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Les plantations d’épinette noire de 30 ans du lac Huguette présentent globalement des caractéristiques d’habitats assez comparables à ce qu’on retrouve dans des peuplements naturels de seconde venue, de même composition et du même âge, en termes d’obstruction latérale et d’obstruction verticale (degré de fermeture de la canopée). Les données dendrométriques (composition en essences, surface terrière marchande, volume marchand, DHP) et le nombre d’arbres fruitiers à l’hectare sont très semblables. Le nombre de tiges marchandes est cependant supérieur dans les peuplements naturels, ce qui est tout à fait compréhensible considérant que ces peuplements ont été laissés en évolution naturelle et soumis au processus d’auto-éclaircie. La distinction principale se retrouve au niveau des chicots et des débris ligneux au sol, dont les valeurs sont de 5 à 6 fois inférieures dans les plantations.

La principale lacune au plan de la biodiversité se retrouve particulièrement au niveau de l’absence de chicots de gros diamètres (DHP ≥ 30 cm) qui sont importants pour les espèces fauniques dépendantes de cavités comme le grand pic et la martre d’Amérique. Cockle et al.

(2011) ont démontré que pour l’Amérique du Nord, les espèces nichant dans les cavités sont largement dépendantes des excavateurs primaires, dont les pics. Quant aux travaux de Martin et al. (2004), ils ont étayé le rôle fonctionnel clé des pics dans les forêts de la zone biogéoclimatique intérieure de sapin de Douglas de la Colombie-Britannique. Les picidés sont donc très sensibles aux impacts de l’aménagement forestier (Drapeau et al. 2009). Comme le rapporte Angers et al. (2011), la séquence des travaux menant à une plantation ne favorise pas le maintien et le recrutement de bois mort. De plus, la préparation du site a pour effet d’écraser les gros débris ligneux du peuplement d’origine. Nos travaux vont dans le sens de ces observations.

Selon Harvey (2009), les plantations supportent une biodiversité moindre que les peuplements naturels, du fait de l’homogénéité des essences reboisées et des travaux sylvicoles réalisés pour favoriser la survie et la croissance des plants. Dans le cadre de cette étude, nous n’avons pu observer de différences dans la composition, l’abondance et la diversité des espèces fauniques entre les plantations d’épinette noire et les peuplements naturels. Cette observation s’appuie sur un suivi échelonné sur quatre ans, mais n’est valable que pour les plantations examinées, de même que pour la durée de l’étude. Globalement, les densités d’oiseaux forestiers et les communautés d’espèces sont les mêmes que celles trouvées dans les peuplements naturels. Nous avons noté toutefois la quasi-absence d’espèces d’oiseaux associées au bois mort dans les plantations. Même si ces espèces n’ont pas aussi été détectées dans les peuplements naturels, les signes d’excavation sur les gros chicots laissés sur place lors de la coupe du peuplement d’origine indiquent qu’elles ont fréquenté à un moment ou l’autre ces peuplements, avant, après ou entre les journées d’inventaire.

Des cinq espèces d’oiseaux les plus abondantes dans les plantations, quatre sont des espèces associées aux forêts fermées, dont certaines, comme le roitelet à couronne dorée et la paruline à poitrine baie, sont des espèces que l’on retrouve dans les forêts matures non aménagées (Venier et Pearce 2005; St-Laurent et al. 2008). La paruline à tête cendrée, qui est une espèce généraliste pouvant exploiter différents types de milieux, est l’espèce la plus abondante.

