• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Cadre méthodologique

2.5. Aspects éthiques

3.2.2. Discours de la santé publique

La conception de la santé plutôt individualiste mise de l’avant par la santé publique sera remise en question dans cette section et la manière dont les femmes incorporent les discours de celle-ci sera mise en évidence. En épidémiologie, la discipline privilégiée de la santé publique, un débat existe en ce qui concerne la prise en compte des facteurs individuels, tels que les comportements et les facteurs biomédicaux (par exemple, la génétique et l’exposition aux substances chimiques), et des facteurs supra-individuels, tels que les processus sociaux (Venkatapuram, 2011). Les entretiens ont permis de mettre en évidence la manière dont les femmes incorporent les discours de la santé publique en lien avec les habitudes de vie, par exemple en ce qui a trait au tabagisme. Quand on demande à Rose, étudiante de trente-et-un ans vivant seule dans le quartier depuis huit ans, de parler des résidents du quartier, elle explique : « J’trouve qu’y’a beaucoup de fumeurs. Pis j’ai comme l’impression qu’y’a des moins en moins de fumeurs, mais qui restent toute ici ». Cette femme a incorporé le discours culpabilisant et négatif que la santé publique entretient à l’égard des fumeurs. Dans la même veine, Christine, femme de cinquante-neuf ans, travaillant dans le service à la clientèle et habitant seule dans le quartier depuis treize ans, mentionne qu’elle a arrêté de fumer depuis cinq mois et rajoute : « moi j’me dis que c’est les pauvres qui fument. Rires. Ça coûte cher, mais on dirait que c’est les pauvres qui fument, c’est une addiction pis on dirait que ça ça ça… te soulage en quelque part tsé. » Ces deux extraits démontrent que le discours négatif de la santé publique en lien avec le tabagisme a été incorporé par ces deux femmes.

! 9E!

La plupart des femmes ont incorporé les discours de la santé publique en termes de recommandations en lien avec l’exercice physique, l’alimentation, la cigarette et l’alcool, mais certaines femmes expriment trouver difficile d’atteindre ces objectifs avec des moyens financiers restreints. Hélène, femme de soixante-quatre ans, vivant dans le quartier depuis vingt-cinq ans avec son fils adulte vivant avec une déficience intellectuelle, dit : « Ben la santé pour moi, d’abord, c’est, j’pas riche là, mais j’essaie de bien manger. J’mange pas autant qu’ils disent là. 5 fruits, 5 légumes, c’est ben trop, j’pas capable de manger ça. » Aussi, elle mentionne l’importance de faire de l’exercice physique pour être en santé.

Moi je l’prend positif, quand j’bouge, ben j’ai pas besoin d’aller au gym tsé. J’me garde physiquement pas rouillée, dérouillée. Si tu veux, moi j’prends mes affaires positives. J’sais ben que j’vas mourir comme tout le monde, mais pourquoi courir après.

Louise, costumière de soixante ans, vivant seule dans le quartier depuis dix ans, lance sur un ton ironique lorsqu’il est demandé si elle se considère en santé : « J’vais très bien. Je fume, j’bois du vin pis j’vais bien. » Cet extrait démontre qu’elle a incorporé les recommandations de la santé publique concernant le tabagisme et la consommation d’alcool. Louise sait que ses comportements individuels comportent des risques pour la santé eu égard aux conseils de la santé publique, mais cela ne semble pas la déranger. La consommation de fruits et de légumes est aussi amenée par Gisèle, femme de quarante-deux ans, vivant avec l’aide sociale, et habitant dans le quartier depuis huit ans avec ses trois enfants de cinq, sept et vingt ans, en parlant du panier de Noël, reçu cette année, qu’elle a particulièrement apprécié vu la grande quantité de fruits reçue. Elle mentionne aussi qu’elle trouve que les fruits et les légumes ont un coût financier élevé, mais que, pour elle, il est important que ses enfants en mangent. Elle parle aussi de la difficulté d’accès aux fruits et aux légumes, la fruiterie n’étant accessible qu’en transport en commun, coûteux, et que les fruits et les légumes achetés à l’épicerie sont rarement assez murs. Ceci est corroboré par l’observation, à savoir qu’il y a peu de commerces alimentaires dans le quartier, si ce n’est qu’une épicerie d’une bannière connue.

En opposition avec les discours individualisants de la santé publique, Cockerman (1997) comprend les inégalités de santé par les habitudes de vie qui sont, selon lui, plutôt sociales. En

! 9>!

se basant sur les théories de Weber (1978) qui avance que les modes de vie ont deux composantes principales, soit les choix de vie et les opportunités de vie, Cockerman (1997) avance que les personnes ont une liberté de choix en lien avec leur mode de vie, mais que celle-ci s’inscrit à l’intérieur de contraintes qui s’appliquent aux contextes de vie de chacun. Même si la tendance consiste à penser que les habitudes de vie, telles qu’avoir une consommation d’alcool modéré ou ne pas fumer, sont individuelles, ceci n’est pas toujours le cas (Cockerman, 1997). En se basant sur la théorie des habitus de Bourdieu (1986), la socialisation, l’expérience et les réalités de classe guident l’action (Cockerman, 1997). Les habitudes de vie ne sont donc pas uniquement individuelles comme nos répondantes et la santé publique sont portées à croire.

Cette section a mis en lumière divers facteurs favorisant la santé, telle que les liens sociaux, le rapport au quartier ainsi que les habitudes de vie saines telles que recommandées par la santé publique. Le stress et les relations malsaines peuvent, quant à elles, avoir un impact négatif sur la santé. Pour les répondantes, les habitudes de vie sont vues comme une entité individuelle alors que, dans ce mémoire, l’aspect collectif de celles-ci, entre autres, via la théorie des habitus (Bourdieu, 1980) sera privilégié. Les femmes ont donc incorporé le discours individualisant de la santé publique en lien avec les habitudes de vie. Les répondantes mentionnent avoir de la difficulté à suivre les suggestions de la santé publique en termes de consommation de tabac et d’alcool, d’alimentation et d’exercices physiques, particulièrement à cause de moyens financiers réduits.