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Discours sur la sexualité et le couple Les notions d’actif/passif

Dans le document Penser le Sexe, de l'utopie à la subversion ? (Page 193-200)

Majoritairement, le discours de ces lesbiennes sur la sexualité montre qu’elles ne se reconnaissent pas dans les catégories de l’hétérosexualité. Elles refusent ainsi les positions actives et passives dans leurs relations ; elles n’ont utilisé les termes « actif/passif » que parce que je les avais

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duits dans la grille d’entretien. J’ai vérifié ce refus lors de discussions infor-melles auxquelles j’ai pu assister pendant mon immersion dans le terrain. Elles refusent cette terminologie, car elles considèrent qu’elle appartient au registre d’expression du pouvoir des hommes sur les femmes. La notion d’actif renvoyant, pour elles, à une position masculine, qu’elles ne désirent pas endosser. Pour ce qui est de leurs pratiques sexuelles, ces interlocu-trices se défendent, dans la même logique, de tout rapport de domination entre elles, parce qu’il les renvoie symboliquement au modèle androcen-tré, définissant selon elles la sexualité hétérosexuelle : position et figure de la classe des hommes.

Il y a des jeux en fait, des jeux qui mettent en scène du pouvoir, mais c’est une mise en scène. Derrière ça je ne crois pas qu’il y ait du pouvoir dans les relations lesbiennes, c’est une mise en scène et une mise en scène de la domination, mais elle n’est pas réelle, sinon je ne la supporterais pas. Les seuls moments où j’ai eu des relations sexuelles où la domination était réelle c’est avec des hommes, et j’ai pas supporté.

Je me retrouve fatalement dans le rôle masculin, et ça j’en ai plus envie, parce que ces images-là je les trouve dégueulasses. Les images d’hommes dans la sexualité ou autre chose, comme tout ce qui se passe sur la terre, ou toutes les violences faites aux femmes.

Actuellement c’est vrai que dans l’acte sexuel, ça me plaît moins d’être pas-sive, comment dire ? Parce que j’aime aussi guider l’autre et prendre mon plaisir aussi. En amour, j’aime être active, parallèlement j’aime bien aussi que l’autre soit active, quand je lui donne du plaisir. Si l’autre te guide pas, je trouve ça hyper chiant, j’aime bien aussi qu’il y ait une part d’activité dans les deux sens.

Lorsque les lesbiennes parlent de position d’active et de passive, c’est dans le cadre de relations qu’elles ont eu avec des femmes qui s’iden-tifiaient hétérosexuelles (mariées ou vivant en concubinage avec un homme), relations dans lesquelles on peut trouver une synonymie entre les notions d’active et de passive et de dominante-dominée. Dans ce cas, elles reconnaissent des relations reproduisant une asymétrie des rôles sociaux sexués qu’elles ne souhaitent pas renouveler.

On m’a demandé une fois d’être plus autoritaire, plus dure, plus macho sexuellement, et je n’ai pas voulu. Je ne supporte pas qu’on me le fasse et je ne supporte pas de le faire. Pour moi, une relation, c’est pas ça. C’était avec

. Virginia, vingt-quatre ans.

. Louise, trente ans.

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des femmes mariées, et parfois c’était un véritable désastre, parce qu’elles me considéraient comme une lesbienne, mais elles me confondaient avec un mec. Donc elles se comportaient avec moi comme une femme avec son mec. C’est-à-dire elles se mettaient sur le dos passives en attendant que ça passe, et, dans ce genre de situation, je m’en vais.

Le couple

Concernant le couple, il semble que même si ce dernier peut être une quête dans le projet de vie, il ne demeure pas pour autant le seul lieu d’échanges affectifs. De plus, pour la majorité des lesbiennes interrogées, la vie en couple ne conditionne pas le projet définissant la relation amou-reuse. Bien souvent, l’idéologie du couple est remise en question dans sa forme cohabitante.

Oui c’est choix commun [de vivre séparément]. Pour moi, c’est trop dou-loureux, d’abord j’ai besoin de mon espace, de mon petit jardin, de mon espace avec le fil du temps. Je me suis rendue compte qu’elle aussi a besoin de son espace, de ses ami-e-s. On a d’ailleurs des ami-e-s très différent-e-s et ça n’est pas forcément les nôtres. C’est du pipeau de penser qu’on s’en-tend forcément avec les mêmes ami-e-s, il y a des choses qui se passent bien pour toi et que peut-être ton amie va trouver ennuyeux. C’est pas parce qu’on est en relation qu’on ne fait qu’un. Je veux qu’on pense à moi en tant qu’individu et non pas en tant que couple, le contraire m’énerve profondément.

