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Désormais, il est bien admis que le traitement des pathologies rénales chroniques devra faire appel non pas au blocage d’une seule voie, mais à des combinaisons thérapeutiques qui permettront de potentialiser l’effet sur la fibrose, restaurer un rein fonctionnel et limiter le risque d’effet secondaire.

Une des caractéristiques principales de ces maladies, outre le développement de la FTI, est une inflammation persistante qui est un marqueur de mauvais pronostic pour la progression vers l’insuffisance rénale (Klahr S. et al. 1988; Nath K.A. 1992). Malgré l’émergence d’un grand nombre de cibles et de stratégies thérapeutiques prometteuses, à l’heure actuelle, aucune molécule rapidement disponible en clinique ne permet de cibler et de réduire l’inflammation rénale chronique sans bloquer d’autres fonctions physiologiques importantes.

Dans cette thèse, je présente les premières données laissant supposer que le blocage du B1R pourrait être une stratégie prometteuse afin de limiter l’inflammation rénale chronique et ainsi bloquer le développement de la fibrose rénale. Plusieurs preuves expérimentales supportent cette hypothèse : i) nous avons montré que le B1R était induit au niveau rénal chez l’Homme au cours de néphropathies associées à l’inflammation et ii) nous avons montré que le traitement retardé du B1R avec un antagoniste non-peptidique disponible oralement permettait de bloquer l’inflammation et de ralentir le développement de la FTI dans deux modèles expérimentaux.

Alors que le B1R est indétectable dans les biopsies contrôles ou chez les patients souffrant de MCNS, deux situations où l’on ne détecte pas d’inflammation, nous montrons que le récepteur est induit au cours de néphropathies chroniques. Nous avons ainsi pu mettre en évidence qu’en conditions inflammatoires, le B1R était exprimé par les cellules tubulaires, dans l’interstitium rénal chez des patients atteints de HSPN, mais également dans les croissants glomérulaires chez des patients souffrant de microvascularite à ANCA. Ces données confirment les résultats obtenus dans l’étude de Kahn et al. dans laquelle les auteurs ont montré une augmentation de l’expression des kinines dans les croissants glomérulaires et les cellules épithéliales tubulaires d’enfants atteints de vascularites (Kahn R. et al. 2002). Bien qu’il ait été montré préalablement que le B1R pouvait être exprimé par les macrophages et les fibroblastes (Marceau F. et al. 1998; Ricupero D.A. et al. 2000), des études supplémentaires seront nécessaires afin d’identifier plus précisément quelles sont les cellules interstitielles exprimant le récepteur.

On peut noter que depuis cette première étude, d’autres résultats obtenus au sein de notre laboratoire ont montré que le B1R était faiblement exprimé sur des biopsies de transplants rénaux, sûrement en rapport avec le stress d’ischémie-reperfusion, mais que cette induction devenait massive en cas de rejet et d’inflammation du greffon [résultats non publiés, thèse du Dr Huong N’Guyen]. Ce constat soulève donc la question de l’intérêt de l’étude de ce récepteur dans la néphropathie d’allogreffe, ce qui pourrait être une piste à suivre dans le futur. Quoiqu’il en soit, ces résultats valident l’intérêt d’étudier l’implication de ce récepteur dans des modèles animaux de néphropathies.

Pour cela, nous avons utilisé deux modèles animaux dans lesquels nous avons évalué l’effet du blocage du B1R, soit par invalidation génique, soit par inhibition pharmacologique avant et après l’induction de la pathologie. Dans tous les cas, le blocage du B1R a montré une efficacité anti-inflammatoire [diminution des macrophages] et anti-fibrosante [diminution de l’accumulation de MEC] notable, et ces résultats ont depuis été confirmés dans le modèle d’OUU par une autre équipe (Wang P.H. et al. 2009).

Alors comment expliquer cet effet ? Tout d’abord, nous avons montré dans l'OUU que le blocage du B1R était associé à une diminution de l’expression du CTGF. Bien que ce résultat soit inédit in vivo, il faut cependant noter que des expériences préalables menées in vitro avaient déjà montré que l’activation du B1R induisait l’ARNm du CTGF (Ricupero D.A. et al. 2000), ce que nous avons confirmé dans notre modèle de cellules HEK293. Néanmoins, nous n’avons pas pu mettre en évidence le même effet dans le modèle de NTS car l’expression du CTGF retourne spontanément au niveau basal après 6 semaines, par contre, l’effet protecteur du B1Ra est associée à une diminution du TGF-β dans ce modèle.

