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Les résultats de ce travail nous ont permis de mettre en évidence l’implication de 3 nouveaux gènes dans la survenue de l’OAVS : ZYG11B, ZIC3, et EYA3. Par ailleurs, 2 autres gènes candidats ont été retenus pour faire l’objet d’analyses fonctionnelles : SIX5 et SNRNP70. Enfin, 3 diagnostics différentiels de l’OAVS ont pu être réalisés grâce à cette étude, concernant les gènes SOX5, EFTUD2 et EYA1. Si cette étude ouvre la voie à une meilleure compréhension des mécanismes moléculaires de l’OAVS, les différents outils utilisés ont montré certaines limites, qu’il convient de souligner.

Limites et évolution des approches génomiques

Les études ayant permis l’identification des gènes ZYG11B, ZIC3, EYA3, SIX5 et SNRNP70 ont débuté par la réalisation d’un séquençage de l’exome, réalisé soit en stratégie simplex, où seul le cas index fait l’objet d’un séquençage, soit dans l’optique de filtrer les variants via l’analyse conjointe des données d’apparentés atteints ou non.

Le séquençage de l’exome est désormais très largement utilisé dans la recherche des déterminants génétiques des maladies rares, et a permis en quelques années des découvertes majeures dans ce domaine. Le rationnel de l’utilisation du séquençage de l’exome, plutôt que du génome, est que 1) on estime qu’environ 80% à 90% des variants responsables de maladies mendéliennes sont situés en région exonique 2) l’interprétation des variants situés en région non codantes reste à l’heure actuelle encore trop complexe 3) le coût en réactif, le type de

168 système de séquençage, ainsi que l’informatique associée (transfert, stockage des données, puissance de calcul, etc…) rendent l’analyse d’exome plus accessible. Dans le cas de l’OAVS, comme dans le cas d’autres syndromes apparentés (VACTERL, MURCS, etc…), des études par analyse d’exome ont permis de mettre en évidence différents gènes causaux. Cependant, ces gènes n’expliquent à chaque fois qu’un faible pourcentage des cas, malgré l’application de plus en plus fréquente du séquençage de l’exome dans des cohortes de patients. Ainsi, l’une des explications possibles serait que les mutations responsables peuvent se situer majoritairement dans des régions habituellement non couvertes par l’exome, ou difficilement séquencées par technologie short-reads : introns profonds, UTR, miR, lncRNA, régions régulatrices, etc… Par ailleurs, certains types de variants ne peuvent pas être détectés : variants de structures équilibrés, répétitions de triplets, etc… A titre d’exemple, on pourra noter que la répétition d’Alanines mis en évidence dans le gène ZIC3 a été difficilement identifiée par séquençage en short-reads. Ces difficultés expliquent le fait que l’estimation de la fréquence de ce variant est considérée comme douteuse par la base de données GnomAD. De plus, l’identification d’un variant dans le gène

SNRNP70 soulève l’hypothèse d’une implication des mécanismes de l’épissage alternatif de

l’exon 7a, or celui-ci n’est pas couvert par différents kits d’exome commercialisés, de même que l’intron 7, dans lequel peuvent se situer des régions régulatrices de l’épissage.

La possible non détection de variants causaux situés sur le chromosome X, dans l’hypothèse d’une transmission familiale liée à l’X, nous a ainsi poussé à réaliser un séquençage de génome dans l’étude ayant identifié le variant p.Ala55dup du gène ZIC3, en complément des séquençages d’exomes précédemment réalisés. Afin d’éviter cette stratégie en 2 temps, la réalisation du séquençage du génome en 1ère intention dans l’étude de l’OAVS semble justifiée.

