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2.A Les discours des acteurs

Dans le document AU RISQUE de se passer DES NTIC... (Page 49-55)

Quels sont les discours dominants qui pèsent sur les questions éducatives12 ? En fait, le débat sur les NTIC à l’école est largement mené en dehors de celle-ci. Les nouvelles technologies, et particulièrement Internet, sont à la mode et engendrent une communication tous azimuts. En apparence il n’y a rien de commun entre un spot publicitaire télévisé consacré à un fournisseur d’accès Internet, un magazine sur l’informatique grand public (une vingtaine de titres issus de l’édition spécialisée comme des maisons d’édition généralistes), le dépliant publicitaire d’une grande surface qui contient des offres promotionnelles pour des ordinateurs, les suppléments hebdomadaires multimédia ou interactif des grands quotidiens tels Le Monde, Le Figaro,

Libération, avec les publications à caractère pédagogiques du CNDP, ou les déclarations

d’un Ministre de l’Education… Rien de commun donc, mais pourtant entre tous ces discours qui se superposent, il n’est pas simple de s’y retrouver… dans la mesure où l’éducatif est souvent mis en première ligne (au sens figuré comme au sens propre de sa mise sur LE Réseau) pour justifier achats de matériel, et appropriation dans la sphère familiale des élèves ou des enseignants, comme à l’école, des nouvelles technologies.

Deux raisons sans doute expliquent cela. La première est de type culturel : ainsi, de bonne ou de mauvaise foi, à tort ou à raison, la croyance en l’amélioration de l’éducation grâce aux technologies est présentée comme un enjeu majeur pour la société. La seconde est de type économique : l’éducation constitue un marché… l’école en elle-même, l’éducatif au sens large, enfin plus précisément, l’enfant ou l’adolescent sont perçus en tant que consommateurs ou sujets d’investissements13. Il n’y a sans doute rien d’original dans la démarche des marchands de matériel, de programmes ou de services en informatique à mettre en avant l’éducation, plus concrètement encore le succès scolaire des élèves, pour pousser à la consommation, mais le phénomène atteint une ampleur inégalée. Ce discours reste aujourd’hui, aux yeux du grand public, légitime, crédible, car il va dans la même direction politiquement correcte que la plupart des discours journalistiques et politiques auxquels il est fait allusion précédemment.

A l’argument incontournable de modernité, il convient d’ajouter deux autres arguments toujours présents.14

12 Sur le sujet : Jacques Wallet : article « Le discours des acteurs » revue Educations à paraître en 2001.

13 Au sens propre c’est à dire dans la mesure où une famille ou un état investissent de l’argent, « font des sacrifices » pour assurer l’éducation des jeunes.

14 Jacques Wallet, Recherche et formation INRP, N°26 /1997 : « Les invariants autour de la place des images animées dans l’école »

Le premier est du type « ça marche ailleurs et la France est en retard… » avec sa variante « ça marche ailleurs et la France est en train de rattraper son retard… ». Bien sûr, c’est l’exemple américain, pas toujours vérifié et pas forcément légitime, hormis l’enseignement supérieur, qui, est le plus souvent cité.

Le second porte sur la « facilitation de l’acte d’apprentissage », un argument récurrent, même si il est contestable, utilisé aussi bien avec l’opinion publique qu’auprès des enseignants. La fausse croyance à la simplicité d’usage « entraîne des représentations inadéquates qui provoquent la déception rapide de certains enseignants utilisateurs » 15.

Une étude du vocabulaire utilisé, une recherche de fréquence des « mots clefs » employés par les uns et les autres, traduit certes des convergences fortes comme cela a été souligné précédemment mais aussi quelques nuances. L’étude systématique a porté sur plus d’une centaine d’articles rassemblés durant la période 1997/mi-9916. Cette approche empirique du vocabulaire n’a rien de lexicométrique : elle s’attache surtout aux idées mises en valeur en particulier par les titres et les inter-titres. Par ailleurs il est souvent difficile de catégoriser les genres. Ainsi, dans plusieurs mensuels de la presse informatique, certains articles ou bancs d’essais sur des produits pédagogiques s’apparentent davantage à des publicités cachées, du fait par exemple du lien entre l’éditeur de cédérom et la régie publicitaire de la publication qu’à une évaluation véritable, fut-elle journalistique. Ou pour prendre un autre exemple, où la distinction des genres est difficile : dans le courrier des lecteurs, de l’hebdomadaire Le Nouvel

Observateur en novembre 1998, l’échange de courrier, la polémique sur le rôle des NTIC

dans l’apprentissage, entre une chercheuse reconnue du domaine des NTIC : Monique Linard et le Ministre de l’éducation de l’époque.