Le désir et le multi-partenariat

Les relations entre lesbiennes semblent plus souples que celles définis-sant les relations hétérosexuelles. En effet, le réseau amical est souvent composé d’ex-amantes, où les relations restent marquées d’un registre semi-amoureux. En revanche, le désir dans les couples lesbiens constitue un des enjeux primordiaux de la relation. Dans ce domaine, il semble que si le désir est le facteur qui détermine et structure la rencontre, sa dispa-rition est aussi l’élément qui favorise la rupture. Le désir, surtout pour les vingt-quarante ans, définit la structure de la relation entre amantes. Bien souvent, dans le cadre des relations lesbiennes, c’est l’accès au désir qui permet de différencier la fragile séparation entre la relation d’amantes et les relations dites « amicales ». Nous pouvons aussi noter une différence de

. Violette, cinquante ans.

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pratiques par rapport aux couples hétérosexuels, où généralement la suc-cession de relations concerne les seules personnes âgées de seize à vingt-cinq ans. Passé cet âge, la relation de couple, voire maritale, s’instaure de manière plus stable.

Concernant cette question de la fragilité du désir et de ce dernier comme structurant la relation d’amantes, on peut supposer que la libre expression du désir est un moyen pour ces lesbiennes de préserver une liberté individuelle. On peut aussi se demander si cette fragilité du lien n’est pas due à l’invisibilité sociale et à la stigmatisation que vivent les les-biennes du fait de l’opprobre jeté sur elles par la société.

On peut enfin questionner l’influence du système d’alliance tradition-nel et de ses cadres au sein des couples hétérosexuels : ses règles défi-nissent qui peut ou qui doit s’unir avec qui et sont conjuguées avec l’ins-titution de l’hétérosexualité et l’obligation de reproduction. La famille, dans le cadre hétérosexuel, reste aujourd’hui un mode de socialisation du couple hétérosexuel. Ce mode agit particulièrement pour les femmes ; les injonctions familiales leur rappellent le moment où elles doivent vivre en couple et produire des enfants, par des phrases du type : « Bon main-tenant, tu as trente ans, il faut que tu te fixes dans une vraie relation et que tu penses à faire des enfants ! » À ce cadre, nous pouvons ajouter celui de l’espace professionnel qui prescrit (par exemple, par les discus-sions entre collègues ou lors des rites collectifs, comme les fêtes de Noël, qui sont des moments de socialisation et de visibilité du couple) ce que doit être un couple. Au-delà de ces prescriptions, ces espaces de socia-lisation (famille et espace professionnel) maintiennent et consolident la fonction du couple. J’ai pu remarquer que ces règles n’agissent pas de la même façon dans la plupart des cas auprès des lesbiennes, car bien souvent elles vivent leurs relations en dehors, voire même cachées du milieu familial, et parfois aussi du milieu professionnel. Il est probable que l’invisibilité de leurs relations amoureuses permette aux lesbiennes de quitter plus facilement leur partenaire si cette relation n’est pas satis-faisante, notamment sur le plan du désir. En outre, l’inexistence institu-tionnelle de formes d’alliances entre personnes de même sexe fait que l’entourage n’incite pas les partenaires à maintenir leurs relations dans la durée. Cette situation sociale a sans doute une incidence sur la fragilité des relations. On peut supposer que la récente reconnaissance du couple homosexuel par le PACS aura une conséquence sur les comportements amoureux lesbiens et ira dans le sens d’une stabilisation des couples. Il fau-dra donc vérifier dans quelques années quelle est la portée de ce contrat sur les modes de vie des couples lesbiens, et si cette contractualisation . Brigitte Lhomond, « Sexualité »in Dictionnaire critique du féminisme...,op. cit., p..

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du couple homosexuel engendre des modifications des rapports hommes-femmes, puisque depuis l’instauration du PACS en, en France, l’accès à ce type de contrat concerne autant les couples hétérosexuels qu’homo-sexuels (cas au dernier recensement de).

Les histoires biographiques des lesbiennes interrogées sont marquées par une succession de relations d’amantes, contrairement au modèle hété-rosexuel où les projets de vie restent plus marqués par le désir d’instau-rer des relations durables. Chez les lesbiennes, même si le souhait de la plupart est de maintenir un lien à long terme, le discours réfère à une conscience de la fragilité du lien, due à la perte du désir.

On ne peut pas vivre une histoire de couple exclusive toute la vie. On a un corps, un désir, on a des choses à vivre, on ne peut pas s’empêcher de les vivre au prix de la stabilité d’une relation.