Au cours de la durée de cette étude, aucun changement dans la densité des oiseaux des forêts fermées, qui est le principal groupe en importance, n’a été observé après l’ouverture des plantations d’épinette par l’éclaircie commerciale, et ce, peu importe la modulation et l’intensité de l’éclaircie pratiquée. Même si des changements significatifs sont survenus dans l’obstruction latérale et la fermeture de la canopée, l’éclaircie commerciale a permis de maintenir des habitats adéquats pour ce groupe d’espèces. Ces résultats sont contraires à ceux trouvés par

Germaine et Vessey (1997) dans des forêts de feuillus tolérants soumises à des coupes partielles par trouées au Vermont. Par contre, des résultats similaires aux nôtres ont été trouvés par Leupin et al. (2004) dans des forêts de sapin subalpin et d’épinette d’Engelmann en Colombie-Britannique soumises à un prélèvement de 30 % du volume marchand, ainsi que par Haché et al. (2013) dans des peuplements de feuillus tolérants soumis à des coupes partielles au Nouveau-Brunswick. Vanderwel et al. (2009) et Harrison et al. (2005) dans le nord-ouest de l’Alberta n’ont pas détecté d’effets significatifs des coupes partielles sur l’abondance des oiseaux associés aux forêts matures lorsque le taux de rétention était de l’ordre de 70 % à 75 %. Nos résultats iraient dans le sens de ces dernières publications. Ainsi, à l’échelle du dispositif du lac Huguette et pour la période couverte par le suivi post-traitement, nous estimons, comme ces auteurs, que les éclaircies commerciales n’ont donc pas eu d’effets mesurables sur les densités d’oiseaux ni sur les indices de biodiversité (Shannon) et de richesse spécifique des oiseaux forestiers dans les blocs.

Des changements ont été observés dans la densité des oiseaux associés aux forêts ouvertes, mais qui ne sont pas en lien avec le type d’éclaircie commerciale pratiquée. En fait, des augmentations de la densité de ce second groupe d’espèces en importance ont été mesurées dans les plantations soumises à l’éclaircie à intensité variable et, paradoxalement, dans les plantations soumises à une éclaircie de faible intensité (25 %), mais ces augmentations ne se sont pas maintenues pour la durée de l’étude. Nous croyons que la présence de micro-ouvertures dans les peuplements, et ce, peu importe qu’ils aient été éclaircis ou non, est le principal facteur qui explique les variations de densités des espèces d’oiseaux d’ouverture.

Forsman et al. (2010) ont documenté l’importance des petites trouées pour plusieurs groupes d’oiseaux nicheurs forestiers dans une méta-analyse réalisée sur des travaux publiés pour l’Amérique du Nord. Dans le cadre de notre étude, l’obstruction verticale et le nombre de tiges à l’hectare dans les blocs expérimentaux se sont avérés les variables qui expliquent le mieux les variations des densités des oiseaux associées aux forêts ouvertes.

Les plantations d’épinette noire, à l’instar des peuplements naturels, sont des habitats sous-optimaux pour des espèces dépendantes d’un couvert latéral et vertical comme le lièvre d’Amérique et la gélinotte huppée. Les faibles densités trouvées pour ces deux espèces sont cohérentes avec les valeurs moyennes de ces deux variables d’habitat. L’éclaircie commerciale a rendu ces milieux encore moins intéressants à court terme pour ces deux espèces, tout comme le rapporte Lycke et al. (2011) pour le tétras du Canada, une espèce qui dépend elle aussi d’un haut degré d’obstruction, mais qui n’a pu être détectée dans la présente étude.

La production de brout dans les plantations d’épinette noire non traitées (témoins) du lac Huguette n’était pas différente des peuplements régénérés naturellement, à l’inverse de ce que Boan et al. (2011) ont rapporté pour les peuplements d’épinette noire du nord de l’Ontario. Au lac Huguette, l’ouverture des plantations par l’éclaircie a eu pour effet de stimuler l’établissement de la strate arbustive en sous-étage. Le nombre de tiges à l’hectare a augmenté après traitement, quoique les différences n’étaient pas statistiquement significatives. La densité de tiges à l’hectare après éclaircie se rapproche des valeurs trouvées par Dussault et al. (2006) dans les peuplements recherchés pour l’alimentation et qui sont de l’ordre de 10 000 tiges/ha.