169 Par ailleurs, le séquençage de multiples apparentés, constituant le plus souvent le trio parents-enfant, est souvent utilisé. Cette stratégie permet d’augmenter la puissance de l’étape de filtrage, en cherchant à identifier les variants ségrégeant selon une hérédité mendélienne parmi les atteints et non atteints. Cependant, notre expérience montre que cette stratégie est difficilement applicable, ou même source de faux résultat négatif dans le cadre de l’OAVS, du fait de la pénétrance incomplète et de l’expressivité variable de ce spectre. Ainsi, la présence d’un variant chez un cas index hérité de l’un de ces deux parents sains, comme c’est le cas pour SIX5, ne peut suffire à l’exclure. De fait, la réalisation d’analyses génomiques sur les cas index seuls nous semble plus pertinente, bien qu’il reste intéressant de vérifier par la suite la ségrégation des variants identifiés.

Enfin, de nombreuses études288,289 associent désormais à la réalisation du séquençage du génome d’autres technologies issues du séquençage NGS, comme le RNA-Seq, ChIP-seq, ATAC-seq, etc… appartenant à l’ensemble défini comme technologies OMICs, et appliquées à des prélèvements des patients (sang, biopsies cutanées, culture de fibroblastes, etc…). Si celles-ci permettent d’obtenir des données complémentaires sur l’expression génique et sa régulation, et ont prouvé leur utilité pour mettre en évidence les déterminants génétiques de maladies rares, ces analyses sont fortement dépendantes du tissu sur lequel elles sont réalisées. En effet, ce tissu cible doit être choisi en fonction des mécanismes physiopathologiques supposés de la maladie étudiée, et de la fonction et du profil d’expression du gène identifié. Dans le cas de l’OAVS, ce choix du meilleur tissu cible n’est pas encore défini. S’agissant de malformations se constituant durant les périodes embryonnaires et fœtales, il est possible que les conséquences moléculaires détectables par ces technologies ne soient plus présentes dans

170 les tissus adultes. Par ailleurs, si ces atteintes sont caractérisées par des atrophies, hypotrophies, ou la présence de tissus ectopiques dans le cas du dermoïde épibulbaire, il est possible qu’une fois les malformations constituées, le fonctionnement cellulaire ne soit pas affecté. Ainsi, les modalités d’utilisation des technologies OMICs dans l’OAVS restent à déterminer, et passeront sans doute par une application sur modèles animaux ou cellulaires, comme cela a été le cas avec la réalisation d’analyses en protéomique dans les études portant sur ZYG11B et EYA3.

ZYG11B et EYA3 : pertinence des analyses fonctionnelles en aval

Différentes analyses fonctionnelles ont pu être réalisées en aval de la mise en évidence de variants dans les gènes ZYG11B et EYA3. Celles-ci ont été menées sur deux modèles possibles : des cellules Hela en culture, et un modèle zebrafish.

Les cellules HeLa constituent l’un des modèles cellulaires les plus largement étudiés en biologie, du fait de leur facilité d’utilisation, et ce malgré l’existence de cross-contaminations par d’autres lignées cellulaires290. On notera cependant que les analyses du génome et du transcriptome de cellules HeLa ont montré que celles-ci diffèrent significativement des tissus normaux pour de nombreuses voies physiopathologiques, telles que la réparation de l’ADN291. Cette voie étant à l’étude concernant l’OAVS, les résultats obtenus pourraient ne pas refléter les mécanismes cellulaires ayant lieu à l’état physiologique. Par ailleurs, si ce modèle permet d’étudier les conséquences des mutations aux échelles moléculaires et cellulaires, il ne permet

171 évidemment pas l’exploration des phénomènes tissulaires, comme la migration des cellules issues des crêtes neurales, la vascularisation, etc… dont la compréhension apparaît fondamentale dans l’OAVS.