Pourtant, la notion duelle reste le marqueur définissant la relation amoureuse. Il leur est difficile d’échapper à la prégnance du « deux ». En effet, l’infidélité est considérée comme révélant une crise affective globale. Ici nous retrouvons les comportements des femmes en général et leur dis-cours sur l’infidélité conjugale.

Je ne peux pas être avec deux personnes à la fois. En plus, je ne suis pas vraiment guidée par le sexe et je fonctionne beaucoup sur l’affectif. Je suis assez exclusive. Si une personne qui est avec moi va avec quelqu’un d’autre, c’est qu’elle n’est pas bien avec moi.

La relation extérieure au couple « légitime » peut signifier alors un désen-gagement, une remise en cause du lien affectif.

Le contrat d’exclusivité, il a été discuté assez rapidement. Il est clairement posé : elle couche avec une autre, je la tue ! Si je vais avec une autre, c’est fini, c’est pas la peine que je revienne la tronche enfarinée.

Sur cette question du modèle du duo exclusif qui définit la relation d’amantes, on peut se demander si, du fait de l’ostracisme social que vivent les lesbiennes, cet espace du couple lesbien ne devient pas un . Le recensement donne un chiffre global du nombre des couples pacsés homosexuels et hétérosexuels.

. Sappho, vingt-huit ans.

. François de Singly,Libres ensemble. L’individualisme dans la vie commune, Paris, Nathan, coll. « Essais & Recherches »,; Michel Bozon, « Amour, désir, durée. Cycle de la sexualité conjugale et rapports entre hommes et femmes »inNathalie Bajos, Michel Bozonet alii,La sexualité au temps du sida, Paris, PUF,.

. Natalya, vingt et un ans.

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espace de protection et de réassurance sociale. De plus, il peut être un mode de renforcement du soi d’un point de vue de l’identité lesbienne. Il est possible d’émettre l’hypothèse que si le couple n’est pas remis en cause dans la pratique, il peut par ailleurs être remis en cause dans sa forme tra-ditionnelle. En effet, l’exclusivité du « deux » ne définit pas forcément l’ins-tauration d’une vie de couple drainant avec lui son quotidien, et ses répar-titions dans l’espace domestique. Ici, l’on peut considérer cette relation duelle comme un espace où chacune, et parfois indépendamment l’une de l’autre, peut essayer de rompre avec ce pour quoi elle a été éduquée en tant que « femme ». D’ailleurs, j’ai relevé dans les propos des interlocu-trices, mais aussi dans les discussions collectives, un souci de maintien de l’indépendance individuelle qui devient une exigence dans la formation du duo.

En revanche, l’articulation qu’elles élaborent entre la sexualité et l’aff ec-tif rappelle la relation bien connue que font les femmes en général entre ces deux domaines : bien souvent elles ne les dissocient pas. L’enquête ACSF, sur les comportements sexuels en France, réalisée (par téléphone) auprès de  femmes et hommes âgés de dix-huit à soixante-neuf ans, montre que presque deux tiers des hommes et seulement un tiers des femmes déclarent qu’on peut avoir des rapports sexuels avec quelqu’un sans l’aimer.

On observe néanmoins un clivage générationnel. En effet, certaines les-biennes âgées de vingt à quarante ans voudraient tendre vers un mode de vie qu’elles associent aux gais, où les pratiques sexuelles pourraient être dissociées du domaine amoureux. Mais dans la pratique, elles disent qu’elles ne parviennent pas à opérer cette dissociation. Il est toutefois inté-ressant de noter que les thématiques du multipartenariat et de la « poly-fidélité» ont été particulièrement évoquées par les lesbiennes situées dans cette classe d’âge. La plupart étaient imprégnées d’une culture iden-titaire mixte où se côtoient femmes et hommes homosexuels, et certaines se situaient dans une positionqueeret se revendiquaient donc des multi-sexualités et d’une pluralité d’identités de genre.

La non-exclusivité, ça me paraît quand même un idéal difficile à mettre en place par les couples. C’est vrai que j’envie souvent la sexualité gaie qui,

. Nathalie Bajos, Alfred Spira, « L’enquête ACSF : élaboration d’un projet interdiscipli-naire sur la sexualité »,Population, no

, septembre-octobre, p..

. Terme utilisé par certaines d’entre elles pour décrire des relations multiples où il n’y aurait pas de hiérarchie entre les différentes amantes. L’on ne parle pas ici d’infidélité, mais de fidélité à plusieurs amantes. Ce n’est pas l’exclusivité amoureuse et sexuelle qui définit le contrat, mais le fait que les relations se définissent par une connaissance pour chacune des partenaires des différentes relations amoureuses et sexuelles et qu’elles ne s’inscrivent pas dans un modèle opposant l’amante officielle à la « maîtresse ».