En ce qui a trait à la qualité du couvert de protection, l’ensemble des secteurs se situe au-delà de 13 m²/ha de surface terrière, valeur minimale déterminée par Dussault et al. (2006) pour offrir un bon couvert de protection thermique et climatique. Il s’avère consensuel que la qualité de l’habitat de l’orignal soit largement dépendante de l’entremêlement des deux types d’attribut d’habitat plutôt que de la présence de l’un ou de l’autre (Samson et al. 2002, Dussault et al.

2004, 2005 et 2006). Cela laisse supposer que les plantations traitées deviendront plus intéressantes pour cet ongulé au cours des prochaines années.

Même si la production de ramilles n’est pas encore au rendez-vous, la tendance affichée dans les blocs traités laisse présager une réponse positive à venir au cours des prochaines années.

Nos résultats vont dans le sens de Ross et al. (1986) qui a documenté une faible production du brout dans les peuplements résineux de 30 ans, et ce, peu importe l’origine du peuplement (plantation ou naturel). Ils attribuent cet effet à la densité et à la fermeture du couvert propres aux peuplements de ce stade qui diminuent la pénétration de la lumière au sol.

Le pourcentage de ramilles broutées par l’orignal a augmenté entre les deux années de prises de données (2009 et 2013). On ne peut relier cette observation aux traitements d’éclaircie commerciale puisque le taux de broutement a aussi augmenté dans les plantations non traitées (tableau 6). Aucune donnée d’inventaire de la population d’orignaux de la réserve faunique de Rimouski n’est disponible pour la période à l’étude, de sorte qu’on ne peut expliquer la fréquentation accrue des blocs du dispositif par une augmentation de la densité d’orignaux sur le territoire. Ce cervidé ayant un domaine vital variant de 5 à 20 km2 en moyenne (Dussault et al. 2006), il est possible que la présence accrue de l’espèce dans les blocs du dispositif en 2013 soit plutôt de nature fortuite.

L’étude récente réalisée en Chaudière-Appalaches (Agence régionale de mise en valeur des forêts privées de la Chaudière et ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs 2013) indique que la fouille active a permis un plus grand dénombrement d’amphibiens que la méthode des planchettes. Ce résultat peut paraître surprenant, car plusieurs études comparant l’efficacité de différentes méthodes d’inventaire de salamandres indiquent que la méthode des planchettes semble fournir des résultats comparables aux autres méthodes, incluant la fouille active (Hesed 2012). Quoi qu’il en soit, dans notre étude, aucune salamandre terrestre n’a été détectée au moyen de la recherche active, concordant avec la très faible abondance de spécimens détectés au moyen de la méthode des planchettes.

Le fait d’avoir utilisé des panneaux d’aggloméré pour la fabrication de nos planchettes pourrait avoir réduit la probabilité d’utilisation de celles-ci par les salamandres. Les planchettes de contreplaqué abriteraient une plus faible abondance de salamandres que les abris naturels (Houze et Chandler 2002), ce type de matériau pouvant mener jusqu’à une absence totale de salamandres (McDade et Maguire 2005, In Hesed 2012). Ces deux études précisent que le sol sous les planchettes était généralement sec, même après des précipitations importantes. La partie centrale du substrat abrité par le contreplaqué aurait tendance à être plus chaude et plus sèche. Les abris artificiels conçus avec du bois naturel (pin, épinette, etc.) fourniraient ainsi des conditions thermiques plus stables que les planchettes en contreplaqué (Hesed 2012).

Néanmoins, lors des visites de notre dispositif, nous avons pu remarquer que le substrat sous nos planchettes était relativement humide et qu’une proportion importante des planchettes abritait une faune invertébrée (vers de terre, limaces, etc.) relativement abondante et typique de conditions humides. De plus, la recherche active des débris ligneux existant le long des transects n’a permis de détecter aucune salamandre. Ces observations portent à croire que la très faible abondance de salamandres détectées dans notre étude serait due à d’autres facteurs que le type de matériau utilisé pour la fabrication des planchettes.

