu », il est nécessaire de développer un biomarqueur d’exposition chez le patient hémodialysé. Notre équipe a développé des méthodes reconnues comme méthodes de référence pour les dosages d’ultratraces de BPA mais également des Clx-BPA dans différentes matrices biologiques (lait maternel et colostrum) (128,176,200). Le dosage du BPA et des ClxBPA dans les urines a ses limites pour une étude menée chez des patients progressivement anuriques. Aussi, nous développons actuellement une méthode permettant le dosage du BPA et des ClxBPA dans le sang afin d’obtenir un marqueur d’exposition des patients traités par HD et HDF-Ol. Ce marqueur sera utilisé dans une étude pilote qui vient de débuter au CHU de Poitiers.

Cette étude observationnelle menée chez l’ensemble des patients traités par HD et HDF dans le service de Néphrologie-Hémodialyse et Transplantation rénale du CHU

de Poitiers a pour objectif principal d’évaluer la modification des taux plasmatiques

de BPA et Clx-BPA engendrée par une séance de traitement par HD ou HDF. L’objectif secondaire sera de comparer la modification des taux plasmatiques de BPA et Clx-BPA avant et après séance entre les deux techniques de traitement (HD et HDF). En fonction des résultats de cette étude pilote, une étude multicentrique sera envisagée afin d’intégrer d’autres procédés de traitement de l’eau et d’autres modèles de dispositifs d’hémodialyse.

Nos travaux permettront d’améliorer les connaissances sur l’exposition à ces PE en Hémodialyse et fourniront des informations destinées aux industriels, afin que soient optimisées la production des dispositifs médicaux et la production de l’eau utilisée en

HD et HDF mais également aux pharmaciens et néphrologues, afin d’optimiser le

choix des dispositifs et des méthodes de traitement. Plus largement, ces données devront être intégrées aux études de risque qui ne sont actuellement basées que sur la libération du BPA à partir des dialyseurs.

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Le 4 juillet 2017, la France, jusqu’alors opposée aux critères de définition des PE, a finalement voté la résolution proposée par la Commission européenne. Ce revirement a permis d’adopter ces critères dans le cadre de la législation européenne sur les pesticides. Malheureusement cette mesure reste insuffisante au regard des perturbateurs endocriniens présents de façon ubiquitaire comme le BPA, toujours présent dans les plastiques constituant les objets de la vie courante. Outre les femmes enceintes et les nourrissons, d’autres populations ont été identifiés comme à risque d’exposition au BPA par la communauté scientifique notamment les patients hémodialysés.

En effet, depuis 2015, le SCENIHR a évalué la dose d’exposition au BPA chez les

patients souffrants d’IRCT et traités par HD, cependant cette dose demeure très inférieure à celle que nous avons estimé en HD mais également en HDF.

Nos travaux ont permis de mettre en évidence le relargage du BPA par l’ensemble

des DM utilisés dans ces techniques de suppléance. Le BPA mais également ses dérivés chlorés ont été également quantifiés dans l’eau pour hémodialyse servant à produire le dialysat ainsi que le liquide de substitution. Ces données pourraient servir à l’élaboration de recommandations (qualité de l’eau et composition des dispositifs médicaux) concernant l’amélioration de la sécurité du patient traité par HD et HDF- Ol.

Les ClxBPA considérés comme 100 fois plus œstrogéniques que le BPA doivent également être pris en compte même si actuellement aucune dose journalière tolérable n’a encore été publiée.

Afin d’évaluer l’apport réel de BPA et de ClxBPA chez ces patients, nous avons développé des méthodes analytiques, notamment dans l’urine. Parallèlement, pour permettre d’étudier l’exposition au BPA et aux ClxBPA chez les patients anuriques nous avons réalisé une étude préliminaire pour le dosage de ces PE dans le plasma par UPLC-MS/MS.

Ces travaux vont nous permettre de mettre en place une étude clinique dont l’objectif

sera d’évaluer la contribution d’une séance de dialyse sur les concentrations

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l’accumulation de ces micropolluants au fur et à mesure des séances. De plus, cette étude permettra de comparer l’impact des techniques d’hémodialyse (HD

conventionnelle versus HDF) sur l’exposition des patients hémodialysé au BPA et

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Annexe n°1

Talanta 125 (2014) 284–292

Contents lists available at ScienceDirect

Talanta

journal homepage: www.elsevier.com/locate/talanta

Reliable quantification of bisphenol A and its chlorinated derivatives

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