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à mon avis, laisse beaucoup de liberté à la circulation du désir, même si après j’imagine que ça a des inconvénients. Mais c’est vrai, il y a quelque chose qui me fascine dans cette sexualité : cette liberté d’expression du désir un peu débridé.

Celles de la génération des quarante-soixante ans, souvent issues des mouvements lesbiens et féministes des années soixante-dix, ont pour la plupart déjà tenté de vivre des relations dites multiples, mais dans leurs pratiques actuelles, elles ne dissocient pas la sexualité de la relation aff ec-tive. Pour certaines, il y a même une volonté inverse de maintenir l’alliance du désir et de la relation amoureuse. On retrouve ici aussi dans leurs dis-cours une articulation entre l’idée d’appartenir à la catégorie « femme » et la revendication d’une identité féminine : en effet, les relations dites mul-tiples sont le plus souvent condamnées, car elles renvoient à une sexualité masculine à laquelle elles ne veulent pas s’associer.

Gestion matérielle et couple

La question du confort matériel semble secondaire. Le couple ne consti-tue pas le socle du bien-être matériel, contrairement au modèle dominant. Car l’aide matérielle peut-être aussi assurée par les autres membres du réseau.

La mise en commun des ressources matérielles ne donne pas lieu à une répartition hiérarchisée comme au sein des rapports hétérosexuels, où elle se fait en fonction des catégories de sexe : le fait d’avoir ou non une activité salariée ne définit pas des rôles et ne conduit pas à une hiérarchisation des fonctions dans l’espace domestique et économique. Certes, certains tra-vaux en sociologie effectués depuis une dizaine d’années (dans le champ des rapports sociaux de sexe, ou de la sociologie de la famille comme ceux par exemple de François de Singly) laissent entendre que les modes de vie des couples hétérosexuels ont tendance à se modifier, sous la forme de « contrats de genre », en incluant des zones de partage et de négociation. S’il apparaît une forme de « contrat » dans les relations de couple des les-biennes interrogées, il faudra vérifier, d’une part, si cette manière de vivre en couple est nouvelle ou non pour les couples lesbiens, et d’autre part, si les modalités du « contrat » sont identiques à celles des couples hétéro-sexuels.

La maternité

Toutes les lesbiennes interviewées ont manifesté leur refus d’envisager la maternité. Bien sûr, ces résultats doivent être nuancés, puisque l’on

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observe actuellement un développement de la lesboparentalité et une revendication de certains mouvements gais et lesbiens sur ce thème. Mais ce qui semble prédominant c’est surtout une réaction face à la contrainte reproductive. Le refus de cette contrainte s’oppose aux trajectoires pro-fessionnelles des lesbiennes interrogées, que l’on retrouve en général dans les professions typiquement féminines, en contact avec des enfants, comme l’enseignement primaire ou secondaire, les professions d’éduca-teurs, les personnels de santé. De plus, on peut remarquer pour certaines un regain d’intérêt vers la cinquantaine pour les enfants de la famille, avec lesquels s’instaurent alors des relations de marrainage.

Autre point à considérer, chez celles qui vivent une relation de couple avec une lesbienne ayant déjà un enfant, ce dernier s’intègre alors dans la vie de couple, et est partie prenante des projets à venir. Citons l’exemple de Colette qui ne voulait pas avoir d’enfant : son acceptation du lesbianisme est dans un premier temps passé par le refus de la maternité. Elle dit :

Je trouvais ça horrible le fait de me rendre compte que j’étais lesbienne, je savais que ça allait être dur à vivre et que c’était la merde socialement. Après, je me suis mise tout naturellement dans cette catégorie, puisque je n’avais pas de désir d’enfant. Une des choses très importantes qui m’a décidée à me considérer comme quelqu’un de tout à fait normal et à trou-ver des images positives de cet aspect-là, c’est que tu peux faire l’amour comme tu veux sans aucun risque d’enfants, ça, ça a été vraiment impor-tant.

Au moment où j’ai effectué l’entretien avec Colette, elle vivait une rela-tion avec une femme (sans vivre dans le même lieu) qui avait un enfant. La gestion éducative de cet enfant était incluse dans l’organisation men-tale et matérielle de Colette : l’éducation et la prise en charge de celui-ci faisaient partie de l’engagement amoureux. Elle relayait son amante dans l’organisation du temps et du travail.

Mon idéal, c’est quand même de vivre un quotidien avec la personne, de prendre soin d’elle au quotidien. Par exemple, ce matin, elle est allée au boulot très tôt, elle avait absolument besoin de préparer une réunion

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