L’étude du vocabulaire utilisé permet, même si les frontières entre les genres sont perméables, de classer les discours en trois catégories, le mot COMMUNICATION utilisé sous tous ses registres étant en quelque sorte hors concours.

Dans la première catégorie le discours des marchand, qui rassemble tout ce qui n’est en définitive qu’arguments de vente, l’affirmation est triviale, mais, soulignons que la plupart « des mots clefs » traduisent une forme d’opposition au système scolaire classique et développent le mythe d’une possible stratégie de contournement de celui ci.

Dans la seconde catégorie le discours journalistique, qui rassemble surtout les idées fortes et les « mots clefs » des analyses ou des dossiers, c’est l’aspect réseaux qui semble le plus souvent mis en avant. On peut souligner au passage cependant, que si la

15 Charles Duchateau, Plaidoyer pour des activités autour des technologies de l’information et de la

communication dans l’enseignement secondaire http://agora.unige.ch/che/unesco, référence en ligne, 1999

16 Voir référence de publication à la note 12. Le corpus comprend essentiellement des revues de vulgarisation informatique, des articles tirés de la presse quotidienne ou hebdomadaire, des articles tirés de revues

tonalité des journaux est très enthousiaste face aux nouvelles technologies pour l’enseignement, des tribunes libres expriment parfois des points de vue nuancés sur la question. La plupart de ces tribunes libres relèvent d’ailleurs du discours de la recherche… en informatique ou en pédagogie.

Enfin le discours des prescripteurs rassemble les éléments trouvés le plus fréquemment dans les revues pédagogiques militant pour l’audiovisuel ou l’informatique, les brochures ou revues du CNDP (que l’on distingue de la sphère marchande privée), comme des descriptifs de stage dans des IUFM ou dans des MAFPEN. Sans surprise : l’élève est au centre du système éducatif fut-il technologisé.

Les noms avec le signe * sont à lire précédés du verbe « favoriser le, la, l’ »

« Marchands » « Journalistes » « Prescripteurs »

Maîtriser l’information

*Soutien scolaire

*Interactivité Remplacer le prof

Accéder à la liberté (surf)

Résoudre l’échec scolaire

Apprendre en s’amusant

*Interactivité *Virtuel (campus, prof…)

*Hypermédia

Surfer sur le Web

Développer la communication

*Enseignement à distance

S’ouvrir sur le monde Répondre aux besoins

des élèves

*Individualisation *formation *Pédagogie active

Créer des banques de ressources

En conclusion, la pédagogie idéale est à portée de main17… En tout cas les discours des uns et des autres vont dans ce sens et aident à construire sans doute des représentations optimistes.

Il m’a semblé plus récemment possible de compléter cette approche par des études, en quelque sorte, à l’autre bout de la chaîne.

La première (non publiée) menée en 1999/2000 porte sur les opinions des étudiants en licence de sciences de l’éducation qui pour certains exercent ou pour beaucoup ambitionnent d’exercer une profession dans l’éducation.

La seconde étude est plus large moins ponctuelle18, elle porte sur une trentaine d’animateurs d’ateliers Internet hors temps scolaire, menés dans des collèges du

17 pour actualiser cette étude, je citerai les titres du numéro de décembre de la revue Le Monde de l’éducation : titre du dossier : « Réussir la révolution », titres des articles : « un grand bon… et beaucoup de questions », « en classe, rien ne sera plus comme avant », « connaissances, c’est déjà la révolution »…

18 Cette étude sera souvent citée dans la présente note. Jacques Wallet : Rapport à La Direction de L’action Educative des Hauts de Seine, à paraître en octobre 2001. Nanterre.

département des Hauts de Seine. Les trois quart des animateurs sont des enseignants et une large majorité d’entre eux des professeurs de technologie.

La première étude auprès des étudiants est située à l’issue d’une formation de 25 heures, sur les NTIC au premier semestre 1999/2000, en licence de Sciences de l’Education. Une des questions de l’évaluation finale, mineure dans la notation, portait sur l’opinion des étudiants sur l’introduction des Nouvelles Technologies dans l’Education, une réponse claire mais argumentée était demandée en s’appuyant sur la situation du premier ou du second degré général ou professionnel…

La forme de l’étude, comme le moment du questionnement peuvent faire l’objet de reproches quant à la fiabilité des réponses… On pourra aussi compte tenu de l’effectif, : 127 étudiants et du temps de réponse (bien supérieur à un sondage), trouver quelque intérêt à l’exposition des résultats obtenus, même s’ils ne sont pas généralisables.