A l’inverse, le modèle zebrafish (Danio rerio) permet d’apprécier ces paramètres par études morphologique et histologique, et est spécifiquement adapté à l’étude des anomalies cranio-faciales292,293. Ce modèle animal possède de nombreux avantages dans la modélisation des maladies génétiques humaines294 : nombreux individus par ponte, croissance rapide, transparence des embryons, facilité d’utilisation de morpholinos pour l’inactivation transitoire de gènes, possibilité de CRISPR-Cas9 tissu spécifique, etc... Cependant, différents écueils existent, spécifiques au développement cranio-facial de cette espèce. Chez le poisson zèbre, le palais est dérivé du neurocrâne antérieur, alors que chez l’humain, il provient de la fusion des bourgeons maxillaires292. De plus, le développement du crâne est plus lent que chez la souris et le poulet par exemple, intervenant plus tard durant le développement embryonnaire295. Par ailleurs, ce modèle ne permet pas de tester l’impact de facteurs maternels jouant un rôle majeur dans les stades embryonnaires précoces du développement cranio-facial, indépendamment du génotype de l’embryon296,297. Enfin, l’un des principaux obstacles à la modélisation des variants existants chez les patients est la duplication du génome existant chez les téléostéens, avec bien souvent l’existence de deux paralogues pour un orthologue humain, comme dans le cas du gène

ZYG11B. On notera également de possibles différences de résultats chez cette espèce entre les

expériences d’inactivation transitoire par morpholinos, et de KO par CRISPR-Cas9, dus à une compensation induite par Upf3a et le complexe COMPASS201.

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Hypothèses concernant les mécanismes moléculaires de l’OAVS Une multiplicité de voies physiopathologiques

L’ensemble des recherches réalisées ces dernières décennies permet d’entrevoir l’enchevêtrement des différentes voies physiopathologiques impliquées dans la survenue de l’OAVS.

Sur le plan moléculaire, si l’on s’en tient aux seules causes rapportées chez plusieurs patients, des variants de nature très différentes ont pu être mis en évidence : variant ponctuel faux-sens ou non-sens entraînant une perte de fonction (MYT159,88), une localisation cellulaire aberrante (ZYG11B258) ou une stabilisation de la protéine (EYA3), allongement d’une séquence d’acides aminés répétés (ZIC3259), variant de structure à type de duplication d’un gène unique (OTX2156), d’une séquence régulatrice (HMX1164), ou d’une grande région génomique (22q1117). De même, les facteurs environnementaux pour lesquels les preuves de l’implication sont les plus fortes sont très divers : le diabète maternel, l’acide rétinoïque et le mycophénolate mofetil par exemple. Ces différentes causes vont agir sur différentes voies d’aval, ayant elles-mêmes des conséquences cellulaires (réparation de l’ADN, synthèse de novo de nucléotides, splicéosome, etc…), puis tissulaires (vascularisation, latéralisation, migration des cellules de la crête neurale, etc…) différentes.

Les liens de causalité entre ces différents éléments, et leur poids respectif dans la survenue de l’OAVS sont encore totalement inconnus. Il n’est cependant pas improbable qu’une voie

173 physiopathologique majeure finisse par émerger, à la suite de l’identification de nouvelles causes moléculaires de l’OAVS, grâce notamment à l’application des technologies OMICs telles que précédemment mentionnées. Dans le cas du syndrome de Treacher-Collins par exemple, il a pu être montré que des variants, entraînant la perte de fonction de protéines intervenant dans les complexes d’ARN polymérase, induisent une diminution de la biogenèse des ribosomes, aboutissant à une stimulation de la voie p53, une mort cellulaire et l’apparition des malformations cranio-faciales avec hypoplasie malaire et mandibulaire239. Si les mécanismes moléculaires aboutissant à l’OAVS ne sont pas encore connus avec ce degré de précision, l’application du même effort de recherche que dans le syndrome de Treacher-Collins pourrait in fine aboutir à leur décryptage.

Hypothèses : épigénétique, mosaïque, oligogénisme, environnement ?

Le fait que chaque cause génétique identifiée n’explique qu’une faible proportion des cas doit cependant inciter à la prudence, et faire poser l’hypothèse de l’implication de facteurs non explorés par les différents travaux, généralement centrés sur les parties codantes du génome. L’existence de duplication d’éléments régulateurs du gène HMX1, ou l’hypothèse de variants régulant l’épissage de SNRNP70 prouvent par exemple que l’exploration de l’ensemble des variants non codants doit être considérée dans l’OAVS. Si l’ensemble des événements épigénétiques existants pourrait également être suspecté, leur exploration dépend du tissu

174 d’intérêt considéré, ce qui est une difficulté majeure dans l’OAVS comme précédemment évoqué.

