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IV. Outils conceptuels pour l’analyse du comportement pastoral

IV.2.2.4. Les directions de déplacement

Je vais détailler ce critère de description tel qu’il a été utilisé par différents auteurs car il apparaîtra pertinent pour décrire les déplacements des pasteurs par rapport au Parc du W. J’attire dès maintenant l’attention sur le fait que peu d’auteurs ont distingué, comme je le ferai au chapitre 4, deux types et deux logiques distincts, bien séparés dans l’espace, entre les transhumances dirigées vers le sud et celles qui visent le nord, auxquels j’ajoute la logique d’une transhumance locale sans direction constante. Seul Boutrais explique clairement qu’une distinction sépare grossièrement les éleveurs soudaniens, qui vont vers le sud, des éleveurs sahéliens, qui vont vers le nord, même si la limite entre les deux logiques ne correspond pas en fait précisément à celle qui divise les deux zones climatiques (Boutrais, 1983).

La plupart des auteurs s’intéressent peu aux directions de déplacement des éleveurs, alors qu’elles sont importantes dans la présente recherche. Dans la bibliographie consultée, les déplacements des pasteurs sont certes décrits mais les analyses et les typologies ne cherchent pas à dégager un schéma-type de déplacements ou une logique d’ensemble de la mobilité, de par les objectifs spécifiques de leurs travaux. On observe plutôt des transhumances dans toutes les directions, en toute saison, sans que les auteurs aient essayé d’y montrer une logique générale, d’opposer des régions ou des situations. Parmi les auteurs consultés, deux typologies seulement s’appuient sur ce critère de direction du déplacement, celles de Lhoste et de Saidou (voir plus bas) mais sans explication ni analyse des choix opérés par les pasteurs. Il en ressort l’idée que les déplacements n’ont pas de logique interne généralisable et que toutes les directions de déplacement sont équivalentes.

A titre d’exemple, dans une région qui englobe ma région d’étude, Lhoste (Lhoste, 1987) propose une typologie fondée sur un critère de direction, avec 4 grands types de transhumance, qui ne sont pas exhaustifs de la diversité existante mais qui sont les formes de mobilité

transfrontalière qui intéressent l’auteur. On va voir qu’il est difficile de mettre de l’ordre dans cette

énumération ou même de comprendre les critères qui fondent en fait la typologie :

1) les transhumants de l'Oudalan (Burkina Faso) : transhumance de courtes distances en saison sèche et vers le Mali (vers le nord) en saison des pluies

2) les transhumants du Gurma (sud de Fada n'Gurma, entre Komin Yanga, Fada et Nassoungou) : la plupart du temps c'est le manque d'eau et le tarissement des puits qui les poussent à se déplacer. En saison sèche, ils se dirigent vers le sud : en décembre ou janvier ils vont vers la

rivière Kompienga ; à partir d'avril, ils vont jusqu'au Bénin et au Togo en suivant les rivières Pendjari et Oti, là où leurs zones de déversement ont concentré d'immenses bourgoutières

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très recherchées. Retour en pleine saison des pluies. Depuis 1982 environ, les éleveurs effectuent en plus une courte transhumance d'hivernage pour écarter les animaux des champs.

3) les transhumants du dallol Bosso : ceux du sud vont vers le fleuve à la recherche du bourgou ; ceux de Filingué « gagnaient des pâturages lointains vers Fadézéno et Fakara", au-delà des plateaux ferrugineux ; ceux du Nord nomadisent jusqu'au Mali où certains troupeaux demeurent toute l'année.

4) les éleveurs du Gurma malien : un groupe de Touaregs qui passent la majorité de l'année à proximité des mares et des champs nomadisent jusqu'au fleuve Niger vers Ansongo ; en 84, certains ont poussé plus au sud, jusqu'à Tera et Markoye au Burkina Faso, et depuis, environ un tiers des troupeaux continue ces trajets.