Cependant, nous pensons que l’explication la plus probable qui permettrait de comprendre l’effet du traitement réside dans le rôle du B1R dans le processus inflammatoire. En effet, on sait l’importance de l’inflammation, et plus particulièrement celle des macrophages, dans la progression de la fibrose (Sean Eardley K. et al. 2005; Ricardo S.D. et al. 2008). Et comme nous l’avons vu dans l’introduction, un certain nombre de cytokines et de chimiokines sont impliquées dans le recrutement de ces cellules (Sean Eardley K. et al. 2005; Eardley K.S. et al. 2008; Tesch G.H. 2008).

Une étude récente a démontré que le B1R pouvait induire l’expression de la chimiokines CXCL5/LIX, et que cet effet était associé à la stimulation du recrutement des neutrophiles (Duchene J. et al. 2007). Nous avons donc étudié l’effet du blocage du B1R sur l’expression de chimiokines connues pour être impliquées dans le recrutement des cellules inflammatoires : CCL2, CCL7, CCL5 et CXCL5. Bien que quelques différences puissent être observées selon les modèles, par exemple le fait que le traitement diminue l’expression de CCL5 dans le NTS et non dans l’OUU, il apparaît clairement que le blocage du B1R est associé à une diminution de l’expression des chimiokines in vivo. De plus, nous avons montré in vitro et in vivo par des expériences de transfert de moelle que cet effet passait au moins en partie par la stimulation directe du B1R sur les cellules rénales. Ainsi, l’effet du B1Ra sur la réduction de l’expression des chimiokines comme CCL2, CCL7, CCL5 et CXCL5 explique certainement cet effet sur le recrutement des macrophages et en conséquence, sur la FTI.

Ce résultat intéressant n’est finalement pas très surprenant. En effet, on l’a dit, il a déjà été montré que le B1R pouvait stimuler l’expression d’au moins une chimiokine (Duchene J. et al. 2007). Nous savons également que la stimulation du B1R active NF-κB (Schanstra J. et al. 1998), et qu’il a déjà été montré que l’inhibition de NF-κB réduisait l’expression de CCL2 et de CCL7 (Wuyts W.A. et al. 2003; Cuaz-Perolin C. et al. 2008). Alors maintenant, comment pourrions-nous aller plus loin dans la caractérisation des effets du B1R dans l’inflammation et la FTI ?

Polarisation M1/M2 ?

Une piste qui nous semble très attirante est d’étudier le rôle du récepteur dans la polarisation M1/M2 des macrophages (figure 13). En effet, comme nous l’avons dit dans l’introduction, l’inflammation n’est pas nécessairement délétère. De plus en plus de preuves expérimentales ont montré qu’il s’agissait d’un processus important pour la réparation des lésions et la régénération du tissu (Nishida M. et al. 2008; Ma F.Y. et al. 2009). Ce concept est supporté par l’existence de deux populations de macrophages aux propriétés distinctes : les M1, pro-inflammatoires, pro-apoptotiques et impliqués dans la phagocytose ; et les M2, anti- inflammatoires et impliqués dans la synthèse de MEC. Néanmoins, le rôle de chacune de ces

populations dans la progression de la FTI [bénéfique ou délétère] n’est pas encore précisement défini (Nishida M. et al. 2008; Ricardo S.D. et al. 2008).

Nous avons analysé de manière très préliminaire l’expression rénale des ARNm de certains marqueurs de surface caractéristiques des deux populations (Ricardo S.D. et al. 2008) chez les souris NTS traitées ou non par le B1Ra. Les premiers résultats montrent que le blocage du B1R entraîne une augmentation de l’expression du récepteur à l’IL-1, présent à la surface des M1 et une diminution du scavenger receptor et de la β2-intégrine, deux marqueurs des M2. Ainsi, ces résultats laissent suggérer que l’effet bénéfique du blocage du B1R pourrait être la conséquence d’une modification de la polarisation des macrophages vers le phénotype M1 au détriment du phénotype M2.

Fenêtre thérapeutique et modèles chroniques ?

