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Le discours dans la relation patient · e / soignant · e

Le discours construit au sein des cabinets médicaux prend racine dans une société occidentale marquée par l’omniprésence, durant des siècles, de la religion chrétienne. La relation qu’entretenaient les prêtres avec leurs fidèles s’est facilement transférée dans le monde médical. La construction de la consultation médicale s’est faite sur le même modèle que celui de la confession religieuse. Michel Foucault expose, dans Histoire de la sexualité : la volonté de savoir, la théorie selon laquelle la vérité sur le sexe pouvait provenir d’une discursivité scientifique ou bien de procédures d’aveux. La culture de l’aveu18, issue de la pénitence religieuse, s’est progressivement

étendue à d’autres types de relations (parents-enfants, élèves- pédagogues, malades-psychiatres). Là où certains actes ou pensées étaient des péchés aux yeux de l’Église, ils deviennent des pathologies au regard du corps médical. Le médecin codifie donc des comportements jugés normaux et d’autres anormaux et nécessitant un suivi médical. À l’intersection de la confession et de l’examen médical, se développe une véritable « codification

clinique du faire-parler »19, la « traditionnelle extorsion d’aveux

sexuels [s’habille] des formes scientifiques »20. Au XIXe siècle,

les médecins pensent alors que tous les maux ont un lien avec la sexualité du malade. Il a une « causalité générale et diffuse »21 de la sexualité, ce qui induit que lae patient·e doit

être exhaustif·ve dans ses aveux au ou à la médecin, mentionner chaque détail, même le plus insignifiant. De plus, la vérité sur le sexe est considérée comme incomplète chez lae patient·e, la parole désordonnée a besoin d’être recueillie, organisée et interprétée par lae soignant·e : « présente, mais incomplète, elle est aveugle à elle-même chez celui qui parle, elle ne peut s’achever que chez celui qui la recueille »22. Cette forme d’aveu

est une forme de domination obligeant lae malade à se dévoiler, se mettre à nu·e. Car finalement, les médecins n’ont jamais été moins attentif·ve·s à la parole des patient·e·s qu’à partir du XVIIIe siècle. Celle-ci semblait moins fiable que les symptômes physiques. J. Peterson confirme qu’on « accordait moins de valeur à la description que le patient donnait de ses symptômes et plus d’importance à l’évaluation faite par le praticien des signes physiques de la maladie. D’une manière subtile, l’autorité quant à l’état physique du patient passa de ce dernier au docteur qui devenait moins dépendant du patient pour connaître l’état de ce dernier »23.

En effet, le médecin, qui a été formé et possède un savoir sur le corps, l’anatomie, les maladies, adopte une position supérieure voire paternaliste à l’égard des patient·e·s qui n’ont souvent que très peu de connaissances à ce sujet. Elles ne sont donc pas en mesure de porter un regard critique sur le diagnostic du médecin qui peut s’avérer discutable dans certains cas (prescription systématique de la pilule, dissuasion quant à la pose d’un stérilet ou à la stérilisation, injonctions sur les modalités d’un accouchement…). Dans ce contexte, le

19 Ibid, p. 89.

20 Ibid, p. 87.

21 Ibid, p. 89.

22 Ibid.

projet Entendons-nous a été développé dans le but d’améliorer ce dialogue. C’est avec les designer·euse·s Laurie Dal Grande et Aurélien Raffanel que nous nous sommes questionnés sur la qualité du dialogue entre soignant·e·s et patient·e·s lorsque ces dernier·ère·s ne parlent pas la même langue. L’objectif du projet est de proposer un support graphique permettant de soutenir le discours de toutes les parties de l’échange.

Entendons-nous

Entendons-nous est un outil de dialogue graphique permettant une meilleure communication entre patient·e·s et soignant·e·s, notamment dans le cas de difficultés liées à la langue. Suite à plusieurs entretiens avec des sages-femmes, des gynécologues, des bénévoles du Planning Familial de Toulouse nous avons fait le constat de la difficulté de communication autour de la santé sexuelle avec des personnes ne parlant pas français ou ne pouvant pas parler. D’autant plus lorsqu’il s’agit de mettre des mots sur des pratiques, des actes ou des pathologies qui peuvent être perçues comme un tabou dans certaines cultures. Une interface graphique permet donc de nommer les choses sans les dire. Actuellement, les médecins disposent de peu d’outils de communication. Les modèles et planches anatomiques ne sont pas disponibles dans tous les cabinets. Lorsqu’iels se trouvent face à des difficultés de communication, ils ne disposent pas d’outils pour mettre en place une consultation correcte. Iels peuvent faire appel à des traducteur·ice·s mais ce dispositif est laborieux et passe par une interaction téléphonique.

Il n’existe pas, à notre connaissance d’outil similaire à celui que l’on propose, du moins dans ce contexte là. En effet, des projets comme Refugeye de Geoffrey Dorne ou Icoons for refugees existent, mais ciblent une communication prosaïque, des termes larges de la vie quotidienne. Ces applications sont utilisées par des associations

s’occupant des réfugié·e·s. Lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets plus spécifiques, comme celui de la santé, et notamment la santé sexuelle, les outils existant, qui ne sont pas systématiques, relèvent du modèle anatomique, mais ne permettent pas une réelle communication, un échange, et une modularité d’expression.

Nous avons donc conçu un objet papier, un dépliant coloré déclinant plusieurs champs lexicaux liés à la gynécologie et la sexualité, pouvant s’avérer utiles à un diague patient·e / soignant·e : parties du corps, émotions, pathologies, symptômes, pratiques sexuelles, types de relations, âges de la vie etc...

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