Plus précisément, examinons les directions prises par les éleveurs les plus proches de notre région d’étude. Les pasteurs de l’Oudalan allaient vers le Mali (vers le nord) en hivernage avant d’arrêter ces déplacements et d’y substituer de petits déplacements vers le sud en saison sèche ; certains éleveurs du Gourma malien, pourtant à la même latitude que les précédents, allaient dans la direction inverse, vers le fleuve, au sud, avant les sécheresses, et même au-delà après ; ceux du sud du département de Dosso au Niger allaient vers le fleuve en début de saison sèche, à la recherche du bourgou ; leurs voisins du dallol Bosso allaient également vers le fleuve en saison sèche, mais y ajoutaient un trajet sur les plateaux, à l’est et à l’ouest du dallol en hivernage ; dans les années 90, et depuis les sécheresses, les troupeaux du Yagha allaient vers le sud, dans le Gurma, en saison sèche « à la rencontre des pluies », mais ces déplacements se raréfiaient en raison des difficultés rencontrées…

Il ressort de cette petite liste non exhaustive que toutes les directions sont apparemment possibles. Quels sont alors les moteurs des déplacements et à quelle échelle agissent-ils sur les choix des éleveurs ? Barral analyse les déplacements en classant les pôles qui attirent les éleveurs (Barral, 1967) : dans le nord Sahel burkinabé, ils s’organisent entre le point d’eau de saison sèche, les terres de cultures (liées ou non à un village) et les terres salées. Les déplacements s’organiseraient donc en fonction des ressources-clés recherchées, la répartition des ressources imposant une échelle d’analyse.

Au rebours de cette diversité apparente, certains auteurs tentent d’avancer un schéma général

type, pourtant démenti ensuite dans les descriptions qu’ils font des déplacements régionaux.

Saidou (Saidou, 1986) par exemple tente de caractériser, de façon trop générale, la transhumance au Niger comme un «

» (cf. Figure 3 p. 90).

Figure 3. Schéma d’un cycle de transhumance au Niger Source : (Saidou, 1986).

Ce schéma unique, celui d’un modèle apparemment dominant, ne correspond pourtant pas à tous les types décrits par l’auteur au Niger.

Ce schéma d’une transhumance de saison des pluies vers le nord, correspond bien à la région de Maradi et au nord de la région de Dosso par exemple, mais pas aux autres régions. En particulier, il ne correspond pas à la transhumance des régions de Niamey et du sud de la région de Dosso, notre région d’étude, qui est pourtant bien décrite par la suite par Saidou lui-même. Elle était alors organisée selon l’auteur comme une transhumance de fin de saison sèche avec un retour en juillet, avec plusieurs pôles d'attraction (le sud, jusqu’au Bénin, le fleuve ou les dallol, le terroir d'attache), et n'impliquait pas la zone pastorale. Le schéma semble présenter les déplacements vers le sud comme des transhumances secondaires, facultatives. En effet, le début des années 1980 (date des travaux de Saidou) voyait seulement le début de la mise en place dans ces régions du Niger, de transhumances vers le sud, de grande ampleur et régulières, du type des transhumances soudaniennes analysées par Boutrais à la même époque. Mais il semble que l’auteur a commis une erreur d’appréciation, probablement par généralisation abusive sur ce schéma, car il a associé ces transhumances de saison sèche vers le sud aux transhumances « normales » (selon lui) vers le nord, alors que ces deux types bien distincts n’étaient pas pratiqués par les mêmes éleveurs.

Lhoste (Lhoste, 1987) semble aussi tomber dans ce piège d’une généralisation quelque peu abusive quand il résume la transhumance au Niger comme suit : «

», « » (cf.

Figure 4 p. 91). Pourtant, sa typologie et les descriptions régionales qui suivent cette citation évoquent des situations qui ne correspondent pas à ce schéma dominant, notamment, dans notre région d’étude, des transhumances de saison sèche qui se dirigent vers le Bénin.

Figure 4. Relais des transhumants en saison des pluies Source : (Lhoste, 1987).

Ce schéma ne montre pas les transhumances vers le sud en saison sèche, généralisant un schéma particulier de mobilité, celui des mobilités sahéliennes.

Il est possible que ce schéma-type se soit imposé dans les esprits car il était le plus répandu avant les sécheresses de 1973 et 1984 qui ont déclenché les transhumances vers le sud et l’intégration de la zone soudanienne dans les territoires pastoraux. En effet, la majorité des études citées datent d’avant ou juste après les sécheresses. Mais le schéma ci-dessus semble bien véhiculer une généralisation hâtive car il prend en compte les latitudes soudaniennes, où les schémas de mobilité étaient déjà bien différents à l’époque (Boutrais, 1983).

Rares sont donc les auteurs qui ont tenté de décrire les déplacements des troupeaux selon une direction générale et ces tentatives, appliquées à l’échelle d’une grande région, aboutissent à une certaine confusion et à des généralisations trompeuses.