Un autre point qui nécessite d’être éclairci fait appel à la notion de fenêtre thérapeutique. En effet, une explication qui permet de justifier du rôle duel des macrophages dans la FTI est le fait que, selon la phase de la pathologie, leur présence est nécessaire ou bien néfaste. Ainsi, dans les phases aigues, les macrophages sont indispensables afin de répondre au stress et de moduler la réponse inflammatoire en vue de la réparation. Puis lorsque l’inflammation devient chronique, alors, la synthèse de cytokines pro-inflammatoires et de radicaux libres devient excessive et toxique (Nishida M. et al. 2008; Ricardo S.D. et al. 2008). Enfin, pour la régénération dans les phases plus tardives, les macrophages sont nécessaires pour : i) phagocyter l’excès de MEC, les cellules stressées et les débris cellulaires, ce qui serait plutôt du à l’intervention des macrophages M1 et ii) limiter l’inflammation et permettre le remodelage matriciel, ce qui serait plutôt du à l’intervention des macrophages M2 (Nishida M. et al. 2008; Ricardo S.D. et al. 2008).

Cette notion cinétique est difficile à déterminer. Il paraît donc important de définir si l’effet protecteur du blocage du B1R persiste dans les phases plus tardives de la pathologie ou bien si la diminution du nombre de macrophages et la modification de la polarisation deviennent néfastes à plus long terme. La confirmation de l’effet protecteur du B1R dans le modèle de NTS, qui est plus progressif que le modèle d’OUU [6 semaines versus 8 jours respectivement] est déjà un résultat encourageant. Pourtant, nous souhaitons confirmer cet effet thérapeutique sur des modèles plus chroniques, tel que le modèle de néphropathie 5/6ème, dans lequel la FTI se détecte entre 6 et 8 mois. Nous envisageons également de tester notre hypothèse dans un modèle de néphropathie diabétique chez des souris db/db [un modèle de souris obèses mimant le diabète de type 2] qui présente le double avantage d’être chronique, les lésions s’installent après plusieurs mois, et de mimer au plus près l’une des premières causes d’insuffisance rénale chez l’Homme.

Combinaison thérapeutique ?

Enfin, nous souhaiterions élargir nos résultats vers un autre axe : la combinaison thérapeutique. En effet, comme nous l’avons déjà vu, à l’heure actuelle seuls les bloqueurs du SRAA ont prouvé leur réelle efficacité en clinique. Pourtant, ils ne font que ralentir la progression de la FTI et l’évolution vers l’insuffisance rénale. De plus en plus, il devient certain que l’avenir des thérapies dans ce domaine réside dans les combinaisons thérapeutiques. Nous pensons donc qu’il pourrait être très intéressant d’essayer de combiner l’antagoniste du B1R avec un inhibiteur de l’enzyme de conversion afin d’évaluer si la combinaison est plus efficace que le traitement unique. En effet, comme nous l’avons dit dans l’introduction, si l’AngII est capable de moduler l’inflammation, ses effets principaux restent la modulation du TGF-β et la stimulation de l’apparition des myofibroblastes (Mezzano S.A. et al. 2001; Ruster C. et al. 2006; Carvajal G. et al. 2008; Wynn T.A. 2008).

Par ailleurs, à l’inverse, si le B1R est capable de réguler l’expression du CTGF, ses effets principaux sont des effets pro-inflammatoires. Ainsi, en combinant le blocage de la voie de l’AngII et le blocage de la voie du B1R, nous pouvons penser que nous parviendrons à potentialiser les effets bénéfiques anti-inflammatoires et anti-fibrosants de ces deux stratégies. De plus, dans une optique d’une utilisation qui s’effectuerait le plus rapidement possible chez l’Homme, il est avantageux de tester une combinaison avec des molécules déjà utilisées en clinique.

En conclusion, dans cette thèse nous avons montré pour la première fois que le blocage du B1R in vivo permet de moduler l’inflammation rénale chronique et qu’il améliore significativement la progression de néphropathies associées à la FTI. Bien que nous soyons conscients que le traitement des maladies rénales chroniques chez l’Homme soit beaucoup plus complexe que dans les modèles expérimentaux, et que les essais cliniques pour de telles pathologies nécessitent de longues études, nous suggérons que le blocage du B1R pourrait être une stratégie afin de prévenir ou de ralentir la progression de la FTI chez l’Homme et mérite d’être évalué en combinaison avec d’autres thérapeutiques.