L’activité hors terre des salamandres est corrélée avec la densité du couvert arbustif de bas étage et l’épaisseur de la litière de feuilles (Pough et al. 1987). Les salamandres terrestres fréquentent généralement cette litière de feuilles qui maintient les conditions d’abris et d’humidité favorables. Les peuplements couverts dans notre étude abritaient principalement des conifères et le substrat était essentiellement jonché d’aiguilles de résineux. Cette litière d’aiguilles offre peu d’abris contre les prédateurs et maintient plus difficilement les conditions d’humidité requises pour favoriser l’activité et les déplacements des salamandres. Les rares

surfaces abritant une litière de feuilles n’étaient présentes que dans les ouvertures où les feuillus ont pu s’établir. De plus, la strate arbustive était pratiquement absente dans la majorité des secteurs étudiés.

Malgré que plusieurs études sur les coupes totales aient démontré des effets négatifs sur l’abondance des salamandres (Petranka et al. 1993, Dupuis et al. 1995, Ash 1997), il existe de très grandes disparités quant au temps requis pour que les populations de salamandres puissent se rétablir à des niveaux comparables à ceux précédant les coupes. La période de temps requise pour un tel rétablissement des populations de salamandres terrestres a été estimée entre 25 et 70 ans dans la région des Appalaches américaines (Petranka et al. 1993, Ash 1997, Harper et Guynn 1999, Homyack et Hass 2009). Dans la région de Chaudière-Appalaches, plus près de notre aire d’étude, des travaux récents ont révélé que la salamandre cendrée peut être présente dans des peuplements de 30 ans (Agence régionale de mise en valeur des forêts privées de la Chaudière et ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs 2013), quoiqu’en densités relativement faibles. Cette étude a été réalisée dans la région bioclimatique de l’érablière à bouleau jaune où les conditions édaphiques sont différentes et l’abondance de feuillus généralement plus élevée que dans la région bioclimatique de la sapinière à bouleau jaune où nos travaux ont été réalisés.

Une étude réalisée dans la même région bioclimatique (Trottier 2006) que la nôtre permet une meilleure compréhension de nos résultats concernant les salamandres terrestres. L’âge des peuplements étudiés a été regroupé en trois grandes classes, soit 0-20 ans, 20-60 ans et plus de 60 ans. Une quasi-absence de salamandres a été observée dans la plus jeune des classes d’âge, près de 95 % des individus étant capturés dans les deux autres classes. Par contre, il n’y avait aucune différence significative dans l’abondance des salamandres dans les peuplements des deux autres classes d’âge. Cette absence de différence pourrait facilement être attribuable à la classification utilisée. Comme plusieurs études réalisées plus au sud indiquent que le temps de rétablissement après coupe des populations de salamandres va au-delà de 25 ans, on pourrait s’attendre à ce que, sous nos latitudes où les conditions sont plus rigoureuses et dans la sapinière à bouleau jaune où les conditions édaphiques peuvent être différentes, la période de rétablissement soit plus importante. Nous croyons que les résultats de Trottier (2006) sont confondants en raison du fait que la classe d’âge 20-60 se trouve à inclure plusieurs peuplements de 20 à 30 ans qui sont susceptibles de ne pas être favorables aux salamandres comme nos résultats semblent l’indiquer. Si la classe 20-60 ans avait pu être subdivisée, une plus faible abondance de salamandres aurait vraisemblablement pu être obtenue dans la plus jeune des classes. Comme les peuplements dans lesquels nous avons réalisé nos travaux étaient tous âgés de 30 ans, il est possible que ceux-ci ne présentaient pas encore les conditions propices au rétablissement de populations de salamandres.

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