L’analyse des réponses permet de faire les constats suivants :

. les réponses des étudiants sur le premier degré et sur le second degré diffèrent très peu 4% maximum d’écart, c’est la raison pour laquelle, elles ont été rassemblées statistiquement,

. pas d’écart significatif entre les réponses des femmes et celles des hommes, . en revanche, on peut remarquer que le contingent des aides éducateurs (1/7 de l’effectif total, est sur-représenté dans la dernière catégorie).

3% des étudiants ne font pas de réponse tranchée.

Comme l’enquête se passe en Normandie, ils sont adeptes du : « peut être ben

qu’oui, peut être ben qu’non » et ne peuvent être rattachés à l’une ou l’autre des

catégories.

9% +

17% 53% + 19%

Adversaires des NTIC Partisans des NTIC

NON

Ja

mais NON, car…

OUI,

doucement

OUI,

Pour tous, Tout de suite

On peut classer les réponses en quatre catégories…

9% des étudiants sont contre la présence des NTIC à l’école.

Celle ci est un sanctuaire où les NTIC ne doivent pas pénétrer. Le point de vue est implicite ou explicite, avec deux types d’arguments : les élèves sont trop jeunes, mais plus souvent : les contenus disciplinaires transmis par le livre sont réaffirmés comme devant être l’unique objet de l’école.

17% des étudiants sont en posture de « résistance passive » ou de

« découragement total » face aux NTIC pour des raisons diverses, classées par ordre de fréquence.

1/ Les profs ne sauront jamais

2/ Le matériel ne sera jamais assez bien

3/ Les risques de conflits entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas sont sérieux.

4/ Les NTIC à l’école renforcent la sélection sociale, car seuls les enfants des classes aisées peuvent avoir accès à un ordinateur chez eux.

53% des étudiants sont pour une intégration raisonnée et « en douceur » des

NTIC19

avec les arguments suivants 1/ Réduire la coupure société/école 2/ Vaincre l’échec scolaire

3/ Permettre aux jeunes enseignants d’occuper toute leur place dans le système éducatif.

Je remarque que ces deux derniers arguments perdurent, alors qu’ils ont été largement discutés et remis en cause dans le cours qui a précédé.

19% des étudiants sont pour une intégration immédiate et obligatoire des NTIC

Seule stratégie plausible à leurs yeux. Les attendus utilisés sont de type « Robespierristes » sur le mode terreur et vertu…

Dans la seconde étude qui porte sur 35 animateurs d’ateliers Internet, les réponses à un questionnaire ont permis de cerner les représentations de 19 d’entre eux sur le rôle prêté aux NTIC.

19 Ces chiffres sont un peu inférieurs à ceux d’un sondage de l’institut IPSOS qui relève que 86% des étudiants français sondés sont à 76% pour le fait qu’Internet doit être une priorité pour le ministère. Ce sondage étant une commande du même ministère, ce qui explique sans doute en partie le résultat.

A la question :

Avec laquelle de ces informations vous sentez-vous le plus en accord ?

1/ Les pratiques avec les NTIC (Internet, cédéroms, films…) à l’école contribuent à éviter l’échec scolaire.

2/ Les pratiques avec les NTIC n’influent pas sur l’échec scolaire Sur 19 réponses exprimées :

16 animateurs choisissent la réponse 1 1 animateur choisit la réponse 2 2 ne se prononcent pas

En conclusion, on peut souligner que l’opinion des étudiants comme celle des animateurs d’ateliers Internet est en phase avec les discours des prescripteurs : ce que l’on pourrait qualifier le volontarisme domine. Il convient de s’interroger sur cette posture cependant car rien ne la conforte au niveau de la recherche. Aucune preuve expérimentale n’est venue en particulier montrer un quelconque pouvoir de remédiation des NTIC pour un élève en difficulté.

En revanche la seconde étude, par les réponses fournies lors d’entretiens pour expliciter les réponses au questionnaire, ouvre deux autres pistes :

La première est celle qui montre l’effet déclencheur endogène de l’usage des NTIC avec certains élèves. Lors d’un entretien, un animateur d’atelier décrit un élève de cinquième en échec total et pourtant capable de créer un site Web tout seul et de comprendre le fonctionnement de logiciels très complexes. Cet élève qui possède un profil de surdoué en informatique se révèlera (et l’institution se révèlera aussi) incapable de transférer une partie de ses compétences, de ses savoirs faire, de son habileté intellectuelle, de sa simple capacité d’attention au service des apprentissages scolaires canoniques.

La seconde est celle qui montre que les NTIC et Internet en particulier permettent une modification dans la façon d’apprendre. Nous reviendrons sur ces questions par la suite.

Confronter ce volontarisme des acteurs à la réalité des pratiques dans les classes, ou au moins à ma représentation de celles-ci, sera mon prochain objectif.

Dans le document AU RISQUE de se passer DES NTIC... (Page 49-55)