Le caractère asymétrique des atteintes a pu suggérer l’existence d’une mutation somatique dans les tissus du côté atteint, comme c’est le cas classiquement dans les syndromes CLOVES298, de Protée299, ou de Sturge-Weber300. Cette hypothèse expliquerait également l’existence de jumeaux monozygotes discordants pour l’OAVS. Cependant, si les atteintes de l’OAVS sont asymétriques, elles ne sont pas, dans la plupart des cas, unilatérales : ainsi, même à des degrés différents, les deux côtés sont atteints, ce qui ne correspond pas à une distribution en mosaïque. Par ailleurs, les différents organes atteints dans l’OAVS n’ont pas une origine embryologique unique, qui pourrait expliquer qu’une mutation somatique puisse les impacter tous, même à supposer que celle-ci apparaisse dans une population de cellules progénitrices des cellules de la crête neurale. De plus, l’hypothèse de mutations somatiques ne pourrait pas expliquer l’existence de formes familiales avérées d’OAVS301.

L’hypothèse oligo ou multi-génique peut également être évoquée, afin d’expliquer notamment la pénétrance incomplète et l’expressivité variable de ce spectre. Il a pu être démontré pour d’autres pathologies présentant des caractéristiques similaires que la combinaison de facteurs génétiques impactant plusieurs gènes pouvait être à l’origine des symptômes, notamment la cardiomyopathie hypertrophique302, l'arthrogrypose303, et l’holoprosencéphalie304 - dont deux des gènes majeurs, ZIC2 et SIX3, appartiennent aux mêmes familles de protéines que les gènes

175 Les facteurs environnementaux sont suspectés de longue date d’être impliqués dans la survenue de l’OAVS. Cependant, parmi les très nombreux toxiques rapportés, peu d’entre eux ont pu faire l’objet de multiples publications indépendantes, et présentant un phénotype assez spécifique pour résumer les atteintes de l’OAVS. Nous pouvons citer parmi les meilleurs candidats l’acide rétinoïque, et le mycophénolate mofétil. Des investigations plus poussées concernant les expositions in utero pourraient être menées lors de la constitution de cohortes de patients OAVS. Par exemple, des questionnaires toxicologiques détaillés ont été utilisés dans l’étude de l’holoprosencéphalie305. Par ailleurs, des analyses toxicologiques sur cheveux en post-partum permet de caractériser les expositions aux toxiques durant la grossesse, avec le détail de ces expositions par trimestre306. De plus, ces facteurs environnementaux peuvent être investigués grâce à des modèles animaux, et permettent d’identifier par la suite des voies physiopathologiques et des gènes candidats. Cette approche a notamment été utilisée par notre équipe, grâce à l’étude en protéomique d’un modèle zebrafish exposé à l’acide rétinoïque89.

On notera enfin que l’ensemble de ces hypothèses existe pour d’autres entités syndromiques dont les causes moléculaires sont inconnues, et ont notamment été évoqués dans l’étude de Lehalle et al. portant sur le syndrome oculo-auriculo-fronto-nasal, dont les atteintes sont proches de celles de l’OAVS307.

Méthodes statistiques innovantes en génomique

Des méthodes statistiques adaptées aux données issues des analyses génomiques réalisées dans le cadre des maladies à pénétrance incomplète ont été développées. Les analyses de type

176 “Burden test” permettent notamment d’identifier un excès de variants impactant un gène, ou une voie physiopathologique, entre des cohortes de patients et de témoins sains. Cette méthode a été appliquée par exemple à l’étude des gènes responsables d’hypogonadisme hypogonadotrope308, et d'anévrisme intracrânien familial309 . L’avantage de ce type d’analyse est qu’il n’est pas dépendant de choix de critères préétablis, comme peut l’être un pipeline de filtrage de variants classiquement appliqué aux analyses d’exomes. Cette stratégie pourrait être ainsi appliquée à l’OAVS, une fois réalisée l’acquisition de données d’un nombre suffisant de patients.

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